dimanche 25 août 2024

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur - Maurice Leblanc.

Revue Je sais tout, 1905 à 1907 - Éditions Pierre Lafitte, 1907 - Multiples rééditions depuis 1907, dont Le Livre de Poche, 1973, 2013.

    Vif, audacieux, impertinent, rossant sans arrêt le commissaire (qui ici, en l’occurrence, s’appelle l’inspecteur Ganimard), traînant les cœurs après lui et mettant les rieurs de son côté, se moquant des situations acquises, ridiculisant les bourgeois, portant secours aux faibles, Arsène Lupin, gentleman cambrioleur est un Robin des Bois de la « Belle Époque ». Un Robin des Bois bien français : il ne se prend pas trop au sérieux, ses armes les plus meurtrières sont les traits d’esprit ; ce n’est pas un aristocrate qui vit comme un anarchiste mais un anarchiste qui vit comme un aristocrate. Arsène Lupin, après plus d’un demi-siècle, n’a pas vieilli. Il ne vieillira jamais en dépit de son chapeau haut de forme, de sa cape et de son monocle.
 
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    Grande silhouette drapée dans sa cape noire, chapeau haut de forme et monocle, voilà l'iconique portrait-robot que véhicule l'imagerie populaire de ce héros de littérature française. De roman feuilleton à grand classique, il n'y a qu'un pas, que l'oeuvre de Maurice Leblanc a su franchir au fil du temps. Et pourtant, nous n'avions jamais lu ce premier recueil des nouvelles mettant en scène le célèbre gentleman cambrioleur ; jusque-là, notre connaissance du personnage et de cette série s'arrêtait à La comtesse de Cagliostro et à quelques textes de Maurice Leblanc lus de façon éparse. Alors que le distingué voleur continue encore et toujours de faire des émules, inspirant tout comme Sherlock Holmes son lot de suites officieuses, préquels apocryphes et réécritures diverses, il nous a semblé plus que temps de jeter un œil à ce premier opus.
 
Éditions originales, illustrées par Léo Fontan, qui donna au personnage son apparence légendaire.

    Ce livre est constitué des neuf premières aventures d'Arsène Lupin, initialement publiées dans la revue Je sais tout entre 1905 et 1907. A l'époque, le personnage nait d'un concours de circonstance et, surtout, d'une commande de l'éditeur Pierre Lafitte : c'est parce que ce dernier souhaite lancer un feuilleton à la mode de Sherlock Holmes que Maurice Leblanc se lance dans l'écriture. L'auteur n'a jamais souhaité révéler ses inspirations, mais il y a donc fort à parier que Conan Doyle en fasse partie, au regard des nombreux clins d’œil qui lui sont adressés (même s'il le niera tout au long de sa carrière). L'arrestation en 1905 du voleur Marius Jacob, as du déguisement doté d'un humour mordant, suggère là aussi une possible influence (que Maurice Leblanc, encore une fois, démentira pourtant).
 

    L'aura de mystère autour des origines littéraires d'Arsène Lupin participera à sa légende et à son caractère insaisissable, dans son fond comme dans sa forme. Pourquoi ? Car qu'il s'agisse de pseudonyme, de déguisement, ou d'un audacieux jeu de passe-passe dans la narration, l'auteur et son personnage prennent toujours le lecteur au piège, chaque nouvelle aventure proposant un twist inattendu. Dès L'arrestation d'Arsène Lupin, Maurice Leblanc pose les bases d'une approche qui sera prédominante dans la série : le lecteur ne suit pas Arsène Lupin, mais les victimes, adjuvants ou opposants qui croiseront son chemin. Le personnage est présenté à travers sa réputation et les perceptions qu'en ont les uns et les autres, qui posent dès le début du livre le charisme légendaire d'un absent, avant même son entrée en scène. Et quelle entrée en scène, car Lupin n'aime rien de plus que les coups de théâtre. Son arrivée nous prend toujours par surprise, offrant des rebondissements comme seul le roman feuilleton sait en inventer.
 
Illustration originale pour L'arrestation d'Arsène Lupin.
 
    D'une aventure à l'autre, on découvre peu à peu qu'Arsène Lupin, lui, ne se laisse jamais prendre au dépourvu, même lorsqu'il semble perdant. Il s'est fait attrapé ? C'est qu'il le voulait bien, et qu'il concocte en secret un plan de son cru. Pour les aficionados des films et récits de cambriolage, Haute Voltige, Ocean's Eleven, Insaisissables et consorts, oubliez ces fictions contemporaines : elles doivent tout à Maurice Leblanc. Son approche avant-gardiste de la structure narrative et son talent pour le renversement de situation font de lui le père fondateur de cette sous-catégorie du polar qui verse dans les intrigues de cambriole. Elle donnera plus tard naissance au "film de casse", genre très apprécié de l'industrie hollywoodienne.


    A travers des nouvelles comme Le collier de la reine, Le sept de cœur ou encore Herlock Sholmes arrive trop tard, Maurice Leblanc pose également les premières bases d'un autre registre aujourd'hui florissant, celui du polar historico-ésotérique. Nombre des aventures du gentleman cambrioleur se focaliseront ainsi sur de trésors centenaires dissimulés au moyen de codes secrets et de portes dérobées, l'auteur composant pour cela les énigmes les plus complexes et ingénieuses de la littérature populaire.
 
Illustration originale pour Le sept de cœur.
 
    Tour à tour voleur, chercheur d'or, enquêteur et redresseur de torts, Arsène Lupin se dévoile au fil de ces neuf nouvelles bien plus complexe qu'on pourrait le croire. Loin de l’archétype lisse du dandy, il se révèle pourvu de nombreux défauts (c'est qu'il a une haute opinion de lui-même, l'Arsène) autant que d'inattendues qualités (perçu comme un criminel, il rétablit finalement la justice plus souvent qu'à son tour). La recette de son charisme et de sa longévité, à n'en pas douter.
 


En bref : Bijou de littérature populaire devenu un classique, les aventures d'Arsène Lupin s'ouvrent sur ces neuf premières nouvelles aussi savoureuses que palpitantes. L'écriture et la construction narrative de Maurice Leblanc, furieusement avant-gardistes, s'imposent ici comme de véritables influences pour le polar. Le lecteur, séduit, en redemande.

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