mercredi 26 mars 2014

La malédiction Grimm - Polly Shulman

The Grimm Legacy, Putnam Juvenile, 2010 - Éditions Bayard Jeunesse (collection Millezime), 2014.

  ...Du mystère...

  Elizabeth  s’ennuie au lycée. Sur les conseils de son professeur préféré, elle se présente pour un emploi de bibliothécaire. Après un entretien étrange, la voilà engagée. Or, elle s’aperçoit que le Dépôt n’est pas une bibliothèque ordinaire : aucun livre à l’horizon, uniquement des objets Mais surtout plane un mystère autour d’une collection située au sous-sol : la mystérieuse Collection Grimm. Elle abrite des objets de contes de fées,  comme les bottes de sept lieues ou le miroir magique de la belle-mère de Blanche-Neige…

  ...De la magie...

  Curieusement une paire de bottes disparaît et réapparaît, des objets semblent animés d’une vie propre… Les objets seraient-ils  magiques? Mais ce n’est pas tout : les gens peuvent les louer, à leurs risques et périls. Car la magie est parfois dangereuse, et le genre de caution que doit laisser l’emprunter est assez insolite …

Une enquête en territoire magique, des éléments de contes merveilleux remis au goût du jour, pour un récit d’aventure fantastique et intriguant.

*** 

  Enfin! Enfin, ce roman voit le jour dans l'hexagone! Bien avant que la mode des contes de fée ne revienne sur le devant de la scène culturelle, alors que j'avais déjà un grand intérêt pour cette mouvance, j'avais repéré ce livre de Polly Shulman dès sa sortie aux États-Unis. Publié en 2010 sous le titre The Grimm Legacy, le résumé de ce livre avait de suite titillé mon imagination et j'envisageai déjà l'achat de l'édition VO afin de le découvrir avant tout le monde (désolé, orgueil de lecteur compulsif) dans la crainte qu'il ne soit jamais traduit.
  Puis finalement, les éditions Bayard m'ont coiffé au poteau. Bien que la couverture et le titre soient différents, j'ai de suite reconnu le roman dès sa sortie française et me suis jeté dessus avec l'énergie du lecteur affamé!

 Couvertures des éditions originales grand format et poche,
de l'édition allemande et de l'édition anglaise.

  Dans les quartiers historiques autour d'un Central Park enneigé, nous faisons connaissance avec la jeune Elizabeth Rew. Élève brillante mais solitaire, la jeune fille mène un quotidien bien triste aux côté d'un père absent, d'une belle-mère superficielle qui l'ignore, et de deux demi-sœurs caractérielles. Affrontant cependant chaque nouvelle journée avec entrain et énergie, elle laisse le hasard la conduire jusqu'au Dépôt des Objets trouvés empruntables de la ville de New-York (New York Material Repository), où son jovial professeur d'Histoire lui décroche un job étudiant. Cet ancien bâtiment historique à l'architecture ensorcelante s'organise comme une gigantesque Bibliothèque, dont le fonctionnement tient autant du musée que du service de location et propose le prêt d'objets usuels de toutes sortes moyennant finances. Mené par le mystérieux et extravagant (mais non moins sympathique) Dr Rust et ses magasiniers hauts en couleurs, le Dépôt ne tarde pas à révéler des collections moins communes que de simples vêtements ou ustensiles de cuisines... Toute une aile du bâtiment abrite en réalité la collection Grimm, du nom des célèbres conteurs, et rassemble les objets clefs qui auraient inspiré leurs histoires. Bientôt mise dans la confidence, Elizabeth ne tarde pas à découvrir que ces objets -Miroirs, Bottes, plumes ou encore clefs- sont réellement magiques, et donc à manier avec précaution. D'ailleurs, les rares personnes dans le secret ne peuvent les emprunter sans laisser en caution des possessions bien plus précieuses que de la simple monnaie : promettre son âme, son futur premier né ou encore son sens de l'orientation, tel est le prix à payer pour remporter un peu de magie avec soi. Alors forcément, quand des magasiniers disparaissent et que certains objets de la collection sont remplacés par des faux, tout se complique...

Trailer officiel du livre.

  Qu'en dire? Un mot suffit : Un enchantement. L'atmosphère dans laquelle nous plonge Polly Shulman est le premier point fort de ce livre : d'une plume fluide, elle nous plonge dans les quartiers historiques d'un New York enneigé et confiné, ses bâtiments de briques rouges longeant un Central Park figé dans le givre de Décembre qui vient étouffer l'agitation habituelle des rues. C'est avec talent que l'auteur fait se confronter ce monde urbain et l'univers lycéen (et encore, ce dernier étant exploité juste ce qu'il faut, évitant ainsi à l'histoire de se perdre dans les intrigues secondaires propres aux mauvais teen-movies) avec celui archaïque et secret des contes de fées. Si la magie se fait de plus en plus présente au fil de la lecture, elle ne tombe pas comme un cheveux sur la soupe et nous est amenée par petites touches, permettant au lecteur de s'introduire dans la part fantastique de l'histoire au même rythme que l'héroïne. Contrairement à d'autres romans se basant sur les contes de fées où ces derniers sont réellement très présents (à l'image du Pays des contes, chroniqué récemment), Poly Shulman y fait plutôt des clins d'oeil, des rappels de-ci de-là, ce qui rendent son roman plus digeste et crédible malgré son genre surnaturel. Elle enrichit la myhtologie alors instaurée de multiples références (littéraires avec des allusions à H.G.Wells, ou philosophiques avec des proverbes et citations bien trouvées) et idées originales (la meilleure étant la caution à laisser pour l'emprunt d'un objet magique, une "part" de soi-même qu'on laisse par enchantement dans un kuduo, une urne africaine ancienne).

 Le Dépôt : un bâtiment de grès rouge aux abords de Central Park...

  Chaque nouveau chapitre est illustré d'une gravure d'un objet du Dépôt, accompagné de sa cote comme dactylographiée à la vieille machine à écrire. Cet élément, certes infime vient compléter à merveille l'atmosphère du lieu clef de l'histoire. Les descriptions du Dépôt d'Objets empruntables, splendide bâtisse de grès brun-rouge aux abords de Central Park, nous donnent envie de nous y perdre avec délice pour peu qu'on soit un amoureux des vieilles bibliothèques. On s'imagine sans peine les étagères chargées de bric à brac, l'odeur de poussière et ses particules en suspension dans l'éther, le grincement des chariots de retour d'emprunt et des monte-charges, ou encore le grésillement des néons fatigués et le sifflement du mécanisme à pneumatiques. J'ai particulièrement aimé la restitution de cet univers, qui m'a replongé dans mes souvenirs d'enfance, à l'époque où je fréquentais activement une bibliothèque de ce type (nous dirons "à l'ancienne") qui avait été aménagée dans l'aile d'une cathédrale médiévale.

