samedi 29 février 2020

Elephant Man - Une pièce écrite et mise en scène par Antoine Chalard.



Elephant Man

Une pièce écrite et mise en scène par Antoine Chalard d'après la vie de Joseph Merrick

Au théâtre du Lucernaire (Paris), du 15 janvier au 1er mars 2020

Avec : Clémentine Yelnik, Antoine Chalard, et Florent Malburet.


  Londres, 1884. L'engouement de la population pour les monstres, les freaks, est à son apogée. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute Joseph Merrick, alias Elephant Man, exhibé comme une bête dans les foires pour ses difformités incroyables. Sa rencontre avec le docteur Treves, éminent professeur, lui redonne la force de vivre, bouleverse les certitudes du spécialiste et change le regard de toute la haute société.

  Un regard nouveau sur l'histoire haletante, déchirante et incroyablement belle de Joseph Merrick, un hymne à l'amour et à l'amitié, éloge de la fragile beauté de notre humanité.

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  Les férus d'Angleterre victorienne ne peuvent que s'enthousiasmer d'une telle pièce sur les scènes françaises. Elephant Man, c'est bien évidemment l'histoire de Joseph "John" Merrick, un jeune homme atteint d'une impressionnante difformité, d'abord exhibé dans les foires avant d'être recueilli dans un hôpital où il marquera à la fois l'histoire des sciences et celle de la culture. Ce fait réel est aujourd'hui majoritairement connu grâce au film Elephant Man de David Lynch tourné en 1980 d'après les mémoires de Frederick Treves, le médecin qui l'avait pris sous son aile. En 1977, la même histoire avait inspiré au dramaturge Bernard Pomerance une pièce au titre éponyme qui remporta un grand succès et fut adaptée en téléfilm en 1982. Cette nouvelle pièce écrite et mise en scène par Antoine Chalard est une version scénique francophone de l'histoire de John Merrick. Repérée au festival d'Avignon en 2018, elle est aujourd'hui jouée à Paris et vaut très largement le détour...

Le film de Lynch.

  Les spectateurs s'installent face à une scène plongée dans la pénombre, vide d'éléments de décor. Seule une toile de tissus clair est tendue au fond du plateau. En bruit de fond : le vent, la pluie et l'eau qui s’écoule des gouttières ; avant même le début de la pièce, on s'imagine déjà dans les rues des bas-fonds de Londres. Une musique s'élève – Cold song de Purcell – tandis qu'une silhouette de femme vêtue de noir et coiffée d'un haut de forme invite les visiteurs à s'approcher. Voix éraillée qui se veut hypnotique, gestuelle théâtrale d'automate façon pantomime, c'est Mrs Kendal, la montreuse de monstres de la parade, qui présente le clou de sa collection de freaks : Elephant Man...

 Trailer de la pièce.

  Et voilà comment en une musique, une silhouette et une scène épurée plongée dans la pénombre, Antoine Chalard pose les bases esthétiques de son spectacle dont la mise en scène sobre se veut essentielle. A part quelques éléments (un fauteuil, une tablette, une maquette et un phonographe), le décor est d'une simplicité magnifique qui joue des contrastes entre l'avant-scène, sombre, et l'arrière-scène, où le rideau de toile claire permet les entrées et sorties des personnages en même temps qu'il est utilisé pour des jeux d'ombres. Ce petit artifice, à la fois simpliste et pourtant tellement visuel, apporte une dimension poétique qui sied à merveille à l'histoire de Joseph Merrick. On pense nécessairement au cinématographe d'antan où aux théâtres d'ombres.


  La sobriété est aussi présente dans la distribution, puisque trois comédiens seulement se partagent les rôles des six différents personnages. Antoine Chalard, l'auteur et metteur en scène, interprète le rôle principal avec émotion et un masque très bien conçu, création de la scénographe et conceptrice de marionnettes moldave Galina Molotov. Florent Malburet met son charisme et sa voix au service du personnage du Dr Treves et, dans une moindre mesure, du directeur de l'hôpital. Ce duo est complété par l'excellente prestation de Clémentine Yelnik qui donne corps à trois rôles totalement différents sans jamais qu'on les confonde tant elle les incarne à la perfection : la vénale Mrs Kendal, la stricte mais bienveillante infirmière en chef de l'hôpital, et la comédienne qui devient amie avec Joseph Merrick.


  Le scénario nous évoque bien évidemment la trame du film de Lynch mais aussi la pièce de Pomerance, deux versions antérieures qui font aujourd'hui office de références sur le personnage. Antoine Chalard apporte également sa touche personnelle, sa patte, à cette version : par la sobriété poétique de la mise en scène évoquée plus haut mais aussi par des dialogues subtilement écrits. Le texte met en avant l'intelligence et l'humour du personnage principal et fait résonner la modernité de cette histoire aux nombreux thèmes très actuels en venant questionner les vrais visages de la beauté et de la monstruosité, l'intolérance et la violence des êtres humains.


