dimanche 23 février 2025

Happily ever after : conclusion d'un long challenge.


     Vous avez rangé les décorations de Noël depuis longtemps, mais au Terrier, on met seulement le point final aux festivités hivernales ! La faute au Temps, qui s'écoule toujours aussi étrangement dans notre monde (rien de magique là-dessous, en vérité : seulement les effets pervers du déménagement, des travaux, et de semaines d'un travail certainement bien trop chronophage).  Cela étant, il aurait été criminel de ne pas aller au bout de nos articles thématiques et, surtout, de ne pas conclure sur notre habituel billet récapitulatif.
 
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    Nous avons commencé la saison en donnant la couleur de ce Noël sous le signe du célèbre conte des frères Grimm, afin de participer à notre façon au décompte des semaines avant la sortie au cinéma du live-action Blanche-Neige par Disney (et ce bien qu'on soit assez peu convaincu par les premières images, mais c'est certainement le cas de beaucoup de monde). En guise d'appéteasing, nous avons honoré la tradition du florilège thématique, en listant en un article nos précédentes chroniques et publications consacrées de près ou de loin à cette histoire intemporelle.
 

 
    Puis nous avons partagé avec vous quelques albums, autant de nouvelles visions illustrées du conte de Grimm : le Blanche-Neige illustré par Sophie Lebot chez Auzou et celui mis en image par Mayalen Goust au Père Castor. A ces deux versions très calquées sur le texte des frères Grimm se sont ajoutées deux albums aux histoires réinterprétées par leurs auteurs : le Blanche-Neige raconté par Gaël Aymon, illustré par Peggy Nille, et celui écrit par Charlotte Moundlic et illustré par François Roca.
 
  
 

    Nous nous sommes également promené à travers le monde grâce aux versions alternatives que l'on peut lire dans différents pays du globe. Les histoires de Blanche-Neige racontées dans le monde, des éditions Syros, nous a emmené à la rencontre des sœurs et cousines de Blanche-Neige en Écosse, Bretagne, Afrique ou encore en Grèce. A cette sélection particulièrement exotique, nous avons ajouté la lecture de La princesse morte et les sept chevalier, réécriture russe par Pouchkine.
 
 

    Du côté des romans, nous avons tenté la collection Twisted Tale, avec une réinterprétation uchronique du Blanche-Neige de Disney : Un jour ma princesse viendra, déception annoncée et confirmée, puis nous avons partagé avec vous un ouvrage particulier, Il était plusieurs fois, livre dont vous êtes le héros inspiré par l'univers des contes traditionnels, écrit par des collégiens en situation de handicap psychique avec l'auteur Fabien Clavel.
 
 
 
    Enfin, nous avons évoqué une adaptation télévisée, le Blanche-Neige de Caroline Thompson, en son temps comparse de Tim Burton et dont la vision du conte est particulièrement esthétique et intéressante. Pour rester dans la catégorie "petit écran", nous avons profité de ce Noël thématique pour vous parler de la mini-série Le 10ème Royaume, madeleine de Proust dont l'évocation était on ne peut plus de circonstance !
 
 
     Et bien sûr, comme tous les ans (le changement de Terrier ne fait pas exception), nous avons célébré ces fêtes de fin d'année dans l'univers thématique choisi, une forêt enneigée ayant investi notre salon...
 


    Nous remercions comme de coutume notre chère Mya Rosa, consœur de chroniques et de lectures, qui nous rassemble tous les hivers autour de son challenge Christmas Time. C'est toujours un plaisir de découvrir les ouvrages partagés par les contributeurs et d'échanger autour de nos traditions festives. On sera évidemment de la partie l'année prochaine, et quelque chose me dit que le futur thème est déjà tout trouvé...
 
 
 
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See you in december !

 

mardi 18 février 2025

Blanche-Neige - Texte de C. Moundlic & illustrations de F. Roca.

Éditions Albin Michel Jeunesse, 2019.
 
