dimanche 26 janvier 2025

Les secrets de Tante Dimity (Les mystères de Tante Dimity #2) - Nancy Atherton.

Aunt Dimity's good deed (Aunt Dimity mysteries #2), Pengouin Books, 1996 - Seuil éditions, Label Verso (trad. d'A. Demoulin & N. Ancion), 2024.

    Grâce à Tante Dimity, la vie de Lori Shepherd a pris des allures de conte de fées. Enfin, en apparence : les projets de Lori de passer une seconde lune de miel dans les Cotswolds viennent de tomber à l’eau et elle se retrouve à voyager avec son beau-père plutôt qu’avec son mari !
    Alors, quand le vieil homme disparaît en laissant derrière lui une note bien mystérieuse, c’est à Lori de se lancer à sa recherche. Or, même guidé par le fantôme de Tante Dimity, un périple en voiture à travers toute l’Angleterre est loin d’être une mince affaire. Encore moins lorsque Lori exhume un sombre secret de famille…
 
Le deuxième tome de la série d'enquêtes plus cosy que mystery, best-seller depuis 30 ans aux Etats-Unis !
 
***
 
    En septembre dernier, on vous présentait le premier tome des Mystères de Tante Dimity, série de cosy mysteries conscrite de cette bonne vieille Agatha Raisin, enfin publiée en France après plus de 30 ans à bouder l'Hexagone. En distillant une petite touche de fantastique dans son univers de bonbon anglais, l'autrice Nancy Atherton renversait les codes du "polar douillet" qu'on pensait si bien connaître depuis son importation (récente) et redistribuait les cartes du genre. Pas d'apprenti détective, mais un esprit qui communique depuis l'au-delà par un carnet ; pas de meurtre, mais des secrets de famille en veux-tu en voilà. On avait apprécié la lecture du premier opus, quoiqu'on lui avait reproché quelques facilités et, surtout, une construction qui manquait de rythme. On était cependant curieux de découvrir la suite pour voir si Tante Dimity allait nous séduire.
 

    Dans ce deuxième tome, on retrouve Lori quelques mois après son mariage, désireuse d'entamer une seconde lune de miel avec Bill afin de lui rappeler ses engagements. Il faut dire que son adorable mari a un peu tendance à la négliger : trop occupé à prouver à son père qu'il est digne de lui succéder, il porte à bout de bras toutes les affaires du cabinet Willis & Willis, délaissant considérablement sa jeune épouse. Lori organise alors un séjour en amoureux au cottage de Tante Dimity, d'où elle a conservé de si bons souvenirs de sa rencontre avec Bill. Sur place, cependant, elle se retrouve à séjourner avec son beau-père en attendant que Bill clôture un important dossier dans le Maine, où il est d'ailleurs quasiment injoignable à cause d'une tempête qui fait rage sur les côtes américaines. Lori se laisserait presque gagner par la mélancolie lorsque William Willis sénior disparait brusquement. Alertée par un message de l'au-delà de Tante Dimity, Lori se lance à sa poursuite avec, en guise de coéquipière, la très jeune mais aussi très débrouillarde Nell, fille de ses voisins et amis. William Willis serait parti à la rencontre de ses cousins anglais afin de régler les conséquences d'un vieux secret de famille, lequel aurait provoqué une rupture entre leurs ancêtres communs. Une enquête qui amènera Lori à remonter le temps...
 

    C'est confortablement enroulé dans un plaid tout en buvant du thé pendant que la neige tombait au-dehors qu'on a lu et, surtout, savouré ce deuxième tome des Mystères de Tante Dimity. Si on demandait encore à être convaincu, on a été plus que charmé par cette nouvelle histoire, mais aussi parce qu'elle est à notre sens bien plus aboutie que la première. Conformément à La mort de Tante Dimity, Nancy Atherton confirme ici son goût pour les affaires familiales davantage que pour les affaires criminelles, continuant de ciseler les contours du cosy mystery à sa façon. Quelque chose se dessine donc d'une récurrence possible, un thème qui reviendra peut-être dans les prochaines aventures de Lori...
 

