vendredi 31 octobre 2014

Sacrées Sorcières - Roald Dahl

The witches, Jonathan Cape Publishers, 1983 - Editions Gallimard Jeunesse (folio junior), multiples rééditions depuis 1984.

   Ce livre n'est pas un conte de fées, mais une histoire de vraies sorcières. Vous n'y trouverez ni stupides chapeaux noirs, ni balais volants. La vérité est beaucoup plus épouvantable. Les vraies sorcières sont habillées de façon ordinaire. En fait, elles ressemblent à n'importe qui. Il faut savoir qu’une sorcière peut très bien être votre voisine ou la meilleure amie de votre mère et si on ajoute à cela qu’elle passe son temps à dresser les plans les plus démoniaques pour attirer les enfants dans ses filets, il y a de quoi se méfier et vous comprenez pourquoi ce livre vous est indispensable ! 


  Un livre indispensable pour apprendre à se défendre contre les sorcières, une histoire grinçante qui vous fera frissonner tout en vous faisant mourir de rire !


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  Est-il nécessaire de présenter Roald Dahl? S'il ne fallait retenir qu'un seul auteur jeunesse, ce serait lui! De Charlie et la Chocolaterie à Mathilda en passant par James et la pêche géante, cet écrivain aujourd'hui véritable référence du genre, avait tout compris de la psychologie enfantine. Ses œuvres, véritables bouillonnements d'émotions, d'humour noir, et de fantaisie n'ont eu de cesse de nourrir l'imagination dévorante de jeunes lecteurs et d'inspirer autant d'autres auteurs! Parce qu'il existe bien un roman de Roald Dahl pour chaque occasion, Halloween est sans nul doute celle de se (re)plonger dans Sacrées Sorcières!

 Ci dessus, les éditions bulgare, allemande et hongroise, qui ont bénéficié d'autres illustrations que celles de Blake.
(à noter la seconde illustrée par Amelie Glienke, "une" Quentin Blake allemande, également illustratrice originale du déjà chroniqué Petit vampire).

  Récemment orphelin, le jeune héros de l'histoire quitte l'Angleterre pour vivre en Norvège auprès de sa dernière parente, une grand-mère au caractère bien trempé qui fume déraisonnablement le cigare. Proche depuis sa plus tendre enfance de cette aïeule atypique, il a grandit au rythme des sombres histoires qu'elle lui racontait lorsqu'il venait chez elle en vacances : faits divers mystérieux, mythes de Norvège et... histoires de sorcières! Mais des sorcières bien loin des contes de fées, et pour cause : elles sont réelles! Grand-mère en veut pour preuve son passé véridique de chasseuse de sorcières! Son petit-fils étant comme tout autre enfant l'éventuelle proie d'une de ces diablesses, elle lui initie les secrets pour mieux les reconnaître et les éviter... Un beau jour, alors que tous les deux passent un séjour dans un grand hôtel, notre petit héros tombe malgré lui sur une véritable armée de sorcières, bien décidées à en finir avec les enfants! Leur secret? Une potion, imaginée par leur souveraine La Grandissime Sorcière, qui permettra de les transformer en souris...

 Les personnages du roman, et le jeune héros écoutant les histoires de sa Grand-Mère (illustrations de Q.Blake).

  Si l'histoire a l'air horrifique à plus d'un titre, c'est avant tout un roman d'un humour mordant que R.Dahl livre à son jeune lecteur.   En contrebalançant la noirceur de certains éléments par le burlesque des situations, Dahl parvient à rejouer ce que les contes traditionnels avaient pour vocation : permettre de mieux identifier ses peurs et les extérioriser en les dépassant. Réinventant ainsi le personnage de la sorcière, il dépoussière cette figure de légendes pour en faire une femme moderne bien loin de porter balais et chapeau pointus! Réunies en de vraies confréries de femmes d'affaires, ces créatures aussi ridicules qu'effrayantes cachent leurs anomalies physiques sous le déguisement de la normalité pour mieux se fondre dans la masse. A grand renfort d'idées aussi folles qu'originales pour réinterpréter la sorcellerie, Dahl nous évite un phénomène de "déjà lu" et nous surprend à chaque page.
  Sacrées sorcières brille également d'une galerie de personnages charismatiques : du jeune héros discret auquel s'identifiera le lecteur, à sa grand-mère pleine d'entrain, en passant par LA grande méchante, LA déroutante, dégoutante et on ne peut plus effrayante grandissime Sorcière. Ces protagonistes, merveilleusement "croqués" par le coup de crayons de Quentin Blake, prennent vie au fil des pages débordantes d'illustrations jubilatoires.
  Un classique contemporain inégalé dans le style, que les plus curieux pourront aussi revivre en images : comme presque toute la bibliographie de l'auteur, Sacrée Sorcière a bénéficié en 1990 de son adaptation au cinéma avec Angelica "Morticia Addams" Huston en sorcière! D'ailleurs, les rumeurs racontent que Guillermo Del Toro prendrait bien la caméra pour une nouvelle transposition sur les écrans...

