samedi 12 novembre 2016

Challenge Halloween 2016 : Bilan et fin du voyage!



  Cette fois, c'est sûr.  Après presque deux semaines à jouer les prolongations, le challenge Halloween de Lou & Hilde édition 2016 touche à sa fin! Je remercie vivement nos deux hôtesses pour leur invitation à ces pérégrinations littéraires à la sauce anglaise, et le fourmillement des échanges, tous plus chaleureux les uns que les autres, que cela aura permis. Je m'étais promis, un jour, de faire un challenge dont j'honorerais tous les rendez-vous thématiques annoncés par le calendrier de départ : c'est chose faite! Et j'y ai même ajouté quelques lectures supplémentaires, remplissant ma propre liste annoncée dans le billet de lancement.

BOUH!

  Je suis ravi d'avoir rencontré les différents participants et découvert leurs univers, ainsi que d'avoir rallongé ma wish list de plusieurs titres qui satisferont mes envies de frissonner à venir. A une époque ou l'impact d'Halloween se délite chaque année un peu plus dans l'hexagone (à ma grande tristesse, d'ailleurs : enfant, c'était un plaisir d'admirer les décorations des vitrines et des magasins, tandis qu'aujourd'hui, c'est à peine si on voit une citrouille pointer le bout de son nez), ce challenge m'a replongé dans l'atmosphère d'antan et a ressuscité l'enthousiasme de mes dix ans. Un événement à reconduire l'an prochain dans mon planning, assurément! J'ai déjà hâte!

  D'ailleurs, après l'Angleterre, pourquoi ne pas se rendre aux Etats Unis? A nous Salem, Sleepy Hollow, les Harvest feast et la littérature gothique américaine... Une idée à soumettre aux deux charmantes organisatrice, non? ;)

  En attendant, vous pouvez retrouver le récap' complet de tous les articles du challenge ICI. Pour finir en beauté, je vous propose maintenant quelques dernières images pour prolonger l'aventure horrifique britannique depuis votre écran, à savoir des curiosités anglaises qui ont fait parlé d'elles dans la presse...

Les fantômes du Stuart Hotel de Liverpool,
aperçu cette année sur le street view de googlemap.


Le fantome d'Henry VIII,
que les caméra de surveillance ont surpris jouant avec les portes d'Hampton Court.

Ou encore le cas moins connu mais tout aussi effrayant de Madame Violette,
élue deux fois femme la plus effrayante de son époque, au centre d'un étrange fait divers de vampirisme à Edimbourg (une image d'illustration que j'ai d'ailleurs souvent utilisé avant de découvrir son origine...).

...Et si les monstres et les fantômes n'étaient pas que dans nos lectures?

Su ce, bonne nuit et à l'année prochaine! huhuhu!




vendredi 11 novembre 2016

Hyde - Daniel Levine

Houghton Mifflin Harcourt, 2014 - Editions Fayard (trad. de A.Rabinovitch), 2016.

  Hyde est au pied du mur. Enfermé dans le cabinet du docteur Jekyll, il compte les heures avant son inévitable arrestation. Quatre jours s’écoulent, pendant lesquels il entreprend de raconter l’histoire de sa brève et prodigieuse existence.
  Venu à la vie grâce à d’étranges potions, Hyde ignore quand et pour combien de temps il aura le contrôle du « corps ». Lorsqu’il est en sommeil, il observe la vie de Jekyll dans la haute société, emprisonné dans son esprit. Bientôt, leur existence mutuelle est menacée, non seulement par la science instable dont il est le fruit, mais aussi par un mystérieux harceleur qui obsède Hyde. Des jeunes filles disparaissent, un meurtre est commis. Qui se cache dans l’ombre pour le surveiller ? Dans le brouillard de cette conscience partagée, Hyde peut-il être sûr de ne pas être l’auteur de ces crimes ?

À travers cette réécriture virtuose de
L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde racontée du point de vue de Hyde, Daniel Levine apporte un nouvel éclairage au classique de Stevenson.