    Lancée à la poursuite de son beau-père parti faire le tour de tous ses cousins du vieux continent, Lori nous embarque dans un véritable road trip à travers la campagne anglaise. Dépaysant au possible, ce roman nous promène à la façon d'un guide touristique d'un village pittoresque à un autre, de sites historiques en vieux manoirs de familles. On visite ainsi la réelle église de Saint Bartolomew ou encore le village d'Old Warden, aux allures de contrée de contes de fées avec ses cottages à l'ancienne et ses toits de chaume. Le voyage est rythmé par le décalage constant avec lequel Lori suit son beau-père, ce dernier venant toujours de quitter les lieux où elle croyait enfin avoir retrouvé sa trace. Chaque étape permet de faire connaissance avec la vieille famille Willis et d'apprendre de nouvelles informations sur le secret qui les hante depuis plusieurs générations, le tout évoquant un jeu de piste fantaisiste et franchement enthousiasmant.
 


    Les personnages gagnent en épaisseur dans ce deuxième titre. Lori, plus aventureuse, donne à voir certains de ses talents grâce à sa connaissance des documents anciens, et on fait connaissance avec la jeune et très surprenante Nell. Incroyablement précoce, cette machine de guerre intellectuelle n'en est pas moins attachée à son ours en peluche, qu'elle semble considérer comme une personne douée de raisonnement et de compréhension. Elle apporte ainsi énormément à cette nouvelle intrigue, lui donne une teinte particulière en totale adéquation avec l'atmosphère de Nursery Rhymes qu'on avait déjà sentie dans La mort de Tante Dimity : une ambiance où la magie de l'enfance infiltre avec malice le monde des adultes.
 

    Cette fantaisie, qui semble typiquement anglaise, est en fait celle d'une Angleterre vue à travers l’œil d'une Américaine (Nancy Atherton et, par prolongement, son personnage de Lori). Une Grande-Bretagne de carte postale, néanmoins subtile car elle évite soigneusement l'avalanche de clichés trop faciles, préférant croquer çà et là quelques uns des us ou des codes typiquement british pour en faire une source de réconfort (le tea time et ses avalanches de gâteaux et d'en-cas) ou d'humour (les tapisseries du château, à peine dignes des murs d'un vieux bed and breakfast). Aussi, on sourit plus souvent dans ce tome-ci que dans le précédent, au moins autant qu'on se réjouit de la sympathie incommensurable de Tante Dimity.
 
Le brownie au caramel de l'oncle Tom, recette à retrouver à la fin du roman !
 
 
En bref : Nancy Atherton semble avoir trouvé ses marques dans ce deuxième opus. L'univers de Tante Dimity s'y déploie davantage et invite le lecteur dans un cocon aussi doux et réconfortant que le thé servi avec un nuage de lait. L'intrigue fonctionne, le rythme est très bien mené, les personnages sont originaux et l'ambiance est malicieuse comme se doit de l'être l'Angleterre qu'on fantasme tous. Un petit plaisir qui se savoure sans modération et qui donne envie d'enchainer très vite sur le troisième opus...

Un grand merci à Verso pour cette lecture !
 

dimanche 19 janvier 2025

La princesse morte et les sept chevaliers - Alexandre Pouchkine.

Сказка о мёртвой царевне и о семи богатырях
, Skazka o miortvoï tsarevne i o semi bogatyriakh, 1834 - Multiples éditeurs français, dont les éditions Bourgeois (trad. d'E. Vivier-Kousnetzof ), 1981.
 
    Dans un paysage de neige, une reine guette à sa fenêtre le retour du roi son époux. Celui-ci réapparaît alors qu'elle vient de mettre au monde une fille, mais elle en meurt d'émotion. Le tsar, d'abord inconsolable, se remarie au bout d'un an avec une princesse très belle mais fière et jalouse, qui se fait régulièrement confirmer par son miroir magique qu'elle est la plus belle femme au monde. Toutefois la jeune princesse grandit et embellit, et se fiance au prince Elyzée. Le miroir doit alors reconnaître que c'est la jeune princesse la plus belle : la reine, furieuse, ordonne à sa servante, la Noiraude, de conduire cette dernière dans la forêt et de l'y attacher pour qu'elle soit dévorée par les loups. Mais la servante se laisse attendrir et l'abandonne, libre. Le tsar est consterné par la disparition de sa fille, et le prince Elyzée, son fiancé, part à sa recherche.
 
