mardi 24 février 2015

La chambre d'Hannah - Stéphane Bellat.

MA Éditions, 2014 - Éditions France Loisirs, 2014.




   Paris, février 1992. Pierre Descarrières, 11 ans, est malheureux coincé entre une vie terne et des parents qui se déchirent quotidiennement. Seul dans sa chambre, il rêve d’un frère ou d’une sœur qui viendrait rompre sa solitude. Paris, février 1942. Hannah Klezmer, 11 ans, étouffe dans l’espace confiné de son appartement, mise à l’écart parce qu’elle est juive. Leurs routes n’auraient jamais dû se croiser. Et pourtant, c’est arrivé. Car il existe entre eux un lien plus fort que le temps et la folie des hommes.



***

"L'amitié s'affranchit des temps auxquels elle se conjugue. Souvent au présent, parfois au futur. Et puis, sans trop savoir quelle mouche la pique, il lui arrive aussi de jouer avec le passé."

  La Seconde Guerre Mondiale, si elle reste un sujet passionnant, est de ceux pour lesquels j'éprouve toujours des difficultés à associer des lectures "de loisirs". En effet, pour en avoir étudié les différentes strates pendant plusieurs années d'Histoire au collège mais aussi au lycée, sans compter les projets autour du concours de la Résistance, j'avoue avoir du mal à me détacher de son aspect scolaire lorsque ce thème est exploité dans un roman. Jusqu'ici, seul La Voleuse de livre, pour sa narration à la limite du fantastique, avait réussi le pari de me tenir du début jusqu'à la fin et de me tirer les larmes. Il fallait donc que le prochain roman qui exploite ce sujet possède celui-là aussi le "truc en plus" qui le ferait sortir de l'ordinaire. Aussi, lorsque Mya du blog Mya's books a présenté cet ouvrage, j'y ai vu LE livre qu'il me fallait! Et je ne croyais pas si bien dire...

 La rafle du Vel-d'Hiv, 1942.

"On n'insistera jamais assez sur l'importance des choses inutiles."

"Ce qu'on appelle communément l'âge de raison m'a toujours fait penser à un lendemain de beuverie (...). C'est le matin précis que choisit un enfant pour mourir et renaître dans l'enveloppe d'un adulte."

"Les enfants croient aux miracles, les adultes ne s'appuient que sur ce qui est palpable."

  Comment le décrire sans casser l'effet de surprise? Je tacherai de ne pas briser le suspens mais imaginez -aussi étrange que cela puisse paraître- que Stephane Bellat ait mêlé un peu de Et si c'était vrai? de M.Levy avec  Tom et le jardin de minuit de Philippa Pearce et Elle s'appelait Sarah de T. de Rosnay. Mélange incroyable, me direz vous? Et pourtant, une recette époustouflante! Mais cela ne serait pas aussi réussi sans la plume si fine, si profonde et touchante de Stephane Bellat, qui nous plonge dans la peau du narrateur âgé de 11 ans : Pierre, cet enfant déjà un peu trop adulte dans sa tête, et qui paie malgré lui le prix de vivre sa précocité au quotidien. C'est peut-être aussi parce que ce personnage m'a (un peu trop) rappelé l'enfant que j'étais que j'ai été de suite touché par son regard sur le monde, l'ennui de sa génération, et la dualité presque douloureuse entre sa maturité et la flamme vivante de l'innocence qui brule encore dessous. Avec un style brut, spontané et vif comme l'impétuosité propre à la jeunesse, S.Bellat ranime cette petite lueur qui est en chacun de nous et nous retient ainsi pris au piège de son histoire, aussi impossible puisse-t-elle être...

Rue de Belleville dans les années 40 et aujourd'hui... 
un même lieu, deux époques, une brèche dans le temps, et une rencontre...

"Les enfants savent, ils sentent les choses graves avant qu'elles n'arrivent. Ils se moquent des preuves. Ils sentent sans avoir besoin de se rassurer par un faisceau d'éléments concordants. Les adultes devraient les écouter plus souvent, cela éviterait bien des drames."

"La différence, c'est cette foule d'incompréhensions qui s'entrechoquent, ces mots qu'on n'ose pas dire. Tout cet ensemble de détails sans importance qui font qu'un beau matin, on ne sort plus de chez soi."