    Ce conte traditionnel aux multiples versions n’en finit pas de nous fasciner et, par ses motifs simples et bruts, de nous toucher quel que soit notre âge, notre culture... Charlotte Moundlic réécrit et raccourcit légèrement le conte tout en gardant sa structure ; elle met en avant avec subtilité la perversité d’une femme, la belle-mère n’acceptant pas le changement, son rôle parental, la transmission. Centré sur l’égoïsme d’une Reine obsédée par son apparence et dénuée de toute humanité, le texte nous permet aussi d’entendre ce que ressent Blanche-Neige, l’enfant maltraitée.
    Charlotte Moundlic choisit une fin questionneuse que le lecteur, la lectrice interprétera à sa convenance : si Blanche-Neige est rayonnante de vie, est-ce une illusion souhaitée par les nains ou bien la magie (la bienveillance de l’amour) permet-elle de sauver la jeune fille ?
    Le peintre François Roca s’empare avec jubilation des scènes emblématiques du conte et peint (peinture à l’huile) la nature et les personnages d’une manière solennelle laissant percevoir les beautés ou les noirceurs intérieures ; et restitue merveilleusement l’atmosphère atemporelle du conte.
 
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    Nous terminons notre sélection d'albums sur Blanche-Neige avec ce titre paru chez Albin Michel Jeunesse en 2019. Loin d'être une énième version illustrée du texte de Grimm, cet ouvrage propose une réécriture de la plume de Charlotte Moundlic, autrice de littérature enfantine, mise en image par le talentueux, connu et reconnu François Roca.
 

    Contrairement à l'album de Gaël Aymon et Peggy Nille qui recoupait différentes versions russes au texte de Grimm, ce livre-ci conserve bien la trame de la version allemande et ne comporte de prime abord que peu d'éléments nouveaux. Les libertés prises par Charlotte Moundlic sont plus subtiles et vont relever de la mise en mots, de la narration, et de l'interprétation qu'elle propose (ou parfois suggère seulement) de certains éléments du conte. Le remariage du roi y est par exemple une nécessité politique, les retrouvailles de la princesse avec sa belle-mère tiennent ici à l’obligation de la présenter à la cour lorsque vient son adolescence, etc. Des détails, pourrait-on dire, mais qui apportent en fait beaucoup en ce qu'ils vont donner de densité, de relief, à l'intrigue initiale.
 

    Parmi les autres réinterprétations non négligeables, on évoquera le rôle que donne (ou ne donne pas, justement) l'autrice au miroir, qui n'a ici rien de magique. Ce sont avant tout les rumeurs colportées dans le royaume qui amènent la reine à jalouser Blanche-Neige, son objet fétiche incarnant mieux que jamais son narcissisme dévorant. Une reine qui, une fois n'est pas coutume, rappelle dans ce texte-là aussi Lady MacBeth. Figure anti-maternelle avide de pouvoir, calculatrice, un peu sorcière et psychologiquement instable, la Méchante Reine de Charlotte Moundlic cède plus d'une fois aux pulsions de violence, notamment quand elle étrangle le chasseur de ses mains après avoir compris sa trahison.
 

    Le propos, plus sombre, n'est pour autant pas exempt de morale ou de matière à la réflexion. Blanche-Neige est ici une enfant vulnérable soumise à la rudesse du monde des adultes, contrainte de s'émanciper pour trouver son chemin. Accueillie chez les nains, elle partage ses connaissances avec eux, le personnage devenant une figure éclairée et non plus seulement la fillette-femme-au-foyer du conte de Grimm. Charlotte Moundlic pose sur le personnage un regard nouveau, quasi philosophique, bien plus complexe que le souvenir qu'on en avait. Jusque dans le final, ouvert et sujet aux interrogations du lecteur, cet album surprend par sa double-lecture et sa maturité.
 

    Côté illustrations, François Roca nous avait déjà subjugué avec sa mise en image de Dracula pour L'Ecole des Loisirs il y a quelques années. L'artiste, dont le talent a traversé des décennies de littérature jeunesse sans prendre une seule ride, met toute la magie de son coup de crayon et de son pinceau au service du célèbre conte. Dans un style très figuratif que sublime la peinture à l'huile, il met en scène une Blanche-Neige aux faux airs de Bettie Page dans des décors médiévaux que ne renieraient pas les peintres préraphaélites. Son art pourrait sembler extrêmement classique, mais s'il l'est, c'est dans le sens noble du terme. Car la profondeur de ses décors et le clair-obscur de ses compositions continuent de nous hypnotiser comme personne...
 

En bref : Une relecture à la fois subtile et extrêmement intelligente du conte des frères Grimm. Ce Blanche-Neige raconté par Charlotte Moundlic se veut davantage un récit d'apprentissage qui donne à réfléchir qu'un conte pour endormir les enfants ; il témoigne ainsi de la portée inaltérable et intemporelle de nos textes fondateurs. Les illustrations incroyables de François Roca, indétrônable, parachèvent le tout, la profondeur de la forme faisant écho à celle du fond. Un album d'une beauté rare et complexe.
 

dimanche 16 février 2025

Il était plusieurs fois - UEE du DITEP H. Viet & les 6èmes2 du collège C. Flammarion, avec Fabien Clavel.