Lorsque les vitraux Tiffany éclairent les rangées d'objets, caisse et tiroirs à fiches d'emprunt... 
Toute l’atmosphère du Dépôt est là! 

  Les personnages sont tous très attachants et très bien décrits, Elizabeth en tête. Drôle (parfois malgré elle) et spontanée, son charme discret et sa personnalité volontaire mais un peu étourdie la rendent d'autant plus ordinaire qu'on se reconnait merveilleusement bien en elle. Elle m'a ainsi fortement rappelé la Rory de la saga Hantée (Shades of London), de même que ce roman y fait penser dans son intégralité : on y retrouve la même confrontation entre les mondes urbain et adolescent à celui plus archaïque d'une magie souterraine et secrète, racontée avec la même fluidité et que j'ai lu avec le même plaisir. Les personnages secondaires sont introduits et décrits avec une qualité équivalente, offrant une gallerie de portraits diverse et variée où tout le monde, même le plus insignifiant des protagonistes, saura nous surprendre et aura son rôle à jouer.
  On referme ce livre à regret, mais rassuré à l'idée qu'une suite, basée cette fois sur la "collection H.G.Wells", est déjà sortie Outre-Atlantique...(édit : et en France! Retrouvez ma chronique ICI)

  En bref: Un roman des plus agréables qu'on lit avec délice. L'auteur dépeint des personnages attachants et nous plonge dans un univers où elle mêle avec brio la magie sourde et profonde héritée des contes au monde contemporain et adolescent que nous connaissons. Un régal, autant pour un pré-adolescent à l'aise en lecture que pour le lecteur young adult confirmé.

Pour aller plus loin...

vendredi 21 mars 2014

L'oeil du mainate (La trilogie des Charmettes #2) - Eric Boisset

 Éditions Magnard Jeunesse, 2003 - Magnard Jeunesse, collection Tipik junior fantastique, 2005 - Éditions Magnard jeunesse (réédition revue et corrigée par l'auteur), 2013.

  Jeanne, Iris, Victoire et Mina sont quatre jeunes sorcières. Sous la houlette de tante Eudoxie, elles doivent réaliser trois figures dont la réunion aboutira à la mise en œuvre d'une énergie mystérieuse : le Mana ! Tout irait pour le mieux, si la maléfique mademoiselle d'Abbeville ne s'ingéniait à leur nuire, mettant tout en œuvre pour s'emparer des fibres. Son plan est, cette fois-ci, redoutable : Childéric, le mainate de Jeanne, est équipé à son insu d'une micro-caméra, et retransmet de précieuses informations depuis l'entre des Charmettes...


***

  Une soudaine envie, un brusque caprice, un besoin de fantaisie... autant de façon d'expliquer le sentiment qui m'a saisi si vivement la semaine dernière pour m'orienter tout droit vers ce tome 2 de La trilogie des Charmettes, bien au chaud dans ma PAL. Après l'excellent premier opus Le secret de Tante Eudoxie, je ne pouvais que me plonger avec un plaisir anticipé dans la lecture de L’œil du mainate... plaisir cependant mêlé d'une légère appréhension, comme souvent avec les suites : La séquelle sera-t-elle à la hauteur du premier volume?


  Nous retrouvons ici nos quatre jeunes héroïnes au caractère bien trempé : Jeanne, Mina, Iris et Victoire, après avoir réunit leurs pouvoirs rattachés aux quatre éléments fondamentaux, ont créé la première de trois figures magiques très puissantes. Alors qu'elles reprennent leur formation auprès de tante Eudoxie en vue de créer la seconde figure, elles en apprennent aussi un peu plus sur la finalité de ce projet. Lla force destinée à être engendrée, baptisée le Mana, serait une sorte d'énergie magique et naturelle alternative qui permettrait, à terme, de remplacer les énergie nocives, polluantes et destructrices inventées par l'homme et ainsi de sauver la planète. Cependant, leur ennemie Hortense d'Abbeville n'a pas dit son dernier mot : loin de l'avoir abattue, sa dernière défaite en date face aux petites sorcières n'a fait que renforcer son désir de vengeance. Bien décidée à récupérer s'approprier le Mana, elle capture Childeric, le mainate de Jeanne, et l'opère à son insu. En introduisant dans les nerfs optiques de l'animal un système pointu d'observation, elle peut suivre et espionner grâce à cette micro caméra révolutionnaire tous les faits et gestes des sorcières...et mieux leur voler leurs secrets!...

 Couvertures de Serges Prudhomme pour la première édition grand format de 2003 et la réédition en poche de 2005.

  Si l'on retrouve d'emblée l’atmosphère à la fois pétillante et pleine de piquant du premier tome, Eric Boisset ne se repose pas sur ses lauriers avec ce second opus, évitant avec brio le mauvais piège de nombreuses suites de séries à succès. Les premiers chapitres peuvent nous le laisser craindre mais c'est sans compter sur son imagination débordante et son talent d'auteur : après avoir reposé les bases et le décor pour mieux permettre au lecteur de se repérer dans la mythologie précédemment instaurée, il vient la compléter de nombreux éléments. Car, finalement, pas mal de choses étaient en suspens au terme du Secret de tante Eudoxie : Il reste deux figure à créer, certes, mais à quelle fin? Quel est donc le but de la tante? Mademoiselle d'Abbeville va-t-elle se relever de sa défaite? Sera-t-elle plus présente dans l'histoire? Comme vous l'aurez compris à la lecture du paragraphe précédent, Eric Boisset satisfait notre curiosité et notre faim de rebondissements : en apportant de nombreux éclairages sur l'objectif de tante Eudoxie et le but visé par la création des figures magiques, il enrichit l'univers de sa trilogie en développant davantage le message écologique (plus que jamais d'actualité) introduit dans le tome 1. Parallèlement, il approfondit le personnage d'Hortense d'Abbeville pour le plus grand plaisir du lecteur : le portrait qu'il nous avait jusqu'ici laissé entrevoir se précise et elle excelle en grande figure antagoniste charismatique, croisement théâtral et diabolique à souhait entre Cruella D'Enfer et le Docteur Mad. Face à elle, on découvre que les petites sorcières ne sont pas forcément infaillibles, ce qui amène à de nombreuses péripéties inattendues!

  Et maintenant? Eh bien on a plus que hâte de dévorer le troisième et ultime tome, pour connaître le dénouement de cette aventure ô combien réjouissante!

 Illustration originale de Serge Prudhomme, qui nous révèle d'ailleurs le visage de la diabolique Hortense d'Abbeville...

  En Bref: De sa plume toujours aussi vive et pétulante, Eric Boisset nous replonge avec malice dans l'univers des Charmettes. Grâce à des trésors d'imagination qu'il couple avec brio à un message écologique pertinent, il évite les écueils propres aux suites et nous ensorcelle avec un opus qui tient toutes ses promesses. Chapeau Monsieur Boisset!