"Le regard des autres est pire que la faim. Il déchire les entrailles, arrache les larmes de sang. Il vous pousse à maudire le destin d'être né différent. On en finit par souhaiter de devenir invisible. Au plus profond d'eux-mêmes, la plupart des humains entretiennent la phobie de ce qui n'est pas eux."

  Car, même si son héro rencontre Hannah, petite juive victime de l’antisémitisme en plein Paris de 1942, par la plus fantastique des façons, on s'accroche à cette histoire avec la même force que Pierre lui-même. On s'attache à cette fillette, pris nous aussi, comme si on vivait à travers eux, du désir viscéral de la sauver de ce qu'on connait des horreurs du nazisme... Comme je le disais plus haut, l'histoire d'Hannah évoquera par bien des aspects Elle s'appelait Sarah, de même que les deux romans ont de nombreux thèmes en commun : la mémoire des murs ou l'emprunte que peut laisser une personne dans un lieu, thèmes d'ailleurs très chers à T.de Rosnay et que l'on retrouve dans sa bibliographie

 Un appartement, une chambre, deux enfants...

  Au fur et à mesure des pages, on se replonge dans cette phase douloureuse de notre Histoire nationale. Mieux : grâce à ce conte unique, on la redécouvre totalement à travers le regard de l'enfance, qui, fort de son innocence, met encore plus justement le doigt sur ces incohérences qui conduisaient pourtant les peuples à s'entredéchirer. L'histoire, presque grisante tant on brule de découvrir ce qu'il adviendra des personnages, nous tient en haleine jusqu'au bout et ce même si le dernier tiers s'égare un peu trop à mon goût. En effet, la dernière partie du roman est plus inégale : l'histoire prend un tournant différent et j'ai trouvé que l'auteur se perdait dans des méandres un peu trop tortueux. Cependant je lui reconnais son souci de chercher à boucler la boucle en amenant ses personnages à trouver l'explication logique (ou en tout cas psychogénéalogique) au pourquoi de cette rencontre extraordinaire qui défie le Temps, ressort scénaristique qui vient nous questionner sur le rôle du Destin dans nos existence... Malgré ce dernier tiers plus ardu, il en reste donc un ouvrage fort, percutant, et en même temps animé de l'optimisme pétillant de l'enfance, sur la déportation et l'occupation.

"Les enfants sont ainsi conçus : jamais rien ne leur semble impossible, Ce qui peut paraître absurde aux adultes est, chez eux, d'une évidence élémentaire."

"Il existe des tas de manières de mourir, entrer dans la norme est l'une d'entre elles."

En bref : Presque à la façon d'un conte, ce roman original et percutant à plus d'un titre nous entraine dans la Seconde Guerre mondiale en se détachant complètement de l'aspect scolaire qu'on peut craindre. Loin de tout ce qui a pu être écrit sur le sujet, Stéphane Bellat confronte l'Histoire à une situation impossible, fantastique, irréelle, mais dans un récit qui nous touche d'autant plus qu'il est habité d'une flamme et d'une impétuosité qui marquent profondément le lecteur. Un petit bijou habité par la grâce, unique en son genre, doublé d'une réflexion frappante sur la différence et la folie des hommes.

Et pour aller plus loin...

vendredi 20 février 2015

Lily et la magie défendue (Lily #1) - Holly Webb


Lily, book 1, Orchards Book, 2011 - Éditions Flammarion (trad. de F.Fiore), 2013.




  Depuis que la reine a interdit l'usage de la magie, Lily vit recluse sur une île au large de l'Angleterre. Là-bas, sa sœur Géorgie est formée à la magie par leur mère, à l'abri des regards. Mais Lily découvre le terrible complot que sa mère prépare. Géorgie est en danger... Il faut à tout prix s'échapper ! Dans les rues de Londres, les deux sœurs vont devoir se débrouiller seules. Mais comment faire, sans magie ?



***

  Bien que légèrement déçu par le dernier tome de la saga Rose, j'étais, je l'avoue, terriblement impatient d'entamer Lily, série dérivée toujours écrite par Holly Webb : je débordais de curiosité de voir comment elle parviendrait à réutiliser le même univers et le renouveler sans tomber dans la redite, et quels seraient les liens avec les aventures de Rose...