Sacrées sorcières version G.Del Toro, fanart audacieux et bien pensé! (source : devianart.com)


En bref : Méchamment drôle, fantaisiste et plus moderne que jamais, cette histoire de sorcières horrifique et tordante est un coup de cœur. Un pure bijoux de littérature enfantine qui fait adorer frissonner...de rire, car avec Roald Dahl, c'est possible!


mardi 28 octobre 2014

L'indésirable - Sarah Waters

The little stranger, Vigaro Press, 2009 - Editions Denoël, 2010 (traduction par Alain Defossé) - Editions 10/18, 2011.

  Au hasard d'une urgence, Faraday, médecin de campagne, pénètre dans la propriété délabrée qui a jadis hanté ses rêves d'enfant : il y découvre une famille aux abois, loin des fastes de l'avant-guerre. Mrs Ayres, la mère, s'efforce de maintenir les apparences malgré la débâcle pour mieux cacher le chagrin qui la ronge depuis la mort de sa fille aînée. Roderick, le fils, a été grièvement blessé pendant la guerre et tente au prix de sa santé de sauver ce qui peut encore l'être. Caroline, enfin, est une jeune femme étonnante d'indépendance et de force intérieure. Touché par l'isolement qui frappe la famille et le domaine, Faraday passe de plus en plus de temps à Hundreds. Au fil de ses visites, des événements étranges se succèdent : le chien des Ayres, un animal d'ordinaire docile, provoque un grave accident, la chambre de Roderick prend feu en pleine nuit, et bientôt d'étranges graffitis parsèment les murs de la vieille demeure. Se pourrait-il qu'Hundreds Hall abrite quelque autre occupant?

« Il semblerait qu'avec cette romancière particulièrement douée, les derniers vestiges du gothique aient fini par s'écrouler. »
François Rivière, Le Figaro littéraire 


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  A l'occasion d'Halloween et pour tous ceux qui ont aimé La séance (chroniqué l'an dernier), je vous propose de découvrir cet autre roman écrit à la façon des bonnes vieilles histoires de fantômes à l'anglaise. Sarah Waters, connue et encensée pour ces nombreux ouvrages toujours riches de leur reconstitution historique (on lui doit les célèbres Caresser le velours et Du bout des doigts, tous deux adaptés pour le petit écran), s'essaye donc à un exercice de style intéressant dans la droite lignée d'Henry James et E.A.Poe.

 Couvertures des éditions originales anglaises, grands formats cartonné puis souple, et poche.

  Si L'indésirable provoquera bel et bien vos frayeurs nocturnes (je vous mets au défi de vous relever ne serait-ce que pour aller boire un verre d'eau si jamais il vous avait pris l'envie de le lire en pleine nuit, à la lueur de la lampe de chevet), il est d'un style plus mesuré que La Séance. Moins "pastiche", dirons nous ; en effet, Sarah Waters ne monte pas sa trame autours d'un enchainement de péripéties étranges et manifestations fantastiques, préférant jouer sur la mise en place d'une tension, d'une atmosphère qui se pique peu à peu de détails étranges avant de sombrer lentement dans une angoisse sourde. En cela, il s'agit d'un écrit dans la pure tradition du genre fantastique, à savoir une situation du réel perturbée par des éléments d'ordre métaphysique qui instaurent le doute chez le lecteur.

 Couvertures de l'éditions française québécoise et de l'édition poche hexagonale, chez 10/18.

