mardi 9 octobre 2018

L'étrange vie de Nobody Owens - Neil Gaiman, illustrations de Dave McKean.

The Graveyard Book, Harper Collins, 2008 - Editions Albin Michel, collection Wiz (trad. de V. Le Plouhinec), 2009 - J'ai lu, 2012.



  Nobody Owens est un petit garçon parfaitement normal. Ou plutôt, il serait parfaitement normal s'il n'avait pas grandi dans un cimetière, élevé par un couple de fantômes, protégé par Silas, un être étrange ni vivant ni mort, et ami intime d'une sorcière brulée vive autrefois. Mais quelqu'un va attirer Nobody au-delà de l'enceinte protectrice du cimetière : le meurtrier qui cherche à l'éliminer depuis qu'il est bébé. Si tu savais, Nobody, comme le monde des vivants est dangereux...


***


  On ne présente plus Neil Gaiman, talentueux conteur primé à de multiples reprises pour des ouvrages tels que Coraline ou encore American Gods, deux exemples parmi tant d'autres d'une bibliographie riche et diversifiée. Avec L'étrange vie de Nobody Owens, il s'essaye à la réécriture en calquant son intrigue sur celle du Livre de la Jungle de Kipling, qu'il revisite ici à la sauce Gothicopoétique. Si le principe de la réécriture est souvent on ne peut plus audacieux sur le papier, rares sont les auteurs qui parviennent à égaler en qualité et à faire exister leur ouvrage pour lui-même et autrement que simple simulacre vaguement réinventé. Voyons donc ce qu'il en est de Neil Gaiman et de son Nobody...



  La nuit, aux abords d'un cimetière. Le Jack est entré dans la maison. Le Jack a tué toute la famille. Toute? Non, le petit dernier, le bébé du dix-huit mois s'est échappé de son berceau et s'est faufilé dehors. Le Jack enrage mais ne parvient pas à mettre la main sur le survivant, il est donc obligé de partir avant de se faire repérer. Le petits garçon, lui, a poursuivi son chemin à quatre pattes jusqu'aux grilles du cimetière où un couple se propose de l'héberger, voire de l'adopter. Une petite subtilité, cependant : Mr et Mrs Owens sont tous les deux ce qu'il y a de plus morts. Couple de fantômes vivant parmi leurs congénères spectres, ils mettent cette décision au vote et obtienne... le droit de garde! Baptisé Nobody (personne), le petit garçon grandit, élevé par cet entourage de revenants et guidé par le parrain qu'il lui ont choisi : Silas, un occupant du cimetière ni mort ni vivant qui a cette particularité de pouvoir en quitter l'enceinte pour voyager au dehors. Le petit Nobody apprend beaucoup d'eux mais en tant qu'humain, la tentation du dehors est forte... et lorsqu'il franchit un jour les grilles de la terre consacrée, Le Jack sent sa présence et se met en quête du garçon, bien décidé à achever la tâche commencée bien des années plus tôt.



  Il ne fait aucun doute que Neil Gaiman vient confirmer avec L'étrange histoire de Nobody Owens un talent de conteur hors pair : en débit d'une fin peu-être trop lapidaire, l'intégralité de son histoire se distille sur un rythme propice à la raconter au coin du feu, baignée qu'elle est dans cette ambiance de poésie et de mélancolie doucement macabre. S'il y a bien des rebondissements, si la tension peut s'accroître, L'étrange histoire de Nobody Owens reste un roman d'atmosphère qui se savoure.

Les illustrations en clair-obscur de Dave McKean, parfaites pour mettre en images l'univers de Gaiman.

  Nombreux sont ceux qui penseront à l'univers de Tim Burton, et il est vrai que le schéma que dessine l'auteur entre monde des vivants et monde des morts (au beau milieu desquels se retrouve le petit Nobody) évoque beaucoup Les Noces Funèbres. Loin des représentations classiques et horrifiques des morts vivants et autres esprits sortis de terre, les fantômes de Gaiman suscite plus l'approbation du lecteur que les êtres humains. Résidant au cimetière tels une communauté, les spectres qui entourent et élèvent Nobody témoignent de plus de sollicitude, empathie et sagesse que les vivants.


  Si le roman dans son entier raconte une histoire avec un début, un milieu, et une fin, chaque chapitre peut aussi être considéré comme un conte indépendant, une sous-intrigue distincte : Nobody en ballade dans une partie inconnue du cimetière rencontre ses occupants, doit s'en défendre ou les aider, en tire une leçon, etc... Ces intrigues secondaires apportent beaucoup au rayonnement du roman en tant que récit d'apprentissage, faisant ainsi écho au Livre de la Jungle, mais dans un univers totalement nouveau, beau, brumeux et autrement plus lyrique.



En bref : Un classique de la littérature jeunesse contemporaine qui a mérité ses nombreux prix. En suivant la trame du Livre de la Jungle qu'il transpose dans un cimetière anglais, Gaiman explore le concept de la réécriture jusque dans ses plus lointains extrêmes : conservant une trame similaire et un message en résonance sur l'âme humaine, il parvient à recréer aussi tout un univers avec ses propres codes et sa propre originalité. Gothique doux-amer et fantômes pleins de sagesse sont les principaux éléments de ce très beau conte moderne. 

12 commentaires:

  1. Il est en final pour le prix alternatif du prix nobel 2018...je le connaissais avec American Gods...quelle claque !...alors bien tentee pour ce roman jeunesse...;)

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    1. Ah, 2018? C'est étrange pour un livre qui n'est pas une nouveauté, non?

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    2. euh..c'est un succedane pour le prix nobel..donc ensemble de son oeuvre...;)....le prix a toujours felicite l'auteur pas un livre...;)

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  2. Je note pour l'année prochaine. Pour ce mois-ci, ça va être un peu juste.
    Cette histoire colle bien à notre semaine cimetière !
    Syl.

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    1. Oui, surtout que c'est un roman qu'il faut prendre le temps de lire pour le savourer, donc ce serait dommage de le lire en accéléré ou en diagonale juste pour le caser dans le challenge de cette année 😉

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  3. C'est avec ce livre que je suis tombée amoureuse de Gaiman ! :-) D'ailleurs, le 2e prénom de notre fils est Neil... ce n'est pas pour rien :-) Encore une fois, c'est un plaisir de te lire !

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    1. Oh, c'est chou, et c'est plutôt honorifique d'avoir parmi ses prénoms celui d'un auteur aussi talentueux!
      Merci Fondant, le plaisir est toujours réciproque 😉

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  4. J'en garde un excellent souvenir et tu me donnes envie de le relire.

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    1. Oh tu l'as lu? L'as-tu chroniqué ? Il est quelque part dans les archives du blog? :D

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  5. J'en garde un souvenir vague maintenant mais je l'avais beaucoup apprécié au moment de ma lecture, et les illustrations de Chris Riddell y étaient pour beaucoup.

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    1. Je réalise que je n'ai pas parlé des illustrations, mais aussi parce que mon exemplaire n'est pas mis en images par Chris Riddell. Je crois que les éditions françaises ont conservé les dessins de la première édition anglaise, tandis que c'est une réédition qui a été illustrée en VO par Riddell... Ton livre était-il en anglais?

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  6. Je voulais justement le lire, merci du rappel !

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