vendredi 30 août 2019

Son espionne royale et le mystère bavarois (L'espionne royale #2) - Rhys Bowen.

A royal pain (Royal spyness #2), Berkley, 2008 - Editions Robert Laffont, coll. La bête noire (trad. de B.Longre), 2019.

  Londres, 1932. La reine a confié à Georgie une nouvelle mission délicate : elle doit héberger la princesse Hanneflore de Bavière et jouer les entremetteuses entre elle et le prince de Galles dans l’espoir que ce dernier se détourne enfin de son amante américaine. Mais entre la propension d’Hanni à séduire tout ce qui porte une moustache, son langage de charretier et sa fâcheuse tendance au vol à l’étalage, Georgie a déjà fort à faire. Et comme si tout cela ne suffisait pas, la princesse bavaroise se retrouve mêlée à un meurtre… Pour éviter un scandale diplomatique, Georgie va devoir remettre sa casquette de détective amateur et se résoudre à démasquer le véritable coupable.
   
  Entre Downton Abbey et The Crown, une série d’enquêtes royales so British ! 

***

  Après un premier tome très distrayant, il était difficile de ne pas mordre à l'hameçon de ce second opus. L'auteure reprend les codes qui ont assuré le succès de Son espionne royale mène l'enquête et on retrouve avec plaisir Georgie, 34ème héritière de la couronne britannique mais sans le sous, dans le Londres aristocratique des années 30. La Reine espère bien que la jeune fille va continuer de pister le prince de Galles, toujours amouraché de Wallis Simpson, cette Américaine vieille et vulgaire. Par bonheur, la princesse héritière du trône de Bavière vient séjourner en ville et on suggère à Georgie de jouer les entremetteuses... et d'héberger la jeune fille, qui vient accompagnée de sa bonne et de son chaperon, une austère baronne allemande. Très inexpérimentée, la princesse Hanni souhaite surtout s'amuser et rencontrer des garçons... et elle s'attache malheureusement à un jeune communiste qui risque de ne pas faire la joie de la famille royale! Mais pire encore : on retrouve le jeune homme assassiné avec, sur les lieux du crime, la princesse, arme à la main! Obligée de démêler le vrai du faux, Georgie se trouve forcée de jouer les détectives en même temps qu'elle doit pousser Hanni dans les bras du prince de Galles... et aussi dénicher des domestiques gratuits pour faire tourner sa maison pendant qu'elle joue les hôtesses aristocratiques.
 

"Sa Majesté est une femme redoutable. Elle est petite et paraît inoffensive à première vue, mais souvenez-vous de mon arrière-grand-mère, la reine Victoria. Elle n'était pas bien grande, elle non plus, et pourtant tout l'Empire tremblait lorsqu'elle levait un sourcil."


"Je remerciai le ciel d'avoir fait mes études aux Oiseaux, une institution privée pour jeunes filles en Suisse. A part apprendre le français et où placer un évêque à table, descendre le long d'une gouttière pour rejoindre des moniteurs de ski dans la taverne locale était l'une des rares compétences que j'y avais acquises."

  Ne boudons pas notre plaisir : ce n'est certes pas le meilleur cru policier de l'année mais, tout comme le tome précédent, une gourmandise toute anglaise qui joue autant sur le registre de la comédie que sur celui du polar (très) léger. L'intrigue n'est pas particulièrement compliquée et l'enquête se concentre surtout sur la seconde moitié du livre – il faut dire qu'une fois encore, le meurtre survient à la mi-lecture – qui s'attache surtout à restituer le train de vie de l'aristocratie anglaise pendant les années trente, obligée de tenir son rang sans forcément les moyens financiers nécessaires. La situation dans laquelle se retrouve Georgie (qui, rappelons-le, se fait ponctuellement passer pour une domestique afin de gagner quelques pièces en faisant les poussières chez d'autres membres de la noblesse), ici forcée de faire appel à son grand-père pour jouer les majordomes dans la maison de sa petite-fille afin de donner le change, apporte quelques scène amusantes qui parodient avec humour le train de vie d'une classe sociale (sensée être) aisée.

"Je me brossai vigoureusement les ongles et me lavai les mains d'une manière qui aurait forcé l'admiration de ma compatriote écossaise Lady Macbeth."

 Garden Party dans les années 30.

"Mais flirter n'est pas chose aisée pour une jeune fille élevée dans un château isolé, aux cabinets tapissés de papier peint à motif tartan, où l'on joue de la cornemuse à l'aube et où les hommes portent des kilts."

  Cependant, s'il y a un élément réellement hilarant dans ce second opus, c'est bien le personnage d'Hanni : la jeune princesse bavaroise qui sort tout juste du couvent a appris l'Anglais en regardant des films de western aux dialogues loin d'être distingués. Son phrasé, nourri d’argot à l'américaine, déclenche les fous rires successifs du lecteur qui plaint décidément la pauvre Georgie : sa nouvelle effervescente amie, bien décidée à perdre sa virginité avec un bel Anglais "sensuel et sexy", l'entraîne dans des situations des plus cocasses aux plus risquées. Entre les couloirs de Harrods et la pelouse de la garden party annuelle de la famille royale, même les lieux d'habitude les plus sécurisants deviendront mortels.


"— Vous n'êtes pas fierche encore, n'est-ce pas?
— Fierchancor?
— Vous êtes une femme d'expérience. Pas fierge.
— Oh, je vois, vierge..."

  Passée toute la légèreté du livre, on notera quand même un point on ne peu plus sérieux : la rigueur de la reconstitution, et notamment de la reconstitution politique. Rhys Bowen, qui maîtrise son sujet sur le bout des doigts, raconte avec méticulosité les mouvements inspirés du nazisme naissant qui pointent alors en Angleterre et s'opposent aux Communistes, permettant au lecteur d'appréhender une part de la réalité sociale de l'entre-deux guerres.