  Car c'est le maitre mot de cette intrigue : le doute. Sarah Waters fait planer juste ce qu'il convient de bizarrerie pour glacer le lecteur, sans l'encombrer de ressorts scénaristiques à tire larigot ou de clichés inhérents aux histoires de fantômes. Chaque manifestation "paranormale" se déroule comme "hors-champs" de notre lecture, pour être découvert par le narrateur après coups, ou lui être rapporté des témoins directs. Alors, s'agit-il d'actes d'un esprit malin sorti de la tombe, ou de gestes prémédités d'un manipulateur dissimulé en coulisse? A moins, autre explication, que ces étranges phénomènes soient la manifestation d'un inconscient malade? La réponse tient peut-être bien dans l'ultime phrase du roman...

 Les attrayantes couvertures de quelques éditions étrangères : Tchécoslovaquie, Finlande, et Espagne.

  Enfin, ajoutons à cela que l'auteure nous régale d'une reconstitution minutieuse de l'Angleterre d'après-guerre, où les familles issues de la noblesse d'avant croulent sous la décrépitude et les dettes. La question des classes est ainsi présente en filigrane et Sarah Waters met en place un vrai jeu des relations et codes sociaux qui intensifie le réalisme du récit. Un peu comme si Le tour d'écrou se passait dans Downton Abbey!

  En bref : Certes moins palpitant qu'un roman d'horreur écrit selon les codes contemporain, ce beau pavé n'en reste pas moins une excellente histoire de fantôme à l'ancienne qui sait en même temps s'affranchir de ses inspirations. D'une main plume de maître, Sarah Water signe un thriller psycho-métaphysique glaçant tout en atmosphère, une histoire que n'aurait pas reniée Henry James lui-même.



Et pour aller plus loin...

dimanche 26 octobre 2014

Pumpkins Opening Season!

Orange is the new black, par David & Myrtille.

  Blogueurs et Blogueuses, Lecteurs et Lectrices, Epicuriens et Epicuriennes, Lapins de tous horizons,

  En ce mois d'Octobre bien avancé, il est néanmoins tant de signaler ce que le changement d'heure vient à nous rappeler. Nul besoin de calendrier pour le sentir approcher, il suffit de jeter un œil au potager : ça et là, au milieu des allées, au coeur de lianes entrelacées pointent d'inopinées cucurbitacées. Orange écarlate, jaune acidulé et autres couleurs chamarrées, aucun doute : Le temps de Jack O'Lantern est arrivé!

  La brume fait planer son opacité, le mercure s'est pris l'envie de baisser et la chaudière de se rallumer. Chaque soir semble encore plus vite tomber, au rythme croissant de chants de sorcières et d'étranges mélopées, de rires sardoniques et de parfums épicés. Le fauteuil se rapproche de la cheminée en même temps que de la bibliothèque tombent des lectures ensorcelées...

..."Halloween! Halloween! This is Halloween!
In this town we call home
Everyone hail to the pumpkin song!"

 Source : etsy.com

Au programme...

L'insoutenable légèreté des Scones (Les chroniques d'Edimbourg #5) - Alexander McCall-Smith

The unbearable lightness of scones (The 44 Scotland Street series, book 5), Polygon Books, 2008 - Editions 10/18 (traduction  de Nadège de Peganow), 2014.

  Pour un simple observateur, l'admirable ville d'Édimbourg - lieu d'élection des philosophes éclairés où l'on déguste de savoureuses pâtisseries avec le thé - peut sembler préservée des émotions fortes. Pourtant, au 44 Scotland Street, quand Matthew et Elspeth s'engagent dans l'aventure risquée du mariage, l'extravagant peintre Angus Lordie a le pressentiment d'un désastre. Irène quant à elle est sidérée d'apprendre que son fils Bertie nourrit un projet inacceptable tandis que le superficiel Bruce subit le premier refus de sa vie. Sans parler d'un énorme gangster qui arrive de Glasgow avec des cadeaux...
   Toujours aussi fantaisiste, sensible et ironique, voici de retour la joyeuse bande écossaise. Un cinquième rendez-vous à ne pas manquer au 44 Scotland Street !