*** 

  Ceux qui me suivent depuis quelques temps déjà savent qu'une réécriture attise toujours ma curiosité littéraire. Aussi, après le très bon et intimiste Mary Reilly, relecture du Dr Jekyll et Mr Hyde, enchaîner sur ce roman proposé en partenariat par les éditions Fayard sonnait comme la meilleure des façons pour terminer le challenge Halloween de Lou et Hilde.


  Londres, dans le cabinet du Dr Jekyll, nous assistons à la naissance de Hyde ; à la suite d'un an de recherches et d'expérimentations au chevet d'un patient français souffrant de multiples personnalités, Jekyll a réussi à mettre au point une drogue divisant les divers visages qui habitent un même individu. L'utilisant sur lui-même, il fait naître un double petit et difforme, tout l'inverse de son avenante personne. Hyde, qui sommeillait depuis l'enfance dans l'inconscient du bon docteur, nous raconte cette "mise au monde", et la vie alternative qu'il mène à celle de Jekyll. Les déambulations nocturnes dans les quartiers mal-famés de Londres, l'achat d'une vieille demeure décrépite, l'embauche d'une domestique, et même l'amour -oui, car il se pourrait que ce soit ça- pour une jeune prostituée rencontrée au hasard d'une maison close. Hyde nous raconte tout cela, même lorsque Jekyll reprend le contrôle de leur corps et qu'il est en sommeil dans son inconscient. Comme depuis l'arrière scène, il assiste aux faits et gestes de leur enveloppe commune. Mais, petit à petit, un grain de sable semble se glisser dans cette machine bien huilée : Hyde émerge régulièrement d'absences pendant lesquelles des choses affreuses se seraient déroulées, et reçoit bientôt des lettres anonymes d'un dénommé Mr Seek. Puis, des rencontres étranges, un enchaînement de faits qui semblent tous calculés par une tierce personne, et, il faut le dire, le tempérament agressif de Hyde se recoupent avec une série de meurtres et d'événements tragiques à la Une des journaux...


  Lorsqu'un auteur s'attaque à la réécriture d'un récit classique, il y a toujours plusieurs risques : la redite inutile (soit une relecture qui n'apporte strictement rien à l’œuvre originale), ou pire encore, une trahison totale par rapport récit souche. L'immersion dans ce Hyde m'a fait passer par plusieurs états jusqu'à la conclusion, me ménageant une pause à la mi-lecture le temps de murir ma réflexion.

  Penchons nous tout d'abord sur une qualité certaine, qui saute aux yeux dès les premières lignes : l'écriture. La plume fouillée et viscérale de Daniel Levine est tout bonnement prodigieuse, et nous rappelle celle de Patrick Suskind pour le Parfum : à travers la narration très sensorielle d'Edward Hyde qui "nait" et s'ouvre aux ruelles du Londres victorien, c'est une redécouverte des bas-fonds à travers des couleurs, des odeurs et des sensations que l'auteur parvient à nous faire passer avec un talent prodigieux. L'impact sur nos émotions de lecteur est d'autant plus fort et l'on ressent tantôt douleur, dégout, ou même appétit.Voilà longtemps qu'il n'avait pas été donné à lire une telle maîtrise des figures de style, notamment de la comparaison, que Levine pousse à son paroxysme pour nous faire vivre une époque avec autant de réalisme.


  Retournons-en maintenant à l'histoire, qui nous laisse vite perplexe, il faut l'admettre : on découvre un Hyde, certes loin d'être un enfant de cœur, mais aussi très loin du meurtrier sanglant et dérangé raconté par Utterson dans le récit original de Stevenson. La version de Levine induirait donc une erreur de jugement, une appréciation erronée des faits et donc de la véritable personnalité de Hyde telle que présentée dans le récit souche. Soit, la chose est plausible : rappelons que dans le roman de départ, tout est affaire de faits divers rapportés et soumis à l'avis d'une connaissance du Dr Jekyll. Mais il est vrai que toucher à une personnalité aussi symbolique et assimilée par la culture populaire rend cette nouvelle interprétation difficile à intégrer. N'est-il pas vain de vouloir dépoussiérer ce bon vieux Jekyll & Hyde? C'est peut-être ce sentiment de perplexité qui nécessitera de faire une pause dans la lecture, le temps de s'imposer un recul nécessaire, pour mieux y replonger avec attention et s'ouvrir à l'excellente continuité qu'on y trouvera...