En bref : Un second tome dans la lignée du premier, hilarant et léger, pour un pur moment de détente destiné aux amateurs de polars pétillants, vintage, et british. Une reconstitution fine de l'Angleterre politique et aristocratique des années 1930.


Et pour aller plus loin....

jeudi 29 août 2019

La libraire - Penelope Fitzgerald.

The bookshop, Gerald Duckworth, 1978 - La libraire (trad. de M.lévy-Bram), Stock éditions, 2001 - L'affaire Lolita, La table ronde, 2006 - Gallimard/folio, 2008 - La libraire, La table ronde/Petit quai Voltaire, 2016.

  Rien ne semble troubler la paix de Hardborough, aimable bourgade de l’East Anglia. Mais Florence Green, une jeune veuve, a décidé d’y ouvrir une librairie, ce qui déplaît aux notables de la ville. Florence voulait créer innocemment un lieu de sociabilité inédit ; elle découvre l'enfer feutré des médisances. Puis l’ostracisme féroce d’une partie de la population. Surtout lorsqu’elle s’avise de mettre en vente Lolita, le sulfureux roman de Nabokov. Alors, la guerre est déclarée, les clans s’affrontent, les personnages révèlent leur acrimonie. Florence sera très seule pour affronter le conformisme ambiant. 

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  Auteure anglaise révélée à presque soixante ans, Penelope Fitzgerald est peut-être encore peu connue des lecteurs francophones. La raison tient probablement au fait, comme le précise l'introduction de cette édition de La libraire, qu'elle soit toujours restée très discrète et fut essentiellement suivie par des petits cercles de lecteurs passionnés. Entre les années 70 et son décès en 2000, elle publia neuf romans, trois biographies et plusieurs essais et articles ; l'adaptation récente au cinéma de The bookshop (traduit en France sous les titres alternatifs La libraire et L'affaire Lolita) permet de remettre en avant son œuvre et nous offre une occasion de la découvrir.


"On accueille mieux une défaite quand on est las."

  Angleterre, 1959, presqu'île de Hardborough. Florence, veuve de guerre entre deux âges décide de réaliser un rêve longtemps médité : elle va ouvrir la première librairie du village, un commerce qui semble à ses yeux manquer cruellement à cette petite bourgade menée par la seule routine de ses habitants. Le local, elle l'a déjà acquis : the Old House qui, comme son nom l'indique, est l'une des plus vieilles bâtisses de Hardborough, demeure historique laissée à l'abandon et présumée hantée. Malgré le manque de soutien de son banquier et de son notaire, tous deux assez peu confiants face à l'entreprise de Florence, la lectrice passionnée ne se laisse pas désarçonner. Lorsqu'elle est invitée à une réception par Violet Gamart, la femme la plus influente du village, Florence espère y voir une forme d’approbation de la part de Hardborough. Erreur : la pédante Mrs Gamart lui fait comprendre qu'elle a d'autres projets qu'un vulgaire commerce pour the Old House, et que Florence ferait bien de revendre la bâtisse pour qu'on puisse la transformer en centre artistique, ce dont le village aurait selon elle davantage besoin qu'une librairie. Florence, qui refuse de se laisser impressionner, tient tête. Son commerce finit même par trouver son rythme de croisière et elle parvient à embaucher une aide ponctuelle en la personne de la petite Christine, fillette d'une dizaine d'année au caractère bien trempé. Mais lorsque Mrs Gamart revient à la charge, bien décidée par tous les moyens à faire expulser Florence, la libraire ne trouvera de soutien qu'auprès de Mr Bundish, un homme vieux comme Hardborough qui vit reclus dans sa maison depuis des années. Mais l'aide de ce nouvel allié sera-t-elle suffisante pour affronter toute une ville?


"Elle avait le cœur tendre, ce qui ne sert guère l'instinct de conservation."

  La prose subtile et le style impeccable, La libraire n'en reste pas moins un livre qui peut échapper à son lecteur. Pourquoi? Car contrairement aux divers synopsis qui pourraient évoquer un feel good book, la tournure des événements tels qu'ils se déroulent dans La libraire s'en éloigne bien vite. Un fois le postulat de base posé, on s'imagine que la frêle et solitaire héroïne va trouver à révolutionner le quotidien de ce petit village encroûté grâce à la littérature et que Violet Gamart, cette vieille peste, se verra reniée par les habitants de Hardborough. Eh bien non. Sans spoiler les lecteur, il faut quand même savoir à quoi s'attendre et reposer le livre si on préfère les happy ends.

"La morale se révèle un guide peu sûr, s'agissant des affaires humaines." 


"— Quand on se donne à fond, on est obligée de réussir, non?
— Je ne vois pas pourquoi. Tout le monde finit par être obligé de se donner à fond. Le "fond" étant la mort. On ne peut pas dire de la mort qu'elle soit un succès."

  Cependant, La libraire ne sombre pas pour autant dans une totale noirceur. L'auteure y dépeint avec réalisme le tableau d'un village fictif (mais qui se veut le reflet de tant de réelles petites bourgades – d'ailleurs, Hardborough est directement inspirée de la ville côtière de Southwold, également dans le Suffolk) qui barbote avec complaisance dans la même routine depuis des décennies. Cette situation permet à quelques rares personnes sachant tirer leur épingle du jeu de s'autoproclamer figures dominantes, à l'image de l'influente Violet Gamart qui s'en prendra à Florence tout simplement parce qu'elle refuse qu'on marche sur ses plates-bandes. Dès lors, tous les coups sont permis pour faire tomber celle qu'elle considère comme une rivale personnelle : alliances, rumeurs, médisances... tout ce qui constitue les aspects les plus vains d'une petite communauté sectaire et embourgeoisée sont là. L'élite autoproclamée et son obséquiosité sournoise parviennent à déclencher, à la façon du battement d'ailes du papillon, l'enchaînement d'événements qui pousse l'héroïne dans ses retranchements.