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  Pas de repos pour les braves! Avoir avoir commenté les quatre premiers tomes de ces chroniques écossaises, je continue de partager avec vous les péripéties de nos truculents locataires du 44 Scotland Street! Si la fin du troisième opus avait laissé craindre l'arrêt de la série, c'est finalement le quatrième tome qui achève un cycle dans cette saga. En effet, il laisse planer un changement sans retour iminent, à savoir le départ de Pat. Si elle n'était pas à proprement parler l'héroïne du feuilleton, elle était néamoins l'un de ses personnages symboliques et celle par qui le lecteur s'était peu à peu immiscé dans le quotidien de ses voisins de palier. Aujourd'hui, Pat a quitté Edimbourg et ce cinquième tome se poursuit sans elle... la sauce prendra-t-elle malgré tout?

"Les vieux amis, comme les vieilles chaussures, sont confortables."

 Couvertures de l'édition originale britannique et de l'édition américaine.

  Eh bien oui! On réalise que l'on s'est tout autant attaché aux autres personnages (même les pires!) et on les retrouve avec le même plaisir jubilatoire. D'autant que cette fois, chacun sera soumis au changement ou même à la tentation : Domenica l’anthropologue voudra venger le vol supposé d'une de ses tasses par sa voisine tandis qu'Angus le peintre tombera tout à fait par hasard sur une toile de maître prétendue disparue, Matthew sera confronté aux joies et interrogations de sa nouvelle vie conjugale, et Bruce paiera le prix de son ego surdimensionné. Oh, et n'oublions pas Bertie qui trouve en son père un allié de choix contre le tempérament castrateur de son embourgeoisée de mère : quoi de mieux pour la faire enrager que de s'inscrire chez les Scouts?!

"Après avoir assister à une tragédie, même mineure, on recherche la compagnie de ses semblables et on redoute la solitude."

Alexander McCall Smith, l'auteur à la plume si flegmatique...

  Du palier du numéro 44 jusqu'à Drummond place, en s'arrêtant au café de Big Lou ou à la galerie d'Art de Matthew, ce nouvel opus est une fois encore rythmé de la plume vigoureuse de son auteur. Alternant commentaires piquants sur la société contemporaine et ses relations humaines avec une plume plus onirique lorsqu'il nous fait partager son amour pour l'Ecosse, McCall-Smith fait mouche une fois encore. A défaut d'avoir Pat, on s'attache encore un peu plus au personnage du petit Bertie et au regard certes plein d'innocence mais étrangement perspicace qu'il porte sur le monde actuel, analyse fine, pleine d'humour, et presque accidentellement sociologique!

"Quant aux rituel, ne trouvez-vous pas qu'ils sont le ciment de tout société? Les rituels et les principales institutions. Et quand on les fragilise, quand on déclare que le roi est nu, on découvre un grand vide. Il ne reste qu'un ensemble d'individus, tous étrangers les uns aux autres."

Illustration intérieure de l'édition originale, représentant le plan d'Edimbourg et les décors clefs de l'histoire.

En bref : Mordant sans rien perdre de sa profondeur, ce cinquième tome des Chroniques d'Edimbourg est d'une qualité égale au précédent et ce malgré les changements dans les tranches de vie des protagonistes. Aussi délectable que les scones du titre, cet opus égaillera les premières froidures automnales!

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Et pour aller plus loin...

vendredi 24 octobre 2014

Les chroniques d'Edimbourg (Intégrale 1) - Alexander McCall-Smith

 The 44 Scotland Street Series (years 2004 to 2007) - Les Chroniques d'Edimbourg (Intégrale 1), éditions 10/18, 2013, traduit de l'anglais par E.KERN : 
-44, Scotland Street, Abacus publishers, 2005 - 44 Scotland Street, éditions 10/18, 2007;
-Expresso Tales, 2005 - Edimbourg Express, éditions 10/18, 2009;
-Love over Scotland, 2006 - L'amour en kilt, éditions 10/18, 2009;
-The world acording to Bertie, Abacus publishers, 2007 - Le monde selon Bertille, éditions 10/18, 2013.

  Vous aimez les kilts, les chassés-croisés amoureux et la vie faussement tranquille des quartiers bohèmes ? Vous avez frappé à la bonne porte ! Entre les tergiversations sentimentales de Pat, les fantaisies de la doyenne MacDonald, ou la lutte précoce du petit surdoué, Bertie, pour s'émanciper d'une mère un peu timbrée, il y a bien du grabuge au 44 Scotland Street ! Chroniques croustillantes sur fond de satire sociale, la saga souffle sur Édimbourg un vent d'humour et de tendresse. Ce qui est sûr, c'est que les habitants bobos de McCall Smith n'ont pas fini de faire parler d'eux...

