mardi 28 octobre 2014

L'indésirable - Sarah Waters

The little stranger, Vigaro Press, 2009 - Editions Denoël, 2010 (traduction par Alain Defossé) - Editions 10/18, 2011.

  Au hasard d'une urgence, Faraday, médecin de campagne, pénètre dans la propriété délabrée qui a jadis hanté ses rêves d'enfant : il y découvre une famille aux abois, loin des fastes de l'avant-guerre. Mrs Ayres, la mère, s'efforce de maintenir les apparences malgré la débâcle pour mieux cacher le chagrin qui la ronge depuis la mort de sa fille aînée. Roderick, le fils, a été grièvement blessé pendant la guerre et tente au prix de sa santé de sauver ce qui peut encore l'être. Caroline, enfin, est une jeune femme étonnante d'indépendance et de force intérieure. Touché par l'isolement qui frappe la famille et le domaine, Faraday passe de plus en plus de temps à Hundreds. Au fil de ses visites, des événements étranges se succèdent : le chien des Ayres, un animal d'ordinaire docile, provoque un grave accident, la chambre de Roderick prend feu en pleine nuit, et bientôt d'étranges graffitis parsèment les murs de la vieille demeure. Se pourrait-il qu'Hundreds Hall abrite quelque autre occupant?

« Il semblerait qu'avec cette romancière particulièrement douée, les derniers vestiges du gothique aient fini par s'écrouler. »
François Rivière, Le Figaro littéraire 


***


  A l'occasion d'Halloween et pour tous ceux qui ont aimé La séance (chroniqué l'an dernier), je vous propose de découvrir cet autre roman écrit à la façon des bonnes vieilles histoires de fantômes à l'anglaise. Sarah Waters, connue et encensée pour ces nombreux ouvrages toujours riches de leur reconstitution historique (on lui doit les célèbres Caresser le velours et Du bout des doigts, tous deux adaptés pour le petit écran), s'essaye donc à un exercice de style intéressant dans la droite lignée d'Henry James et E.A.Poe.

 Couvertures des éditions originales anglaises, grands formats cartonné puis souple, et poche.

  Si L'indésirable provoquera bel et bien vos frayeurs nocturnes (je vous mets au défi de vous relever ne serait-ce que pour aller boire un verre d'eau si jamais il vous avait pris l'envie de le lire en pleine nuit, à la lueur de la lampe de chevet), il est d'un style plus mesuré que La Séance. Moins "pastiche", dirons nous ; en effet, Sarah Waters ne monte pas sa trame autours d'un enchainement de péripéties étranges et manifestations fantastiques, préférant jouer sur la mise en place d'une tension, d'une atmosphère qui se pique peu à peu de détails étranges avant de sombrer lentement dans une angoisse sourde. En cela, il s'agit d'un écrit dans la pure tradition du genre fantastique, à savoir une situation du réel perturbée par des éléments d'ordre métaphysique qui instaurent le doute chez le lecteur.

 Couvertures de l'éditions française québécoise et de l'édition poche hexagonale, chez 10/18.

  Car c'est le maitre mot de cette intrigue : le doute. Sarah Waters fait planer juste ce qu'il convient de bizarrerie pour glacer le lecteur, sans l'encombrer de ressorts scénaristiques à tire larigot ou de clichés inhérents aux histoires de fantômes. Chaque manifestation "paranormale" se déroule comme "hors-champs" de notre lecture, pour être découvert par le narrateur après coups, ou lui être rapporté des témoins directs. Alors, s'agit-il d'actes d'un esprit malin sorti de la tombe, ou de gestes prémédités d'un manipulateur dissimulé en coulisse? A moins, autre explication, que ces étranges phénomènes soient la manifestation d'un inconscient malade? La réponse tient peut-être bien dans l'ultime phrase du roman...

 Les attrayantes couvertures de quelques éditions étrangères : Tchécoslovaquie, Finlande, et Espagne.

  Enfin, ajoutons à cela que l'auteure nous régale d'une reconstitution minutieuse de l'Angleterre d'après-guerre, où les familles issues de la noblesse d'avant croulent sous la décrépitude et les dettes. La question des classes est ainsi présente en filigrane et Sarah Waters met en place un vrai jeu des relations et codes sociaux qui intensifie le réalisme du récit. Un peu comme si Le tour d'écrou se passait dans Downton Abbey!