L'île de Merrythought et son manoir aux décors fanés, tels que je les visualise...

  L'histoire nous plonge dans la même Grande Bretagne magique mais environ 30 ans plus tard, dans une ambiance qui rappelle l'Angleterre edwardienne. La Reine Sophia, fille du défunt roi Albert, a fait interdire la magie et emprisonner ceux qui s'opposaient à ce Décret. Parmi ceux-là, le père de la petite Lily Powers, dont le reste de la famille a du s'exiler pour fuir la haine que la population entretient désormais à l'encontre des magiciens. Réfugiées dans un manoir au faste décrépit sur la petite île anglaise de Merrythought, elle, sa soeur aînée et sa mère vivent désormais dans un isolement quasi-total, entourées seulement de leurs domestiques. Lily, espiègle fillette, s'occupe comme elle peut dans cette vaste demeure où sa mère, femme glaciale et austère, l'ignore complètement au profit de son aînée Georgie. En effet, elle la tient sous sa coupe depuis plusieurs années et lui enseigne en secret la plus sombre des magies... Mais lorsque Lily se découvre elle aussi des pouvoirs, elle libère sa sœur et s'enfuie avec elle sur le continent. Une fois à Londres, les deux fillettes trouvent refuge auprès d'une troupe d'artistes de théâtre et se font une place en tant qu'assistantes de Daniel, le jeune prestidigitateur. Mais leur mère, bien décidée à les récupérer pour utiliser leurs pouvoirs, envoie à leurs trousses Marten, sa diabolique et effrayante dame de compagnie...

Le bouillonnement des rues du Londres edwardien...

  Parlons peu mais parlons bien, j'ai été enchanté par cette nouvelle série! Loin de tomber dans la redite que je redoutais, Holly Webb parvient à exploiter le même univers (non sans glisser deux ou trois clins d'oeil à Rose, laissant présager des confrontations plus importantes entre les deux sagas à l'avenir) tout en proposant une galerie de personnages, une histoire et des atmosphères totalement nouvelles! Ainsi, on s'écarte ici du milieu des orphelinats et de la domesticité pour un univers tout droit nourri de l'Angleterre uchronique habitée de magie qu'Holly Webb a imaginée pour Rose. Avec sa nouvelle héroïne, on entre dans le Londres festif et artistique des théâtres de variétés, avec le décor bouillonnant des cabarets, des spectacles d'acrobatie ou de prestidigitation, le tout dans une ambiance très vintage circus qui se marie fort bien avec le thème de la magie.

 L'atmosphère burlesque des spectacles de prestidigitation et des théâtres de variété à l'ancienne... 
un cadre de choix pour l'histoire de Lily!

  Côté personnages, Holly Webb propose là aussi une galerie de protagonistes qui diffère totalement de Rose: Avec Lily, fillette espiègle et aventureuse, et sa soeur aÎnée la timide et fragile Georgie, l'auteure s'attarde sur les liens entre sœurs, dont la relation est vraiment au centre de l'histoire. Mya, du blog Mya's books, avait à ce titre fait un excellent parallèle entre ces deux héroïnes et les soeurs Anna et Elsa du Reine des Neige (Frozen) de Disney dans son article. En effet, leur situation et relation sont très similaires : séparée l'une de l'autre à cause des pouvoirs magiques de l'aînée qui s'isolait dans la demeure familiale, leurs retrouvailles amènent la renaissance de leurs sentiments fraternels et réveillent leur nostalgie, non sans l'inquiétude que la magie les blesse accidentellement.
  Pour ce qui est des personnages secondaires, Holly Webb, qui adore donner la parole aux animaux, a cette fois créé Henrietta, petite chienne magique très amusante et grandiloquente même si elle n'égale pas à mes yeux le charismatique chat Gus de Rose. Enfin, mention spéciale aux méchants : la mère de Lily, rare figure maternel diabolique de la littérature enfantine actuelle, mais surtout sa suivante, Marten. Cette femme éternellement silencieuse et toujours masquée d'un voile et qui semble glisser plutôt que marcher nous file des frissons à chaque apparition! Parfait croisement entre une goule et une Mrs Denvers diabolique échappée du Rebecca de D.du Maurier, on s'imagine sans peine sa haute silhouette noire flairer la piste des sœurs dans les rues animées du Londres edwardien... brrrh!