La ville côtière de Southwolk.

"— Je ne dois pas cultiver d'inquiétude, dit Florence. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
— Quelle idée terrifiante!"

  Héroïne qui se trouve dès lors très malmenée mais qui, à l'image du roseau, s'efforce de ne pas rompre. Comment ne pas s'attacher à elle? Florence est un personnage qui nous ressemble ou qui, du moins, s'écarte de l'héroïne traditionnelle de fiction par sa simplicité et même, par ses défauts. D'apparence peut-être trop douce ou trop sage, elle n'en cultive pas moins un sens du répondant qui lui permet de réduire à néant plusieurs tentatives d'intimidation de ses détracteurs. Au fil de la lecture, on sent naître en nous une réelle empathie à l'égard de cette veuve qui, arrivée à la moitié de sa vie, se lance dans l'ouverture d'une librairie afin d'en faire un lieu de chaleur et d'échanges voué à la littérature. Parmi les personnages charismatiques imaginés par P.Fitzgerald, Mr Bundish passe de vague personnage relégué à l'arrière-scène avant de s'imposer (et d'en imposer) progressivement comme un allié de choix, parce qu'il fait partie de ceux qui ont décidé de rester solitaire et non pas de se réfugier dans le giron de Mrs Gamart. N'oublions pas la petite Christine, cette curieuse petite fille qui, le temps de quelques heures à épousseter les étagères de la librairie, laisse à Florence l'espoir que sa boutique apportera du bien à ceux qui la fréquentent. On comprend très vite que l'auteure a une affection toute particulière pour les individus qui, derrière leurs abords insignifiants, se démarquent comme êtres à part.


"Ce qui chez lui passait pour de la délicatesse était en général une façon de s'éviter des ennuis ; ce qui passait pour de la sympathie était l'instinct d'éviter les ennuis avant qu'ils ne surviennent. On pouvait difficilement prédire l'effet qu'aurait la maturité sur un tel être. Faute de pratique, il n'éprouvait presque plus de sentiments. Faculté d'adaptation et curiosité, à son sens, faisaient aussi bien l'affaire."

 Il est par ailleurs surprenant, pour un livre si court, de parvenir ainsi à si bien dessiner ses différents protagonistes tout en racontant le quotidien d'Hardborough sur une longue période, et ce sans interrompre le récit d'incessantes ellipses. Tout y est fluide et nuancé, comme coloré de ces diverses teintes de gris des paysages qu'on nous décrit, des vieilles pierres de the Old House aux couleurs de la mer du Nord. On ne sait pas toujours où l'auteure veut exactement en venir avec les manifestations du fantôme cogneur de la librairie, ni si la morale de son histoire est qu'il faut se résigner lorsqu'on a tout perdu dans la lutte pour la survie, ou au contraire agir pour espérer renverser la balance. Le final nous laisse à ce titre quelque peu mal à l'aise et on referme ce livre en méditant sur l'injustice inhérente à la loi du plus fort. 

"La survie, voilà, souvent, tout ce à quoi on aspirait dans l'air pur et froid de l'East Anglia. Mourir ou guérir : c'était la devise des autochtones – soit on vivait très vieux, soit on était vite expédié sous la tourbe salée du cimetière." 


"Elle se leurra un temps en niant que l'humanité fût scindée en deux catégories : celle des exterminateurs et celle des exterminés, avec prédominance constante de la première."

En bref : Même si La libraire est loin d'être un feel good book, ce roman de P.Fitzgerald est à lire pour le tableau aigre-doux qu'elle donne à voir de la campagne anglaise des années 50, engluée dans une routine dominée par l'échelle des classes. Fluide et porté par des personnages particulièrement réalistes de simplicité, ce livre donne à réfléchir sur la violence sourde des petites communautés trop repliées sur elles-mêmes.

samedi 17 août 2019

Vengeance haute couture - Rosalie Ham.

The Dressmaker, Duffy & Snellgrove, 2000 - Plates coutures, éditions Le fil invisible (trad. de M.Véron), 2003 - Vengeance haute couture, Harper Collins / Mosaïc, 2016 - La vengeance secrète de Tilly, Pocket, 2017.

  1951. Tilly Dunnage est de retour. La petite bâtarde autrefois chassée de chez elle par les préjugés et l’hostilité des bien-pensants est devenue une jeune femme incroyablement élégante et provocante, pour qui le style et le chic de Paris n’ont plus aucun secret. Elle affole les hommes et suscite l’envie des femmes. Sa revanche, elle la tient : toutes celles qui aujourd’hui encore la méprisent veulent à tout prix ses conseils, et ses robes. Tilly coud. Tilly coupe. Mais, en fait, Tilly prépare en secret le grand finale qui vengera son enfance blessée et lui rendra sa dignité. En ne laissant que cendres derrière elle. Et un amour impossible…

***

  Passé inaperçu lors de sa publication chez un petit éditeur sous le titre Plates coutures en 2003, The dressmaker, premier roman de l'Australienne Rosalie Ham, a fait son retour dans les bibliothèques en 2016. Rebaptisée Vengeance haute couture, cette réédition a été motivée par l'adaptation au cinéma du roman avec Kate Winslet en vedette, film qui ne sortira malheureusement jamais dans les salles françaises. Avec la publication un an plus tard au format poche sous le titre La vengeance secrète de Tilly, la machine éditoriale française achevait un beau travail de sape littéraire ou comment, d'un titre à l'autre (à part le premier, peut-être le plus approprié), s'éloigner de plus en plus du contenu du roman et vendre une image mensongère. C'est fort dommage, car ce best-seller australien (il a été élu meilleur roman de l'année 2000 par les libraires dans son pays d'origine), est peut-être par là même passé à côté de son public francophone...

"Tout le monde aime avoir quelqu'un à détester."


"Dans le ciel, les nuages n'étaient pas plus épais qu'une couche de beurre citronné sur un toast, gardant la terre au chaud."

  Australie, années 50. Après vingt ans d'absence, Myrtle "Tilly" Dunnage débarque, Singer à la main, dans sa bourgade natale de Dungatar pour prendre soin de sa mère. Cette dernière, surnommée Mad Molly, vit recluse dans une vieille bicoque perchée sur une butte à l'écart du village après que les habitants l'aient rejetée de la communauté. Faisant resurgir le drame de vingt ans qui lui avait fait quitter la ville, Tilly, devenue entre-temps une couturière de talent, doit affronter la cruauté et la médisance de ses voisins. Mais lorsque la jeune styliste traverse la ville vêtue de ses plus belles créations, faisant tourner les têtes sur son passage, les femmes de Dungatar comprennent que son don peut leur être utile. Hypocrites et intéressées, elles se précipitent en haut de la colline pour commander des tenues dignes de la haute couture afin de reconquérir leurs amants ou raviver leurs mariages. En peu de temps, la populace de ce village poussiéreux perdu dans le bush australien se transforme en véritable défilé de mode... Mais les vieilles rancunes ne sont jamais loin et lorsqu'une nouvelle catastrophe arrive, c'est vers Tilly que les doigts se pointent. Et si le hasard – à moins que ce ne soit le destin? – se chargeait soudainement de renverser la balance ?

"A présent, les femmes confectionnaient leurs blouses d'intérieur dans des brocarts "importés" avec des boutons d'ivoire ou en imitation diamant, et elles se pavanaient dans leurs maisons rustiques en mousselines de soie pastel ou en pantalon de velours ajustés, avec de larges ceintures et des pulls à col montant, telles des stars de cinéma."

Dungatar?

"Les problèmes vont commencer. Il faut s’attendre à bien des cœurs brisés et à des virginités perdues, dans le sillage de sa Singer."

  Contrairement à l'image erronée de bluette vintage diffusée par les éditeurs français, The dressmaker est un roman relevant de l'Australian gothic. S'il parait difficile d'associer les codes du gothique aux paysages arides de l'Australie, c'est aussi parce que le sixième continent a réussi à se les réapproprier pour créer un registre qui lui est propre. Dans le cas de The dressmaker, l'aura gothique vient essentiellement du traitement féroce que l'auteure fait de ses personnages et de son intrigue, mêlant à la façon d'une tragédie romance, émotion, et noirceur. Ce qui empêche le livre de tomber dans le pathos, c'est son humour : un humour qui oscille entre l'ironie légère et le sarcasme grinçant, mais jamais lourd, principalement provoqué par le regard très distancé posé sur les habitants de Dungatar, rhabillés (dans tous les sens du terme) pour l'hiver d'une plume aiguisée et tranchante. En mélangeant les genres avec un rare brio et malgré un style parfois cru, Rosalie Ham parvient à nous arracher des fous rires inattendus entre deux descriptions de tissus ou de toilettes d'une élégance à couper au couteau.


"Certaines personnes subissent plus de souffrances qu'elles n'en méritent, d'autres non. Tilly se planta debout au sommet de la colline et hurla ses lamentations comme une fée irlandaise de mauvais augure, jusqu'à ce que des lumières s'allument ici et là et que des points luisent dans les maisons."

  L'atmosphère et les thèmes évoqués peuvent rappeler les sujets de prédilection de romancières comme Alice Hoffman (dans sa description des petites bourgades et du sectarisme de ses habitants) ou Joanne Harris (particulièrement son roman Chocolat et son personnage d'héroïne qui provoque le scandale autant que la curiosité d'un village en y pratiquant un art à part), si ce n'est que Rosalie Ham y ajoute tout le piquant propre à la culture australienne.  L'autrice manie avec talent l'art de raconter, en quelques lignes, l'enchainement des gestes et des paroles qui font d'un passage ou d'un dialogue une scène saisissante de vie, savoureuse. Cette écriture, très visuelle, participe à la réussite du roman et permet d'affiner les caractéristiques des (très) nombreux protagonistes, hauts en couleurs. On se régale ainsi de petits détails qui font le sel de l'histoire : le pharmacien atteint de Parkinson que les habitants "lancent" et "réceptionnent" d'un bout à l'autre de la rue principale lorsqu'il doit s'y déplacer, les employées de la poste qui ouvrent et fouillent les colis (à leurs risques et périls), ou la first lady de Dungatar qui, atteinte d'une maniaquerie tenace, astique jusqu'aux poignées de porte après leur utilisation. Quant à l'adorable sergent Pratt, eh bien... on vous laisse découvrir vous-même son petit secret inavouable...


"— J'aimerais bien rencontrer l'inspecteur, dit Tilly.
— Pourquoi?
  Tilly haussa les épaules.
— Juste pour voir s'il a de la classe.
— Absolument aucune : il porte des costumes marron – et en plus, je suis sûr qu'ils sont en laine mélangée."