  Si vous êtes sur Paris ce weekend, réservez vite pour la dernière au théâtre du Lucernaire, ce dimanche 1er mars 2020 à 17 heures. On espère qu'Elephant Man connaîtra des prolongations ou une reprise. Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de voir la pièce, le texte ainsi que le dvd de la captation vidéo sont disponibles au catalogue des éditions l'Harmattan.


En bref : Une vision onirique et profondément émouvante de l'histoire de Joseph Merrick ; la beauté des dialogues et la sobriété de la mise en scène mettent en évidence la modernité du propos. Entre ombres et lumières, grâce à quelques mélodies évocatrices et à l'impeccable jeu des acteurs, l'Elephant Man d'Antoine Chalard devient une pièce essentielle.

jeudi 27 février 2020

Miss Fisher dans les salles australiennes... aujourd'hui!


Today is the day! 

  Après trois ans d'attente depuis que les acteurs principaux avaient annoncé leur désir de porter la série au grand écran, manuscrit en main, Miss Fisher and the crypt of tears sort aujourd'hui dans les salles australiennes! Alors certes, on est encore loin d'avoir des nouvelles officielles d'une éventuelle diffusion en France (quoi qu'on avait quand même évoqué quelques pistes dans notre dernier article sur le sujet ICI) mais on a des tas de nouvelles images à vous montrer et quelques informations inédites à vous donner, avec même de chouettes goodies pour vous faire patienter!

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  Commençons par le commencement (les goodies, ça se mérite, soyez patients) : alors que le film sort aujourd'hui dans les salles australiennes, les avant-premières et événements autour de Miss Fisher and the crypt of tears se sont multipliés au cours des dix derniers jours à Melbourne et Sidney. Il en résulte aujourd'hui de nombreuses photos de séances exclusives auxquelles les spectateurs sont venus le plus souvent en costumes et aussi plusieurs interviews d'Essie Davis, plus majestueuse que jamais.


  Portée par les fans et tournée pour un budget relativement petit au regard des coûts actuels du cinéma, la transposition sur le grand écran de l'héroïne de Kerry Greenwood semble rencontrer pour l'instant un succès impressionnant : les retours sont des plus positifs, la presse est unanime, et au regard de tous, Phryne Fisher, toute héroïne des années 20 qu'elle est, s'impose comme un modèle pour les femmes de l'ère post me too.


  En ce qui concerne le film en lui-même, une nouvelle bande-annonce a récemment été diffusée sur la toile. Il s'agit du trailer d'Acorn TV, la plateforme de vidéos à la demande qui détient les droits de Miss Fisher outre-Atlantique et qui proposera le film dans les pays anglophones à partir de fin mars. Cette courte vidéo reprend des extraits déjà vus dans les précédentes bande-annonces mais aussi quelques scènes inédites (l'une étant particulièrement drôle : Phryne, après avoir menacé un homme d'un révolver, lui explique d'un ton très détaché "Je ne vous aurais pas vraiment tiré dessus, vous savez...", ce à quoi l'autre lui réponde "Avec vous, on n'est jamais sûr").







  Pour ce qui est du scénario, pas de nouvelles informations, si ce n'est la confirmation que le manoir australien de Werribee, véritable trésor national, sera en fait le décor d'un manoir londonien (ce qui est un peu comme si un film tourné à Versailles tentait de nous faire croire que l'action se situe dans un château anglais). On a ainsi appris que les scènes sensées se déroulées en Angleterre ont toutes été tournées en Australie, certaines bénéficiant pour cela de fonds verts pour les extérieurs. Comment le savons-nous? Ahah, nous l'avons appris grâce à la vidéo ci-dessous, premier de nos deux goodies : un petit reportage "behind the scene" doublé d'une interview. Vous y verrez de nombreux extraits encore jamais dévoilés, ainsi que des vidéos prises pendant le tournage (pour les lecteurs bilingues, n'hésitez pas à actionner les sous-titres en anglais pour plus de compréhension) :


  Allez, comme on est d'humeur généreuse, on vous fait même cadeau de quelques clichés inédits :







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  Avant de vous quitter et de vous laisser à votre impatience, nous partageons ICI le lien vers la playlist youtube de la bande originale de Miss Fisher and the crypt of tears par le compositeur de la série télé, Greg J.Walker. La musique créée pour le film reprend le thème de la série dans une nouvelle version chantée et comprend de nombreuses mélodies d'inspiration orientale à écouter en boucle en attendant de voir enfin cette adaptation...