Et pour aller plus loin...

dimanche 16 mars 2014

Chapeau melon et bottes de cuir : "Canards Mortels" - Patrick Macnee et Peter Leslie


Dead Duck, Hodder and Stoughton, 1966 - Titan Books, 1994 - Huitième Art Editions, 1996.

  Lorsque John Steed et madame Peel assistent, dans un restaurant quatre étoiles, à la mort brutale de l'un de leurs voisins de table, ils se trouvent entraînés dans un étrange puzzle : pourquoi plusieurs personnes tombent-elles raides mortes après avoir consommé du canard ? Et quels liens existent-ils entre les victimes : un médecin, un garde-chasse et un peintre? Leur enquête leur fera découvrir un ténébreux complot qui se trame dans la région désolée des marais de l'East Anglia.




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  Temps maussade au-dehors? Atmosphère du jour tristounette? Besoin de réconfort avec une valeur sûre? Pourquoi pas un épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir !? Arf, l'impression de les connaître par cœur, n'est-ce pas? Alors une seule solution : plonger dans la PAL à la recherche d'un trésor chiné par le passé chez les bouquinistes, à savoir une novélisation par Patrick MacNee lui-même (acteur principal de la série) et mettant en scène le célèbre duo de la série télévisée dans une enquête inédite! Après avoir lu, adoré et chroniqué il y a un peu plus d'un an L'Article de la mort, le premier ouvrage adapté du feuilleton par P.McNee, autant avouer que c'est avec un plaisir anticipé que nous avons plongé dans ce livre (et avec une tasse d'English Breakfast, aussi).

Allez, petite scène d'intro pour se mettre dans l'ambiance!

  Verdict final ? Fantastique ! Écrit par l'homme qui incarnait tout l'esprit de la série (assisté de l'écrivain Peter Leslie), ce roman nous permet de retrouver l'humour so british et la désinvolture du célèbre feuilleton, les années écoulée et le vocabulaire parfois daté lui donnant juste le charme vintage qui convient. L'intrigue débute avec un délicieux repas dans une auberge 4 étoiles perdue en pleine campagne anglaise mais à la clientèle très sélecte : Nos deux héros assistent alors à la mort soudaine de leur voisin de table, retrouvé ad patres le nez dans son assiette. L'appel du mystère étant trop fort, Steed et Mrs Peel se lancent donc dans une nouvelle enquête et apprennent vite qu'une série de morts similaires a été constatée dans la région. Point commun des victimes : tous ont mangé du canard empoisonné fourni par le même braconnier avant de rendre l'âme. Le coupable parait donc tout désigné, mais Steed flaire une affaire plus complexe : Lui et Emma quittent donc le confort moiré de leurs appartements londoniens pour l'humidité des marais de l'East Anglia. Ils remontent peu à peu la piste des oiseaux empoisonnés jusqu'à un riche oisif, versé d'une égale passion dans l'ornithologie et... l'anarchie! Dans l'esprit de ce vieil original, les deux centres d'intérêt se mêlent un peu trop étroitement et nos deux héros découvrent rapidement le complot que le Lord prépare contre... le gouvernement britannique, rien de moins!

 Couvertures de l'édition originale anglaise de 1966, de sa réédition de 1994, et de l'édition espagnole.

  Les admirateurs de la série l'auront compris : tout l'esprit des Avengers est là. Mêlant espionnage et fantaisie, le roman respecte l'atmosphère propre à la série d'origine. La novélisation est donc réussie et se distingue ici comme genre littéraire à part-entière : elle réadapte en mots un produit du petit écran, certes, mais elle le sublime et lui rend hommage d'une plume pleine de style et de panache. Applaudissements à Patrick MacNee : après son premier coup d'essai avec L'Article de la Mort, il confirme une fois de plus que personne n'est mieux placé que lui pour "raconter" les Avengers. Retournements incongrus, joutes verbales, intrigues... tout colle de façon impeccable à l'atmosphère burlesque, vive et piquante des meilleurs épisodes.

  Au détour d'une intrigue culinaire se mêlant à l'ornithologie, MacNee nous régale donc de passages cocasses à souhait (l'intrusion nocturne dans le domaine du Lord, truffé de pièges mortels détournant les blagues potaches et farces et attrapes classiques) et autres discours tordants de dérision (Ah, la longue logorrhée de Steed sur l'art de la vinaigrette). Le scénario est donc fantaisiste comme il se doit mais se révèle aussi très solide, preuve des nombreuses recherches en amont de l'écriture. On sentait cette même solidité lorsque, dans l'Article de la mort, MacNee nous faisant découvrir les dessous du monde journalistique ; Ici, ils nous ouvre à grand renfort de détails techniques à l'ornithologie et à la science des poisons, le tout se révélant même très instructif...

Keep calm : we're needed!

  En bref : Passionnant et divertissant, décalé et entraînant, un roman dont on se lèche les doigts jusqu'à la dernière page, comme on se serait régaler d'un épisode de la série. Patrick "John Steed" MacNee, grâce à sa plume pince sans rire et son ton unique, nous offre un pure moment d'esprit so british loin de toute réalité, façon intrigue d'espionnage en technicolor!

Pour aller plus loin:

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samedi 15 mars 2014

Le pays des contes, tome 1 : Le sortilège perdu - Chris Colfer

The Land of stories, book 1 : The wishing spell, Little, Brown young readers, 2012 - Éditions Michel Lafon, 2013.

  Il était une fois, dans une ville parfaitement ordinaire, des jumeaux prénommés Alex et Conner… Le jour où leur grand-mère leur offre un livre ancien, Le Pays des contes, leur vie plutôt morose change du tout au tout. Et pour cause !Ce grimoire se révèle magique et les transporte dans un univers où les contes sont devenus réalité. Sauf que ce monde est beaucoup moins merveilleux que celui des belles histoires qu’ils ont lues. Boucle d’Or est une criminelle recherchée, Blanche Neige dissimule un lourd secret, et le Petit Chaperon Rouge n’a même plus peur du loup. Pour rentrer chez eux, Alex et Conner n’ont qu’un seul moyen : rassembler huit objets magiques comme la pantoufle de Cendrillon ou encore des cheveux de Raiponce, tout en tentant d’éviter les foudres de la Méchante Reine. Car cette dernière semble avoir un plan machiavélique qui pourrait bien piéger les jumeaux dans cette étrange contrée. À tout jamais.

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  Premier tome d'une nouvelle série à suivre, ce roman est aussi le premier essai à la littérature du jeune acteur Chris Colfer, que l'on connait plus pour son célèbre rôle de Kurt dans Glee. Alors qu'il m'arrivait de suivre les news de la série et des acteurs quand j'étais étudiant, j'étais par hasard tombé sur l'annonce de ce roman à venir, dont le thème m'avait forcément attiré! J'avais depuis suivi l'affaire, prêt à commander l'ouvrage en VO avant qu'il ne soit finalement publié dans l'hexagone, et que Mya en fasse une critique des plus alléchantes! Ni une ni deux, j'avais commandé le bouquin, ne pouvant résister plus longtemps et ce même si je n'ai pu commencer la lecture que très récemment. J'avais hâte de découvrir cet ouvrage, aussi l'occasion de voir un nouvel exemple d'acteur qui s'essaye à un travail de plume. Alors, le verdict?