 La terrifiante Marten, cachée derrière ses voiles et ses dentelles?...brrrh!

En bref : Un univers familier dans lequel on croise de nouveaux personnages attachants au fil d'une histoire distrayante et palpitante ! Magie, paillettes, frissons... Lily et la magie défendue offre un premier aperçu réussit qui évite les écueils propre aux spin-off! A découvrir d'urgence!

Pour aller plus loin...

mardi 17 février 2015

Rose et le fantôme du miroir (Rose #4) - Holly Webb


Rose and the silver Ghost, Orchard books, 2011 - Editions Flammarion (trad. de F.Fiore), 2012.




  Bien qu'elle soit heureuse chez Mr Fountain, Rose s'interroge toujours au sujet de sa vraie famille. Que sont-ils devenus? Sont-ils aussi tous magiciens? Ces questions la tracassent jusqu'au jour où Rose fait une découverte étrange : un miroir en argent ayant autrefois appartenu à sa mère. Quels sombres mystères renferme-t-il?




***

  Après avoir lu les trois premiers ouvrages de cette saga sans prétention mais débordante d'un charme aussi sucré qu'une confiserie, le temps était venu de clore le cycle Rose avec cet ultime tome, levant enfin le voile sur les origines de la petite magicienne orpheline. Alors, que se passe-t-il de beau dans ce dernier opus? Attention, spoilers!

 Edition américaine.

  Depuis que l'intransigeante Miss Fell a rejoint la maisonnée de Mr Fountain pour participer à l'éducation magique de Rose, plus rien n'est comme avant. En effet, la vieille Lady, très à cheval sur l'étiquette en plus d'être une puissante magicienne, tient à ce que la petite orpheline quitte sa profession de femme de chambre et accède au statut de vraie demoiselle de la haute société, avec tous les privilèges que cela incombe. Rose, habituée à son quotidien de domestique, est très mal à l'aise avec cette nouvelle condition et vit non sans gêne cette nouvelle situation. Pour ses amis, c'est le signe évident que Miss Fell voit en Rose une personne bien spéciale... d'ailleurs, Isabella, la fille de Mr Foutain, a même remarqué une ressemblance physique entre sa camarade domestique et la vieille dame. Alors que Rose fouine dans les affaires de Miss Fell à la recherche d'une réponse, elle entre en contact avec le fantôme d'une petite fille, prisonnière d'un miroir, qui lui révèle la vérité : Rose est une Fell, héritière de la famille de magiciens la plus puissante de ce monde. Sa mère, toujours en vie, serait retenue captive dans les bas-fonds des docks londoniens par le Brochet, un magicien de mauvaise fréquentation qui vit en volant les pouvoirs d'autres sorciers pour ensuite les soumettre à sa volonté. Plus que jamais décidée à retrouver sa mère, Rose et ses amis se lancent à sa recherche, alors que le royaume lui-même vit de terribles heures avec l'approche des troupes talisiennes et la guerre imminente...

L'atmosphère sordide des Docks, où Rose part à la recherche de sa mère...
(T.Miller, 1852)

  Oserais-je m'avouer légèrement déçu ? Après les trois premiers volumes d'une qualité croissante, ce dernier opus vient clore de façon assez expéditive la série de Holly Webb. En effet, tout juste revenu d'un voyage périlleux aux accents horrifiques et hypnotiques à Venise, le fantôme du miroir nous ramène à Londres pour une intrigue finalement très statique, ou en tout cas plus plate que les précédentes.

   Ce tome perd de l'intérêt social qui me plaisait tant : accédant au statut complet de petite lady, Rose se voit éloignée des cuisines et donc de tout l'univers domestique qui faisait le charme de la saga. Aussi l'enchainement de privilèges de sa nouvelle condition, même s'il suscite la gêne et les remises en question de notre toujours très humble et discrète héroïne ne suffisent-il pas à pimenter l'histoire. De même, le conflit avec la Talisie, ce pays ennemi pourtant si bien imaginé et développé par l'auteure, est ici relégué en arrière plan pour se voir résoudre de manière beaucoup trop lapidaire, à peine quelques lignes avant la fin de l'ouvrage.
   Lancée sur la trace de ses origines, Rose se voit entraînée dans des événements qui s'enchaînent trop rapidement à mon goût, et l'ensemble parait inégal, brouillon, comme expédié à la va-vite. Ainsi, la plupart des obstacles rencontrés par nos personnages sont résolus un peu trop facilement et les rebondissements cousus de fils blancs. Dommage, car on aurait souhaiter une fin en apothéose pour cette série pourtant très sympathique!