Il était plusieurs fois - un conte dont vous êtes le héros, autoédition, 2023.
 
    A l'occasion de sa nouvelle création, l'UEE du DITEP Henri Viet vous invite à un voyage fantastique. Avec la participation des 6ème2 du collège Camille Flammarion et grâce à l'accompagnement de Fabien Clavel, auteur jeunesse de fantasy et de livres-jeux, ils ont concocté pour vous une aventure interactive : dans ce livre, c'est vous qui êtes le héros.
    Incarnez le rôle de Camille, qui part à la recherche de sa grand-mère disparue dans un univers où les contes de fées sont réels... mais aussi les ogres, le Grand Méchant Loup et les dragons ! Saurez-vous affronter les dangers qui se dresseront sur votre chemin ?
Traversez le miroir pour le découvrir !
 
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    On parle ici très rarement de notre travail, celui qu'on mène dans notre autre vie (vous savez, celle qu'on appelle active). Mais on a déjà très clairement exprimé qu'on officiait dans le médico-social (plus précisément dans le champ du handicap) et qu'on portait tous les ans un projet culturel particulièrement conséquent auprès des adolescents de la structure. Parce que ce projet-ci entre en résonance avec nos chroniques thématiques du moment et, surtout, parce qu'on aime rien de plus que mettre en avant le talent fou de ces jeunes, on tenait aujourd'hui à ouvrir une petite brèche dans nos habitudes, juste le temps de vous parler un peu d'eux. Alors, certes, il y aura un peu de sigles et de termes techniques le temps de vous poser le décor, mais on vous promet qu'une fois familiarisés avec notre univers, vous n'aurez qu'une envie : les lire et découvrir, vous aussi, de quoi ils sont capables.
 

    Les noms d'oiseaux dans l'intitulé de l'article ont dû vous faire écarquiller les yeux ; prenez une grande inspiration, on vous explique tout. Un DITEP (Dispositif Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique) est un établissement médico-social dont la vocation est d'accueillir les enfants, adolescents et jeunes adultes présentant des difficultés psychologiques. Si leurs compétences cognitives et intellectuelles sont préservées, elles sont parasitées par une réelle souffrance psychique qui les empêche d'avoir un plein accès aux relations sociales et aux apprentissages, un processus handicapant qui nécessite donc l'accompagnement pluriel prodigué par ce dispositif. Accompagnés par des professionnels éducatifs, thérapeutiques et pédagogiques, certains de ces enfants ont parfois besoin d'une scolarité en interne, en Unité d'Enseignement (UE) ; l'UEE (Unité d'Enseignement Externalisée) dépend de la structure médico-sociale, mais est délocalisée dans les murs d'un établissement scolaire ordinaire.  Dans le cas présent, c'est une UEE de sept collégiens, lesquels bénéficient d'une inclusion la plus complète possible.
 

    Depuis maintenant plus de dix ans, nous portons avec quelques collègues (certainement aussi fous que nous) des projets de médiation culturelle à destination de ces élèves, projets qui s'étendent à chaque fois sur une année complète et qui donnent lieu à une restitution finale. Celle-là s'articule dans la plupart des cas autour d'un livre (un vrai) écrit de leur main et autoédité. Depuis notre toute première action, nous avons eu la chance de bénéficier des interventions d'autrices et d'auteurs prestigieux, de Faustina Fiore à Fabien Clavel en passant par Eric Boisset. Si ces projets semblent s'intégrer à l'enseignement artistique et culturel propre à l'enseignement scolaire classique, notre approche est ici plus large et vise des objectifs différents. Ces projets sont certes scolaires, mais tout autant éducatifs et thérapeutiques. La création artistique, culturelle ou littéraire n'est ici pas une fin, elle est un moyen qui vise à leur redonner confiance en leurs capacités, rééduquer des compétences, mettre aux travail des représentations, leur redonner une place et une légitimité. Depuis 2018, la pertinence de ces actions permet désormais de bénéficier d'un financement par l'ARS (Agence Régional de Santé) et par la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), double articulation qui traduit bien les enjeux à l'oeuvre : l'art et la littérature peuvent être des médiations soignantes ou, tout du moins, qui prennent soin. Inutile de vous rappeler qu'on est fervent adepte de la bibliothérapie...
 