  On vous redonne très bientôt des nouvelles, évidemment... 
See you soon!


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lundi 24 février 2020

Looking back - Tecia Werbowski.

Éditions Noir sur Blanc, collection Notabilia (trad. de M.Carlier), 2018.

  Tecia Werbowski aime les voyages en train. Elle a un don pour les rencontres insolites et prête volontiers l’oreille aux confidences des voyageurs anonymes. Un jour, alors qu’elle est dans un train pour Cracovie, un mystérieux inconnu entre dans son compartiment. L’homme, qui vient de revoir son grand amour perdu, lui confie le drame de sa vie. Dans les années soixante, alors follement épris d’une jeune femme, il avait inexplicablement fui juste avant leur mariage. Tecia l’ignore encore, mais cet homme, Janusz Nowicki, va durablement marquer son existence.

  Bien plus tard, quand le temps de la jeunesse est révolu et après un séjour à Prague, ville insaisissable où la mélancolie dicte les pas, Tecia décide de retrouver son mystérieux compagnon de voyage. Elle y parvient, contre toute attente, et découvre alors la face cachée du récit de Janusz.
  D’une plume délicate, Tecia Werbowski sonde, à travers l’amitié profonde de deux êtres au destin brisé, les mystères de l’âme humaine et les séquelles des violences qui ont marqué l’Europe centrale. Ce récit dense et épuré, avec la ville de Prague en toile de fond, s’empare du lecteur dès les premières lignes.

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  Il y a des livres qui vous attirent sans qu'on sache pourquoi : la couverture de celui-là a joué pour beaucoup dans l'acquisition (penchez-vous sur les autres de la même collection si vous en avez l'occasion : les couleurs et le graphismes pourtant très simples sont toujours très tentants). Le format à la fois sobre et attrayant de ce petit éditeur, aussi, sans oublier le résumé. Un ensemble d'éléments très prometteurs malgré la brièveté du texte, nouvelle qui nous est présentée au début de l'ouvrage comme un "roman miniature" dans la pure tradition des écrits de cette auteure polonaise, Tecia Werbowski : "des hors-d’œuvre après lequel on ne commande pas le plat principal tellement on est déjà comblé". Un avant-goût de voyage et de mystère propre à l'Europe de l'Est complétait l'alléchant tableau.

Tecia Werbowski

"J'espère que les événements évoqués ici vous apparaîtront comme dans un film, avec en toile de fond la splendide ville de Prague. Quant à mes personnages, je me demande s'ils méritent votre mépris ou votre compassion. Probablement ni l'un ni l'autre. Mais c'est au lecteur d'en juger."

  Le texte, même court, remplit son office : son format se prête à merveille à cette anecdote vécue par Tecia Werbowski elle-même et racontée à la première personne. Elle entame son récit par une brève historiette qui retarde le début de l'intrigue principale et qui peut décontenancer le lecteur de prime abord mais qui sert à justifier son propos. Cette mise en bouche sur les aspects cosmopolites du train, fenêtre l'espace de quelques instants sur la vie intime des passagers qu'on y côtoie, sert d'introduction au noyau dur du livre. Un événement qui, partant d'un voyage en train, a touché la narratrice bien au-delà du trajet.

"La vie est comme un train qui roule depuis la station de notre naissance jusqu'au terminus où notre vie prend fin. De temps à autre, il s'arrête dans des endroits agités, troubles, voire dangereux, et nous nous demandons s'il faut continuer le voyage. Mais pour aller où et avec qui?"

  Une rencontre banale dans un compartiment à la fin des années soixante débouche sur une étrange confession de la part d'un compagnon de voyage : une histoire d'amour avortée par les choix inexpliqués de son narrateur lors de sa prime jeunesse puis de nouveau une fuite lorsque la possibilité de renouer s'est présentée. La narratrice poursuit sa propre vie avec, dans un coin de sa tête, ce dépôt de souvenirs aux éléments légèrement disparates. Ce n'est que plusieurs décennies plus tard que cette anecdote lui revient : qu'est devenu ce compagnon de voyage? Pourquoi s'était-il montré si lâche? Tecia se met à sa recherche pour obtenir des réponses.

Prague dans les années soixante...


"La ville paraissait grise et morose, certes, mais c'était la grisaille du passé, la patine de toutes les époques anciennes qui semblaient toujours présentes, là, au vingtième siècle. Une grisaille enveloppante, intime. Je m'enfonçais dans un doux silence ouateux. J'avais l'impression que sous la lumière tamisée des réverbères les gouttes de pluie se transformaient en diamants, puis tombaient sans bruit sur le trottoir. Richement ornées de statues, de balcons biscornus, de décorations finement ciselées, les maisons m'invitaient à boire de la bière. Ma tête tournait. Les gouttelettes de pluie s'étaient mises à danser."

