jeudi 16 mai 2019

Picnic at Hanging Rock - mini-série de Michael Rymer d'après le roman de Joan Lindsay.

Picnic at Hanging Rock

Une mini-série de Alice Addison d'après Pique-nique à Hanging Rock, de J.Lindsay.

Avec : Natalie Dormer, Lily Sullivan, Lola Bessis, Samara Weaving, Madeleine Madden, Inez Curo, Ruby Rees, Yael Stone...

Première diffusion originale : Printemps 2018 sur Showcase et Amazon Prime
Première diffusion française : Eté 2018 sur Canal+

Sortie dvd française : 20 mars 2019.


  Australie, 1900. L'établissement privé Appleyard est un pensionnat où l'on apprend les bonnes manières aux jeunes filles. Lors d'un pique-nique organisé par l'institut à l'occasion de la Saint-Valentin, trois élèves ainsi que l'une de leurs professeures se volatilisent à proximité d'une vertigineux rocher, où le temps semble s'arrêter. Enlèvement ? Fugue ? Chute mortelle ? Alors que les recherches commencent, et que l'on en apprend davantage sur les pensionnaires et leur directrice, le mystère semble s'épaissir... 

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  L'été dernier, nous vous avons parlé d'un de nos grands coups de cœur de lecture : Pique-nique à Hanging Rock de Joan Lindsay. Grand classique de la littérature australienne écrit en 1967, ce roman inclassable qui semble emprunter à plusieurs genres plonge le lecteur dans le plus insondable des mystères. Somptueusement adapté en 1975 par le cinéaste Peter Weir et source d'inspiration majeure de l’œuvre de Sophia Coppola (Virgin Suicide en tête), Pique-nique à Hanging Rock nous raconte la disparition de trois collégiennes et d'une professeure en 1900, au cours d'un pique-nique organisé sur un gigantesque et étrange promontoire rocheux anciennement lieu de cultes aborigène. Robes de mousseline blanche vaporeuses, narration nébuleuse, relents d'ésotérisme, nature sauvage d'un côté et convenances corsetées de l'autre... Un roman au final énigmatique qui a fait couler beaucoup d'encre, interroge encore aujourd'hui, et laisse le lecteur dans une sorte de torpeur longtemps après avoir refermé le livre...



  Il est bien connu que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, et le succès des adaptations ou des réalisations d'aujourd'hui tient quand même beaucoup, il faut l'admettre, à une certaine forme de nostalgie. L'aura toujours présente de ce roman en faisait une base très prometteuse pour une nouvelle transposition près de 40 ans après le film de Peter Weir, et quoi de mieux que le petit écran pour la concrétiser? Les séries bénéficient en effet désormais de moyens qui égalent le cinéma, et offrent un résultat qui le surpasse souvent ; les showrunners ne s'y sont pas trompés en passant par ce format pour adapter avec une plus grande fidélité des romans fleuves ou de grandes sagas littéraires.

Natalie Dormer interprète la rigide et glaciale Mrs Appleyard.

  Mais voilà, Pique-nique à Hanging Rock n'est pas une saga, et le roman est relativement court. Comment justifier, dès lors, une mini-série en six épisodes quand l'intégralité de la trame pourrait être transposée à l'écran en deux heures? La volonté du scénario (écrit à quatre mains par Alice Addison et Beatrix Christian) devient vite très claire : face aux nombreuses interrogations soulevées par le roman, l'adaptation utilisera les six heures de la série pour explorer un peu plus toutes les pistes de l'histoire. L'idée est intéressante et le scénario, passé le premier épisode qui s'achève sur la disparition des jeunes filles, se poursuit sur plusieurs axes narratifs continus : les suites du drame et l'enquête d'un côté, et de l'autre, s'ouvrant comme en arborescence, des flash-back imbriqués les uns dans les autres qui permettent, petit à petit, de reconstituer les origines sociales des disparues, la nature de leurs relations, et les circonstances de leur disparition.


  Cette construction du scénario donne le tournis, ce qui a rebuté certains critiques et téléspectateurs comme elle en a séduit d'autres, d'où des avis très mitigés. Les pièces de puzzle sont nombreuses et pour autant, leur assemblage ne mène pas plus que le roman à une vraie résolution du mystère. Cependant, pour peu que l'on soit attentif pendant visionnage de la série et aux nombreux symboles disséminés dans la mise en scène ou les dialogues, et qu'on les recoupe avec les éléments brodés par la scénariste à partir de l'intrigue de Joan Lindsay, on aboutit à un éclairage loin d'être inintéressant ( et ce même s'il parlera davantage aux lecteurs du roman qu'aux néophytes, qui risquent d'être complètement largués...). Dans la continuité de l'opposition entre une Mère Nature indomptable d'un côté et une société corsetée de l'autre, la série suggère plus que jamais le besoin de liberté des jeunes filles, prisonnières d'un monde aux règles qui ne leur conviennent pas. Toutes se savent, dès l'adolescence, contraintes à un avenir ou une condition qui va les assujettir (Elles devront se marier si elles veulent une situation, accepter d'être "domptées" pour survivre, ou cacher leurs vraie nature si elle n'est pas considérée comme "respectable"). Si leurs aspirations paraissent bien modernes (trop?) pour l'époque, elles suggèrent une nouvelle lecture féministe du roman, plus que jamais d'actualité.
  Cette volonté de creuser dans la série les thèmes devinés à la lecture du livre va parfois un peu trop loin, et on perd alors en délicieux mystère suggestif ce que l'adaptation choisit d'aborder de manière trop franche. La sensualité latente des personnages, par exemple effleurée dans le roman, est mise en exergue à l'écran, tant et si bien qu'on se demande si l'on est pas passé à côté de quelque chose pendant la lecture, ou si les scénariste n'extrapolent pas carrément là où ça n'était pas nécessaire.