    Après avoir travaillé le récit épistolaire, la poésie, l'album illustré et le roman de fantasy, nous avons proposé de leur faire découvrir, en 2022, le livre-jeu – et plus précisément le "livre dont vous êtes le héros", qui connait depuis quelque temps un vrai regain d'intérêt. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. Sur la forme, tout d'abord, après que les élèves aient appris à maîtriser les codes de l'écriture de fiction et la structuration d'un roman, quel meilleur prolongement que d'appréhender sa version déstructurée ?  Mais surtout, sur le fond et sur les motivations à l'origine de l'idée, il s'agissait de travailler à travers la rédaction d'une intrigue à choix multiples les mécanismes de la planification et de l'alternative, souvent mis à mal chez ce public à besoins spécifiques. Pour augmenter le projet d'une dynamique d' "inclusion inversée", nous avons proposé à une classe de sixième ordinaire et à son équipe pédagogique de nous rejoindre dans l'aventure et, en guise de guide, nous avons bénéficié des interventions et des précieux conseils de l'excellent Fabien Clavel himself (oui, oui, le seul et l'unique).
 

    L'univers de référence était tout trouvé et, là encore, n'avait rien d'un choix hasardeux : les contes traditionnels, pour l'empreinte qu'ils ont laissé dans l'imaginaire collectif, ce qu'ils véhiculent de symboles et, évidemment, pour leur seconde lecture psychanalytique, constituaient un terrain de jeu fascinant. Avant toute chose, il a donc fallu lire, relire et surtout (re)découvrir les textes de Perrault, Grimm et Andersen, ainsi que quelques autres versions plus anciennes et autres contes orientaux afin de construire un univers de référence, une "banque de données", tout en l'analysant et en partageant ce que ces textes pouvaient leur renvoyer, provoquer en eux. Puis, avec l'aide de Fabien et ses supports méthodologiques, construire une mindmap qui se substitue au plan classique d'une intrigue linéaire afin d'avoir une vision claire de cette histoire à tiroirs, du début à son dénouement en passant pas ses (nombreux) milieux.
 

    Le synopsis s'est rapidement échafaudé : Camille, un protagoniste adolescent (ou adolescente ?) fait face à la récente disparition de sa grand-mère. Lorsqu'un miroir magique dissimulé dans le grenier de cette dernière l'emporte dans une réalité alternative où les contes, bien que réels, ne se sont pas tous très bien terminés, Camille doit apprendre à survivre dans cette étrange contrée et découvrir ce qui est arrivé à sa grand-mère. Ce pays lui apprendra bien plus de chose à son sujet que quiconque aurait pu l'imaginer et lui révélera un secret de famille enfoui depuis longtemps...
 

    A l'histoire de Camille sont venus se greffer, à la façon d'un patchwork tiré de la "banque de données" évoquée plus haut, les personnages, décors et objets magiques inspirés des contes classiques redécouverts en classe. Regard adolescent oblige, les élèves se sont amusés avec les références, ont glissé une bonne dose d'humour et ont joué avec les anachronismes. On croise ainsi une fée chargée de fournir les carrosses royaux grâce au champs de citrouilles mis à sa disposition, de vilaines demi-sœurs qui se battent pour des paires de chaussure comme à l'ouverture des soldes, ou encore d'une Reine des Neiges qui, au grand soulagement de Camille, ne se met pas à chanter ! Une fois n'est pas coutume, le conte de Blanche-Neige s'est naturellement invité en force, comme si sa place dans les fondations de leur scénario coulait de source.
 

    Outre l'exercice ardu de la construction et l'exigence de la rédaction, les multiples chemins et périples possibles empruntés par le personnage ont contraint les élèves à rester vigilant quant à la cohérence de l'ensemble, d'autant que le tout devait fonctionner avec trois fins alternatives. Autre challenge ? Choisir un protagoniste au prénom épicène afin de permettre au lecteur ou à la lectrice de s'y reconnaître sans la barrière du genre, et devoir pour cela bannir toutes les marques de masculin et de féminin se rapportant au personnage principal. Le résultat était réussi, au-delà de nos espérances, jusque dans les objectifs initiaux du projet. Et comme on aime à faire les choses bien, on a poussé le vice jusqu'à leur faire reproduire l'univers du livre sous forme d'une carte grâce à un site prévu pour la création de jeux de rôle, et, évidemment, à concevoir une image destinée à la couverture du livre. Pour cela, nous les avons fait travailler sur une création en 3D, un paper art inspiré des œuvres d'artistes comme Jodi Harvey Brown ou Emma Taylor.
 