Couverture de l'édition VO, illustrée par le talentueux Brandon Dorman.

  L'histoire, destinée à un lectorat jeunesse, n'en est pas moins dense et riche de références, montrant par là que C.Colfer lui-même était probablement, enfant déjà, un lecteur chevronné. La trame, en outre, est très classique : on suit une frère et une sœur, jumeaux mais avec des caractères ô combien différents, affronter la dure vie de tous les jours, faîtes de ses joies et de ses peines, avant de se retrouver plongés dans un monde où les contes de fées sont réels en "tombant" dans un livre magique. Cela m'a beaucoup rappelé le genre d'histoires que je m'inventais moi-même, étant enfant : on sent que Chris Colfer prend un plaisir régressif et communicatif à nous raconter cette aventure, qu'il a sûrement imaginé alors qu'il était plus jeune et qu'il partage avec nous avec un enthousiasme palpable. Nous piquant au fil des chapitres de petits clins d’œil bien pensés à Narnia, Jumanji ou l'Histoire sans fin, Chris Colfer parvient à titiller notre imagination et ainsi retenir notre attention de lecteur, pour peu qu'on soit passionné et connaisseur du genre.

Faut reconnaitre qu'il a de la classe, le Chris!
D'ailleurs, rien à voir, mais il m'a piqué mes fringues! Hum, bon, reprenons...

  J'ai apprécié qu'il se base majoritairement sur les textes classiques des contes, les écrits originaux parfois plus sombre et non leur réinterprétation par Disney. Parallèlement, il ajoute une touche d'humour et un ton parfois décalé avec les personnages qu'il reprend : à l'image de ce que sont devenus les héros de contes dans Les soeurs Grimm, ils sont là aussi tournés en dérision, pour notre plus grand plaisir (notamment le petit chaperon rouge en Reine coquette adorablement irritante, et Boucle d'Or en héroïne rebelle inattendue, les deux nous offrant par ailleurs un crêpage de chignon où fusent des insultes mémorables et tordantes à souhait comme "pouffe à panier" ou "traînée à capuche"!). D'autres sont dépeints avec davantage de profondeur et en sont tout aussi attachants, à l'image de Blanche-Neige en reine mélancolique et de sa Belle-Mère, au passé complexe que l'auteur s'attache à nous révéler petit à petit pour mieux nous expliquer en quoi il a été décisif de sa personnalité. Mention spéciale pour le personnage de Grenouille, charmant jeune homme distingué changé par un sort en batracien, et qui n'est pas sans rappeler le so'british Mr Todd du Vent dans les Saules. Le tout, servi par les illustrations intérieures de Brandon Dorman (qui a aussi signé la couverture de l'édition américaine), nous plongent dans un univers visuel riche et féérique dont le style rappelle l'ambiance des illustrations des Sœurs Grimm et leur parfum de mine de plomb.

"Les méchants des contes sont juste des victimes dont on n'a pas encore raconté l'histoire."
  Mais si le roman présente de nombreux point positifs, il reste à mon sens inabouti, et j'ai été quelque peu déçu du résultat final : les péripéties s'enchaînent et se succèdent trop rapidement, multiples épreuves que les héros réussissent bien trop vite à mon goût, donnant l'impression d'un scénario de jeu-vidéo. Bien que la trame révèle de nombreuses surprises bien pensées, l'ensemble m'a renvoyé à de nombreux romans déjà écrits ou même séries déjà existantes. Ainsi, l'atmosphère est très proche des Sœurs Grimm  de même que certaines orientations de l'histoire renvoient à la fiction télévisée Once Upon a Time. Mais, surtout, je n'ai pu m'empêcher de penser au Dixième Royaume (the tenth kingdom). Cette mini-série de la Hallmark channel diffusée en 2000, qui avait rencontré un très grand succès outre-Atlantique et en France, racontait le périple d'une jeune fille propulsée dans un monde où les contes étaient réels. Alors âgé de neuf ans, j'étais tombé amoureux de ce feuilleton et n'ai pu m'empêcher de noter les trop nombreuses ressemblances. L'incipit, par exemple, est très similaire et la visite à la Belle-Mère dans son cachot semble être un copié-collé ; idem avec ce monde de conte de fées divisé en Royaumes, et dont la cartographie m'a de suite renvoyé à ma mini-série fétiche. Je pense que Chris Colfer, étant de la même génération que la mienne, a probablement vu le dixième royaume quand il était enfant, et qu'il l'a lui aussi adoré au point d'en être inspiré. Attention, ce n'est pas là un reproche et je ne parle en aucun cas de plagiat, mais pour moi qui suis un grand fan de cette saga, je ne pouvais que noter les similitudes. En outre, au-delà de ses ressemblances, Chris Colfer les réinterprète et les modèle selon ses propres idées et son imagination, le résultat étant tout à fait honorable et véritablement porteur de l'esprit de sincérité et de la sensibilité de l'auteur. On appréciera notamment son désir d'offrir un passé aux figures de "Méchants", comme il le fait ici avec la Marâtre de Blanche-Neige, même si cela n'égale pas l'explication par exemple proposée par Serena Valento dans son très bon Fairest of all : A tale of the Wicked Queen.

 Le pays des contes et Le dixième royaume... il y a comme quelques réminiscence, non?^^

  En Bref: Dans la lignée des Sœurs Grimm et de la série Le Dixième Royaume, un roman fantastique agréable et plaisant, même s'il suit des chemins déjà bien empruntés dans le genre. Il en reste une aventure pleine de rebondissements et de magie, toute de même porteuse de bonnes idées et qui plaira aux plus jeunes! De l'humour et des personnages attachants qui donnent tout de même envie de connaître la suite!

Et pour aller plus loin:


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vendredi 14 mars 2014

La Belle et la Bête (2014) - Un film de Christophe Gans.


La Belle et la Bête
de Christophe Gans ( sortie le 12 Février 2014)
d'après les contes de Madame de Villeneuve et Madame Leprince de Beaumont.

Avec: Vincent Cassel, Léa Seydoux, André Dussolier, Sarah Giraudeau, Audrey Lamy, Eduardo Noriega...