  En bref : Certes moins palpitant qu'un roman d'horreur écrit selon les codes contemporain, ce beau pavé n'en reste pas moins une excellente histoire de fantôme à l'ancienne qui sait en même temps s'affranchir de ses inspirations. D'une main plume de maître, Sarah Water signe un thriller psycho-métaphysique glaçant tout en atmosphère, une histoire que n'aurait pas reniée Henry James lui-même.



Et pour aller plus loin...


-Si vous avez aimé ce livre :

  -Courrez lire La Séance, de J.Harwood! 

- Et pour en découvrir toujours plus:

 -Le site officiel de l'auteur ICI.
 -Une vidéo agrémentée de magnifiques images, où l'auteure se confie sur ses inspirations et son roman, ICI.
 

8 commentaires:

  1. Ohlala, il a l'air génial ce livre !! J'aime beaucoup ce genre de lecture en automne, je trouve qu'on est encore plus plongé dans l'ambiance. En ce moment dans ma ville il y a un brouillard permanent depuis 2 semaines, et c'est typiquement le genre de livre que j'ai envie de lire dans ces moments là !
    Merci pour tes chroniques toujours aussi bien construites et documentées, depuis que j'ai découvert ton blog tu es à l'origine de beaucoup de mes achats livresques ;)

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    1. Ah, le brouillard! L'ambiance idéale pour ce genre de lecture, je suis d'accord avec toi! Je suis très touché de ton commentaire, et très heureux de savoir que je réussis à partager mon sentiment positif sur un livre au point de donner l'envie de le faire découvrir! =D
      Bises cucurbitacées ;)

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  2. Ok!!! si tu valides en te référant à La séance, je suis obligée d'aller voir!

    Quand j'ai vu en librairie Lili Goth de Chris Riddell, que tu indiques en en-cours, j'ai immédiatement pensé à toi! Voilà un beau petit livre qu'on prend plaisir à toucher, qui n'aurait pas beaucoup d'intérêt via une liseuse.

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    1. C'est un très bon roman, moins de péripéties et de rebondissements que dans La séance, mais une ambiance vraiment terrifiante et bizarroïde tout de même!

      Ah, Lili Goth! Dois-je en déduire que tu l'as acheté? Est-ce que, toi aussi, tu n'as pas su résister à ce petit bijoux? =D

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  3. J'adore Sarah Waters! c'est probablement mon auteur favorite! Je l'ai découverte avec "Du bout des doigts" (je ne sais pas si tu l'as lu? Sinon, il faut absolument que tu répares cet impair hein ^^. Ce roman est un pur chef d'oeuvre!), et depuis, j'ai lu toute sa bibliographie (sauf "Ronde de nuit" histoire d'en garder un sous la main :D). Elle a un style incroyable, l'art de créer des atmosphères fantastiques et de construire des intrigues tortueuses à souhait (et de manipuler son lecteur d'une main de maître)! Je partage de bout en bout ton avis sur "L'indésirable" ;) qui n'est pas le roman de l'auteure que je préfère mais que j'avais tout de même beaucoup apprécié. Et j'ai récemment vu que les éditions Alto avaient annoncé la parution de son prochain roman fin 2015, j'ai hâte !

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    1. Honte à moi, je n'ai jamais lu ses autres oeuvres! Mais je sais en effet qu'elle est connue et reconnue comme grande auteure contemporaine, et je ne doute pas de la qualité de ses autres romans! Tu as donc lu "Affinité"? Il me tente énormément!

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    2. Affirmatif ;) et bien que n'égalant pas à mes yeux "Du bout des doigts", j'ai trouvé que c'était plutôt un bon Sarah Waters. Comme dans tous ses romans où l'action se déroule à cette époque, l'auteure nous offre une immersion saisissante dans l'Angleterre Victorienne (et en l'occurrence, dans le milieu carcéral), et exploite à merveille le thème du spiritisme (comme tu le sais, très en vogue à l'époque :). L'intrigue m'a moins impressionnée que celle de "Du bout des doigts" et l'orchestration du dénouement manquait un peu d'éclat selon moi, mais ça reste quand même très bon, ne serait-ce qu'en raison de l'immersion parfaite et de l'atmosphère si particulière et si prenante que parvient (comme à chaque fois) à instaurer l'auteure! Bref, toi qui semble particulièrement aimer ce genre d'ambiance, je suis sûre que tu vas adorer découvrir l'Angleterre du XIXème siècle à travers la plume de Sarah Waters!

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  4. Mais tu as encore déniché un véritable petit trésor ! C'est le genre d'histoires que j'aime et que je recherche alors je note bien volontiers. Merci. :) C'est dommage que la couverture n'ait pas été conservée pour le poche. Elle me plaisait bien.

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