 Illustrations de D.Levine.

  Car non content de nous servir une prose de qualité, Daniel Levine va finalement très loin dans la réflexion de son récit: s'il égratigne un peu la dualité mythique -mythologique, même- Jekyll/Hyde, qui a si bien inspiré la psychothérapie, c'est pour mieux renvoyer à ce domaine psychologique. Car les personnalités les plus torturées ne se limitent pas à une simple opposition bien et mal, et à la confrontation ou alternance de deux visages antonymes. En se référant au triptyque bien rodé du "ça", "moi", et "surmoi", et en accordant jusqu'au détail sa version à la trame de Stevenson, Levine vient l'enrichir d'un éclairage psychologique d'autant plus fin qu'il est bigrement intelligent. D'une première opinion dubitative, ce roman qui bouscule nos pré-requis littéraires nous laisse finalement une impression extrêmement positive!

" Je m’arrêtai devant la vitrine d’une boutique de prêteur sur gages, mon attention retenue par une série de poupées en bois peint. Toutes contenues à l’intérieur de la plus grande poupée oblongue, elles avaient été conçues de façon à s’emboîter les unes dans les autres, mais dans la vitrine elles étaient disposées sur une rangée, une dizaine au moins, portant toutes un foulard de paysanne russe, de la plus grande à la plus petite, qui avait la taille d’une balle. Cet étalage me déstabilisa. Ce pantin et ses innombrables copies encastrées à l’intérieur."


En bref : Une relecture à l'écriture sensorielle ébouriffante qui pourra laisser perplexes les grands lecteurs de Stevenson, avant de les ouvrir à une interprétation psychologique détonante et, finalement, des plus pertinentes. Une histoire sinueuse et diabolique menée avec maestria. 

Un grand merci à Net Galley et aux éditions Fayard pour cette découverte.

Et pour aller plus loin:

mercredi 9 novembre 2016

Alfie Bloom et le voleur de talisman (Alfie Bloom #2) - Gabrielle Kent

Alfie Bloom and the Talisman thief, Scholastic, 2016 - Editions Michel Lafon (trad. de C.Laumonier), 2016.

Être propriétaire d’un château vieux de plusieurs siècles n’est pas de tout repos ! Alors qu’Alfie Bloom vient à peine de découvrir son fantastique héritage, il doit de nouveau affronter le danger : Ashford, le majordome aux étranges pouvoirs, a disparu, et le château de Hexbridge subit le siège d’une armée d’elfes malveillants. Alfie n’a plus qu’une solution… utiliser un peu de la magie sauvage qui lui a été léguée. Mais parviendra-t-il à maîtriser cette magie séculaire qui peut, aussi, se révéler très destructrice ?

  Designer de jeux vidéo pendant une dizaine d’années, GABRIELLE KENT est désormais professeur et directrice de la section jeux vidéo à l’université de Teesside en Angleterre. Elle est également la fondatrice et la programmatrice d’Animex, le Festival international d’animation, de comics et de jeux vidéo. Alfie Bloom est sa première série, aussi prenante et addictive que le meilleur jeu ! 

***

  Après le très sympathique tome 1 d'Alfie Bloom, il m'était difficile de refuser le partenariat du second opus, et ainsi poursuivre les aventures de l'apprenti druide.