 « Une savoureuse comédie humaine pleine d'allant et d'humour, dans laquelle chacun reconnaîtra ses propres ridicules. »
(Jeanne de Ménibus - Madame Figaro)

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  Voilà une série dont je tenais à vous parler depuis bien longtemps, parce qu'elle fait partie de ces sagas littéraires qui accompagnent un lecteur dans la durée et laissent en lui une trace indélébile. Initialement publié sous la forme de mini-épisodes quotidiens dans le périodique écossais The Scotsman avant d'être compilé en romans, ce feuilleton se veut un pendant anglo-saxon aux célèbres Chroniques de San Francisco (Tales of the City) d'A.MAUPIN. Cependant, ici, on oublie le Golden Gate et les tramways pour suivre le quotidien d'un immeuble au cœur d'une Édimbourg pittoresque et de ses locataires hauts en couleurs.

"Les gens courageux ont rarement d'imagination, vous ne croyez pas?"
 "C'était la plus classique des angoisses en société : être surpris sans le savoir par la personne dont on est en train de parler en mal."

"Si Proust avait dû travailler pour gagner sa croûte il n'aurait jamais pu écrire A la recherche du temps perdu"

 "Il ne servait à rien de cultiver l'amitié d'une personne avec laquelle on éprouvait le besoin impérieux de meubler le silence"

(44 Scotland Street)

 Couvertures des éditions originales des 4 premier tomes.

  S'il est davantage connu pour ses séries policières (Les enquêtes de Mma Ramotswe et la saga du Club des philosophes amateurs), A.McCall-Smith fait mouche avec ce roman-feuilleton so'british. L'histoire débute avec la jeune et discrète Pat, qui s'installe en colocation au 44 Scotland Street après une année difficile passée en Australie. Par l'intermédiaire de cette attachante protagoniste, la narration s'étend peu à peu à tous les étages et appartements de l'immeuble, nous faisant découvrir la vie intime et domestique de chaque locataire : de Doménica, l'anthropologue à la retraite altruiste et observatrice à Bertie, l'enfant surdoué étouffé par une mère castratrice et envahissante, en passant par la contemplatif Angus Lordie et son chien presque humain, ou encore le narcissique Bruce. Petits travers humains, chassés-croisés sentimentaux, satire sociale... d'une plume vive et ironique mais aussi profonde et bienveillante, l'auteur place tout le flegme britannique dans une écriture profondément atypique et inimitable. Si les situations cocasses à hurler de rire sont parfois tirées par les cheveux, le vécu et les personnages sont d'un tel réalisme qu'ils nous renvoie forcément à nous-même, et nous invite à de profondes réflexions sur la nature humaine, mais avec la douceur qu'un nuage de lait apporte à un thé noir bien fort.

"Elle devait partager sa joie, car elle savait qu'une joie non partagée n'était qu'une demi-émotion tout comme le chagrin et la perte, affrontés seul, se révélaient deux fois plus durs à supporter."

"Le déni est un morceau de scotch qui ne colle pas bien."

"amor furor brevis est : l'amour (comme la colère) est une aliénation passagère. Une observation très prosaïque, mais qui, comme beaucoup d'autres, se révélait juste. Et l'on aurait pu ajouter : si l'amour est aliénation, il est aussi désolation et parfois même dévastation" 

(Edimbourg Express)

Couvertures, autrement toutes aussi charmantes, des éditions françaises.

  Également une superbe déclaration d’amour à l’Écosse, ces chroniques nous font découvrir avec un onirisme pétillant la ville d’Édimbourg et sa vie culturelle : on se laisse prendre par la main au fil des anecdotes historiques et des adresses véridiques qui deviennent autant de décors à l'histoire. Les péripéties proprement addictives instaurent, au rythme d'un tome par rentrée de Septembre, un sentiment agréable de familiarité : on trépigne d'impatience à l'approche du nouvel opus, pressé de retrouver les habitants du 44 Scotland Street comme une bande d'amis qui nous aurait donné rendez-vous. Pour ma part, cette série découverte par hasard est un concentré d'anti-crise, un remède anti-déprime que j'accueille comme une réelle bulle de fraîcheur à chaque début d'Automne un peu triste ; cet ouvrage intégral est donc l'occasion de (re)découvrir les 4 premiers tomes en une seule fois, quitte à risquer l'overdose de jubilation!