  1810. Après le naufrage de ses navires, un marchand ruiné doit s’exiler à la campagne avec ses six enfants. Parmi eux se trouve Belle, la plus jeune de ses filles, joyeuse et pleine de grâce. Lors d’un éprouvant voyage, le Marchand découvre le domaine magique de la Bête qui le condamne à mort pour lui avoir volé une rose. Se sentant responsable du terrible sort qui s’abat sur sa famille, Belle décide de se sacrifier à la place de son père. Au château de la Bête, ce n’est pas la mort qui attend Belle, mais une vie étrange, où se mêlent les instants de féerie, d’allégresse et de mélancolie. Chaque soir, à l’heure du dîner, Belle et la Bête se retrouvent. Ils apprennent à se découvrir, à se dompter comme deux étrangers que tout oppose. Alors qu’elle doit repousser ses élans amoureux, Belle tente de percer les mystères de la Bête et de son domaine. Une fois la nuit tombée, des rêves lui révèlent par bribes le passé de la Bête. Une histoire tragique, qui lui apprend que cet être solitaire et féroce fut un jour un Prince majestueux. Armée de son courage, luttant contre tous les dangers, ouvrant son coeur, Belle va parvenir à libérer la Bête de sa malédiction. Et se faisant, découvrir le véritable amour.


   Alors que la mode des contes de fées au grand écran était particulièrement suivie aux Etats-Unis ces derniers temps, voilà que l'Europe, berceau même de ces contes, revient prendre ses droits! Christophe Gans, adaptant le conte de Madame Leprince de Beaumont, coiffe ainsi au poteau Guillermo del Toro et son projet similaire mettant en vedette Emma Watson : sorti le 12 Février dernier, ce film français montre de quoi l'hexagone est capable en la matière. Bien évidemment, je ne pouvais que faire le déplacement, tout plongé que j'étais dans l'ambiance avec ma sélection de lecture sur le thème de "La Belle et la Bête", en plus du fait qu'il s'agisse d'un de mes contes favoris. Alors, le verdict?

Seconde bande-annonce du film.

  La première bande-annonce, si elle faisait preuve d'un visuel alléchant, laissait craindre une adaptation sommes toutes très classique du conte. Le début du film renforce cette impression et, bien que l'image soit agréable au regard et la reconstitution d'époque impeccable, donne le sentiment de regarder un épisode de "Au Siècle de Maupassant". Hum... restons assis et attendons d'être surpris, peut-être? Bonne idée, car très vite, on oublie l'incipit très classique (Belle -car on aura reconnue Léa Seydoux et donc, deviné l'issue de l'histoire- qui lit le conte à ses enfants au moyen d'un gros grimoire illustré comme souvent dans les Disney ou le Peau d'Ane de J.Demy) et on se laisse happer par un scénario original magnifiquement mise en images. Si l'histoire respecte la trame du conte de Madame L.de Beaumont, elle se pare notamment d'accents plus adultes, rappelant les thèmes présent dans la version originale de Madame de Villeneuve. Ainsi, le principal axe abordé (de façon symbolique, certes, mais principal quand même) est cette transition d'une Belle innocente et virginale vers l'âge adulte, son ascension vers le statut de femme. Passant de sa loyauté envers son père à sa relation forte avec la Bête, le scénario et la mise en scène instaurent une réelle tension dans le duo à l'écran, fortement sexuée. Que ceux qui n'ont pas encore vu le film ne paniquent pas : il n'y a rien d'osé ou de choquant mais tout est dans le sous-entendu et les altercation entre les deux personnages. La Bête est ainsi présentée sous un jour réellement très bestiale, parfois primitive et effrayante, animée du premier désir de posséder la jeune fille avant de se laisser émouvoir et d'éprouver de vrais sentiments amoureux pour elle.
  Gans ajoute à son scénario tout un passé minutieusement reconstruit à la Bête, offrant pour cela de nombreux flash back et retour en arrière retraçant le parcours de ce prince assez brutal, passionné de chasse et des plaisirs de la chair, jusqu'à "l'incident" qui le changea en monstre (les origines de la malédiction évoquant en même temps les contes de Madame d'Aulnoy et particulièrement La Biche au Bois). Ce qui m'a le plus interpellé dans le traitement de l'histoire et les éléments nouveaux ajoutés par Gans, c'est que de nombreux détails m'ont renvoyés aux libertés prises par Cameron Dokey dans sa réécriture Belle, a retelling of the Beauty and the Beast, chroniqué très récemment. Certaines ressemblances m'ont a ce point frappé que je me suis demandé si ce roman inconnu en France, sous ces fausses allures de bluette de gare, n'était pas tombé entre les mains de Gans pendant la pré-production du film! On y trouve de éléments communs dans les décors (la chambre de la Belle avec sa logia, le lac aux abords du château...) et la trame (la presque noyade de Belle sur le lac, la légende du couple princier attachée au domaine, le rosier magique qui pousse sur la tombe de la défunte princesse, la nature "vivante" qui protège des regards le domaine de la Bête, ainsi que la chasse d'une biche qui se révèle nymphe féérique...). A l'image de Cocteau avec le personnage d'Avenant, ou de Disney avec celui de Gaston, Gans enrichit sa relecture du conte d'un personnage de "Méchant", Perducas, qui rappelle justement le gros bras de la version animée mais avec un esprit plus fin, plus vicieux et redoutable. En parlant de Disney, certains internautes ou critiques ont également noté de trop fortes ressemblances entre le film et le dessin-animé et ses suites, et j'ai en effet remarqué ces même similitudes : L'arrivée du père au palais, mais surtout la valse entre la Belle et la Bête (jusqu'à certains gestes très précis), les brigands qui assaillent le château au bélier ou même l'accident sur le lac gelé et la noyade de Belle. Cependant, dans la continuité des multiples références visuelles voulues par l'auteur et dont je parlerai plus loin, j'ai perçu ces ressemblances plutôt comme un ensemble d'hommages et de clins d’œil fondus dans son film plutôt d'un manque d'imagination.

Comme un air de déjà-vu?

  Côté acteurs, le choix de Cassel peut surprendre car il offre une prestation à mille lieues du prince charmant : bestial avant même d'être une bête, ce seigneur brut de pomme a tout de rebutant de prime abord, mais le personnage a par-là même le mérite de sortir des sentiers battus et son tempérament devient un ressort à part entière dans l'intrigue. De même, sous l'apparence de la Bête, Cassel est à des millénaires de tout ce qui a pu être fait avant dans le genre et parvient à lui conférer un charisme réellement intimidant. C.Gans voulait sa Bête comme un croisement entre les grandes figures masculines du cinéma et de la littérature d'horreur fantastique, souhaitant y mettre autant de la Bête du conte que de Dracula, le Bossu de Notre-Dame ou le Fantôme de l'Opéra. Le pari est réussi et on retrouve ses multiples inspirations dans le jeu de Cassel (regardez le glisser le long des façades du palais comme Dracula chez Coppola, ou s’arc-bouter sur les gargouilles comme le bossu de V.Hugo!) , qui réussit à rendre sa Bête effrayante et fascinante tout en conservant la prestance qui sied au prince qu'elle était avant. L'animation de son faciès et de sa mouvance est également une réussite, parfait entre-deux à la rencontre de l'humain et du félin, imposante et fluide à la fois, comme une chorégraphie enchanteresse et gothique.