***
 
    Il y a quelques semaines, on a abordé les versions alternatives de Blanche-Neige que la tradition orale a fait circuler aux quatre coins du globe à travers le très beau recueil Les histoires de Blanche-Neige racontées dans le monde. Si l'ouvrage proposait de faire découvrir les sœurs et cousines tantôt écossaises, tantôt nigériennes de l'héroïne immortalisée par les frère Grimm, on avait regretté qu'il ne contienne pas au moins une des versions russes existantes. Comme on avait pu vous l'expliquer précédemment, la transmission des contes de par le monde a donné lieu à autant de textes qu'il existe de pays (et parfois de régions), tous se réclamant d'une trame ou d'une construction similaire, mais se diversifiant par la culture locale. La classification issue des recherches des folkloristes Antti Aarne et Sthit Thompson a ainsi permis de numéroter chaque structure de conte, leur "trame sèche", afin d'identifier plus facilement leurs différentes réécritures et alternatives à travers le temps et l'espace. Le conte de Blanche-Neige et ses dérivés (ainsi que ses prédécesseurs) y sont classés sous le numéro 709.
 

    En Europe de l'Est, ce conte n° 709 a donné lieu à de nombreux enfants, dont les plus connus sont de la plume d'Alexandre Afanassiev et d'Alexandre Pouchkine. C'est plus spécifiquement le texte écrit par le second qui nous a marqué : son conte de La princesse morte et les sept chevaliers, écrit quelques années après la parution du Blanche-Neige des frères Grimm, est une alternative à la fois poétique et exotique, propre à l'âme slave. Cette version, on l'a connue grâce à son adaptation en court-métrage animé par les studios soviétiques Soiouzmoultfilm qui ont, au milieu du XXème siècle, réalisé de très beau dessins-animés inspirés des contes traditionnels russes. Découverte au hasard des programmes télévisés un soir de Noël au milieu des années 90, cette Princesse morte nous avait séduit au point de marquer durablement notre mémoire.



La princesse morte, superbe adaptation animée russe de 1951.

    Il avait été en revanche beaucoup plus dur de trouver une version traduite du texte, assez rare dans les recueils de contes slaves disponibles en France (lesquels privilégient les anthologies d'Afanassiev). Cette ancienne édition d'une sélection de contes de Pouchkine sortie en 1981, encore disponible chez les revendeurs et bouquinistes, a été l'occasion de la découvrir. Constitué de nombreux vers à la façon d'un long poème, le conte de La princesse morte est bien plus qu'une copie des frères Grimm. Si Pouchkine a très probablement été inspiré par ses confrères allemands (il semble en effet qu'aucune version connue du conte 709 ne préexiste en territoire russe), il ne procède pas à un simple plagiat et propose une lecture véritablement inspirée par la philosophie et l'esprit de son pays. Bien que l'héroïne n'ait pas de prénom particulier (on la surnomme sobrement "la princesse"), la dimension saisonnière et la neige occupent encore une place d'importance puisque c'est en attendant le retour de son époux en regardant le paysage couvert de duvet blanc que la tzarine met au monde son enfant.
 

    Pour le reste, les personnages secondaires s'avèrent souvent plus développés chez Pouchkine que chez Grimm. Chose rare dans les contes, il baptise en effet le prince (Elizée), déjà fiancé à l'héroïne et qui, loin de tomber sur son cercueil par hasard, la recherche courageusement à travers tout le royaume. L'auteur insère également dans son histoire de nombreux dialogues qui étoffent les protagonistes et les liens qui les unissent, à l'image des sept frères chevaliers et des échanges qu'ils entretiennent avec la princesse : il est très rare que les autres versions aient à ce point mis en relief le respect et l'affection qu'ils entretiennent.


    Pouchkine greffe également ici et là des phrases et tournures iconiques des contes traditionnels slaves. L'invitation des frères chevaliers, par exemple, lorsqu'ils rencontrent la princesse ("Si tu es un vieil homme, tu seras notre oncle. Si tu es une vieille femme, tu seras notre mère. Si tu es une jeune femme, tu seras notre sœur...") est une formule extrêmement courante dans les textes classiques russes. La quête du prince Elyzée, qui demande successivement au Soleil, à la Lune et au Vent s'ils ont vu sa dulcinée, est également un schéma narratif bien connu des contes propres à la Russie.
 