  Dans ce désir d'approfondir le passé et les secrets de chaque personnage, l'axe narratif le plus délicat est peut-être celui qui vient raconter les origines mystérieuses de la directrice, Mrs Appleyard, interprétée par l'excellente et glaciale Natalie Dormer. Dans le roman, on ne sait rien de cette Anglaise dont la seule apparence suffit à inspirer la rigueur et l'honorabilité de son collège, bien que l'auteure insiste sur l'importance de cette allure qui pourrait tout à fait être trompeuse. Il aurait été dommage de passer à côté d'un tel potentiel, aussi le scénario de la série rebondit sur cette petite suggestion pour imaginer un passé de mystificatrice à Mrs Appleyard. Une idée excellente par certains côtés (elle permet de psychologiser sa relation ambiguë avec la petite Sara, par exemple : en leur offrant des origines sociales similaires, le scénario vient expliquer les sentiments d'attraction et de répulsion entremêlés que la directrice exprime à l'égard de l'orpheline) mais qui fait s'engluer l'intrigue par d'autres (la crainte d'imaginer son ancien époux à ses trousses, et qu'elle soupçonne d'être responsable de la disparition des jeunes filles : probablement l'ajout de trop, car il insinue de façon trop importante la possibilité d'une résolution de l'intrigue aux spectateurs qui ne connaissent pas l'issue du roman).


  Côté visuel, la série fait fort : les costumes et les décors sont somptueux, ne nous le cachons pas. Là encore, tout joue sur les contrastes et on distingue très vite la confrontation de deux univers : les grands espaces extérieurs indomptés (magnifiques et impressionnants paysages du bush australien, parfois proches de la jungle), et les intérieurs capiteux, étouffants, et opulents du collège Appleyard. Idem pour les vêtements, dont la blancheur virginale et légère des jeunes filles s'oppose aux robes criardes (mais non moins sublimes) et à l'élégance rigide de la directrice. 



  La mise en scène de Michael Rymer et la photographie de Garry Phillips s'inspirent en partie de celles du film de Peter Weir : entre images symboliques, flous artistiques et vertiges grisants. Certaines scènes à l'esthétique éthérée ou à la construction quasi-surnaturelle nous évoquent un univers surréaliste à la Lewis Carroll qui fait son petit effet et s'accorde à merveille à l'intrigue. L'une des approches les plus intéressantes est le montage enchevêtré des scènes se déroulant pendant l’ascension du rocher : par les jeunes filles au début, par Michael lorsqu'il les recherche, puis par Mrs Appleyard à la fin du dernier épisode. Attention, spoiler : conformément à l'éventualité d'un magnétisme quelconque ou d'une faille temporelle, on a à chaque fois le sentiment que ces différents temps s'imbriquent les uns dans les autres, comme si la chronologie sur Hanging Rock n'était pas linéaire, mais circulaire ; les scènes tournent sur elles-mêmes et se répondent en écho dans un assemblage impeccable qui atteint son paroxysme avec la scène finale et les dernières secondes, très bien filmées, hypnotiques.



  Cette atmosphère de rêve éveillé, tantôt lumineux et tantôt sombre, est merveilleusement mise en relief par la musique aérienne et tintinnabulante composée tout spécialement  par Cezary et Jan Skubiszewski. Elle a par ailleurs été récompensée du Screen Music Awards de la meilleure bande originale de série télévisée en 2018.


En bref : Une adaptation ambitieuse du roman de Joan Lindsay qui se propose d'enrichir la trame originale d'éléments supplémentaires concernant les protagonistes. Si le scénario déborde parfois un peu trop à vouloir trop surbroder l’œuvre originale, il offre néanmoins un regard très pertinent sur les destins de ses héroïnes. L'esthétique est travaillée et hypnotique à souhait, et le montage à la fois audacieux et énigmatique, voire parfois éthylique, de certaines scènes remplit son office auprès des téléspectateurs. Cette série est cependant à déconseiller à ceux qui n'ont pas lu le roman d'origine où qui n'y sont pas sensibilisés, et il faut être particulièrement attentif pendant le visionnage pour apprécier totalement ce que cette série a de mieux à offrir malgré la critique mitigée qui en a été faite. Cela reste, à mes yeux, une transposition très intéressante du livre de Joan Lindsay et je la recommande vivement!


Pour aller plus loin...



- Lisez le livre de Joan Lindsay ICI.


- Cuisinez les recettes inspirées du pique-nique à Hanging Rock ICI.


- La bande-originale de la série, primée, à écouter sur youtube ICI.

 

4 commentaires:

  1. Tu me rappelles qu'il faut absolument que je découvre le roman !! :-) merci Pedro

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    1. Oui, il faut! C'est un classique trop méconnu en France!

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  2. Sorti du visuel et de l'ambiance je n'ai pas trop accroché, et la fin m'a trop frustrée

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    1. Connaissais-tu le livre? La fin est frustrante par nature... ou pas. L'auteure a écrit un ultime chapitre où la solution est donnée, mais l'éditrice l'avait supprimé sous prétexte qu'une issue aussi peu rationnelle était trop "franche" là où laisser planer le doute offrait une vraie occasion d'en faire un best-seller. Elle a eu raison : à chacun de se faire sa propre opinion sur la nature de la "disparition", même si l'atmosphère de l'histoire donne des indications. C'est là où la série et le roman perdent leur public s'il n'est pas sensibilisé à la culture australienne ou au contexte d'écriture du livre, car on se concentre alors sur la résolution de l'histoire alors que l'intérêt se situe dans son déroulement et l'effet de crise produit, ses conséquences irréparables, etc. :)

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