lundi 18 janvier 2021

Invisibles visiteurs - anthologie (textes de Poe, Maupassant & James).

Baker Street, 2020 (avec  des textes critiques de C.Baudelaire, N.Benhamou, J.Pavans et H.James, traductions d'E.Hennequin & J.Pavans, illustrations de Pancho & W.J.Damazy.

    Dans le très inquiétant Tour d'écrou, une gouvernante anglaise croit voir des figures sinistres surgir de nulle part pour menacer les enfants dont elle est chargée : réalité ou illusion? James laisse planer l'ambiguïté tout au long de l’œuvre, et le suspense monte jusqu'à la chute, aussi soudaine que terrible. 
    Dans le Horla, Maupassant relate les terreurs d'un homme qui croit déceler une présence à ses côtés : elle s'infiltre dans la maison, déplace les meubles, laisse des signes de son passage, mais reste toujours insaisissable. Réel? Imaginaire? Est-il en train de devenir fou, ou un danger imminent le menace-t-il vraiment?
    Et dans le texte de Poe, L'homme sans souffle, un homme se trouve étrangement dépossédé de son souffle et s'engage pour le retrouver dans un périple mouvementé, au cours duquel il connait la mort, l'enterrement, la résurection et croise divers malfaiteurs, le tout dans l'espace d'une trentaine de pages...

    Histoire de fantômes? Histoires de fous? Sont réunies pour la première fois dans ce volume trois fictions fantastiques de trois grands écrivains, dont deux sont mieux connus pour leurs œuvres dans des genres plus réalistes. Et pourtant ce sont parmi leurs récits les plus populaires, toujours lus un siècle plus tard, et maintes fois adaptés à la scène et au cinéma depuis.

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    Que peut-il bien y avoir de plus excitant, au cœur de l'hiver, que de s'effrayer avec quelques histoires de fantômes ? Aussi propices à Noël qu'elles ne le sont à Halloween, les légendes de revenants et autres historiettes horrifiques se racontent à voix basse tandis que tout le monde se pelotonne au coin du feu. Une scène tirée d'une image d’Épinal? Peut-être bien. Mais c'est aussi sur cette scène que s'ouvre Le tour d'écrou, célèbre court roman d'Henry James, histoire dans l'histoire racontée à un auditoire fasciné, sagement installé devant la cheminée. Mais comment un auteur réaliste comme Henry James a-t-il accouché de l'histoire de fantômes la plus célèbre au monde, encore aujourd'hui? Non contente de rééditer ce texte sublime sous une toute nouvelle traduction, les éditions Baker Street répondent à cette question en insérant le texte de James au milieu d'autres récits et nouvelles, articles et commentaires, qui recontextualisent l'émergence de ce conte gothique et profondément dérangeant.
 
Henry James et Guy de Maupassant.

    Dérangeant. C'est probablement le terme à retenir pour définir cette anthologie qui cherche à cerner à travers le XIXème siècle l'apparition du fantastique dans son sens littéraire premier, à savoir un genre qui s'attache à distiller des éléments inexpliqués, incompréhensibles, dans la trame de la normalité. Dérangeants, donc. Afin de mieux montrer la plasticité de cette mouvance, le recueil propose trois nouvelles plus ou moins connues mais uniques à leur façon : la première, L'homme sans souffle, est une œuvre de jeunesse d'Edgar Poe ; la seconde, Le Horla, est la version retravaillée d'une nouvelle de Maupassant ; et enfin, la troisième est bien évidemment Le tour d'écrou d'Henri James, création on ne peut plus aboutie.
 
Edgar Poe
 
    Trois auteurs, trois façon d'aborder le fantastique et de se le réapproprier, voire d'influencer ses confrères. Poe, qui s'érigera en grand maître du frisson, signe avec L'homme sans souffle une brève fantaisie quasi vaudevillesque qui pourrait faire rire si elle n'était pas aussi macabre (mais d'ailleurs, bien que macabre, elle prête réellement à sourire) : un homme privé de souffle comme par magie part à sa recherche mais, considéré comme mort dès qu'il s'endort dans la voiture qui constitue la première étable de son voyage, le pauvre est condamné à subir le triste sort qu'on réserve aux cadavres. Ni mort ni vivant, le héros est baladé d'un lieu en à l'autre et son étrange condition devient le ressort à des péripéties toutes plus abracadabrantesques les unes que les autres. Nous sommes au début du XIXème siècle et on n'est déjà pas loin d'un conte à la Burton ou de l'hilarant film La mort vous va si bien de Robert Zemeckis!
 
Illustration de W.Julien-Damazy pour Le Horla.
 
    Un univers entier sépare cependant ce premier texte des deux seconds, qui posent les bases dramatiques et stylistiques solides au genre fantastique en insinuant un élément majeur : le doute. Maupassant, auteur probablement aussi réaliste que James, sert avec Le Horla (sa première version, sa réécriture, mais aussi des textes intermédiaires qui ont amélioré son jet définitif, à la façon de Lettre d'un fou, également présent dans cette anthologie) une situation qui glace littéralement le lecteur. Son narrateur, persuadé d'être hanté par une force maléfique, entame un périple afin de comprendre l'origine de son mal et comment s'en délivrer. Possession ou folie, l'auteur ne se prononce pas et laisse planer le doute jusqu'à une fin ouverte encore plus terrifiante et malaisante que si quelque présence occulte s'était vue confirmée...
 
Le Horla, par W.Julian-Damazy
 
    Dès lors, et même si l'intrigue est différente, il apparait en effet que la virtuosité psychologique du Horla n'a pu qu'inspirer Henry James pour son chef-d’œuvre. Tenter de capturer la vérité du Tour d'écrou, ce serait comme essayer de retenir de l'air en mouvement et d'en comprendre la nature. En s'attaquant au genre fantastique tout en conservant une écriture digne du réalisme, l'auteur ne laisse aucune échappatoire : tout semble si vrai, si concret, si réel, que le lecteur ne peut que boire les paroles de la narratrice, cette jeune bonne d'enfant persuadée que les deux petits dont elle a la charge sont harcelés par des esprits venus les hanter de leur perversité. Le brio du livre tient essentiellement à ce qui n'est pas nommé : aux points de suspension, aux phrases jamais finies, au pouvoir de suggestion, bref, à cet angle-mort dans lequel l'auteur laisse le lecteur projeter ses propres horreurs.

Illustrations de Pancho pour Le tour d'écrou.

    L'effet de gradation suscité par la lecture consécutive de ces trois textes confirme ce que revendiquent les commentaires, préfaces et postfaces de cet ouvrage : il est cruellement important de continuer à se faire peur.

En bref : Une anthologie furieusement bien pensée et agrémentée de textes analytiques pertinents. On alterne plaisir de lecture et réflexion littéraire au fil des différentes nouvelles, lesquelles nous font vivre et comprendre l'avènement du genre fantastique et des ghost stories, entre terreur froide et psychologie. Les autres auteurs parfois évoqués dans les commentaires nous laissent espérer une suite à ce recueil, pour poursuivre un peu plus la découverte et les frissons à travers des pays et les époques.


Un grand merci aux éditions Baker Street pour cette découverte!

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