  La "vengeance" du titre, s'il y en a une, n'est finalement pas la motivation première de l'héroïne. Même, elle n'est pas totalement de son fait et s'avère le fruit d'un hasard dans l'enchainement des situations (qui prennent parfois des virages à 180 degrés, il faut l'admettre, mais que c'est jouissif!) en fin de roman. Une fois cette machine infernale lancée, on pourra parfois reprocher à l'autrice de malmener certains personnages auxquels ont s'était furieusement attaché (surtout un en particulier, dont on ne s'est pas encore remis). C'est là que les accents gothiques du récit se rappellent au lecteur : une suite d'événements malencontreux conduit tout ce vaniteux petit monde à monter une nouvelle version de McBeth , clin d’œil des plus amusants à la thématique de la vengeance puisque l'issue du spectacle verra effectivement, dans un certain sens, Tilly battre la petite ville de Dungatar à plates coutures.

"C'est tellement amusant de monter une pièce. Ça fait ressortir le meilleur et le pire en chacun, vous ne trouvez pas?"


En bref : A ceux qui attendent ou qui craignent une romance de gare : don't judge a book by its cover. A la fois diabolique et émouvant, The dressmaker dresse le portrait au vitriol d'une bourgade australienne des années 50 que le hasard confronte à sa Némésis. Rosalie Ham parvient à mêler avec talent différents genres en passant de la satire au drame non sans quelques détours par l'humour. La lecture de ce roman haute couture saturé d'élégance est d'une jouissance inattendue!

dimanche 11 août 2019

Vita & Virginia - un film de Chanya Button d'après la pièce d'Eileen Atkins.


Vita & Virginia 


Un film de Chanya Button 
d'après la pièce de théâtre d'Eileen Atkins et la correspondance de Vita S.West et Virginia Woolf.

Avec : Elizabeth Debicki, Gemma Aterton, Isabella Rossellini, Rupert Penry-Jones...

Sortie en France : 10 juillet 2019.

  Virginia Woolf et Vita Sackville-West se rencontrent en 1922. La première est une femme de lettres révolutionnaire, la deuxième une aristocrate mondaine. Quand leurs chemins se croisent, l'irrésistible Vita jette son dévolu sur la brillante et fragile Virginia. Commence une relation passionnelle qui fait fi des conventions sociales et de leurs mariages respectifs. La fascination que Virginia ressent pour Vita, l'abîme entre sa vie d’artiste et le faste de l'excentrique aristocrate donneront naissance à Orlando, une de ses œuvres maîtresses, bouleversante réflexion sur le genre et sur l’art

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  Au départ de ce film, il y a une pièce de théâtre écrite et jouée par la grande actrice anglaise Dame Eileen Atins au début des années 90, d'après la correspondance de Vita Sackville-West et Virginia Woolf. Le projet de transposer la pièce pour le grand écran est né en 2014 avec, à sa tête, la réalisatrice néerlandaise Sacha Polak. Les rôles titre devaient alors revenir à Romola Garai (Marin dans Miniaturiste) pour camper Vita, et Eva Green pour interpréter Virginia. Quatre ans plus tard, l'équipe a été intégralement revue, principalement pour faute de disponibilité des principales intéressées : c'est désormais la jeune réalisatrice britannique Chanya Button qui dirige le film, et les rôles sont confié à Gemma Aterton (chaudement recommandée par Eileen Atkins) et Elizabeth Debicki. Chanya Button, qui a écrit son mémoire de fin d'études sur Virgnia Woolf, co-écrit d'ailleurs un nouveau scénario avec Eileen Atkins d'après la pièce de cette dernière et en ajoutant sa propre vision des personnages.

Vanessa Redgrave (Vita S.West) et Eileen Atkins (Virginia Woolf)
dans la pièce de théâtre Vita & Virginia.

  Après The hours (2002), Vita & Virginia propose une interprétation moins sombre que l'avait faite Nicole Kidman de la personne de Virginia Woolf (et aussi moins maquillée, Elizabeth Debicki ne portant quant à elle pas de prothèse nasale pour incarner le rôle de la célèbre auteure). Fort du talent de ses actrices, ce film semble ne pas chercher à tabler sur une ressemblance physique au trait pour trait, mais sur l'intensité de l'interprétation. Gracile et évanescente, Elizabeth Debicki témoigne d'un jeu tout en nuances, pertinente aussi bien dans la posture stoïque de l'intellectuelle qui observe et analyse que dans les moments de fragilité de Virginia Woolf. Gemma Aterton campe une Vita à l'opposé de Virginia : exubérante et fantasque, très démonstrative, parfois trop féminine aussi, probablement plus que ne l'était la véritable Vita (rappelons que c'est son côté androgyne qui inspira  l'hermaphrodisme du personnage d'Orlando). Or, ici, Gemma Aterton n'a de masculin que la nature émancipée de son personnage et ses pantalons. Ceci dit, elle parvient à donner à son interprétation le souffle punk qui permet de mettre en relief le caractère profondément avant-gardiste du personnage.


  Cependant, tout grand admirateur de Virginia Woolf et du cercle de Bloomsbury (nom donné au groupe d'intellectuels dont faisaient partie la romancière ainsi que certains membres de sa famille) ne pourra que tiquer face à l'âge des actrices : outrageusement jeunes, elles ont bien vingt ans de moins que les deux femmes au moment des faits! Une erreur (ou un choix délibéré?) qui, ajoutée au physique des interprètes (bien loin des physionomies très ordinaires des vraies Vita et Virginia), jette sur les faits et personnages réels cet habituel voile toujours trop lisse et typiquement hollywoodien afin de rendre le tout plus esthétique à l'écran. Si l'on parvient à faire abstraction de cet élément pour apprécier le film, il questionne malgré tout...