  En une soixantaine de pages qui semble beaucoup plus au regard de tout ce qu'elle évoque, T.Werbowski nous raconte la vie comme un romanesque voyage en train : d'une station à l'autre, d'une bifurcation à l'autre, les wagons ballotés par les affres de l'existence et de l'histoire. Entre Prague et Montréal (mais avec une préférence pour le décor de sombre poésie de la première), la narratrice apprend à aller creuser l'arrière-scène d'un événement intime dont la résolution pourtant véridique semble aller toucher quelque chose de la tragédie antique.

"Prague m'évoquait tantôt une sirène, tantôt une sorcière."


En bref : Looking back est un texte court mais puissant dans sa construction comme dans son pouvoir d'évocation. Ce récit qui relate avec style et force une anecdote issue de la vie de l'auteure est une réelle invitation à découvrir les autres ouvrages de Tecia Werbowski.

Une histoire de magie, tome1 - Chris Colfer.

A tale of magic, Little, Brown & Company, 2019 - Editions Michel Lafon (trad. de C.Laumonier), 2020.

  Brystal est une fée. Le seul ennui, c’est qu’au Pays des contes, bien des années avant qu’Alex et Conner ne le découvrent, la magie est… illégale ! Pire, les rares enfants qui démontrent des capacités hors du commun sont envoyés au bagne à perpétuité. Heureusement pour Brystal, la pétulante Mme Mûredutemps la recueille dans son académie de magie. Mais à peine la jeune fée commence-t-elle à maîtriser ses pouvoirs que la directrice disparaît ! Brystal et ses amis sont doués, mais leurs capricieux pouvoirs seront-ils suffisants pour déjouer le sinistre complot qui menace le Pays des contes et l’avenir même de la magie?
Replongez dans l’univers enchanté du Pays des contes, la série phare de Chris Colfer !

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  Après sa saga best-seller Le pays des contes et quelques autres romans de littérature young adult très appréciés par la critique, l'acteur et auteur Chris Colfer rempile pour un nouveau cycle se déroulant dans le même univers fantastique : A tale of magic, Une histoire de magie, sera le préquel du Pays des contes, plusieurs décennies avant que les deux adolescents Alex et Conner ne fassent leur entrée fracassante dans ce royaume de légendes. J'avais apprécié sa précédente série malgré une qualité parfois très inégale d'un tome à l'autre et c'est justement pour cela que je craignais un peu cette nouvelle saga : n'était-ce pas vouloir exploiter un filon épuisé ou n'était-ce pas un peu trop tôt pour le faire? Pour le savoir, il fallait mettre le nez dans cette Histoire de magie...

Couverture de l'édition originale, par B.Dorman.

  Avant de parler du contenu, parlons du contenant : l'illustrateur David Gilson, qui avait déjà en charge la délicate mission de mettre en image les couvertures françaises du Pays des contes (les superbes illustrations intérieures originales de Brandon Dorman étant conservées), reprend le crayon pour assurer le visuel de ce préquel. J'avoue ne pas être totalement convaincu : autant les couvertures de la précédente saga conservaient le charme de l'original dans un style moderne rafraîchissant, autant sa vision d'Une histoire de magie pourrait faire se détourner de potentiels lecteurs. Trop girly, trop pailletée, trop kitch (l'héroïne ressemble à un clone de la Reine des Neiges de Disney). Bref, un peu too much, là où Brandon Dorman avait quant à lui réussi à capter l'esprit du roman (on est d'ailleurs très content de retrouver ses cabochons illustrés en tête de chaque chapitre). 


  Cette couverture, c'est d'autant plus dommage qu'Une histoire de magie réserve de bonne surprises. De vraiment bonnes surprises. On sent même la volonté de l'auteur de toucher des lecteurs plus âgés en jouant de cette histoire de tyrannie des êtres magiques comme d'une métaphore pour raconter toutes les intolérances possibles de notre société. Le propos est par ailleurs tout juste déguisé et C.Colfer l'exprime très bien dans les quelques lignes en guise de préface. Alors certes, ce n'est pas toujours bien amené car on sent encore trop cette distinction entre l'univers très estampillé jeunesse de départ et les accents plus matures qui pointent ça et là et qui ne s'accordent pas toujours très bien, mais cette profondeur émergente est intéressante. Dommage que pour y accéder, il faille pour cela passer outre la couverture très bien dessinée mais surtout trop genrée, ce qui est en forte contradiction avec l'histoire qui s'efforce justement de mettre un coup de pied dans les stéréotypes...