 Le miroir d'argent de Miss Fell révélera-t-il le secret des origines de Rose?

  Heureusement, l'univers désormais familier de ce Londres habité par la magie suffit à nous accrocher à l'histoire, et la lecture est sauvée par le plaisir de retrouver les personnages auxquels on s'est attaché. On s'émeut devant Rose, plus que jamais animée du désir de retrouver sa mère et qui affronte pour cela les plus grands dangers malgré sa peur, et on se régale une fois encore des intervention facétieuses du chat Gus, qui mériterait sa propre série dérivée! On apprécie également de revoir Miss Fell en préceptrice de choix, plus "MaggieSmithesque" que jamais, au point de regretter qu'elle ne prenne pas un rôle plus important dans le vif de l'action!

Rose et Miss Fell?

  En bref : un ultime tome qui, s'il reste sympathique de par quelques aspects et grâce à son univers original, n'atteint pas la qualité des précédents. Un peu trop brouillon et expéditif, ce quatrième volume, s'il nous offre une fin heureuse, nous laisse un peu sur notre faim en tant que lecteur... Dommage! Cependant, on a tout de même hâte de poursuivre l'aventure avec Lily, la série dérivée...

Pour aller plus loin...

lundi 16 février 2015

La prochaine fois - Marc Levy


Editions Robert Laffont, 2004 - Editions Pocket, 2005, 2007, 2009, 2011, 2013, 2015.




  Parti à la recherche d'un tableau mystérieux, Jonathan croise la route de Clara. Tous deux sont convaincus de s'être déjà rencontrés. Mais où et quand ? À Londres, il y a plus d'un siècle...
Le quatrième roman de Marc Levy entraîne ses lecteurs de Saint-Pétersbourg à Boston, de Londres à Florence et Paris, dans une histoire où amours et énigmes défient le temps.



***



   Alors, oui, je sais, ce n'est peut-être pas le livre que l'on s'attend à trouver ici (combien de "Mais qu'est-ce qui te prend?" dégoutés et ahuris n'ai-je pas eu en annonçant cette chronique...) car, oui, cet auteur continue d'être aussi critiqué qu'apprécié, encensé par certains pour la force émotionnelle de ses écrits ou écrasé par les chroniqueurs pour ce qu'ils qualifient n'être que de la littérature de gare pour bobo. Quoi qu'on en dise et comme je l'ai déjà expliqué dans mon article sur Le premier jour, Marc Levy a ce pouvoir, quand tout nous semble triste et morne, de nous offrir une dose de bonne humeur et d'émotion doublée d'aventure (le tout en 200 pages minimum). Du carburant pour les journées pluvieuses, bref, peut-être de la guimauve mais de premier choix s'il vous plait! Je tenais tout particulièrement à présenter cet ouvrage, récemment relu : s'il fait partie de ma période "Marc Levy", celle qui a marqué ma transition de la littérature purement jeunesse vers les lectures adultes, ce titre m'a profondément marqué et a amené chez moi ma fascination pour des romans emprunts de thèmes similaires, à savoir les énigmes artistiques et les amours temporelles...

 Diverses rééditions françaises.

  Jonathan Gardner est un jeune expert en art obsédé par un peintre russe du XIXème siècle, Vladimir Radskin. Sa vie reste mystérieuse sur bien des points et Jonathan n'a de cesse de rechercher des œuvres de l'artiste, dont une légendaire ultime toile qu'on dit disparue. Aussi, lorsque Peter, commissaire priseur chez Christie's et ami de Jonathan, lui dit avoir peut-être retrouvé la dernière toile du maitre, tous les deux partent à sa recherche à Londres, où le tableau aurait refait surface. Sur place, leur contact est Clara, jeune galeriste anglaise dont le charme ne laisse pas Jonathan indifférent. Plus que cela, leur rencontre résonne en eux comme un choc presque surnaturel : ils sont intimement persuadés de s'être déjà rencontrés... tous deux sont alors assaillis de cauchemars communs, de souvenirs qui remontent à la surface : en d'autres temps et d'autres lieux, ils se sont déjà connus et aimés. Leur histoire, intimement liée à Vladimir Radskin lui-même, s'est en revanche faite des ennemis au fil des siècles. Ces derniers sont toujours décidés à les faire souffrir et les séparer...