 
    Deux ans plus tard, nous avons continué l'aventure créative avec la conception d'un jeu de société et, actuellement, d'un album photo de famille fictive dans un univers de freaks à la Burton, mais Il était plusieurs fois reste à ce jour une grande fierté pour les élèves (et, par extension, pour nous autres accompagnants et porteurs du projets aussi, mais surtout parce qu'on est très fiers d'eux). Nous vous invitons à découvrir cette petite pépite qui a tout du vrai bouquin, disponible à la commande en ligne ICI.
 

En bref : Quand des élèves en situation de handicap psychique s'associent à une classe de collégiens ordinaires et à un auteur jeunesse de première classe pour se lancer dans l'aventure de l'écriture, le résultat vaut largement le détour. Livre dont vous êtes le héros inspiré par l'univers des contes classiques, Il était plusieurs fois fourmillent de clins d’œil, s'amuse de la culture littéraire et témoigne des compétences d'écrivain insoupçonnés de ces apprentis romanciers. Si vous ne nous croyez pas assez objectif pour en juger, allez vérifiez par vous-même : vous nous donnerez raison.
 

dimanche 9 février 2025

Le 10ème Royaume - une mini-série de David Carson & Herbert Wise.

Le 10ème Royaume

(The 10th Kingdom)

 
Une mini-série écrite par Simon Moore et réalisée par David Carson & Herbert Wise

Avec : Kimberly Williams, Scott Cohen, John Larroquette, Daniel Lapaine, Diane Wiest, Rutger Hauer, Warwick Davis, Camryn Manheim...

Première diffusion originale : du 27 février au 2 mars 2000 sur NBC
Première diffusion française : du 22 décembre 2000 au 12 janvier 2001 sur M6

    Aux frontières de notre réalité se trouve un portail qui mène à Neuf Royaumes, des mondes enchantés où furent inventés les contes de fées les plus célèbres. Mais contrairement à la coutume, les héros n'y vivent pas toujours heureux et n'ont pas toujours beaucoup d'enfants ! Car une reine maléfique désire s'emparer du pouvoir. Grâce à un sortilège, elle parvient à transformer le prince Wendell en un simple chien. Ce dernier s'échappe à travers un miroir magique qui le transporte au cour du mythique 10ème Royaume : Central Park. Là, il rencontre Virginia et Tony qui l'aideront à combattre une pléiade de créatures féériques et à reconquérir son royaume au travers d'une épopée semée d'embûches et de maléfices.

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    Attention, grosse séquence nostalgie. Diffusée il y a à présent plus de vingt ans à l'occasion des fêtes de Noël, cette mini-série a durablement marqué notre mémoire – et certainement celle de nombreux autres jeunes téléspectateurs des 90's. Véritable madeleine de Proust, pépite régressive et gourmandise télévisuelle encore furieusement efficace malgré ses deux décennies, Le 10ème Royaume figure pour des tas de bonnes et de fausses bonnes raisons au panthéon de nos séries favorites. Un morceau d'enfance éternellement associé aux fêtes de fin d'année qu'il était grand temps, enfin, d'évoquer ici.
 

"Je m'appelle Virginia et j'habite à la lisière de la forêt"

    Ainsi commence le premier épisode de cette-mini série en 5 parties produite par Hallmark Entertainment. Virginia Lewis vit dans un immeubles aux abords de Central Park avec son père, Tony, concierge et homme à tout faire de la résidence. Depuis que sa mère s'est enfuie de la maison sans donner de nouvelles il y a de cela plusieurs années, la jeune femme rêve d'une vie meilleure où elle ouvrirait son propre restaurant et reprendrait les rênes de son destin. Pendant de ce temps, dans un univers parallèle, une reine diabolique incarcérée dans la prison du mémorial de Blanche-Neige parvient à s'échapper et à ensorceler son beau-fils, le prince Wendell, à quelques jours de son couronnement. Descendant de la réelle Blanche-Neige et prétendant au trône, le prince se voit métamorphosé en chien tandis que sa belle-mère prépare un usurpateur à prendre sa place, dans l'idée de tirer les ficelles et de reprendre la main sur les 9 Royaumes que compte le pays. Mais Wendell parvient à s'échapper et traverse un miroir magique qui le propulse à New York, où il croise le chemin de Virginia et Tony. Alors qu'un loup et des trolls sont lancés à leur poursuite, nos héros n'auront bientôt d'autre choix que de traverser le miroir à leur tour pour gagner les 9 Royaumes. Ils découvriront alors que l'histoire de cet univers est intimement liée à la leur et que leur présence ici n'a rien d'un hasard.
 