  Car derrière les licornes et les paillettes, l'intérêt d'Une histoire de magie, c'est aussi de montrer le soulèvement des créatures magiques oppressées tout en promouvant l'égalité des personnes et des sexes. C.Colfer imagine pour cela un pays des contes d'avant, où les institutions mêlent politique et religion pour justifier une dictature des royaumes et leur législation injuste. L'auteur ne prend pas ses jeunes lecteurs pour des imbéciles et leur donne matière à réflexion derrière une histoire qui n'est donc pas que fantastique.

  Côté scénario et personnages, cette extension du Pays des contes est finalement assez réussie : on assiste à la création du Conseil des fées très présent dans l'autre saga et aux origines parfois surprenantes de certains protagonistes. Académie de magie oblige (à moins que ce ne soit par clin d’œil ou hommage), certaines descriptions de l'école évoquent fortement Poudlard (plafond aux allures de ciel étoilé et escaliers flottants... difficile de faire plus similaire dans le genre). L'humour est très présent, l'un des atouts de l'auteur, mais surtout, alors que le début de l'intrigue nous suggérait une histoire toute tracée, la révélation finale en surprendra plus d'un!


En bref : Malgré quelques inégalités persistantes, cette Histoire de magie s'avère un préquel du Pays des contes finalement très agréable à lire. C.Colfer a le mérite d'aborder des thématiques fortes, donnant ainsi une dimension supérieure à son intrigue fantastique. On regrette cependant l'illustration de couverture trop genrée qui pourrait faire passer leur chemin à de potentiels jeunes lecteurs...



Un grand merci aux éditions Michel Lafon pour cette lecture!



Et pour aller plus loin...

samedi 15 février 2020

Un roman anglais - Stéphanie Hochet

Éditions Payot & Rivages, Editions de Noyelles, 2015 - Rivage poche, 2017.

  1917, quelque part dans la campagne anglaise. Anna, bourgeoise lettrée, mère d'un petit garçon de deux ans, Jack, persuade son mari Edward d'embaucher par courrier une garde d'enfant. Le jour où elle va la chercher à la gare, elle découvre que sa nouvelle employée, George (comme George Eliot, pensait-elle), est en réalité un homme. Celui-ci va faire preuve d'un réel instinct maternel à l'égard de l'enfant, et finira par susciter la jalousie d'Edward.

   Dans ce roman à la fois pudique et tourmenté, Stéphanie Hochet traite avec beaucoup de finesse le thème de l'ambiguïté sexuelle, avec son lot de non-dits et de paradoxes. Dans un cadre post-victorien à la Virginia Woolf, la romancière restitue le climat d'inquiets atermoiements qui régnait en Angleterre lors de cette période troublée.

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"Le désordre a toujours une cause. Chaque chaos partant d'un déclic."

  Il y a des romans à côté desquels on passe lors de leur sortie pour mieux les redécouvrir quelques années plus tard. C'est le cas de ce Roman anglais, dont le titre est à lui seul tout un symbole : écrit par une auteure française anglophile, il raconte le quotidien d'une épouse et mère de la bourgeoisie britannique traductrice d’œuvres françaises. Amusant jeu des correspondances, isn't? Il faut dire que ses premières inspirations, Stéphanie Hochet les puise dans la vie d'une haute figure des Lettres anglaises puisque Virginia Woolf et son journal intime ont servi de modèles au personnage principal d'Anna et à la narration de sa vie domestique et littéraire. Non que cette femme et mère fictive soit le total reflet de la célèbre écrivaine de Mrs Dalloway mais, comme elle, elle est une bourgeoise lettrée dont le désir d'émancipation grandit au contact du quotidien et du carcan de la société post-victorienne.

"Le bébé me déchira le ventre en venant au monde (...), rappelant à l'intellectuelle, à la traductrice pinaillant sur les variations de sens, que la matière première de l'existence est d'abord et avant tout un choc physique, c'est la terre qui vous cogne et vous percute."

  L'intérêt majeur d'Un roman anglais est d'ailleurs de traiter ce thème de l'émancipation féminine avec justesse et réalisme. Tellement d'auteurs souhaitant aborder ce sujet se sont pour cela sentis obligés de créer des héroïnes extraordinaires d’anachronisme qu'ils en ont souvent oublié de les rendre crédibles au regard de leur époque. Le livre de Stéphanie Hochet parvient à soulever cette question via un personnage de femme tout à fait en accord avec la réalité du début du XXème siècle ; l'auteure française parvient en cela à épouser totalement la vérité sociologique de l'époque choisie.

Source : Sarachmet

"L'enfance est une période étrange où l'on se sent à la fois tout puissant et incapable d'agir sur le monde."