"Savoir accepter les cadeaux est très important, voyez-vous. En réalité, c'est tout un art, un art que la plupart d'entre nous ne se donnent pas la peine de cultiver. Nous pensons qu'il faut apprendre à donner, mais nous oublions qu'il est tout aussi important de recevoir. Cela se révèle parfois plus difficile qu'offrir."

 "La tolérance n'est pas une excuse pour laisser les choses dégénérer. La tolérance signifie que les gens peuvent faire tout et n'importe quoi."

(L'amour en kilt)

Edimbourg et quelques adresses du roman : Le Crumbland Bar, ou encore l"épicerie italienne Valvonna & Crolla...

En bref : Personnages charismatiques et atypiques, chassé-croisé sociologique et ironique au cœur de l’Écosse contemporaine, plume enlevée et flegmatique... Ces chroniques aussi incisives que profondes se veulent un feuilleton addictif et inimitable au parfum de chardon et au goût salé de shortbreads, véritable lecture anti-crise qui se savoure sans modération.

 "Parce qu'on a besoin de croire en quelque chose, soupira-t-elle enfin. Sinon, la vie n'a pas d'intérêt. On peut croire en n'importe quoi, tu sais. En l'art, en la musique, en Dieu. Le tout, c'est d'avoir un truc." 

 "Il y a deux mondes différents : celui des adultes et celui qui est au-dessous, là où vivent les garçons et les filles. Je ne pense pas que les adultes sachent vraiment ce qui se passe dans notre monde à nous. "

(Le monde selon Bertie) 


Et pour aller plus loin:

vendredi 10 octobre 2014

Les recettes du bonheur (The Hundred-Foot Journey) - Un film de Lass Hallström


Les recettes du bonheur (the Hundred-foot journey)
Un film de L.Hallström d'après le livre de R.C.Morais, co-produit par O.Winfrey et S.Spielberg (sorti le 10 Septembre 2014).
Avec: Helen Mirren, Om Puri, Manish Dayal, Charlotte Lebon, Michel Leblanc...

  Hassan Kadam a un don inné pour la cuisine : il possède le fameux « goût absolu »... Emigrant d’Inde avec sa famille, il s'installe dans le sud de la France, dans le paisible petit village de Saint-Antonin-Noble-Val où il projette d'ouvrir un restaurant indien, la Maison Mumbai. Mais c’est sans compter sur Madame Mallory qui, propriétaire hautaine et chef du célèbre restaurant étoilé au Michelin Le Saule Pleureur, décide alors de lui mener d'une guerre culturelle et culinaire, sans pitié...

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  Après avoir littéralement dévoré et chroniqué le roman original de R.C.Morais Le voyage de Cent pas (réédité sous le titre attribué au film, Les recettes du bonheur), votre humble serviteur, accompagné de son épicurienne Cousine Marie, fonçait déjà dans les salles obscures pour se délecter de l'adaptation cinématographique. Le paquet a tout d'alléchant : co-produit par Oprah Winfrey et Steven Spielberg eux-mêmes (leur dernière collaboration remonte au renommé La couleur pourpre), ces Recettes du bonheurs, en dépit d'un nouveau titre un peu trop simpliste, présente une affiche évoquant volontairement le visuel de La Couleur des sentiments et tablant sur le même succès. Alors, verdict?



  On devait déjà à Hallström l'adaptation du très gourmand Chocolat de J.Harris, roman Ô combien picaresque dans lequel une jeune femme mystérieuse et secrète ouvre une chocolaterie en plein Carême, s'attirant les foudres du prêtre et secouant joyeusement un village renfermé sur ses traditions passéistes. L'histoire originale avait subit de nombreuses modifications pour sa transposition filmique, donnant un résultat qui tenait à la fois de la réalisation parfaite en tout point pour certains ( j'en veux pour preuves les nominations aux Oscars, dont celui du meilleur film) et de la trahison pour d'autres (les trop-amoureux du romans ou encore les nombreux détracteurs d'Hallström, le réalisateur ne faisant semble-t-il pas l'unanimité dans le milieu). Bref, on peut faire une constatation similaire de cette adaptation de Morais. En effet, des premières petites modifications qui surviennent ça et là dans l'histoire, on passe rapidement à une refonte du matériau original par bien des aspects. Ainsi, le réalisateur se concentre essentiellement sur la relation entre Hassan et Mrs Mallory et en fait le point central de son film (alors que le livre commence bien avant pour se finir bien plus loin après). Si certains crieront au scandale, d'autres, comme moi, y trouveront très certainement leur compte en ce qu'Hallström réinterprète à sa sauce (épicée) l’œuvre initiale pour nous laisser ce qu'il faut de fidélité et ce qui surprendra de nouveauté. Loin d'être convenue, cette transposition est donc dans la lignée des plats d'Hassan lui-même lorsqu'il revisite d'un assaisonnement indien une bonne vieille recette franco-française,  sans la dénaturer!