 
    On n'est certainement pas très objectif, parce que ce texte réveille chez nous une évidente nostalgie. Mais cette version étrangère possède un charme particulier, une âme unique qu'on aime d'ailleurs retrouver dans tous les contes russes, qui sont depuis entrés dans nos lectures favorites.

 
En bref : Version russe de Blanche-Neige, La princesse morte et les sept chevaliers est une réécriture poétique et exotique de l'histoire que tout le monde pense connaître. Si l'on y retrouve la trame des frères Grimm, décors, parfums et narration nous transportent par-delà les terres et les fleuves à la rencontre de l'âme délicieusement slave de Pouchkine. Les personnages, beaucoup plus habités que dans la version allemande, donnent un petit supplément d'âme à cette histoire aux mille et un visages.



samedi 18 janvier 2025

Blanche-Neige - Texte d'après les frères Grimm, illustrations de Mayalen Goust.

Éditions Flammarion (coll. Père Castor), 2009, 2012.
 
 
    Folle de jalousie face à sa beauté, sa belle-mère décide de se débarrasser de Blanche-Neige. La jeune fille trouve alors refuge dans la demeure des sept nains. Mais la reine réussit à lui faire croquer une pomme empoisonnée. Qui pourra sauver Blanche-Neige ?
 
***
 
     On continue notre tour d'horizon des albums adaptés du conte des frères Grimm. Après Benjamin Lacombe, Sophie Lebot et Charlotte Gastaut, c'est de la version illustrée par la talentueuse Mayalen Goust pour les albums du Père Castor que nous allons parler aujourd'hui. Il n'est certainement pas utile de présenter la très célèbre collection des éditions Flammarion : le Père Castor, c'est près de deux mille ouvrages publiés depuis 1931, dont certains livres iconiques de la littérature enfantine et de l’essor qu'elle a connu avec le XXème siècle. Contes, romans, classiques ou inédits, ainsi qu'une série animée d'anthologie dans les années 90, non, vraiment, il est impossible de ne pas connaître le Père Castor. Parmi ses "mini classiques", contes issus de la tradition du monde entier, on retrouve évidemment une édition de Blanche-Neige.
 

    Le texte adapté des frères Grimm est, comme pour la version illustrée par Sophie Lebot aux éditions Lito, relativement proche de la version allemande du conte, nuançant seulement les passages les plus sombres. Aussi, c'est surtout le final et la mort de la Méchante Reine qui sont une fois encore modifiés, probablement par crainte de choquer les jeunes lecteurs : la torture causée par les chaussures de métal chauffées à blanc semble décidément refroidir les éditeurs. Dans cette version, la belle-mère meurt de frayeur en découvrant Blanche-Neige vivante le jour de son mariage. Pour le reste, pas de surprise ni de liberté particulière dans l'intrigue, qui reste très fidèle.
 

    Mayalen Goust, diplômée de l'école d'arts appliqués de Poitiers, est surtout connue pour ses BD aux éditions Rue de Sèvre (notamment D'or et d'oreillers, d'après Flore Vesco, dont elle avait déjà assuré la couverture du roman) et pour sa mise en image remarquée des Colombes du Roi Soleil, la bande-dessinée adaptée des livres à succès de Anne-Marie Desplat-Duc. Le reste de sa bibliographie occupe une place de choix au rayon des contes de fée, notamment chez Lito, Le Père Castor et Magnard, pour qui elle a entre autres illustré La petite fille aux allumettes, Barbe-Bleu, Dame Hiver, ou encore Jack et le haricot magique.
 

    Si sa vision de Blanche-Neige est peut-être celle qui nous correspond le moins d'un point de vue esthétique, on ne peut nier une belle audace et, surtout, une très belle patte personnelle. Mayalen Goust propose ici un univers aux lignes anguleuses et modernes, aux silhouettes élancées et aux courbes design. Si elle s'amuse parfois des codes du baroque (surtout avec le personnage de la Méchante Reine – sorte de sosie de la Lady Tremaine de Disney – issue d'un ordre ancien où les fauteuils capitonnés côtoient les chignons hauts et les tailles corsetées), son graphisme évoque surtout quelque chose d'asiatique, entre chinoiseries et clins d’œil japonisants.
 