  Dans le premier tome, Alfie et son père avaient hérité d'un gigantesque château perdu dans la campagne anglaise, avant d'apprendre que ce palais regorgeant de trésors magiques lui avait été légué par un ancêtre druide du nom d'Orin. Protégé et aidé par une agence notariale paranormale ainsi que ses amis, Alfie avait eu à défendre le village et le talisman hérité d'Orin de la convoitise d'une créature malfaisante... Maintenant sain et sauf, le jeune garçon et ses camarades poursuivent leur petit train train et préparent la grande fête de Beltaine qui a lieu tous les ans au village. Mais une nouvelle menace se prépare : une armée d'elfes traverse un portail situé dans le chêne du château et attaque la famille d'Alfie. Son majordome kidnappé, le jeune garçon s'en remet à Caspian Bone, son notaire, qui lui apprend de nouveaux secrets concernant son héritage magique : Cet assaut était mené par la reine des elfes, autrefois propriétaire de la pierre enchâssée dans le talisman d'Orin. Et sa Majesté est prête à tout pour la récupérer...


 Concept Art par les étudiants de G.Kent : Alfie par C.Millett, et la reine des elfes par L.Pernilla.

  C'est avec un vrai plaisir que j'ai retrouvé l'univers d'Alfie Bloom, toujours si bien raconté par la prometteuse Gabrielle Kent, qui signe avec cette suite son second roman. Toute fraîche dans la profession d'auteure, elle n'en maîtrise pas moins l'imagination et le talent nécessaire. En partie influencée par son métier premier de conceptrice et scénariste de jeu vidéo, elle parvient ici à n'en tirer que les éléments strictement nécessaires et profitable à son histoire, évitant ainsi de trop multiples quêtes et défis propres au déroulement d'un jeu vidéo (et qui parsemaient peut-être un peu trop son premier opus). G.Kent gagne donc en style autant qu'en habileté dans la construction et la narration de ce deuxième volume.

 G.Kent.

  Côté histoire, on retrouve avec satisfaction une ambiance dans la pure lignée du précédent tome, à savoir inspirée d'un folklore anglais qu'il fait toujours bon explorer dans la littérature jeunesse : Hexbridge, cette charmante petite bourgade, vit au rythme de fêtes héritées des cultes païens et après Samain (Halloween), c'est cette fois avec le festival de Beltaine (associé à l'ancien sabbat du même nom) que s'ouvre ce roman. Géant de paille que l'on brûle en place publique, chants, danses, cuisines, traditions... Cette plongée dans la culture ancestrale britannique prépare à merveille le terrain à l'arrivée des elfes, que l'on redécouvre dans le pure style d'un roman de Tolkien ou de C.S.Lewis.

 Coch Castle, qui a inspiré le château d'Orin et a fait naître l'histoire d'Alfie dans l'imagination de l'auteure.

  Je me suis aussi régalé des visites du château d'Orin, toujours décrit avec de savoureux détails et qui semble fourmiller de secrets. D'ailleurs, pour les curieux qui se posent des questions sur les sources d'inspiration de l'auteure, elle les a trouvées dans le réel château de Coch, situé au Pays de Galles. Ce superbe bâtiment médiéval rénové au XIXème dans un style gothique victorien dégage une réelle féérie, un désir assumé de l'architecte. A regarder les photographies, on y reconnait de suite les descriptions de Gabrielle Kent, jusqu'à la cour intérieure du château et au lac voisin. Quant au village d'Hexbridge, si le nom lui a été soufflé par les villes de Corbridge et Hexham, ce sont surtout les petits bourgs de Helmsley et Alnwick qui l'ont influencée, et ce depuis les excursions scolaires qu'elle y avait fait alors enfant. Ce sont en effet deux exemples parfaits de villages qui continuent de vivre au rythme de fêtes traditionnelles issues de la culture païenne... A noter en vue une excursions outre-Manche!


Les intérieurs du château de Coch, où l'on imagine sans peine Alfie habiter... et nous aussi!


En bref : Un second roman qui se laisse lire avec plaisir, et dans lequel l'auteure nous transmet réellement l’enthousiasme qu'elle a eu à imaginer son histoire. Le style et la construction gagnent en finesse, ce qui rend d'autant plus agréables ces retrouvailles avec un héro très attachant.