  Pour autant, la réalisation ne manque pas d'intérêt : la reconstitution est soignée mais reste sobre pour rendre le propos actuel et ainsi tisser un lien pertinent avec ces deux figures en décalage avec leur époque. Afin d'insister sur cette modernité, la compositrice Isobel Waller Bridge a imaginé une bande originale surprenante aux sonorités électros, presque futuristes, qui parvient à elle seule à casser le ton trop académique dans lequel risquait de chuter le film. Cette musique apporte aussi la part de passion qui manque au jeu des actrices pour rendre crédible l'histoire d'amour de Vita et Virginia grâce à ses mélodies enfiévrées.
 

 On regrette aussi que, faute de s'affirmer dans certains choix scéniques, la réalisation survole certaines pistes esthétiques ou scénaristiques mais sans les creuser. Il en va ainsi de l'audacieuse idée d'illustrée l'imagination fertile de Virginia sous la forme d'apparitions hallucinatoires et métaphoriques de plantes en pleine floraison. Il y avait là un filon onirique à creuser pour donner un ton unique, une marque de fabrique, au film, mais c'est à peine si cela survient une ou deux fois.


  Les dialogues, directement inspirés de la correspondance des deux femmes, sont particulièrement fignolés. Trop peut-être? Car même en partant du principe qu'on ne parlait pas à cette époque comme on parle aujourd'hui, on sent dans l'affectation des répliques qu'elles sont alimentées de portions de missives destinées à être lues, et non déclamées. Un autre bémol : les scènes de rédactions du courrier des deux écrivaines. Mises en scène sous forme de gros plans flous sur le visage des actrices pendant qu'elles lisent leur correspondance, elles cassent le caractère immersif du film de prises de vue dignes d'une docu-fiction au rabais.



  Malgré ses quelques inégalités, le film parvient à relever le difficile défi de faire à la fois un biopic tout en racontant la genèse d'une œuvre littéraire. On pensera au film Mary Shelley sorti l'an dernier et qui, quoi que très critiqué, avait tenu le même pari en se penchant lui aussi sur le parcours d'une femme de lettres profondément en marge de son temps et de sa société. En ouvrant une fenêtre sur les années communes de Vita S.West et de Virginia Woolf, Chanya Button réussit par ailleurs à éveiller une curiosité auprès des spectateurs qui n'ont pas encore lu Orlando, et qui se laisseront probablement tenter une fois les lumières de la salle rallumées...



En bref: Vita & Virginia reste, malgré certains défauts, un film intéressant sur la relation de ces deux femmes de lettres anglaises. Si on peut lui reprocher ses inégalités, ce biopic réussit à toucher le spectateur grâce à l'interprétation de ses actrices – en particulier Elizabeth Debicki – et à l'accent moderne de la réalisation (avec une mention spéciale pour la bande originale, à écouter encore et encore) qui traduit avec pertinence le tempérament d'avant-garde de ces deux femmes.

jeudi 8 août 2019

Son espionne royale mène l'enquête ( L'espionne royale #1) - Rhys Bowen.

Her Royal Spyness solves her first case (Royel Spyness #1), Berkley Publishing Group, 2007 - Éditions Robert Laffont, coll. La Bête Noire (trad.de B.Longre), 2019. 

   Londres, 1932. Lady Victoria Georgiana Charlotte Eugenie, fille du duc de Glen Garry et Rannoch, trente-quatrième héritière du trône britannique, est complètement fauchée depuis que son demi-frère lui a coupé les vivres. Et voilà qu'en plus ce dernier veut la marier à un prince roumain !
   Georgie, qui refuse qu'on lui dicte sa vie, s'enfuit à Londres pour échapper à cette funeste promesse de mariage : elle va devoir apprendre à se débrouiller par elle-même. Mais le lendemain de son arrivée dans la capitale, la reine la convoque à Buckingham pour la charger d'une mission pour le moins insolite : espionner son fils, le prince de Galles, qui fricote avec une certaine Américaine...

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  Les éditeurs s'arrachent décidément les cosy mysteries! Sinon, comment expliquer l'arrivée en France de cette nouvelle série près de douze ans après sa publication en langue originale? Après Agatha Raisin et les détectives du Yorkshire, voilà une nouvelle saga d'enquêtes so british teintées d'humour, mais la noblesse en plus : l'héroïne, membre de la famille royale, nous entraîne dans des investigations pleines de surprises dans le cercle de Sa Gracieuse Majesté...

Trailer pour la sortie des deux premiers tomes en VF
 (toute ressemblance avec le générique de Downton Abbey est volontaire). 

  Écosse, 1932. Lady Gorgianna de Rannoch – affectueusement surnommée Georgie – est trente-quatrième dans la liste d'accession au trône d'Angleterre. Fille d'un noble (suicidé après de trop nombreuses dettes de jeux) et d'une actrice – so shocking! – (depuis remariée et divorcée plusieurs fois), elle réside gracieusement au château familial de Rannoch auprès de son demi-frère Binky et de sa pingre de  belle-sœur Fig, tous les deux aussi fauchés qu'elle, en attendant que la Couronne britannique lui trouve un époux. Il faut dire que la noblesse, à moins de vivre à Buckigham, ce n'est plus ce que c'était, depuis la grande dépression... et lorsqu'elle apprend qu'elle va probablement être mariée à un prince de l'Europe de l'Est, Georgie se sauve à Londres sous un faux prétexte, espérant d'ici là trouver une solution pérenne. Sans un penny en poche et sans domestique, l'héritière désargentée utilise la débrouillardise héritée de ses années de pension en Suisse pour s'en sortir seule. Au diable l'étiquette : il lui faut un travail! En usant de son nom comme référence, elle fonde une société de ménages dont elle est à la fois la propriétaire et... l'unique employée, ce qui ne manque pas de la plonger dans des situations des plus embarrassantes. Quand la Reine l'invite à prendre le thé au palais, Georgie est certaine qu'elle va se voir mariée de force ou envoyée jouer les dames de compagnie d'une vieille lady acariâtre, mais Sa Majesté souhaite l'embaucher... comme espionne! Le prince de Galle se serait entiché d'une Américaine, qui plus est mariée, et La Reine a besoin d'une taupe qui les surveille de près pour s'assurer de la respectabilité de l'étrangère. Georgie accepte mais doit bientôt régler ses propres problèmes lorsqu'elle découvre un cadavre dans sa baignoire ; tout accuse son frère Binky, promis à la potence. Pour l'innocenter, l'apprentie espionne royale devra mener l'enquête...