    En effet, l'ensemble nous évoque un conte de Miyazaki ou une estampe japonaise. Blanche-Neige porte le kimono à merveille, son prince charmant arbore fièrement le turban, la sorcière, toute en rondeurs, semble échappée du Château ambulant ou du Voyage de Chihiro, et l'on croise ici et là quelques chapeaux chinois. Même les nains se présentent sous un nouveau jour : ils ont troqué leurs barbes blanches contre des bouilles de lutins facétieux aux couleurs acidulées. Le tout est épuré, fin et poétique.
 

En bref : Une vision inattendue et rafraichissante du conte grâce aux illustrations japonisantes de Mayalen Goust. Kimonos, turbans et chapeaux pointus habillent les personnages, le tout dans des décors aux lignes épurées. Il y a à n'en pas douter un peu de Miyazaki dans ce Blanche-Neige...
 

vendredi 10 janvier 2025

Un jour ma princesse viendra - Jen Calonita.

Mirror, Mirror
, Disney Hyperion, 2019 - Hachette Heroes (trad. de L. Laguet), 2020.

 
Et si la Méchante Reine avait empoisonné le prince ?
 
    Le royaume est tombé entre les mains de la belle-mère de Blanche-Neige. Blanche fait profil bas au château, espérant tirer le meilleur parti de sa situation. Mais quand de mystérieuses informations à propos de ses parents refont surface et qu’un nouveau complot visant à la tuer tourne mal, Blanche décide d’agir. Accompagnée d’une bande de nains farouches, d’un prince qu’elle pensait ne jamais revoir, et d’un inconnu énigmatique tout droit surgi de son passé, Blanche part en croisade contre la Méchante Reine pour récupérer son royaume. Aura-t-elle le pouvoir vaincre un ennemi qui connaît le moindre de ses faits et gestes  ? Un ennemi qui ne renoncera pas – sous aucun prétexte – à conserver son trône  ? Car la Méchante Reine ne reculera devant rien, quitte à abattre tous les êtres chers à Blanche… 
 
    Ceci n’est pas l’histoire de Blanche-Neige telle que vous la connaissez. C’est une histoire de pouvoir. De loyauté. D’amour. Une histoire où seul un détail peut tout changer.
 
***
 
     Il y a quelques (nombreuses) années, on avait découvert en amont de sa traduction française le premier titre de la collection Villains Disney par Serena Valentino : Fairest of all (devenu Miroir, Miroir en VF). Bien avant le film Maléfique et sur le même modèle que Wicked de Gergory Maguire, l'autrice imaginait l'histoire de la Méchante Reine de Blanche-Neige selon le scénario du long-métrage animé de 1937, donnant à voir l'envers du décor et justifiant les actes de l'antagoniste principale. Pour un roman davantage commercial que littéraire, Fairest of all nous avait tout particulièrement convaincu, beaucoup plus que la suite de la collection, sans grand intérêt. Quelques années plus tard, on avait repéré cette autre collection consacrée aux films Disney, Twisted Tales, sortes d'uchronies : à partir d'un point de départ identique aux intrigues que l'on connait, ces réécritures proposent de changer un détail qui modifie totalement les péripéties et la conclusion. Moins emballé par ce concept, on s'est cependant laissé tenter par certains titres. Notre Noël thématique était l'occasion d'extraire celui-là de notre PAL où il sommeillait depuis quatre ans.