Réédition de 2015.

  Si Marc Levy nous avait alors jusqu'ici offert de simples romances, il allait un cran plus haut avec La prochaine fois. En effet, bien longtemps avant les aspects philosophiques et métaphysiques abordés avec Le premier jour, il touchait pour la première fois du doigt (ou de la plume...) des sphères plus mystiques et spirituels avec le thème des vies antérieures. Flirtant ainsi avec le Mystère (celui avec un grand M) des existences et des âmes, Levy vient titiller les aspects cosmiques des existences ; certes, l'approche reste très simpliste, ("vulgarisée", dirons nous), mais suffit à porter ce roman au-delà des précédents et, surtout, à transporter le lecteur : le passionner avec une histoire et un sujet qui donnent de la hauteur, nous fait rêver d'invisible et d’indicible. Qui d'entre-nous n'a jamais eu une impression de "déjà-vu" ? Lequel n'a jamais imaginé une vie antérieure à telle ou telle époque de l'Histoire qui le fascine mystérieusement? En cela, La prochaine fois fait écho à notre part de spiritualité...

  Le milieu de l'art, s'il est lui aussi abordé de façon très "grand publique", offre un cadre palpable mais non moins fascinant à cette intrigue incroyable. Cet univers nous pousse d'une galerie à l'autre entre deux études de tableaux, des salles des ventes de Londres au laboratoire d'analyse du Louvres sur un rythme presque épique, parfumé de peinture à l'huile et de térébenthine.

  Mais ce qui nous tient du début à la fin reste sans conteste les personnages. Quoi qu'on en dise, Levy a ce don pour créé des protagonistes à la psychologie minutieusement élaborée. Plus que de simples "acteurs" de l'histoire, il parvient à leur donner une épaisseur et une dimension presque réelle : on a envie de croire - non, on croit - à Jonathan et Clara au point de vibrer à travers eux au rythme de cette aventure. Lors de ma première lecture, j'avais été tellement captivé par ces personnages que je m'étais construit mon petit film, imaginant Edward Norton et son jeu tout en retenue et discrétion impeccable pour un Jonathan, une Sasha Alexander naturellement belle en Clara, et une Patricia Clarkson en froide et diabolique Alice... La seule question que je me pose, à chaque fois que je me replonge avec délice dans ce roman, c'est pourquoi il n'a pas encore été adapté à l'écran!

Edward Norton, Sasha Alexander, et Patricia Clarkson : 
un trio d'acteurs que j'ai toujours imaginé pour les personnages principaux!

En bref : Un incontournable de l'auteur, dont le mérite est d'aborder pour la première fois des univers davantage spirituels et énigmatiques avec le thème des vies antérieures. En nous plongeant dans le milieu envoutant de l'Art pictural et grâce à des personnages vibrants, Marc Levy nous captive de cette histoire d'amour qui défie le temps...

(Et si cette article donne l'impression d'avoir été écrit par une ménagère fan de guimauve qui parle de son téléfilm romantique favori de l'après-midi sur M6, alors tant mieux, NA!)

Et pour aller plus loin:

jeudi 12 février 2015

Le Grimoire - Jane Stanton Hitchcock

The Witches'Hammer, Dutton Books, 1994 - Editions de l'Archipel, 1996 - Editions France Loisirs, 1997 - Editions Le Livre de Poche, 2000.
 
 
 
  Le docteur O'Connell assassiné ! Le célèbre bibliophile new-yorkais a été retrouvé criblé de balles dans son appartement. Fait étrange, les pièces les plus précieuses de sa collection n'ont pas été touchées. Un seul ouvrage a disparu : un traité de magie noire du XVème siècle. Quel est le secret de ce grimoire ? Pourquoi a-t-on cherché à le dérober ? Face à l'inertie de la police, la fille de la victime décide de mener elle-même l'enquête. Sa vie va tourner au cauchemar...



