Une lettre a suffi pour ranimer le cauchemar de miss Ann Ward lors de ses aventures dans la Ville-Vampire. À
Londres, devenue Mrs Radcliffe et écrivaine respectée, elle coule des
jours heureux auprès de son époux et éditeur quand elle reçoit
l’invitation à un bal donné en son honneur. Ann ne doute pas que la
signature de son admirateur cache un défi mortel, mais il faudrait plus
qu’une menace sanglante pour l’empêcher de boucler ses bagages en
direction du château des Carpathes, bien décidée à mettre hors d'état de
nuire ce malfaisant de la nuit.
***
Il y a quatre ans, à l'occasion de notre Halloween francophile, nous avions lu, aimé et chroniqué Ann Radcliffe contre les vampires. Derrière son titre en clin d’œil à la pop culture, ce livre initialement intitulé La ville vampire lors de sa publication en 1867 était de la plume du célèbre feuilletoniste Paul Féval (auteur du Bossu), soit une des évocations littéraires du vampire antérieures à Bram Stoker. Autre détail qui a son importance ? Bien avant la mode de mettre en scène des personnages historiques dans des fictions d'aventure (Les enquêtes de Voltaire, Les enquêtes des Sœurs Brontë, Les enquêtes de Jane Austen, ou encore Abraham Lincoln, Chasseur de vampires...), La ville vampire était probablement un des premiers exemples du genre, son héroïne n'étant ni plus ni moins que la bien réelle Ann Radcliffe, autrice à qui on doit l'invention, si l'on peut dire, du roman gothique.
Suite au succès de cette réédition, la fine équipe des Saisons de l'étrange (alors label des Moutons électriques éditeurs) a pris son envol et son indépendance. Se spécialisant dans la publication de courts romans en hommage à l'univers des penny dreadful, du pulp et des comics (le tout dans une ambiance revendiquée de série B, voire série Z), la désormais maison d'édition à part entière lance en 2020 un financement participatif pour une collection dans la droite lignée d'Ann Radcliffe contre les vampires.
Intitulée La Ligue des Écrivaines Extraordinaires, cette collection propose à la fois une suite au roman de Paul Féval et un élargissement de son univers, en imaginant d'autres autrices (concernées de près ou de loin par le gothique) aux prises avec des créatures de la nuit. Le clin d’œil à La Ligue des Gentlemen Extraordinaires est bien évidemment transparent et certainement, au regard des codes de l'éditeur, pleinement assumé. Constituée d'une première salve de 5 titres confiés à 5 autrices différentes, la collection s'ouvre avec Ann Radcliffe contre Dracula, suite directe d'Ann Radcliffe contre les vampires.
Fraîchement mariée et écrivaine accomplie, Ann Radcliffe est depuis quelques temps la proie de cauchemars terrifiants qui lui font craindre le retour prochain des vampires. Aussi, lorsqu'elle reçoit une invitations à participer à un grand bal dans les Carpates, son inquiétude se confirme, faisant de son rêve une prémonition. Incapable cependant de refuser l'appel de l'aventure, la jeune femme, son époux et son charismatique valet Grey-Jack s'embarquent pour un voyage à travers l'Europe afin de rejoindre les terres de son hôte, le tristement célèbre comte Dracula. Pendant leur périple, les signes de mauvais augures se multiplient, prenant tour à tour la forme d'un chat doué de parole ou d'une guide particulièrement inquiétante. Dieu seul sait ce qui attend Ann en Valachie...
Ce premier opus est écrit par Bénédicte Coudière, autrice de l'imaginaire et journaliste. Pour raconter la nouvelle aventure d'Ann Radcliffe, on se persuade qu'elle a minutieusement lu et relu le texte de Paul Féval, dont elle s'est totalement imprégnée de l'écriture. En cela, l'exercice de style, véritable défi, est réussi : elle s'approprie le rythme, les tournures superlatives et la langue propre au roman feuilleton du XIXème siècle. On retrouve également une structure qui évoque vaguement la trame de La ville vampire, l'aventure se constituant autour d'un voyage aux allures de road movie monstrueux. Bénédicte Coudière, qui s'est également penchée sur la vie d'Ann Radcliffe, s'amuse à recouper les pérégrinations du roman avec le voyage effectué en 1794 pour l'écriture de Voyage en Hollande, fait dans l’été de 1794, sur la frontière occidentale de l’Allemagne et les bords du Rhin, pour lequel la jeune autrice prend des notes en même temps qu'elle va à la rencontre du plus célèbre des vampires.
Bénédicte Coudière s'inspire évidemment du roman de Bram Stoker, dont il semble qu'on retrouve quelques traces dans les passages se déroulant dans le château de Dracula. Retenue comme prisonnière, Ann passe d'une pièce à l'autre, cherche les portes dérobées ou la tanière du comte, l'épisode n'étant pas sans rappeler les mésaventures de Jonathan Harker lorsqu'il est lui aussi captif de ce même château. Enfin, par ricochet, de nombreux clins d’œil invitent à penser que le Dracula de Bénédicte Coudière, comme celui de Stoker, est directement inspiré du véritable seigneur des Carpates. On le devine à la contemplation de la très chouette couverture illustrée par Melchior Ascaride : le vampire y et une représentation du réel Vlad Tepes, tel que le donnent à voir les rares portraits existants.
Sans prétention, écrit pour le simple plaisir du divertissement, Ann Radcliffe contre Dracula se lit d'une traite. Mêler la mythologie du vampire selon Féval avec celle selon Stoker reste cependant un exercice complexe, leurs représentations du monstre étant souvent très différentes et ne s'appuyant pas sur les mêmes codes. Bénédicte Coudière parvient à s'en sortir, et ce bien que quelques éléments soient parfois moins convaincants (à l'image du chat maléfique doué de parole, dont la présence est parfois quelque peu incongrue). Le tout reste cependant à l'image de la ligne éditoriale des Saisons de l'étrange, entre hommage dévoué et pastiche délicieusement horrifique.
En bref : Suite directe au roman Ann Radcliffe contre les vampires (La ville vampire) de Paul Féval et à la fois élargissement de son univers à travers une collection hommage, ce premier opus de La ligue des écrivaines extraordinaires se lit avec plaisir. L'autrice s'approprie totalement les codes d'écriture du roman feuilleton et relève le difficile challenge de mêler les mythologies vampiriques radicalement différentes de Féval et de Stoker, à qui elle emprunte évidement plusieurs éléments. Quelque part entre le penny dreadful, l'univers des comics, et un bon vieux film de la Hammer, Ann Radcliffe contre Dracula est un pastiche tout ce qu'il y a de plus horrifique et distrayant.
Et pour aller plus loin...
- Redécouvrez les romans à l'origine de ce titre de Bénédicte Coudière : Ann Radcliffe contre les vampires et Dracula.
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