 Couvertures des éditions en VO.

"Pour ceux d'entre-vous qui l'ignoreraient, une jeune fille de bonne famille se doit de prendre part à cette succession de bals et autres divertissements lors desquels elle débute dans le grand monde et est présentée à la cour. C'est une manière polie d'annoncer : Voilà, messieurs. Maintenant, pour l'amour du ciel, que quelqu'un l'épouse et nous en débarrasse."

  Les couvertures au visuel vintage, girly et très lisse (peut-être un peu trop) pouvaient nous laisser craindre un contenu sympathique mais convenu. La lecture nous réserve finalement une surprise plutôt agréable et, il faut l'admettre, assez prometteuse en ce que l'intrigue va bien au-delà du synopsis peu convainquant de la quatrième de couverture. Les cent premières pages se lisent avec délice : pleines d'humour, elles servent essentiellement à planter le décor et présenter les personnages. On fait ainsi connaissance avec Georgie, jeune lady qui refuse de se soumettre à un mariage arrangé, sa famille haute en couleurs, la vie très humble qu'ils se doivent de mener dans leur austère et glacial château écossais (dont les W.C. horriblement tapissés de tartan ont déjà provoqué quelques insomnies et même un suicide), bref, l'auteure nous dresse un exemple désopilant et à peine romancé de ce qu'est la noblesse britannique après la grande dépression. La vie de l'héroïne, qui tente de survivre sans le sou en plein Londres, comporte également quelques bons passages : entre sa meilleure amie l'extravagante Belinda qui veut l'aider à perdre sa virginité et un lord tout aussi fauché qu'elle qui l'invite à s'incruster aux réceptions de mariages pour manger à l’œil, on ne s'ennuie pas une seconde.

 Couvertures de plusieurs éditions étrangères.

"— Pourquoi ne peut-il trouver quelqu'un de convenable et s'assagir ? Cela me dépasse. Il n'est plus de la première jeunesse, et j'aimerais le voir établi avant qu'il ne doive monter sur le trône. Pourquoi n'épouserait-il pas quelqu'un comme vous, par exemple ? Vous feriez très bien l'affaire.
— Je n'y verrais pas d'objection. Mais je crains qu'il ne me considère encore comme une petite fille. Il aime les femmes mûres et sophistiquées.
— Il aime les traînées qui mériteraient des tartes, déclara froidement Sa Majesté.
Elle leva les yeux à l'instant même où les portes s'ouvraient ; un ensemble impressionnant de plateaux fut apporté.
— Ah, des tartes, répéta-t-elle, au cas où son commentaire serait arrivé aux oreilles des domestiques."

Buckingham Palace dans les années 30.

   Si bien qu'arrivé à plus du premier tiers du livre sans le moindre début d'un crime ou d'une enquête, on se demande s'il est vraiment nécessaire de faire de cette très amusante comédie de mœurs un polar. D'ailleurs, quand la Reine demande à Georgie d'espionner le prince de Galles et sa maîtresse pour le compte de la Couronne, on a trouvé ça moyennement sérieux, ou du moins pas assez solide pour en faire les bases d'une vraie intrigue. Heureusement, un cadavre retrouvé dans la baignoire, c'est tout de suite mieux! Feu la victime faisait chanter Binky, en plus! L'affaire se pimente sérieusement, et notre intérêt grandit encore plus lorsque notre jeune et adorable Lady échappe de justesse à plusieurs tentatives de meurtre. En très peu de chapitres, on passe donc d'un tableau parodique de la noblesse à une enquête légère et pleine d'humour mais dont les rebondissements suffisent à nous faire tenir jusqu'à la fin sans désintéresser.


"— Je ne fais pas confiance à cet O'Mara. Il n'est jamais rien sorti de bon d'Irlande.
— Le whisky. Et la Guiness."

  Les personnages sont parfois un peu faciles ( sauf peut-être la très glamour et libérée Belinda, et l'adorable grand-père cockney de l'héroïne) et le crime sera probablement résolu rapidement par les lecteurs de polars chevronnés, mais le cadre historique et mondain est plutôt bien restitué et le tout est relevé de quelques dialogues hilarants et de bonnes situations cocasses lorsque conventions et bonnes manières se heurtent à l'urgence et à la nécessité de passer outre. On referme ce premier tome avec l'envie, le plaisir coupable même, de vouloir découvrir le second.


En bref : Entre cosy mystery et comédie de mœurs, R.Bowen inaugure ici une série de polars légers qui égratigne avec humour la noblesse anglaise des années 30. Si on est loin d'une intrigue noire et complexe, on a en revanche une enquête qui surprendra davantage le lecteur que la quatrième de couverture le laissait penser, et qui présente un petit goût de reviens-y...

 Un grand merci à NetGalley et aux éditions Robert Laffont pour cette lecture!

 Et pour aller plus loin....

lundi 5 août 2019

Le chien de madame Halberstadt - Stéphane Carlier.

Éditions le Tripode, 2019.



  Baptiste, écrivain, a connu des jours meilleurs. Son dernier roman a fait un flop, sa compagne l’a quitté pour un dentiste et, à bientôt quarante ans, il est redevenu proche de sa mère. Il passe ses journées à déprimer chez lui en culotte de survêtement molletonné… Jusqu’à ce que Madame Halberstadt, sa voisine de palier, lui demande de garder son chien quelques jours. 