Wishing on a star, le générique inoubliable de la série.
 
    Indissociable de son inoubliable générique Wishing on a star chanté par Anne Dudley (à qui l'on doit, entre autres, les musiques des films The Full Monty, Black Book, ou encore de la série Poldark), Le 10ème Royaume jouit encore aujourd'hui d'une certaine renommée en dépit des années écoulées et de l'avalanche de séries fantastiques maintenant disponibles sur les plateformes. La revue L'écran fantastique, dans un hors-série anniversaire consacré aux productions fantastiques des dernières décennies, avait à ce titre publié une critique on ne peut plus élogieuse du 10ème Royaume qui, selon la rédaction, n'avait pas pris une ride, et avait certainement annoncé avec dix ans d'avance des séries comme Once Upon A Time.  Diffusée pour la première fois en 2000, elle témoigne à ce titre d'une audace particulière : il y avait bien sûr eu des précédents en matière de fictions de fantasy pour la télévision, mais il s'agissait alors davantage de téléfilms et rarement de créations d'une telle ampleur. Production anglo-germano-américaine, Le 10ème Royaume a en effet été tourné dans de nombreux pays : en France (à Kaysersberg et à l'écomusée d'Alsace), en Angleterre (dans le Sussex et le Buckinghamshire), en Autriche, ainsi qu'aux États-Unis. La plupart des décors, naturels, vaut ainsi largement les reconstitutions en studio ou en images de synthèse du cinéma à grand spectacle tel que le conçoit désormais et le tout séduit par son authenticité.
 
Royaume fantastique au reflet de cité de pierre et de fer :
même dans ses affiches promotionnelles, Le 10ème Royaume semble avoir influencé Once Upon A Time...

    Outre son aspect avant-gardiste qui rend la série encore tout à fait regardable, on ne saurait dire exactement à quoi tient son charme intemporel. La mythologie créée par son auteur, Simon Moore, qui puise dans les contes de Grimm et les légendes européennes, y est sans doute pour beaucoup, car quel imaginaire collectif est plus universel que celui des contes de notre enfance ? Partagé par tous et appartenant en même temps à chacun de façon très personnelle, voire intime, ces histoires, qu'on les ait lues à la bibliothèque ou qu'on nous les ait racontées au chevet de notre lit, font partie du socle de nos références culturelles et de nos symboles. S'il s'appuie sur les versions littéraires traditionnelles, Simon Moore n'hésite pas à entremêler les histoires, celles-là partageant donc un paysage commun (celui des 9 Royaumes), où elle ne sont plus seulement des contes, mais où elles constituent le passé historique, le patrimoine du territoire au même titre que nos rois et présidents.
 

    Il y a donc une sorte de plaisir régressif, pour le téléspectateur, à partir aux côtés de Virginia à la découverte de cet univers, dont certains éléments touchent presque à l'archéologie locale (lorsqu'elle tombe sur l'ancienne chaumière des sept nains, on apprend que les historiens des 9 Royaumes avaient perdu tout espoir d'en retrouver le moindre vestige depuis des décennies). On se laisse prendre par le jeu de piste proposé par le scénariste, cherchant la moindre allusion ici ou là à un conte connu, le moindre objet tiré d'une histoire racontée autrefois au coin du feu. Ces derniers deviennent des artefacts, des quasi reliques : les chaussures d'invisibilité des trolls, les haricots magiques, le peigne empoisonné de la Méchante Reine... Méchante Reine que l'on retrouve dans sa crypte, entourée de vestiges de miroirs brisés, au cours de deux scènes aussi fascinantes que terrifiantes.
 

    Si le conte de Blanche-Neige a une place primordiale dans le scénario, c'est probablement encore une fois de par son rayonnement particulier, son statut tacitement admis de "conte des contes" et la portée scénaristique de ses objets magiques. Les miroirs ont en effet une place centrale dans l'intrigue puisqu'ils font l'objet d'une véritable quête des personnages pour rentrer chez eux et même les nains des mines, non contents de chercher des diamants, les y fabriquent dans le plus grand secret. Outre la sépulture de sa diabolique marâtre, on découvre aussi au cours d'une scène très émouvante la tombe de Blanche-Neige, où son fantôme apparaît à l'héroïne au cours d'un moment particulièrement fort en terme d'arc narratif.
 
 

    Confrontation des univers oblige, Simon Moore se permet des scènes d'humour réussies en jouant avec les anachronismes. On ne peut ainsi qu'éclater de rire face aux trolls qui se prennent de passion pour les Bee Gees (au point de voler un poste radio, une "boite à musique" qui n'est pas sans rappeler la "boite à troubadours" des Visiteurs), de même qu'on ne se lasse pas de Virginia réinterprétant We will rock you de Queen afin de remporter le concours de la plus jolie bergère. Pour rester dans la veine musicale, que dire de ces champignons magiques (et hallucinogènes) qui chantent A whiter shade of pale dans les marais maudits ? On en redemande ! L'autre excellente source d'humour vient du double niveau de lecture possible de certains dialogues selon l'âge du téléspectateur : la queue de loup-garou de Wolf qui prend la fâcheuse manie de se montrer lorsqu'il est d'humeur coquine, son syndrome de "stress post-menstruel" après la pleine lune... des éléments dont on n'avait évidemment pas compris le sens lors de notre premier visionnage, à l'âge de 9 ans, mais qui nous font encore plus apprécier cette série aujourd'hui.
 

    Histoire dans l'histoire, Le 10ème Royaume s'amuse aussi d'une belle mise en abyme : le périple de Virginia y est en effet celui d'une héroïne de conte de fée moderne. Orpheline comme nombre de ses consœurs chez Grimm, Perrault, ou Leprince de Beaumont, elle vit seule avec son père dans l'attente qu'une aventure l’amène à s'en détacher, à prendre son envol et trouver son propre bonheur. Comme toute princesse qui se respecte au début du conte, blanche, pure et virginale, Virginia ne porte pas son nom par hasard. La quête des personnages de conte qu'elle croisera au cours de son périple feront écho à sa propre quête et elle devra apprendre à composer avec les secrets qui pèsent sur son histoire. En cela, Le 10ème Royaume dépasse de beaucoup le simple divertissement fantastique pour dimanche après-midi pluvieux : les personnages, imparfaits, peuvent nous émouvoir aux larmes et l'histoire se dote alors d'une belle profondeur.
 

     Le casting est un autre élément qualitatif de cette mini-série : on y retrouve en effet de grands noms du cinéma américain, à l'image de Diane Wiest, actrice fétiche de Woody Allen aussi connue pour ses rôles dans Les Ensorceleuses, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ou encore I care a lot. A ses côtés, Camryn Manheim interprète une Blanche-Neige plus mature, extrêmement convaincante, d'autant qu'elle en profite au passage pour interroger la subjectivité de la beauté en l'incarnant sans que la question de son physique ne se pose une seule fois (ce qui, en l'an 2000 est là aussi furieusement d'avant-garde). En chasseur, on retrouve le défunt Rutger Hauer, célèbre comédien du cinéma de genre aux faux airs d'Anthony Hopkins, très crédible dans son rôle de criminel à la solde de la Reine. Les principaux interprètes sont aujourd'hui moins connus, mais Kimberly Williams (superbe et émouvante Virginia) était à l'époque la jeune actrice à la mode et Scott Cohen, avec déjà une longue carrière au cinéma, campe ici un personnage de loup aussi séduisant que malicieux. Tous donnent vie à leurs personnages avec talent et nous manquent décidément beaucoup trop une fois que se déroule le générique du cinquième et dernier épisode.
 

    Car si le succès de la série s'est fait croissant au fil des années et des rediffusions, la suite, longtemps promise et en partie écrite, n'a finalement jamais vu le jour. Intitulée La maison des loups, elle devait conduire nos personnages à la découverte de la forêt du petit chaperon rouge, où une académie secrète formait des écolières vêtues de longues capes écarlates pour distribuer secrètement des messages à travers les 9 Royaumes. Finalement abandonnée malgré les annonces du scénariste et de la production, cette suite fait encore l'objet de pétitions et de demandes enfiévrées des fans à travers le monde qui ne désespèrent pas de la voir diffusée un jour. La mode étant aux reprises et aux reboots, on avoue qu'on commencerait presque à y croire nous aussi...
 
 
 
En bref : Véritable madeleine de Proust et création télévisuelle d'avant-garde dans son genre, Plus de 20 ans après sa diffusion, Le 10ème Royaume se laisse encore regarder avec (grand) plaisir. Précurseur dans son fond comme dans sa forme, ce programme parvient à rendre un hommage réussi aux contes traditionnels et à leur redonner vie tout en racontant une histoire inédite alliant humour et émotion. Une pépite dont on ne se lasse pas, parfaitement régressive en période de fêtes.


dimanche 2 février 2025

Blanche-Neige - Texte de Gaël Aymon, illustrations de Peggy Nille.