 Un grand merci à Michel Lafon pour ce partenariat!

jeudi 3 novembre 2016

Rebecca - Daphné du Maurier

Victor Gollancz, 1938 - Editions Albin Michel (trad. de D.Van Moppès), 1939 - Editions Albin Michel (nouvelle trad.de A.Neuhoff), 2015 - Editions Le livre de poche.

  Dès les premières heures à Manderley, somptueuse demeure de l'ouest de l'Angleterre, le souvenir de celle qu'elle a remplacée s'impose à la jeune femme que vient d'épouser Maxim de Winter. Rebecca, morte noyée, continue d'exercer sur tous une influence à la limite du morbide. La nouvelle madame de Winter, timide, effacée, inexpérimentée, se débat de son mieux contre l'angoisse qui l'envahit, mais la lutte contre le fantôme de Rebecca est par trop inégale. 

  Daphné Du maurier, dans Rebecca, qui est sans doute le roman le plus caractéristique de son talent, fascine le lecteur et l'entraîne à la découverte d'inquiétantes réalités sans quitter le domaine familier de la vie quotidienne. 

***

  Voilà un roman que je tenais à inclure dans les prolongations du challenge Halloween : relu pour l'occasion, Rebecca est de ces ouvrages qui nous saisissent et nous emprisonnent. Découvert il y a quelques années, J'aime y remettre le nez de temps à autres, parce que l'ambiance s'y prête. Aussi n'ai-je pas résister à refaire ce petit tour à Manderley en ces sombres et romanesques temps automnaux...


"J'ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley..."

  L'histoire commence dans le Sud de la France : la narratrice (dont on ignore le nom), jeune orpheline docile et effacée issue d'un milieu humble, est demoiselle de compagnie en apprentissage de l'excentrique Mrs Van Hooper. Suivant sa fantasque et insupportable maîtresse au fil des hôtels de luxe qu'écume cette dernière pour remplir son carnet d'adresses, elle n'imaginait pas attirer l'attention du veuf le plus convoité de la noblesse anglaise, le propriétaire de non moins connu domaine de Manderley : Maxim de Winter. Contre toute attente, le solitaire mais charmant gentleman s'attache à la jeune et inexpérimentée jeune femme, et lui demande le mariage. Toute l'histoire tient du conte de fée, mais la fable merveilleuse s'arrête ici. Après leur voyage de noces, Maxim et sa nouvelle Mrs de Winter regagnent le domaine familial, le grand manoir de Manderley. Là, propulsée dans un monde qu'elle ne connait pas, la jeune épouse doit s'adapter aux codes d'une toute autre classe sociale que la sienne... Une entreprise d'autant plus malaisée qu'elle succède à Rebecca, la première épouse défunte dont les murs même du manoir semblent avoir gardé la mémoire. Un foulard abandonné, une robe oubliée dans une penderie, un parfum flottant dans l'air, une lettre de sa main restée inachevée... tout, partout dans cette maison, crie le nom de Rebecca et semble attester de sa présence. Une présence qu'entretient la gouvernante, l'hostile et glaciale Mrs Danvers, qui n'a de cesse de rappeler à la nouvelle Mrs de Winter qu'elle ne fait pas le poids face à sa devancière, et qu'elle n'a pas sa place ici... Angoissée, tétanisée, la pauvre jeune fille se laisse dévorer par l'ombre malfaisante de Rebecca, dont on se demande si elle est vraiment morte... ou dans quelles conditions...


  Associé depuis plusieurs décennies au nom d'Hitchcock, Rebecca n'a pas attendu d'être adapté par le maitre du suspense pour s'enorgueillir d'un intérêt littéraire. Pourtant, les critiques n'ont pas ménagé Daphné du Maurier à la sortie du livre, lui reprochant son retour inutile au genre gothique... mais fort heureusement la critique elle-même se rallia très vite à l'enthousiasme des lecteurs, qui arguaient déjà que Rebecca n'était pas un simple roman de gare. Tous les âges et toutes les générations se sont vite laissés convaincre, conduisant rapidement à une adaptation sur les planches puis à la version cinématographique. Mais pourquoi une telle unanimité? Pourquoi, encore aujourd'hui, une telle renommée?