***



  Il y a des livres qu'on découvre totalement par hasard et qui s'avèrent être de nos plus agréables lectures ; le chien de madame Halberstadt en fait partie. Récemment reçu en cadeau, je n'avais jusque là pas entendu parler de cette récente parution, et à peine de son auteur dont j'ai pourtant découvert ensuite qu'il en était déjà à son sixième roman (les précédents ayant même rencontré un certain succès). Petit retour sur le contenu avant mon verdict...

Stéphane Carlier

  Baptiste Roy est un écrivain raté. La trentaine bien avancée, le voilà qui traverse une bien mauvaise passe : s'il en croit le classement d'Amazon, son dernier livre ne rencontre pas le succès espéré ( une histoire d'appartement et de Shoah : son éditrice était persuadée de tenir le nouveau Elle s'appelait Sarah, mais réalise qu'elle aurait du miser sur un feel-good book façon chick-litt...). Et comme un malheur n'arrive jamais seul, la compagne de Baptiste l'a quitté pour leur dentiste, inculte et même pas beau, ce qui fait que notre pauvre écrivain trouve désormais son seul réconfort auprès de... sa mère. On pourrait difficilement faire pire, comme situation. En pleine crise existentielle, Baptiste se voit cependant proposer de garder Croquette, le gros et nauséabond carlin de sa voisine, le temps que celle-ci se fasse opérer de la cataracte. Contre toute attente, l'arrivée du chien coïncide avec un retour soudain et inespéré de chance : son roman remonte dans le classement des ventes, Baptiste est invité à une rencontre d'auteur, son ex se prend la tête avec son nouveau Jules, et il est même abordé par la jeune femme dont il est en train de tomber amoureux. Est-ce un simple hasard où... le carlin lui porterait-il bonheur?

"Ma mère était la personne qui me connaissait le mieux, me fournissait en Xanax, et puis c'était une lectrice avide, dévorant (la nuit, principalement), tout ce qui lui tombait entre les mains – un romande Danielle Steel, une nouvelle inédite de Borges ou un essai sur la vie secrète des arbres."

  Qu'il est parfois bon de se laisser surprendre : ce court roman s'est révélé être un réel un vrai bijou de lecture. L'histoire de cet auteur raté et nonchalant qui connait un soudain regain de veine grâce à l'arrivée dans sa vie d'une chien hideux est complètement improbable, voire totalement perchée, et pourtant, elle nous tient jusqu'au bout. Car d'une plume débordante d'ironie, S.Carlier nous sert un petit roman aux petits oignons finalement profondément réaliste derrière ses accents très fantaisistes. N'hésitant pas au passage à égratigner le monde de l'édition et, de façon plus générale, le monde tout court, l'auteur ne tombe pour autant pas dans la satire facile et évite l'écueil de l'aigreur littéraire.


"Les règles ont complètement changé. Aujourd'hui, une nana qui ne sait pas qui est Colette, qui est Gide, qui est Genet, peut écrire un livre dans sa cuisine, le publier sur internet et en vendre 100000. Avant, on respectait la grande intelligence. Même ceux qui ne lisaient pas Hugo ou Balzac les admiraient. Aujourd'hui, on ne se donne même plus cette peine. On n'a pas d'autre aspiration que de prendre des selfies en faisant des duck faces et on le revendique. L'époque valide l'ignorance, légitime la stupidité. Le monde n'a jamais autant ressemblé à un tableau de Jérôme Bosh."

  Pourquoi, comment? On ne saurait le dire. Le chien de madame Halberstadt est un savant mélange des genres qui survole et aborde, par petite touches pleines de piquant, la vie à deux, la vie tout seul, l'inspiration littéraire et les malices du hasard, sans jamais s'éparpiller. Même lorsque l'histoire déjà bien abracadabrante se transforme en road trip décalé, on poursuit l'aventure avec délectation.

"—De toute façon, l'image que les gens donnent d'eux-mêmes sur Facebook n'a rien à voir avec la réalité. Regarde Greta. En la voyant poser dans sa villa à Marrakech, tu en viendrais presque à l'envier alors qu'elle est complètement flippée, que quand elle oublie de prendre son Effexor, elle a l'impression que les murs bougent."


  Baptiste, caricature aigre-douce de romancier désœuvré, mélodramatique et gentiment sarcastique (et peut-être double fictionnel de S.Carlier lui-même), parvient à nous faire rire sans jamais devenir risible, subtilité difficilement réalisable dans la littérature contemporaine dès qu'elle se veut humoristique, et encore plus si les situations racontées doivent rester véridiques. L'auteur, parvient à maintenir cet équilibre en glissant ça et là de sincères notes de tendresse, réinventant ainsi une nouvelle forme de roman feel good à la fois enlevé et intelligent.

"Un concours de circonstances biologiques nous jetait dans cette vie, au hasard. Aussitôt, on prenait des coups. Le but était de tenir le plus longtemps possible. Des accidents heureux venaient brièvement éclairer le chemin, leur souvenir nous aidait mais vouloir les dupliquer était vouer à l'échec. On ployait, immanquablement, avant de tomber et de disparaître."

En bref : OVNI littéraire délicieux, le chien de madame Halberstadt est une petite pépite. Stéphane Carlier parvient, en moins de 200 pages, à mêler en une seule histoire ironie et tendresse, relevant le tout d'un soupçon de satire et et d'une pincée de dérision. Drôle comme on croyait que seul pouvait l'être un roman anglais, ce petit livre est tout ce qu'il y a de plus audacieux et enthousiasmant.