Editions Nathan, 2018.





    Il neige. Trois flocons se sont posés sur la fenêtre givrée. Dans le château, sur la montagne, dans la forêt, une petite princesse est née.
— Aussi belle que l'hiver, aussi blanche que la neige, elle s'appellera Blanche-Neige ! dit le roi émerveillé.
 
 
 

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    Nous continuons notre florilège d'albums consacrés à Blanche-Neige, avec cette fois-ci une édition bien particulière. Nous avons en effet jusqu'ici essentiellement présenté des mises en image diverses et variées du même texte des frères Grimm, l'intérêt se portant donc davantage sur la forme que sur le fond. Cet ouvrage paru chez Nathan en 2018 présente à ce titre un intérêt supplémentaire : le conte n'y est pas la version allemande que tout le monde connait, ni une révision simplifiée de ce même texte, mais bien une nouvelle vision de l'histoire, nourrie de croisements entre différentes variations étrangères.


    Aussi, à la plume, on retrouve ici le talentueux Gaël Aymon, romancier jeunesse dont on avait beaucoup aimé le Silent Boy, lu il y a quelque temps. Grand amoureux de l'histoire de Blanche-Neige et de ses versions alternatives, il s'inspire ici des variantes russes d'Alexandre Afanassiev et d'Alexandre Pouchkine, qu'il entremêle avec l'intrigue conçue par les frères Grimm afin de proposer une lecture composite, joli brassage culturel qui s'affranchit des frontières en jouant avec les multiples symboles de cette histoire ancestrale.
 

    La trame est donc tout à fait reconnaissable et Gaël Aymon s'amuse des détails empruntés à telle ou telle version, qu'il glisse ici ou là : comme chez Afanassiev, la Méchante Reine n'est pas la belle-mère, mais bien la mère naturelle de Blanche-Neige (une différence de taille par ailleurs déjà présente dans une première version de Grimm, beaucoup moins connue). Comme chez Pouchkine, le prince se prénomme Elysée et ce dernier interroge le soleil, la lune, puis le vent afin de retrouver la trace de sa dulcinée. Comme chez Grimm, c'est chez des nains que la princesse se réfugie et c'est en recrachant le morceau de pomme empoisonnée resté coincé dans sa gorge qu'elle revient à la vie. Également très inspiré par l'adaptation en court-métrage animé de La princesse morte et les sept chevaliers produit par le studio soviétique Soiouzmoultfilm qu'il adore (il nous l'a confié de vive voix lors d'une récente rencontre), Gaël Aymon lui emprunte des tournures de phrase ou se réapproprie certaines de ses lignes de dialogue qui, à la façon d'une madeleine de Proust, réveille quelque chose dans la mémoire et l'imaginaire des connaisseurs.
 

    Aux illustrations, on retrouve Peggy Nille, dont on connaissait l'univers aux traits naïfs et aux couleurs chatoyantes. Pour ce Blanche-Neige, elle se renouvelle totalement : on reconnait évidemment son coup de crayon caractéristique et la simplicité des visages et des silhouettes, mais elle quitte ses teintes et motifs bariolés habituels pour une mise en couleur beaucoup plus subtile. Elle privilégie en effet un noir et blanc d'une grande sobriété auquel elle ajoute une pointe de rouge sang pour quelques éléments caractéristiques de chaque dessin (pommes, fleurs et lèvres), et quelques touches de doré pour mettre en relief enluminure, bijoux, astres et couronnes.


    Un peu à la façon d'un théâtre d'ombres chinoises, la silhouette des végétaux se découpe avec beauté et finesse. La nature occupe en effet une place centrale dans les larges illustrations de Peggy Nille : bouleaux blancs dans la nuit noire, fougères arborescentes, lichens et champignons envahissant avec grâce les grandes compositions de l'illustratrice. Des décors dans lesquels on aimerait se perdre, lanterne à la main...


En bref : En entremêlant plusieurs versions de Blanche-Neige – notamment les réécritures russes – Gaël Aymon propose une lecture composite, riche de cultures diverses et d'horizons variés, aussi exotique que séduisante. Les illustrations de Peggy Nille, qui joue avec les ombres et les silhouettes, apportent une grâce particulière à ce très bel album. Une petite merveille.