  Léa Seydoux est juste lumineuse en Belle. Son jeu rappelle celui d'Emilie Dequenne dans Le pacte des Loups du même Christophe Gans, d'ailleurs, mais en plus frontal : c'est là une caractéristique propre à Léa, que Gans souhaitait exploiter dans son personnage. Ainsi, elle est une Belle vive et impétueuse, franche et décidée, avec un côté boudeur et par moment presque irascible qui lui donne du piquant. Le plus drôle et que parallèlement à cette personnalité de feu, la prestation de Léa Seydoux renvoie à sa formation classique : son discours est posé, parfaitement ponctué et mesuré comme dans une pièce de théâtre. Si cela peut ajouter une touche de froideur ou casser le réalisme (comme ça a d'ailleurs été reproché par certains critiques étrangers), on peut également y voir le rappelle de ce même aspect classique propre à l’œuvre originale. Et puis, au fond, j'ai aimé ce petit côté "poésie de classe récitée" qui ajoutait une touche réellement so'frenchie au film, rappelant ainsi que, bon sang, ce film, il vient bien d'chez nous!
  Côté acteurs secondaires, André Dussolier excelle en père doux et protecteur avec le talent qu'on lui connait. Les deux soeurs, campées par Sarah Giraudeau et Audrey Lamy (qui ne m'a jamais autant fait penser à Marie-Anne Chazel dans sa façon de jouer!) sont parfaites dans leur interprétation hyper-appuyée de pimbêches précieuses et ridicules façon Javotte et Anastasie. Petite déception avec le méchant de l'Histoire : la prestation d'E.Noriega me laisse perplexe sans trop réussir à dire pourquoi. Je l'ai trouvé par moment très crédible et à d'autres monstrueusement fade ou stéréotypé. Même problème avec les frères de Belle : excepté le plus jeune qui s'en sort très bien à mes yeux, je n'ai pas été convaincu par les deux aînés.

  Le visuel du film, tant au niveau des décor que des costumes, constitue un des points forts. Idem pour la mise en scène et la façon de filmer de Gans, qui voulait insuffler à l'ensemble la beauté qui le subjugue dans le cinéma japonais ou les œuvres de Myazaki. On notera en ce sens les ralentis apportés à certains plans, qui ajoutent une réelle intensité et une beauté sidérante aux scènes (notamment dans les mouvement de la Bête, surtout lorsque celle-ci pourchasse la Belle sur la glace ou, lors de la scène de chasse, de l'instant saisissant où la biche dorée se cabre symétriquement aux statues de cervidés environnantes). Dans cette continuité, Gans se revendique comme vrai cinéaste cinéphile et son film se pare dans cet esprit de multiples inspiration et rappels iconographiques. Le film, sans se démarquer du conte de base, nous propulse ainsi dans des univers visuels inattendus qui viennent de suite titiller notre esprit et notre mémoire culturelle, littéraire et cinématographique.
  Le prologue nous donne en cela à voir le naufrage des bateaux du père de la Belle : les images sous-marine puis tous les éléments propre au commerce maritime qui surviennent ensuite (le port de pêche, les bureau de la Marine Marchande, le pub des marins, etc...) font d'emblée penser à Stevenson et son île au trésor.

L'un des splendides ralentis du film : la course poursuite sur la glace...
L'ïle au trésor de Stvenson? Non, La belle et la bête de Gans!

  De même, le château de la Bête, magnifique bâtisse de gothique flamboyant, donne l'impression de la Tour Saint-Jacques qui aurait poussé en plein jardin suspendu de Babylone. L'ombre du beffroi se détachant dans la nuit, sur fond de musique à la Hammer film, nous renvoie tout autant au château de Dracula dans la version  de Coppola et trouve ainsi fort bien à se relier à la personnalité du maître des lieux. Idem pour l'intérieur et ses apparences de cathédrale moyenâgeuse à l'abandon, envahie de ronces que n'aurait pas reniés la Sorcière de la Belle au Bois Dormant.

Le château de la bête: beffroi de gothique flamboyant digne de Dracula, ou la Tour St-Jacques en plein oasis...

  Les paysages extérieurs, tout en profondeurs et multiples plans vallonnés à perte de vue, évoquent des peintures impressionnistes au réalisme saisissant et étourdissant. Baignés d'une lumière chaude et douce, ces plan semblent en même temps plongé dans une bruine légère, à peine floutée, et parsemés de grains comme les premiers films colorisés des années 40. Si certains détails sentent trop la 3D de jeux-vidéos, ils sont minimes dans l'ensemble et on se laissent happer par la végétation luxuriante qui explose à nos yeux affamés: des jardins aux allures d'oasis de la Bête au port d'inspiration normande en passant par la chaumière de Belle, tout est enchanteur et propice à l'émerveillement. Le film de Gans se revendique comme un hommage vibrant à la force de la nature et à sa beauté.




  Même avis, enfin, sur les costumes : de style Nouvel Empire, ils nous plongent dans une époque rappelant fortement l'Ere Napoléonienne avant de nous perdre dans les multiples inspirations textiles une fois Belle chez la Bête. Là, on tombe dans le conte de fée pure, mélange de robes Renaissance et de cuirasses du Moyen-Age. La garde-robe des deux principaux personnages est particulièrement forte de symbolisme : Belle, tout d'abord, s'habille de fines tenues de cotonnade ou de mousseline blanche/écru typiques de l'enfance à de sublimes parures et robes de plus en plus féminines et colorées, jusqu'à un ensemble rouge sang rehaussé de corail qui traduit à merveille son statut sanguin de femme devenue adulte. L'ensemble porté par la Bête, mélange de tissus moirés et de métal, symbolise également à merveille la prison que constitue sa malédiction sans diminuer la fluidité féline de ses mouvement.


  Bon, que du positif alors? Pas tout a fait, car si ce film est une explosion visuelle et chatoie de référence, il s'y perd presque trop. En effet, au milieu de ces multiples clins d’œil et hommages symboliques et iconographiques, Gans, à mes yeux, ne sait plus où donner de la tête et oublie un peu de poésie en cours de route. Ainsi, on ne ressent pas assez à mon goût l'évolution des sentiments entre la Belle et la Bête, et leur relation semble changer trop brutalement, par à-coups soudains. De ce fait, l'onirisme naissant du début s'effrite peu à peu pour disparaitre totalement dans le final, certes grandiose mais un peu trop indigeste par moment, et tenant plus de Jack et le haricot magique que de la Belle et la Bête.


  En bref: Une réussite visuelle étourdissante, riche et opulente, proprement enchanteresse au regard. Une interprétation fougueuse qui sait merveilleusement composer entre le conte initial et les ajouts originaux, parée de multiples références iconographiques et symboliques. Dommage que le résultat final y perde un peu de sa poésie, seul réel défaut de ce film qui montre de quoi l'hexagone est capable dans le 7ème art!