    De quoi ça parle ? L'histoire débute peu ou prou comme le dessin-animé, ce qui donne à ce roman des airs de banale novélisation, voire de redite de Fairest of all lorsque la narration se penche sur l'enfance ou les faits et gestes de la Méchante Reine. L'origin story est néanmoins différente : on apprend ici que la marâtre, rebaptisée Ingrid, est en fait la tante maternelle de Blanche-Neige. Là-dessus, Jen Calonita brode une sous-intrigue de conflit entre sœurs, la formation en sorcellerie de la future souveraine auprès d'un mage, puis son arrivée au palais en tant que demoiselle de compagnie. Elle y évincera sa cadette afin de s'imposer sur trône à sa place, nourrie d'une ambition sans borne pour le pouvoir et guidée par les conseils du miroir magique. Outre ces ajouts, l'histoire ne change finalement qu'une fois Blanche-Neige arrivée chez les sept nains : le prince l'y retrouve et tous deux décident de renverser la pouvoir en place et de mettre fin au totalitarisme de la Méchante Reine. Pour atteindre la princesse et l'affaiblir psychologiquement, c'est le prince qu'Ingrid décidera d'empoisonner.
 

    Bon, pourquoi pas. Après tout, il faut bien faire du neuf avec du vieux, et ce concept là en vaut bien un autre. Pas sûr que le choix du twist soit le plus pertinent pour l'histoire de Blanche-Neige, mais l'intrigue proposée par Jen Calonita a au moins le mérite de remettre le personnage principal à sa place d'héroïne, notamment grâce aux nouveaux enjeux qu'elle pose dans la relation entre la princesse et sa belle-mère. Car plus encore que la beauté qui rend cette dernière jalouse, c'est le risque de voir sa belle-fille, tant aimée du peuple, réussir à lui reprendre la couronne qui nourrit ses pulsions meurtrières. Jen Calonita imagine en cela une guerre des trônes typique des romans de fantasy, même si cela reste au final assez convenu.


    On a apprécié quelques passages, bien que les meilleurs paraissent honteusement pompés sur des adaptation antérieures : le sort qui provoque l'éboulement de la mine sur Blanche-Neige et les nains est évidemment inspiré du film Snow White, a tale of terror, de même que la confrontation finale entre les deux femmes face au miroir. Les aventures alternatives imaginées par Jen Calonita (dans les bois hantés pour retrouver un arbre aux propriétés magiques, en voyage à la recherche du père disparu de Blanche-Neige, etc.) nous ont aussi rappelé les épisodes du dessin-animé japonnais La légende de Blanche-Neige, diffusé à la télévision au tout début des années 90. On ne niera donc pas quelques passages propices à susciter la nostalgie.


    Pour le reste, c'est très bof, au point que c'est difficile d'argumenter davantage. Tout d'abord parce que ce n'est pas d'un grand intérêt dramatique, que l'autrice peine à sortir les personnages de leurs carcans d'archétype et, surtout, que la matière première Disney peut difficilement être transformée en produit de fiction young adult réellement qualitatif. Les quelques tentatives de l'autrice en ce sens sont assez maladroites et tombent à plat, parce que l'ensemble est encore trop marqué de l'aura de l'enfance et du divertissement familial (ah, cette scène où la princesse risque un œil énamouré sur le torse saillant du prince sous sa chemise entrouverte, entre deux chansons avec les sept nains..). La goute d'eau qui fait déborder le vase, c'est le texte français, pas franchement bien inspiré, avec un vocabulaire anachronique qui vient trop souvent parasiter la lecture.

 
En bref : Vite lu, vite oublié. Très commercial dans son concept comme dans son traitement, ce Twisted Tale se lit sans déplaisir si l'on n'est pas trop exigeant, mais sans grand enthousiasme non plus. L'univers Disney s'adapte dans le cas de Blanche-Neige assez mal à la littérature young adult et les rares éléments qui fonctionnent semblent pompés sur des adaptations antérieures. Le poids de la franchise, bien trop lourd à porter, empêche à Jen Calonita l'audace que mérite toute réécriture de conte de fée qui se respecte.
 

dimanche 5 janvier 2025

Voeux tardifs par-delà les sept collines...

 

    Voilà bien longtemps qu'on n'avait pas été aussi en retard pour vous présenter nos vœux ! La dernière fois qu'on a publié le traditionnel article d' "entre-deux fêtes" après les fêtes, c'était l'année de notre Noël Supercalifragilisticexoialidocious (on était alors en séjour au bout du monde de la France du Grand Est, sans connexion internet, et il avait fallu attendre notre retour pour reprendre le blog où on l'avait laissé). Pas de voyage ni de déconnexion wifi cette fois-ci pour nous justifier, seulement les conséquences (chronophages) à moyen terme du déménagement / emménagement dans notre nouveau Terrier et, surtout, une descente d'escalier verglacé qui nous a coûté une côte.
 