  Il y a dans le fond et la forme de ce roman une réelle psychologie, tant l'écriture impacte sur notre inconscient. Tout d'abord, loin de la romance à l'eau de rose que laisserait suggérer son titre féminin, Rebecca impose dès sa couverture le nom d'une absente. Une morte. On ne la croise pas, on ne voit même jamais une photographie d'elle, mais elle est pourtant sensiblement présente. Son empreinte est partout et elle semble même transpirer, dégouliner des pages. Sa sensualité de jadis pèse sur l'histoire comme une chape de plomb, un spectre dérangeant et malsain. Face à elle, une héroïne sans nom : jeune, timorée, angoissée, peu sûre d'elle-même, malléable et même manipulable, (fade, peut-être?). Elle en serait presque agaçante, cette fille si complexée. Et pourtant, ce je anxieux, romanesque et fragile qui se projette et se perd dans toutes les conjectures possibles face aux effrayantes issues que lui laisse chaque interaction ou réaction, ce je devient, insidieusement, celui du lecteur. En symbiose avec la narratrice, il devient tout aussi impressionnable et se retrouve lui-même prisonnier des corridors sombres de Manderley, entre les griffes de Mrs Danvers.


 "Si seulement on pouvait inventer quelque chose, dis-je vivement, qui conserve un souvenir dans un flacon, comme un parfum, et qui ne s'évapore, ne s'affadisse jamais. Quand on en aurait envie, on pourrait déboucher le flacon et on revivrait l'instant passé."

  Dès lors, on s'abandonne avec une délectation presque coupable à cette histoire de fantôme où la mémoire conservée d'une défunte en ses murs se fait plus effrayante encore qu'un esprit sortant de la tombe. Cette mémoire, égrainant des indices comme le petit Poucet ses cailloux, nous invite à remonter sa piste sans désir de retour. Et ce même si l'on sait l'issue fatidique.
  Un effet puissant mais tellement inattendu lorsqu'on feuillette les pages : l'écriture parait tellement proprette, tellement soutenue, presque trop sage, qu'on ne s'attend pas à sombrer dans une telle noirceur. A grand coups de phrases exquises, Daphné du Maurier, d'un style toujours impeccable et rutilant, parvient à évoquer les aspirations et les passions les plus noires : derrière son phrasé charmant enflent une sexualité dérangeante, des personnalités provocantes, et un mal insidieux. Tout est à la fois sous-jacent et tellement omniprésent. A l'image de Rebecca elle-même, en fait.


D.du Maurier.

"L'âme adulte peut mentir avec une conscience tranquille et un air joyeux, mais en ce temps-là, une ruse minime écorchait la langue."

  Avec ce chef-d’œuvre incontesté, Daphné du Maurier, femme très ambiguë, a certainement mis beaucoup plus d'elle dans ce livre que dans n'importe quel autre. Elle réutilise à merveille les codes du gothique à la Brontë mais en les agençant différemment, et s'inspire à la fois des intrigues sociales à la Jane Austen, qu'elle cite des ses grandes influences (un aspect que l'on retrouve dans la vide domestique et domaniale mixant les classes sociales, rythmée des inter-relations et sentiments de ses protagonistes). Au croisement de ces inspirations, Daphné du Maurier signe un thriller psychologique qui a marqué son époque et continue de fasciner, sans jamais pâtir ses années : un récit équivoque et entêtant.

Rebecca dans sa version théâtrale, avec M.Rutherford en Mrs Danvers.

" J'aurais pu lutter contre une vivante, non contre une morte"

En bref : Une intrigue profondément psychologique, un conte sombre hérité du gothique mais magnifié par l'écriture toute en ambiguïté d'une grande auteure. Une histoire de fantôme d'un nouveau genre, intemporelle et capiteuse.


Et pour aller plus loin...