Et pour aller plus loin...

vendredi 7 mars 2014

Belle, a retelling of "Beauty and the Beast" - Cameron Dokey.

Simon Pulse, 2008, 2011.

  Belle est convaincue de ne pas porter le bon prénom, contrairement à ses sœurs qu'elle est persuadée de ne pas égaler en beauté. Elle choisit donc de s'écarter de la société et de passer tout son temps à son activité favorite : la sculpture et gravure du bois. Elle s'y consacre corps et âme, rêvant secrètement de trouver un jour le mythique "Heartwood Tree", l'"Arbre du Cœur de la forêt" : selon la légende, si son bois est sculpté par la bonne personne -une Élue- il lui révèlera le véritable visage de l'Amour sincère. Au cours d'une violente tempête, le père de Belle s'égare dans les bois et se retrouve au Cœur de la Forêt, LE fameux domaine de la légende, habité par une créature solitaire et effrayante. Parce qu'il a tenté de prendre une branche de l'Arbre mythique pour sa fille, celle-ci doit venir vivre auprès de la Bête. Là, elle devra apprendre à voir non pas avec ses yeux, mais avec son cœur.


***

  Après le roman de McKinley, voici une nouvelle réécriture dans la même veine, issue du corpus "Once upon a time Series" des éditions Simon Pulse, à savoir une collection young adult composée uniquement de relectures originales de contes classiques. Dans le cadre d'une précédente sélection de lectures sur Blanche-Neige, j'avais justement eu l'occasion de lire un roman provenant de cette série : Snow, réécriture steampunck de l'histoire de Grimm par Tracy Lynn. L'auteure est cette fois-ci Cameron Dokey, plus connue outre-Atlantique pour ses romans de gare fantasy de petite facture, et un peu plus chez nous pour de nombreuses novélisations de séries télévisées à succès parues chez Fleuve-Noir (Buffy, Charmed, Angel et consort, qui ont fait le succès de cet éditeur au tournant des années 2000). Parti de là, on pourrait croire que Belle démarre avec un sacré handicap... et pourtant...

Couverture de la seconde édition originale...difficile de faire plus "roman de gare"...

  Beaucoup de lecteurs ont d'emblée comparé ce Belle avec le Beauty de Robin mcKinley, l'accusant au passage d'une énorme et honteux plagiat. Si l'entrée en matière et la narration faite par l'héroïne amènent effectivement à de nombreuses similitudes, j'ai pour ma part considéré que Dokey réussissait à s'en affranchir et soumettre des idées véritablement originales. En fait, là ou McKinley ne prenait à mes yeux pas de risques dans le traitement de son histoire, Dokey enrichit le conte initial de nombreux détails et parures qui l'orientent dans des voies insoupçonnées et toujours plus intéressantes, sans le trahir. Tout d'abord, elle va beaucoup plus loin dans les descriptions et informations annexes : l'univers familial et social de Belle (de son vrai nom Anabelle Evangeline Delaurier) est raconté à grand renfort de détails. On parvient ainsi à se projeter sans mal dans son univers et à se représenter le métier de marchand dans la Marine de son père et leur mode de vie bourgeois fait de mondanités et de convenances, celles-là mêmes merveilleusement incarnées par la douce mais très stricte mère de famille (ici toujours en vie et typiquement "austenienne" dans le genre "dame comme il faut à cheval sur les règles de bienséance").

  Dans cette version, la rose est développée et devient la fleur d'un arbre mythique, au centre d'une légende. La plante en question aurait poussé au Coeur de la Forêt Profonde, sur la tombe d'une princesse tellement aimée de son époux qu'elle porte dans ses branches l'essence même de l'Amour Sincère. L'histoire peu à peu racontée sur ce couple princier apporte une touche de magie supplémentaire et une douce mélancolie au roman tout en le faisant sortir de la simple relation duelle entre Belle et la Bête. Autour de cette légende fondatrice à l'intrigue, la demeure de la Bête apparait comme un domaine encore plus "à part" que dans le livre de McKinley, un lieu fantastique que la Nature dissimule et protège des regards indiscrets et dont elle n'ouvre les portes qu'à ceux qui le méritent réellement. Dokey nous offre ainsi de splendides descriptions de la demeure bourgeoise de la Bête (Ah, la chambre de Belle et sa splendide loggia toute en vitraux!) et du décors environnant (rocs, végétation grimpante et lac enchanteur).

 Le domaine de la Bête?

  Les personnages sont eux aussi très travaillés : Belle a un côté garçon manqué et nous est présentée comme une artiste passionnée versée dans la sculpture du bois plutôt que les relations mondaines. Habitée par son art, véritable don, elle semble 'sentir' quel futur objet à façonner se cache dans chaque morceau ou branche de bois brut. L'analogie entre cette "seconde vue" et la légende de l'Arbre du Cœur de la Forêt mais aussi du thème de la beauté au-delà des apparences est probablement le leitmotiv le plus pertinent de cette réécriture.
  Mais revenons-en aux personnages : La Bête, maintenant. Elle aussi est plus développée ici que dans le roman de McKinley. En prime, nous avons même droit à une ébauche de description physique et ce même si C.Dokey reste floue pour ne pas faire violence à l'imagination du lecteur. En revanche, sa personnalité est peut-être moins forte chez Dokey, qui nous régale malgré tout de joutes verbales passionnantes entre la Bête et l'héroïne. Le contenu des nombreux dialogues devient parfois très émouvant, alternant toujours entre la crainte et la fascination éprouvée par la Belle. La plus belle scène et à mes yeux la plus marquante est d'ailleurs cette grande discussion des deux personnages alors qu'ils s'offrent une ballade nocturne en barque sur le lac de la Bête... ballade qui tourne ensuite bien vite au vinaigre, mais ajoutant par-là même du rebondissement à l'intrigue (et nous renvoyant aussi, il faut l'avouer, à certains passages du dessin-animé de Disney et du scénario de Linda Woolverton...).
 Melting-pot d'images sur le thème de Belle, du Disney La Belle et la Bête (source: tumblr.com).

  Cependant, il reste tout de même deux ou trois détails décevants : encore une fois, pas de miroir magique (mais les reflets du lac, dont la surface est sensée montrer tout ce qu'on lui demande à voir). De plus, on regrettera un rythme inégal dans le traitement de l'intrigue par son auteure, qui a vite fait d'expédier l'histoire jusqu'à son dénouement une fois Belle arrivée chez la Bête (deux-tiers du roman étant déjà dépassés à ce stade de la lecture!). Enfin, si l'origine de la transformation de la Bête évoque à bon escient les contes de Madame d'Aulnoy, on regrette que C.Dokey ne l'ait pas reliée à la légende du couple princier et de l'Arbre magique, tant cela semblait évident et aurait convenu à l'atmosphère alors instaurée.