  On passe donc vite sur le changement de lieu (le Jura devenant le Sud de la France), les quelques inversions de personnages ou sous-intrigues effacées pour le scénario, et on profite avec une gourmandise coupable de la mise en scène. Pourquoi coupable? Il faut reconnaître qu'Hallström nous sert une vision très stéréotypée de la France,  qui apparait ici sous ses meilleurs airs de carte postale rétro ou comme échappée d'une vignette d'un vieux Tintin. Les ruelles pavées et devantures anciennes (on se croirait presque retourné dans Chocolat), les tenues pleines de sobriété de certains personnages (élégance naturelle de vieilles chemises, blouses en toile et tabliers usagers qui fleurent bon la cuisine de grand-maman), l'omniprésence du trio pain/vin/fromage... tout respire une authenticité reconstituée qu'on ne trouvera cependant jamais réellement de nos jours mais qui, pour autant, satisfera entièrement les amoureux de parfums traditionnels et nostalgiques d'un certain âge d'or. Disons le carrément : on s'autorise à se délecter du cliché.

   D'autant que ce cadre à la fois sobre, naturel et enchanteur se prête d'autant plus au message de simplicité également véhiculé par le livre, tout en mettant en relief l'univers culinaire qui se fait à chaque minute une réelle explosion visuelle : de la couleur des oursins à la création d'une sauce béchamel, en passant par la confection d'une omelette que viennent relever quelques épices, chaque scène mettant à l'honneur la gastronomie est une ode à la cuisine. A la façon de Chocolat, Les recettes du bonheur parvient à exhaler tous nos sens : on pourrait presque humer les effluves qui s'échappent du Tandoor et sentir le picotement du curry sur notre langue. Tout comme dans le livre, mais ici servi par une explosion de couleurs et de musiques, on retrouve aussi l'éloge de la tolérance et de l'altruisme, symbolisés dans l'alliance tant humaine que culinaire des cultures française et indienne.


  Enfin, tâchons de rendre un hommage au casting, impeccable. Helen Mirren est fidèle à sa perfection et sa classe naturelle (*aaahh*, Elisabeth I! *_*) : son jeu d'apparence froid laisse peu à peu transparaître de multiples émotions, et évoque autant une sorte de Miranda Priestly culinaire que le personnage incarné par Catherine Frot dans Les saveurs du Palais. Manish Dayal (Hassan), nouveau dans le paysage cinématographique, sert quant à lui un jeu d'une grande profondeur, tout en candeur et en expressions, qui parvient à nous transmettre une myriade de sentiments. Petite mention spéciale à Charlotte Lebon, ancienne Miss Météo de canal+ et à qui je ne soupçonnais pas un tel talent : spontanée, fraîche et débordante d'un entrain pétillant, elle fait montre d'une prestation qui m'a renvoyé à Audrey Tautou (jusque dans son fond de voix et à ses accents légèrement graves). Enfin, si j'ai été un peu moins convaincu par l'interprète du patriarche indien (mais peut-être le doublage y est-il aussi pour quelque chose?), les autres second rôles (dont des apparitions françaises qui valent le coup d’œil!) sonnent tous très justes.


En bref: Jugé trop mièvre et trop plat par la critique américaine, cette adaptation du Voyage de cent pas m'a, pour ma part, entièrement convaincu. Mêlant fidélité et réinterprétation, Hallström signe ici une transposition à laquelle les plus tatillons reprocheront ses bon sentiments et son visuel de carte postal, deux points qui raviront en revanche les amateurs de plaisirs simple et altruistes dans l'âme. Alors on oublie les critiques et on savoure avec délectation cette explosion de saveurs et d'émotions.


Pour aller plus loin: