La vie des sœurs Brontë
(To walk invisible)
Un téléfilm de Sally Wainwright, d'après la vie des sœurs Brontë
Avec : Finn Atkins, Rebecca Callard, Charlie Murphy, Adam Nagaitis, Chloe Pirrie, Jonathan Price...
Première diffusion britannique : 29 décembre 2016 (BBC)
Sortie dvd française : 1er août 2017 (Universal)
L’histoire de la
famille Brontë, dans les années 1840 à Haworth (West Yorkshire).
Charlotte, Emily et Anne Brontë font face à quotidien sombre et
compliqué avec un père presque aveugle et un frère, Branwell, en pleine
dépression sombrant dans l’alcool et la toxicomanie. Charlotte voit
alors l’écriture comme une porte de sortie qui pourrait radicalement
changer leur destin… L’histoire vraie et extraordinaire des sœurs
Brontë, à l’origine d’œuvres littéraires historiques et d’une bataille
menée pour la reconnaissance.
***
La vie des sœurs Brontë est peut-être bien aussi romanesque que leurs romans. Comment expliquer, sinon, l'attrait du grand et du petit écran pour leur incroyable parcours ? En 1946, déjà, les Américains adaptaient leur vie à l'écran avec le film Devotion (La vie passionnée des sœurs Brontë), critiquable par bien des points mais qui avait le mérite d'exister à une époque où les biopics de romancières étaient loin d'être monnaie courante. Le grand écran ne reverrait pas les trois femmes de lettres avant Les sœurs Brontë en 1979, film anglophile du pourtant très français André Téchiné, resté une référence du genre, tandis que la télévision britannique avait diffusé six ans plus tôt la mini-série The Brontës of Haworth (restée par ailleurs inédite en France à ce jour). Avec l'année 2016 et le bicentenaire de la naissance de Charlotte Brontë, la BBC programmait pour les fêtes de fin d'année ce nouveau biopic dont la qualité égale par bien des points une production cinématographique...
Trailer du film en VO.
Écrit et mis en scène par Sally Wainwright (productrice, scénariste et réalisatrice à qui l'on doit les fictions télévisées Happy Valley, Last tango in Halifax et la remarquée série Gentleman Jack), La vie des sœurs Brontë est une brillante fresque intime et historique de deux heures. Oubliez le titre horriblement scolaire et fade de la version française et préférez lui le titre en version originale : To walk invisible, en référence à une célèbre phrase prononcée par Charlotte lorsqu'elle expliquait qu'il leur fallait "avancer invisibles", compte tenu du scandale que représentait une femme ambitionnant d'écrire à l'époque victorienne.
Loin des clichés et des mythes autours de la fratrie Brontë, To walk invisible s'attache à raconter l'intimité des sœurs et le caractère secret de leur entreprise. Par alternance de scènes et par effets de contraste, le scénario met rapidement en évidence la place laissée par le pater familias à leur frère, Branwell ; ce dernier, en tant qu'unique garçon de la fratrie, est destiné à devenir le chef de famille même s'il s'avère que sa fragilité, sa dépendance à l'alcool et ses nombreuses frasques l'en rendent incapable. Parallèlement, on assiste à la naissance d'un projet secret à l'arrière scène du presbytère familial. Tandis que Branwell hurle, harcèle leur père, ou cuve son vin, les sœurs, dans le froissement des robes ou à la lueur des bougies, ourdissent leurs plans d'écriture et de publication. Si cela ne se fait pas sans accroc (on sait qu'Emily, qui écrivait pour son propre plaisir, était moins encline à diffuser ses productions), ces scènes de conciliabules derrière les portes verrouillées ou dans l'arrière-cuisine mettent en exergue les mécanismes à l’œuvre derrière les murs gris du presbytère de Haworth et les dynamiques familiales secrètes.
Cette version est par ailleurs la première à montrer l'enfance des Brontë, pourtant une évidence quand on sait l'influence majeure des écrits de jeunesse (les Juvenilia) inspirés de leurs jeux de rôles. Bien plus qu'un passe-temps immature, rappelons que ces aventures fantasmées ont donné naissance à des milliers de pages couverture d'écritures minuscules, soit plusieurs sagas sous forme de feuilletons rédigés pour leur seul plaisir. Si la mise en scène de ces flashbacks est malheureusement quelque peu cheap (à l'inverse de la qualité photographique du reste du téléfilm), leur construction est pertinemment pensée puisqu'ils viennent s'intercaler dans l'histoire pour suivre la rupture des sœurs avec Branwell, la séparation de la fratrie dans les écrits de jeunesse annonçant le rejet puis la mort du frère ainé. L'autre intérêt de cette adaptation est de ne pas oublier Anne Brontë, la cadette qu'on imagine souvent effacée derrière les charismatiques Charlotte et Emily. Sally Wainwright la raconte dans toute sa discrétion sans omettre de lui donner un rôle majeur dans l'action : entre une Emily impétueuse et une Charlotte qui joue les meneuses, Anne tempère et se démarque par sa réflexion.
S'il fallait trouver des défauts à ce film, on pourrait reprocher à Sally Wainwright de ne pas mettre en scène le voyage à Bruxelle, pourtant décisif. Évoqué à quelques reprises par les sœurs, son impact sur l’œuvre de Charlotte est comprise du spectateur mais on réalise par les sous-entendus et les allusions que ce film fera dès lors davantage échos à ceux qui connaissent bien la vie des Brontë plutôt qu'aux néophytes. Un autre détail qui gâche quelque peu cette réalisation : le final, qui saute sans transition du décès de Branwell au presbytère devenu musée, où les visiteurs se pressent autour des statues des Brontë et dans les allées de la boutique. Cette chute brusque dans notre réalité, paradoxalement, casse toute l'intensité dramatique du film en lorgnant du côté du docufiction.
C'est d'autant plus dommage que tout le reste de ce biopic est vibrant d'émotion et de réalisme, en grande partie grâce au jeu des acteurs. On ignore s'ils ont été choisis pour leur talent seul, pour une éventuelle ressemblance avec les Brontë, ou pour les deux, mais fort est de constater que prestation et allure sont au rendez-vous. Charlie Murphy ressemble à s'y méprendre à certaines représentations d'Anne par Branwell ou Charlotte et Chloe Pirrie, si elle peut surprendre de prime abord dans le rôle d'Emily, lui redonne un charisme tangible loin de la créature sauvage et échevelée de certaines évocations par trop romanesques de la romancière des Hauts de Hurlevent. Adam Nagaitis incarne un Branwell plus vrai que nature et Finn Atkins donne corps à Charlotte dans toute sa complexité ; la scène ou cette dernière défend son honneur de romancière auprès du libraire n'est d'ailleurs pas sans évoquer la fougue de Jane Eyre face à Rochester dans son célèbre monologue.
Impossible, enfin, de ne pas évoquer la qualité de la reconstitution historique. L'équipe a été jusqu'à reconstruire le presbytère de Haworth tel qu'il était à l'époque, bordé de l'église et du vaste cimetière, pour les besoins du film. La véritable rue principale du village a été quant à elle renvoyée à l'état dans lequel elle était il y a deux ans de cela, offrant au téléspectateur certaines des scènes les plus léchées de ce biopic, au gré des allers et venues de Charlotte lorsqu'elle quitte ou revient à Haworth. Les costumes forcent également l'admiration par leur qualité et le soucis du détail, certains motifs étant directement inspirés des renseignements glanés dans la correspondance des Brontë. L'ensemble est servi par une photographie qui met en valeur l'esthétique du film et la superbe campagne du Yorkshire, propice à l'évasion.
En bref : S'il présente quelques menus défauts qui viennent rappeler sa dimension télévisée, To walk invisible n'est pas loin d'approcher une qualité cinématographique. Par sa mise en scène travaillée, sa reconstitution minutieuse et ses visuels fignolés, ce biopic fait honneur à la BBC, coutumière de productions de belle facture. D'un point de vue historique, enfin, Sally Wainwright dresse un portrait particulièrement réaliste des Brontë, donnant à voir les dynamiques à l’œuvre au sein de la famille et nous faisant côtoyer leur intimité tout en leur redonnant une dimension tangible loin de l'image d’Épinal.
Et pour aller plus loin...
- Plongez dans l'univers des Brontë avec ce livre sans précédent, Quel Brontë êtes-vous? de Anna Feissel-Leibovici, à la fois fiction, témoignage, biographie et essai.
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