    Mais aucun de ces quelques désagréments ne devraient nous empêcher de célébrer les fêtes selon les traditions du Terrier (après tout, n'avons nous pas invoqué Bettlejuice chez nous alors qu'on aurait dû être en train de faire des cartons, le 31 octobre dernier ?), tout est question de priorité, n'est-il pas ? Aussi, comme prévu dans notre article d'ouverture, c'est chez dans une ambiance enneigée de conte ancestral que nous avons passé ces fêtes de fin d'année. Inspiré par la forêt de bouleaux du Blanche-Neige de Tarsem Singh et par l'iconographie de l'adaptation Disney, on a invité l'extérieur dans notre intérieur.


"Il était une fois..."
 
    Chez Grimm comme chez Disney, le conte prend place dans un décor de forêts et de collines (ces dernières étant au nombre de sept entre le palais de la reine et la chaumière des nains, encore une fois chiffre magique par excellence). Si la version animée se différencie par bien des points du texte de Grimm, elle n'oublie pas son ancrage littéraire en s'ouvrant (dans tous les sens du terme) sur un livre aux allures de grimoire comme on rêverait d'en lire un au coin du feu...

" Esclave du miroir magique,
Accours du plus profond des espaces,
Par les vents et les ténèbres je te l'ordonne,
Parle et montre-moi ta face !"
 

"Conduis Blanche-Neige dans la forêt. Mène-la en un lieu isolé, où elle cueillera des fleurs sauvages. Et là, mon fidèle et loyal serviteur, tu la tueras ! (...) Mais afin que j'ai la certitude de ton entière réussite, tu rapporteras son cœur dans cet écrin !"
 
 
    Un miroir ensorcelé, la quête de la beauté et de la jeunesse, l'ordre d'une exécution au fond des bois... entre symboles et éléments macabres, l'histoire, même sous les oripeaux Disney, nous rappelle ses origines plus sombres et que, non, au départ, les contes n'étaient pas (que) pour les enfants. Mais que les plus jeunes et les âmes sensibles se tranquillisent : bien des personnages amicaux les attendent...


"On pioche tic tac, tic tac,
Dans la mine, le jour entier.
Piocher tic tac, tic tac,
Notre jeu préféré.
Pas bien malin d'être riche enfin
Si l'on pioche tic tac
Dans la terre ou dans la roche
Dans la mine, dans la mine
Dans la mine, dans la mine
Où un monde de diamant brille !" 
 
     Il en est ainsi des sept nains, petits personnages à l'apparence de vieillards sympathiques qui relèvent davantage du bestiaire féérique (certaines versions ne s'y trompent pas en les nommant gnomes) que de la fratrie de vieux garçons ordinaires. Fidèlement aux vieilles légendes nordiques, ils sont rattachés aux montagnes et à la pierre et donc, par extension, aux mines et aux diamants. C'est là qu'ils travaillent toute la journée durant, cherchant gemmes et pierres précieuses dans les entrailles de la terre.

 
"Ce n'est pas une pomme ordinaire, c'est un fruit qui exauce les vœux ! Un morceau, et tous tes rêves les plus chers se réalisent ! Allons, fais un vœu et croque-moi ça !" 
 
 
    Mais le danger n'est jamais loin. Qui est donc cette petite vieille toute de noir vêtue qui arpente la campagne pour vendre ses pommes ? Prenons garde car, malgré ce qu'elle prétend du pouvoir bénéfique de ces fruits défendus, il n'est pas impossible que le pêché de gourmandise nous coûte la vie...



 
Nous arrêtons là notre promenade dans le conte pour, enfin, vous souhaiter

Un Très Joyeux Noël

(très très en retard)

et

Une Belle et Heureuse Année

(encore à peu près dans les temps)
 


    Nous espérons que vous avez passé de belles fêtes de fin d'année, en famille ou entre amis, et que les livres ont été nombreux sous le sapin. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette période dans nos prochains articles récapitulatifs et, en attendant, nous continuons les lectures thématiques pendant quelque temps. Là encore, les prolongations font et feront toujours partie de nos traditions !