  Alors, certes, c'est pour la même raison que certains pourraient trouver cette narration d'un quotidien tout ce qu'il y a de plus ordinaire très ennuyeuse. Aussi faut-il être précis dès le départ : les amateurs d'action et de romanesque peuvent passer leur chemin. Un roman anglais se veut avant tout une fenêtre ouverte sur un mariage typique de la bourgeoisie anglaise, soumis aux affres du temps et à l'impact de la guerre. Aussi, quelque part, à l'érudition d'Anna qui l'amène progressivement à se questionner sur sa place et ses aspirations. Parce qu'elle est une femme instruite, elle est déjà, dès le début du roman, plus qu'une simple épouse et mère : traductrice, elle a une activité rémunérée qui lui est propre et lui confère une certaine forme d'autonomie, même si cela trouve grâce aux yeux de son époux davantage parce que l'intelligence de sa femme lui donne plus de valeur. Anna observe, analyse et conceptualise tout ce qui échappe à l'entendement de son mari, ce qu'elle semble prendre comme une évidence, un état de fait, une réalité propre aux genres.

"J'ai essayé de ne pas fixer la mine contrariée de mon mari, ce qui n'allait pas de soi, mais je viens d'un milieu bourgeois : je suis parfaitement capable d'ignorer la présence d'une éléphant dans un salon."

  L'arrivée de George, que tout le monde imaginait en bonne d'enfants, traduit aussi un de ces préjugés typiques de la société d'alors. En fait d'une jeune fille, c'est un jeune homme qui se présente chez les Whig pour proposer ses services. Cette découverte renverse les premiers a-priori d'Anna, début d'une réflexion qui va aller croissante jusqu'à la fin de l’œuvre. Dans un contexte de guerre aussi écrasant que le poids des bonnes mœurs, un jeune homme sur ses deux jambes au sein d'une famille comme il faut en 1917, c'est le point de départ de nombreux doutes et d'une avalanche de questionnements. Ce garçon cultivé agit comme un filtre révélateur sur Anna qui, petit à petit, pose un regard nouveau sur sa réalité : a-t-elle envie de répondre à ce qu'on attend d'elle en tant que femme et que mère? A-t-elle encore envie de cette vie qu'elle avait pourtant choisie?

Source : Sarachmet

"On est toujours reconnaissant envers les gens qui ne s'effarouchent pas devant la part de soi qui sombre."

  Porté par une prose sublime, Un roman anglais est un texte d'une étrange sobriété et pourtant en constante tension derrière sa délicatesse apparente. La vie domestique et les relations avec les employés de maison évoquent sans déplaisir des éléments à la Downton Abbey, bien que la réflexion qui se tisse au fil de l'intrigue soit beaucoup plus sociale et mélancolique. On regrette l'issue peut-être un peu trop précipitée alors que l'auteure avait le talent nécessaire pour l'amener avec plus de forme et moins de hâte, permettant ainsi aux réflexions entamées d'aller à leur terme plutôt que de ce perdre dans cette conclusion par trop nébuleuse.

"Rien ne donne autant envie d'ordre que l'étendue du chaos qui dure depuis des années. Ici, le rituel du thé a la force du résistant qui s'oppose à l'occupant. Le rituel redonne du sens au cadran des horloges, le rituel existe, car les aiguilles se sont posées là et là, il tient sa position, il dure malgré les apocalypses les plus inventives. La finesse de la vaisselle contre l'omnipotence des obus."

 En bref : Malgré son final un peu trop lapidaire, Un roman anglais est un tableau tout ce qu'il y a de plus réaliste et sensible de la place de la femme dans la vie conjugale de la bourgeoisie post-victorienne. Stéphanie Hochet questionne avec une délicatesse féroce la maternité et la vie d'épouse au début du XXème siècle britannique.

vendredi 7 février 2020

Le service des manuscrits - Antoine Laurain.

Éditions Flammarion, éditions de Noyelle, 2020.

  « À l’attention du service des manuscrits. » C’est accompagnés de cette phrase que des centaines de romans écrits par des inconnus circulent chaque jour vers les éditeurs.
  Violaine Lepage est, à 44 ans, l’une des plus célèbres éditrices de Paris. Elle sort à peine du coma après un accident d’avion, et la publication d’un roman arrivé au service des manuscrits,
Les Fleurs de sucre, dont l’auteur demeure introuvable, donne un autre tour à son destin. Particulièrement lorsqu’il termine en sélection finale du prix Goncourt et que des meurtres similaires à ceux du livre se produisent dans la réalité. Qui a écrit ce roman et pourquoi ? La solution se trouve dans le passé. Dans un secret que même la police ne parvient pas à identifier.

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  Parmi les premières fournées de la rentrée littéraire de l'hiver 2020, Le service des manuscrits avait tout pour retenir notre attention : son titre, son thème, et même l'illustration de couverture (enfin, de bandeau ; que ces couvertures sans aucune image sont tristes et hautaines!) forte en symbolique. Son auteur, Antoine Laurain, nous en avons parlé il y a deux ans après avoir (tardivement) découvert son premier roman, initialement paru en 2007, Ailleurs si j'y suis (lequel nous avait malheureusement laissé un peu sur notre faim malgré d'excellents éléments). Sans aucune transition ni détour par le reste de sa bibliographie, nous sommes donc passé de ses débuts littéraires à son tout dernier roman publié.

Source : The curious printery

  Il serait criminel d'en dire trop sur l'intrigue : Le service des manuscrits révèle de belles surprises et mérite qu'on ne les gâche pas. Attardons-nous néanmoins sur les points forts de ce livre aux nombreuses qualités, dont la première est sans aucun doute l'écriture : comme dans Ailleurs si j'y suis, Antoine Laurain témoigne d'un style absolument ensorcelant. Après un premier chapitre intriguant au style éthéré s'enchaine un second qui, en l'espace de six pages à couper le souffle par la violence évidente mais pourtant insidieuse et insoupçonnée du propos ( à savoir : le parcours de tous ces manuscrits dont la majorité ne sera jamais retenue par un éditeur) nous convainc qu'on tient quelque chose...

"Cinq cent mille refusés par an, toutes maisons d'édition confondues. Que deviendront toutes ces histoires ? Tous ces personnages ? Jamais portés à la connaissance du public, le néant les attend."

  La plume de Stéphane Laurain épouse ainsi toujours à merveille le sujet choisi sans jamais renier son habituel ton vif et tranchant dans certaines tournures de phrases ou des portraits qu'il dresse. Les personnages, dessinés en quelques mots ou phrases jetés de façon apparemment anodine sur le papier, nous apparaissent alors très vite dans toute leur humanité ; même les protagonistes les plus secondaires sont introduits dans l'intrigue avec les bribes suffisantes de leur histoire personnelle pour prendre corps aux yeux du lecteur. Cette finesse et cette exigence les rendent d'autant plus intéressants lorsque certains d'entre eux, à l'image de l'héroïne, se révèlent plus mystérieux que la situation initiale ne le laissait présager.


  Car l'auteur ne nous donne pas toutes les informations. C'est en cela que la maîtrise du style se remarque : le lecteur a tout juste pris ses marques que l'écrivain démiurge renverses ses présupposés. L'héroïne qu'on suivait depuis le début semble, soudain, avoir quelque chose à cacher. Quoi, pourquoi et comment? Il faudra pour répondre à ses questions, suivre le fil d'Ariane qui démarre de ce service des manuscrits d'une grande maison d'édition parisienne... A moins que ce fil ne commence ailleurs, dans un passé qui nécessite qu'on remonte le temps. La temporalité, d'ailleurs, est enchevêtrée dans Le service des manuscrits : outre le fait de construire une partie de son intrigue sur des événements survenus au moins vingt ans plus tôt, A.Laurain glisse ça et là quelques bonds en arrière pour introduire plusieurs  scènes. La narration est cependant d'une telle fluidité que le lecteur ne s'y perd jamais et savoure l'atmosphère quasi vaporeuse que l'auteur parvient ainsi à instaurer, entre rêves et évocations.

"Tout roman est un traité de magie noire."

  Le rêve, par ailleurs, ou disons l'imaginaire, a une place importante dans l'intrigue : flashs et songes semi-éveillés se glissent traîtreusement dans une réalité des plus convaincantes. En effet, A.Laurain place ce service des manuscrits dans une actualité et une factualité littéraire qui donnent une tangibilité troublante à son roman : on croise ça et là Bernard Pivot tandis que se préparent le prix Goncourt et la traduction du dernier Stephen King, à grand renfort de détails, avant que l'auteur ne convoque soudain les spectres de Marcel Proust ou de Virginia Woolf. Ce jeu dans la limite entre l'imaginaire et le réel, qui renvoie au principe même de l'écriture de roman, est un des éléments qui participe à faire tout le sel de ce livre.


  Mais alors, me demanderez-vous, ce Service des manuscrits, vraie bombe ou pétard mouillé? Nous avons cru presque jusqu'au bout au coup de cœur, tant le suspense allait croissant... et puis paf, en quelques ultimes pages, le mystère qui s'était tissé se voit résolu en quelques paragraphes peut-être un peu trop expéditifs. La révélation finale n'est pas à proprement parler une déception mais les masques tombent trop vite et les explications sont données trop hâtivement, comme si le nombre de pages donné à l'auteur était soudain limité. Le lecteur avait tellement savouré le déploiement de l'intrigue que cette brusque accélération du rythme fait l'effet d'une amputation, un peu du même genre que la fin prématurée de Ailleurs si j'y suis.

  Jusque là, l'auteur développait également toute une réflexion sur l'identité et le rapport entre réel et fiction soudain mise de côté pour amorcer dans les dernières pages une autre thèse. Après avoir lorgné du côté de genres tels que le polar et le drame, le voilà qui tend maintenant vers l'ésotérisme voire le fantastique : les livres ont-ils leur vie propre, leur contenu agit-il sur le cours des événements? Loin d'être antinomique avec son intrigue, Antoine Laurain aurait gagné à développer davantage cette théorie en amont plutôt que de la sortir du chapeau à la dernière minute. 

"De leur conception à leur impression, les romans ont leur vie propre qui échappe même à leur auteur."

En bref : Dans la veine de D'après une histoire vraie ou d'un Mystère Henri Pick noir et polarisant, Antoine Laurain signe un roman qui, du monde de l'édition, nous emmène à la rencontre de plusieurs genres littéraires dans une ambiance de poésie sombre et de mystère. L'écriture est superbe, la construction également ; reste le final qui, tout comme aux débuts de l'auteur, se révèle malheureusement trop lapidaire pour qu'on savoure pleinement notre lecture une fois l'ouvrage refermé.

jeudi 6 février 2020

Pour le meilleur et pour le pire ( Agatha Raisin enquête #5) - M.C.Beaton.

Agatha Raisin and the murderous marriage, St Martin's Press, 1996 - Editions Albin Michel (trad. de F.du Sorbier), 2017.

  Incroyable mais vrai  : James Lacey, le célibataire le plus convoité des Cotswolds, a cédé au charme de sa voisine, la pétillante quinqua Agatha Raisin ! Hélas, le conte de fées est de courte durée  : au moment où les tourtereaux s'apprêtent à dire « oui », Jimmy, l'ex-mari d'Agatha, surgit en pleine cérémonie... Furieux de découvrir que sa future femme est déjà unie à un autre, James abandonne Agatha, désespérée, au pied de l'autel. Le lendemain, Jimmy est retrouvé mort au fond d'un fossé. Suspect n°1, le couple Agatha-James se reforme le temps d'une enquête pour laver leur réputation et faire la lumière sur cette affaire.

***

  Avoir remis le nez dans les enquêtes d'Agatha à l'occasion des fêtes m'a donné une furieuse envie de retourner prendre l'air des Cotswolds en sa compagnie. Avec un gros retard sur la publication française, voici enfin mon avis sur le cinquième opus...


  Après une petite baisse de régime avec le quatrième tome et une nouvelle de Noël sommes toutes très convenue, c'est donc très conscient des atouts et défauts de cette série que je m'attaquais à ce cinquième titre. Verdict ? Ce fut une très agréable surprise ! Pour la première fois depuis La quiche fatale, M.C.Beaton retrouve un équilibre entre l'humour qu'on lui connait et les éléments qu'on est en droit d'attendre d'une bonne fiction policière.


  Comme si elle était désormais plus intime avec ses propres personnages, l'auteure ne sent plus obligée d'en faire des caisses en toute circonstance avec Agatha : toujours la quinqua' maladroite et dure à cuire qu'on adore, elle est moins caricaturale et donc plus crédible dans sa psychologie. Le gain de qualité tient peut-être à l'épaisseur que lui apporte son passé, dont on en apprend davantage dans ce tome et qui amène un éclairage supplémentaire sur son personnage.

"L'amour allait et venait parfois par accès, comme la grippe, mais elle était pour l'instant libre de toute infection et espérait le rester de façon permanente."

  Les autres protagonistes ne sont pas en reste et comme Agatha en prend conscience elle-même, on réalise à quel point on s'est attaché au village de Caresly, à ses coutumes désuètes et à ses habitants même les moins agréables. On sent redoubler notre sympathie à l'égard de Mrs Bloxby, l'épouse du pasteur, l'amie qu'on aimerait tous avoir et qui fait preuve ici de qualités d'observation et de perspicacité dignes d'une détective.

  L'intrigue policière se révèlera dans sa résolution finalement assez peu complexe, mais le chemin qui y conduit est semé de suffisamment d'embûches pour noyer le poisson et donner du fil à retordre autant à Agatha qu'au lecteur.

Les noces (interrompues) d'Agatha et James dans l'épisode télévisé adapté du roman.

"Les gens d'un certain âge comme Agatha peuvent être extrêmement cruels envers les vieux, sans doute parce qu'ils se voient eux-mêmes dans un futur immédiat."


En bref : M.C.Beaton retrouve son entrain pour ce cinquième opus qui trouve un vrai équilibre entre l'humour et l'intrigue policière. En prime, elle étoffe le personnage d'Agatha et enrichit la psychologie de son personnage, sortant ainsi du stricte ton parodique auquel on était habitué.