  En bref : Malgré l'aspect "roman de gare à trois sous" qu'il peut laisser présager, ce Belle est une lecture très plaisante et très agréable. Plus visuelle et plus fouillée que l'ouvrage de petite facture qu'on imagine et en dépit de ses quelques défauts, cette réécriture dépasse donc même par certains côtés le Beauty de Robin McKinley. Voilà donc une curiosité à découvrir et à lire comme une petite gourmandise.

Et pour aller plus loin...

jeudi 6 mars 2014

Belle - Robin McKinley

Beauty, Harper Collins, 1978 - Pocket, 1992 - Editions Mnémos (collection "dédales"), 2011.

  Belle était loin d'être aussi jolie que ses soeurs. À quoi bon ? Aux soirées mondaines, aux robes somptueuses, elle préférait les chevaux et les auteurs anciens. Quand son père se trouva ruiné, elle en fut réduite à aller avec sa famille habiter une pauvre maison, dans un village au fond des bois. Tous auraient pu vivre ainsi, heureux d'une existence loin du luxe et des lumières de la ville, mais le destin s'acharna une fois encore sur eux. Quand son père revint au foyer avec l'histoire d'un château magique et de la terrible promesse qu'il avait dû faire à la Bête qui y vivait, Belle partit de son plein gré affronter le monstre et sa question sans cesse répétée : " Belle, voulez-vous...? ". Ceci est son histoire...une histoire d'amour et de rêve.

***

  Poursuivons notre avancée dans la sélection autour de La Belle et La Bête : Après un détour par les deux textes classiques du conte, voici une relecture de l'histoire sous forme de roman. Publiée pour la première fois en 1992 dans la collection "SF" des éditions pocket sous une couverture à l'atmosphère mensongère, cette réécriture a bénéficié en 2011 d'une rééditions chez Mnémos, qui offrait par là une seconde chance à un ouvrage culte Outre-Atlantique. La nouvelle jaquette rend ses lettres de noblesse au contenu du livre : le buste d'une femme au visage que l'on devine gracieux, la silhouette comme retenue dans les serres d'une créature qui se tient derrière elle... notre imagination fait d'emblée connexion entre le titre évocateur et l'image suggestive...Pas de doute possible, nous sommes là dans l'univers du conte de La belle et la bête.

 Couvertures de plusieurs éditions originales successives (1978, 1993 et 2005).

L'horrible (et mensongère) couverture de la première édition française.

  Célèbre pour ses ouvrages de fantasy et ses relectures de mythes anciens, Robin McKinley suit ici la consigne même de la réécriture. On redécouvre donc le conte de Madame Leprince de Beaumont mais amplifié sous la forme du roman avec toutes les caractéristiques qui lui sont propres : multiples chapitres, densité, narration détaillées, descriptions travaillées, dialogues, ressentis des personnages et verbalisation des émotions. Sous ce format stylistique plus travaillé, raconté par Belle elle-même, nous apprenons son véritable prénom (Honneur, patronyme qu'elle déteste mais qui lui correspond si bien!), découvrons sa relation à ses soeurs et, surtout, sa transition vers l'âge adulte au-travers de son aventure.

Drew Barrymore posant pour A.Leibovitz, photoshoot sur le thème de la Belle et la Bête pour le magasine Vogue, 2005.

  Car c'est principalement ce qui ressort de l’œuvre de Robin McKinley. En étalant son récit (et donc la courte histoire racontée dans le conte original) sur plusieurs années, on voit Belle -tout d'abord âgée de 16 ans- esprit libre et adolescente décidée, gagner en maturité au fil des expériences de la vie : le désastre financier de son père et sa nouvelle vie modeste à la campagne, le marché passé avec la Bête et son emménagement dans son palais, etc. Figure féminine forte et charismatique, cette héroïne vertueuse et fine d'esprit donne à voir sa métamorphose de l'enfant vers la femme, changement qui prend réellement corps dans le texte une fois qu'elle réside auprès de la Bête. A ses côtés, elle devient plus sensible au charme et à la magie du domaine (imperceptibles aux autres) et, par extention, à voir au-delà des apparences.

 Photographie d'A.Leibovitz, 2005.

  Cependant, au-delà de ce splendide portrait de femme, je dois avouer une légère déception dans le traitement de l'histoire. Véritable best-seller en Amérique, j'attendais de ce livre une lecture digne de figurer au titre des théières d'or et coups de cœur de ce blog. Au final, si l'exercice de style opéré est réussi, Robin MacKinley sort peu des sentiers battus et fait preuve de peu d'audace dans sa réappropriation de l'histoire. Certes, les personnages sont davantage développés et donc plus étoffés, de même que la structure propre au roman leur confère plus de charisme et nous permet de nous identifier à eux. Mais pour autant, la trame reste trop collée au conte initiale et offre peu de surprises... 

Photographie d'A.Leibovitz, 2005.
 
  Car McKinley prend finalement peu de risques dans le développement de son intrigue au-delà de la trame proposée par Madame L.de Beaumont. On suit l'histoire en attendant toujours un peu plus le retournement original ou l'effet de surprise... en vain. Dommage, car le reste de l'ouvrage est tout à fait honorable, le style est impeccable (et la traduction, de qualité); si l'on regrette l'absence de détails quant à l'apparence exacte de la Bête, les nombreuses descriptions de son domaine sont particulièrement bien écrites : toute sa propriété semble être coupée du temps et de l'espace environnant, comme protégé dans une bulle soumise à un micro-climat que seule la Bête peut contrôler à loisir. La connexion presque psychique qui s'établit entre les deux protagonistes, l'une des seules originalités de cette relecture, est très touchante et constitue l'un des points forts de l'oeuvre de McKinley. En revanche, s'il ne fallait retenir qu'un seul point négatif, ET QUEL POINT (désolé, je suis particulièrement attaché à ce détail du conte en particulier, en tout cas trop pour passer outre ^_^' ), c'est d'avoir supprimer... le miroir magique! Cet élément pourtant inhérent et symbolique du conte ne semble pas avoir remporté l'adhésion de l'auteure, qui remplace ses reflets révélateurs par des rêves prémonitoires de son héroïne. Dommage. Il en reste tout de même un bon moment de lecture, que je n'ai pu m'empêcher de nourrir et d'habiller des superbes photographies réalisées par l'artiste Annie Leibovitz pour le magasine Vogue en 2005, mettant en vedette Drew Barrymore dans le rôle de Belle, comme tout droit sortie d'une gravure de Walter Crane...


Photographie d'A.Leibovitz, 2005.

  En bref: Une réécriture réussie du conte d'un point de vue stylistique et pour le splendide portrait de femme qu'elle soumet au lecteur, mais qui manque malheureusement d'audace et pèche par trop de classicisme. Cependant, ce roman reste comme je le disais excellemment bien rédigé et le livre de McKinley vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour avoir proposer, 20 ans avant Disney, une version du conte qui ait autant marqué le public.

Et pour aller plus loin...