lundi 24 février 2020

Looking back - Tecia Werbowski.

Éditions Noir sur Blanc, collection Notabilia (trad. de M.Carlier), 2018.

  Tecia Werbowski aime les voyages en train. Elle a un don pour les rencontres insolites et prête volontiers l’oreille aux confidences des voyageurs anonymes. Un jour, alors qu’elle est dans un train pour Cracovie, un mystérieux inconnu entre dans son compartiment. L’homme, qui vient de revoir son grand amour perdu, lui confie le drame de sa vie. Dans les années soixante, alors follement épris d’une jeune femme, il avait inexplicablement fui juste avant leur mariage. Tecia l’ignore encore, mais cet homme, Janusz Nowicki, va durablement marquer son existence.

  Bien plus tard, quand le temps de la jeunesse est révolu et après un séjour à Prague, ville insaisissable où la mélancolie dicte les pas, Tecia décide de retrouver son mystérieux compagnon de voyage. Elle y parvient, contre toute attente, et découvre alors la face cachée du récit de Janusz.
  D’une plume délicate, Tecia Werbowski sonde, à travers l’amitié profonde de deux êtres au destin brisé, les mystères de l’âme humaine et les séquelles des violences qui ont marqué l’Europe centrale. Ce récit dense et épuré, avec la ville de Prague en toile de fond, s’empare du lecteur dès les premières lignes.

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  Il y a des livres qui vous attirent sans qu'on sache pourquoi : la couverture de celui-là a joué pour beaucoup dans l'acquisition (penchez-vous sur les autres de la même collection si vous en avez l'occasion : les couleurs et le graphismes pourtant très simples sont toujours très tentants). Le format à la fois sobre et attrayant de ce petit éditeur, aussi, sans oublier le résumé. Un ensemble d'éléments très prometteurs malgré la brièveté du texte, nouvelle qui nous est présentée au début de l'ouvrage comme un "roman miniature" dans la pure tradition des écrits de cette auteure polonaise, Tecia Werbowski : "des hors-d’œuvre après lequel on ne commande pas le plat principal tellement on est déjà comblé". Un avant-goût de voyage et de mystère propre à l'Europe de l'Est complétait l'alléchant tableau.

Tecia Werbowski

"J'espère que les événements évoqués ici vous apparaîtront comme dans un film, avec en toile de fond la splendide ville de Prague. Quant à mes personnages, je me demande s'ils méritent votre mépris ou votre compassion. Probablement ni l'un ni l'autre. Mais c'est au lecteur d'en juger."

  Le texte, même court, remplit son office : son format se prête à merveille à cette anecdote vécue par Tecia Werbowski elle-même et racontée à la première personne. Elle entame son récit par une brève historiette qui retarde le début de l'intrigue principale et qui peut décontenancer le lecteur de prime abord mais qui sert à justifier son propos. Cette mise en bouche sur les aspects cosmopolites du train, fenêtre l'espace de quelques instants sur la vie intime des passagers qu'on y côtoie, sert d'introduction au noyau dur du livre. Un événement qui, partant d'un voyage en train, a touché la narratrice bien au-delà du trajet.

"La vie est comme un train qui roule depuis la station de notre naissance jusqu'au terminus où notre vie prend fin. De temps à autre, il s'arrête dans des endroits agités, troubles, voire dangereux, et nous nous demandons s'il faut continuer le voyage. Mais pour aller où et avec qui?"

  Une rencontre banale dans un compartiment à la fin des années soixante débouche sur une étrange confession de la part d'un compagnon de voyage : une histoire d'amour avortée par les choix inexpliqués de son narrateur lors de sa prime jeunesse puis de nouveau une fuite lorsque la possibilité de renouer s'est présentée. La narratrice poursuit sa propre vie avec, dans un coin de sa tête, ce dépôt de souvenirs aux éléments légèrement disparates. Ce n'est que plusieurs décennies plus tard que cette anecdote lui revient : qu'est devenu ce compagnon de voyage? Pourquoi s'était-il montré si lâche? Tecia se met à sa recherche pour obtenir des réponses.

Prague dans les années soixante...


"La ville paraissait grise et morose, certes, mais c'était la grisaille du passé, la patine de toutes les époques anciennes qui semblaient toujours présentes, là, au vingtième siècle. Une grisaille enveloppante, intime. Je m'enfonçais dans un doux silence ouateux. J'avais l'impression que sous la lumière tamisée des réverbères les gouttes de pluie se transformaient en diamants, puis tombaient sans bruit sur le trottoir. Richement ornées de statues, de balcons biscornus, de décorations finement ciselées, les maisons m'invitaient à boire de la bière. Ma tête tournait. Les gouttelettes de pluie s'étaient mises à danser."

  En une soixantaine de pages qui semble beaucoup plus au regard de tout ce qu'elle évoque, T.Werbowski nous raconte la vie comme un romanesque voyage en train : d'une station à l'autre, d'une bifurcation à l'autre, les wagons ballotés par les affres de l'existence et de l'histoire. Entre Prague et Montréal (mais avec une préférence pour le décor de sombre poésie de la première), la narratrice apprend à aller creuser l'arrière-scène d'un événement intime dont la résolution pourtant véridique semble aller toucher quelque chose de la tragédie antique.

"Prague m'évoquait tantôt une sirène, tantôt une sorcière."


En bref : Looking back est un texte court mais puissant dans sa construction comme dans son pouvoir d'évocation. Ce récit qui relate avec style et force une anecdote issue de la vie de l'auteure est une réelle invitation à découvrir les autres ouvrages de Tecia Werbowski.

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