***

  Amoureux autant de l'objet-livre que de l'histoire qu'il contient, j'aime les intrigues qui prennent pour point de départ un ouvrage ancien, secret et mystérieux, sorti d'on ne sait où mais qui entraîne le héro dans une enquête trépidante. C'est ce qui m'avait tout particulièrement plu dans Le livre perdu des sortilèges ou encore L'historienne et Drakula, et qui m'a poussé à l'achat de ce roman, trouvé par hasard dans une foire aux livres. Thriller ésotérique un peu oublié de nos jour, Le grimoire fut à sa sortie en 1994 un énorme succès de librairie et se vit couronné de nombreux prix.

"Les vieilles légendes contiennent souvent davantage de vérité qu'on ne l'imagine"
(p.118)

  Dans un New York contemporain, Béatrice, jeune femme timide et peut-être trop sérieuse, vit aux côté de son père le Dr O'Connell, éminent bibliophile. Un soir, il présente à sa fille et à un ami collectionneur sa dernière acquisition : un grimoire de magie noire datant de l'époque médiévale mais -comble de l'étonnement- ayant appartenu au Pape Honorius III. L'ouvrage, présentant la femme sous une figure de diablesse castratrice, tentatrice et dominatrice, éveille d'étranges sentiment chez Béatrice ainsi que le vif intérêt de l'ami de son père. Le lendemain, lorsqu'elle retrouve le Dr O'Connell assassiné, la jeune femme est persuadée que le grimoire en est la cause. Se lançant dans une enquête périeuse, elle remonte la piste jusqu'à une étrange confrérie religieuse aux codes sectaires et particulièrement versés dans la haine des femmes libres et affranchies, ainsi qu'à une série de meurtres de femmes connues pour leurs idéaux d'indépendance...

"Les bons livre détiennent les pouvoirs de guérir et de fortifier les âmes. En révélant la pensée d'autres êtres, la présence d'autres âmes et d'un autre univers."
(p.82) 
Couverture de l'édition originale.

  Malgré ses vingt ans passés, ce thriller n'a pas pris une ride et s'avère très actuel! En effet, il s'inscrit parfaitement dans la lignée d'un Millenium qui aurait pioché quelques idées dans un DaVinci Code, mais cela avec deux décennies d'avance! Avec pour point de départ le milieu poussiéreux et presque religieux des collections de manuscrit et d'ouvrages anciens, J.S.Hitchcock nous entraine dans un univers d'une richesse culturelle et éclectique capiteuse qui s'accompagne d'une véritable déclaration d'amour aux livres. De là, l'intrigue s'écarte vers de multiples thèmes qui ne cessent de surprendre et lui donnent une réelle teneur. Des mythes des Templiers à l'histoire papale, du paganisme à l'image biblique de la femme, J.S.Hitchcock brasse avec talent tout un pan de l'histoire religieuse de l'humanité et de ses représentations à travers une enquête palpitante.

"Elle était heureuse qu'il fut parvenu à lui transmettre son amour des livres. Grâce à lui, à eux, elle saurait surmonter l'épreuve et faire face à la solitude"
(p.72) 

Couvertures de l'édition française chez Archipel, et de l'édition Livre de Poche. 

  De plus, contrairement à certains thrillers qui se concentrent uniquement sur l'énigme policière à défaut des protagoniste, l'auteure attache un souci particulier à ses personnages et leur donne autant de corps qu'à son histoire. Ainsi, Béatrice, introvertie, redécouvre une autre image de la Femme (avec un grand F) à travers cette enquête, et se redécouvre en tant que femme en même temps. Cette introspection (voire "mutation"), si elle amène à des passage parfois crus inutiles, est des plus intéressantes et pimente l'intrigue d'une vraie dimension psychologique.

"Croire est beaucoup plus fort que savoir. Croire exclut toute logique. Croire relève de l'émotion"
(p.189) 

Le véritable grimoire du pape Honorius, ainsi que le "Malleus maleficarum"(Marteau des sorcières),
 guide religieux de la chasse et de l'extermination des sorcières au Moyen-Age. 

  En bref : un thriller ésotérique palpitant, très actuel et avec personnages fouillés, qui brasse toute la représentation religieuse de la figure féminine avec talent. Angoissant et précis, un roman à redécouvrir!