lundi 27 septembre 2021

Le bal des folles - Un film de Mélanie Laurent d'après le roman de Victoria Mas.

 

Le bal des folles

 
Un film de Mélanie Laurent d'après le roman de Victoria Mas.
 
Avec : Lou de Laâge, Mélanie Laurent, Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot, Grégoire Bonnet...
 
Date de sortie internationale : le 17 septembre 2021 sur Amazon Prime
 
    L’histoire d’Eugénie, une jeune fille lumineuse et passionnée à la fin du 19è siècle. Eugénie a un don unique : elle entend et voit les morts. Quand sa famille découvre son secret, elle est emmenée par son père et son frère dans la clinique neurologique de La Salpêtrière sans possibilité d’échapper à son destin. Cette clinique, dirigée par l’éminent professeur Charcot, l’un des pionniers de la neurologie et de la psychiatrie, accueille des femmes diagnostiquées hystériques, folles, épileptiques et tout autre type de maladies physiques et mentales. Le chemin d’Eugénie va alors rencontrer celui de Geneviève, une infirmière de l’unité neurologique dont la vie passe sous ses yeux sans qu’elle ne la vive vraiment. Leur rencontre va changer leurs destins à jamais alors qu’elles se préparent à assister au fameux « Bal des folles » organisé tous les ans par le Professeur Charcot au sein de la clinique.
 
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    Il était quasi certain que cette bouleversante histoire, portée par l'écriture cinématographique de Victoria Mas, ne tarderait pas à intéresser les réalisateurs. En fait de réalisateur, c'est même une réalisatrice qui a rapidement posé une option pour en filmer l'adaptation : Mélanie Laurent. Au départ en réflexion pour tourner un long-métrage sur les chasses aux sorcières au Moyen-Âge, Mélanie Laurent a découvert avec le roman de Victoria Mas un propos similaire à travers l'histoire de ces femmes enfermées et malmenées parce que dérangeantes, libres, ou en avance sur leur temps. Le choix d'une sortie sur Amazon Prime plutôt que dans les salles de cinéma a été quelque peu décrié par les spectateurs, accusant Mélanie Laurent, personnalité très engagée, d'hypocrisie. Profitons de cet article pour remettre les choses au point et expliquer le pourquoi d'une telle décision : initialement financé par des maisons de production françaises et destiné aux salles obscures, Le bal des folles a vu son tournage perturbé par la situation sanitaire et par le soudain retrait de tous ses financeurs. La proposition de production par Amazon, arrivée à point nommé, a permis de finir le tournage et de mener ce projet à bien. Comme aime à le souligner Mélanie Laurent elle-même, cette opportunité permettra au film d'être visible dans le monde entier, une diffusion à grande échelle relativement rare pour un film français.

 
    De ce projet mené en pleine crise covid, peu de choses ont filtré, si ce ne sont quelques clichés des acteurs dans les décors de Charente-Maritime, où un ancien hôpital a servi à reconstituer la Salpêtrière. Au printemps dernier, Amazon Prime a diffusé sur la toile la première bande-annonce, un chef d’œuvre de montage et de rythme à elle seule, portée par une musique électro anachronique, mais captivante. On avait très hâte de voir ce que cette adaptation allait donner... 
 
 
    Le scénario, co-écrit par Mélanie Laurent et son comparse de toujours Christophe Deslandes, propose une adaptation très fidèle au roman de Victoria Mas. Leur vision de l'histoire s'offre le luxe de quelques ajouts et intrigues secondaires, parfois tout juste survolées, mais qui mettent encore un peu plus en exergue l'injustice de la société patriarcale du XIXème siècle ainsi que le carcan de la bourgeoisie. En donnant plus de profondeur à la relation que l'héroïne entretient avec son frère et en faisant de lui un jeune homme fragile et secrètement homosexuel, le film montre en peu de scènes l'oppression d'une caste pour laquelle les apparences et la réputation priment plus que tout. Le scénario dépeint une Eugénie frondeuse qui, contrairement au roman où elle s'invite aux débats politiques (mais profondément creux) du Paris masculin, se réfugie sans chaperon dans les cafés de Montmartre pour fumer et lire ce qui lui plait, telle l'intellectuelle libre et bohème qu'elle est réellement, derrière voilette et corset.
 
 
    Parmi les partis pris du film, une décision surprenante mais particulièrement intéressante est de ne pas montrer les fantômes qu'Eugénie est en capacité de voir. À cette possibilité très classique de mettre en scène un don de double vue au cinéma, Mélanie Laurent préfère manifester les apparitions par de soudaines et ponctuelles crises de son héroïne, entre tétanie et angoisse, laissant le spectateur dans la même situation que n'importe quel observateur de la scène. Nous sommes, comme le père et le frère d'Eugénie, soumis au choix suivant : va-t-on la croire, ou va-t-on nous aussi opter pour la folie ?
 
 
    Le personnage prend corps sous les traits angéliques et mystérieux de Lou de Laâge, qui donne toute sa profondeur et sa ténacité à Eugénie ; elle l'incarne à merveille, dans le moindre regard, le moindre geste. Il en va ainsi de tout le casting, dont les membres semblent taillés sur mesure pour interpréter les personnages du roman. Mélanie Laurent, tantôt derrière, tantôt devant la caméra, campe une Geneviève peut-être plus jeune que l'infirmière qu'on imaginait dans le livre, mais elle est, comme toujours, furieusement convaincante. Un parallèle se dessine rapidement entre les deux jeunes femmes que, pourtant, initialement, tout oppose ; Mélanie Laurent le montre à travers les scènes de solitude, lorsqu'elles lisent en tirant lentement sur une cigarette. Leur gestuelle se confond presque, indiquant par ce mimétisme des âmes parallèles malgré leurs différences.
 

    L'une des plus belles surprises du casting est son caractère inclusif : alors en repérage pour les rôles, Mélanie Laurent a reçu des dizaines de vidéos d'actrices en situation de handicap ou touchées par la maladie qui ont voulu participer au film pour rendre hommage à ces femmes de la Salpêtrière. La réalisatrice a eu l'occasion de raconter dans plusieurs interviews la beauté de cette rencontre, qu'on ressent dans la sororité qui transparait à l'écran.
 

    Car Mélanie Laurent filme ses actrices comme personne : la caméra les épouse totalement, filme l'enchevêtrement des corps gracieux et disgracieux avec un respect rare, faisant de toutes les scènes prenant place à la Salpêtrière autant d'hommages à ces femmes. Certains passages sont, à ce titre, impressionnants de maîtrise : la scène de la toilette commune, d'une infinie pudeur malgré la nudité omniprésente, la chanson improvisée d'une des aliénées pendant la messe de Noël, en plein cœur de la chapelle... Autant d'instants de grâce bouleversants.


En bref : Une adaptation bouleversante du roman de Victoria Mas, à la beauté saisissante de sobriété. Mélanie Laurent signe là l'un de ses plus beaux films, une déclaration d'amour aux femmes libres portée par des actrices en état de grâce. Magnifique d'un bout à l'autre.


1 commentaire:

  1. La bande annonce est alléchante et la photographie de qualité. En plus on pense aux pathétiques pavillons des aliénées à la Salpétrière...mais comme je ne m'abonnerai pas Prime, je passe mon tour.

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