vendredi 21 juin 2013

L'ensorceleuse - Elizabeth Hand


Mortal Love : a novel, William Morrow, 2004 - Éditions Denoël, 2007 - Éditions folio SF, 2009.

  Venu à Londres dans l'espoir de terminer son livre sur le mythe de Tristan et Iseult, le journaliste américain Daniel Rowlands s'est installé chez son ami Nick, une rock star avec laquelle il a fait les quatre cents coups au temps du Swinging London. Lors d'un dîner, Daniel rencontre une ancienne maîtresse de Nick, la mystérieuse Larkin Meade, une femme aux pouvoirs de séduction incroyables qui semble connaître sur le  bout des doigts les préraphaélites et le romantisme anglais. Alors que Daniel s'enflamme immédiatement pour cette compagne idéale, Nick le met en garde : le passé de Larkin recèle de lourds secrets... 

  Thriller gothique et sensuel, L'ensorceleuse croise sur plusieurs décennies les destins d'artistes maudits et de leur muse. A travers des personnages imaginaires ou des figures connues comme le peintre Rossetti et le poète Swinburne, Elizabeth Hand reprend à son compte le thème fascinant de l'amour et du désir éternel pour mieux questionner les affres de la création. 


  Bien que je ne sois pas fervent lecteur de science-fiction et, par là même, jamais très attiré par les éditions aux couvertures gris métallique des collections SF, L'ensorceleuse avait retenu mon attention. Pourquoi? Question stupide, me direz-vous, quand on reconnait sous un titre aussi alléchant une reproduction de Beata Beatrix, tableau issu du mouvement Préraphaélite dont je suis un admirateur sans borne! Ma curiosité ainsi titillée, j'avais fait quelques recherche sur le net et appris que Mortal Love (titre original et autrement plus approprié lorsqu'on a lu le roman) relevait plutôt de la fantasy gothique typiquement anglaise plutôt que de la science-fiction (ouf, pas de petits hommes verts à l'horizon, donc!) et avait été couronné de multiples prix et reconnaissances littéraires! Le Préraphaélisme étant au centre de l'intrigue et constituant en cela LA cerise sur le gâteau, je ne pouvais résister à l'appel de ce roman, à classer dans ce que j'aime surnommer les "énigmes artistiques".

Couverture originale...Autrement plus attrayante que l'édition française!

  Le récit débute dans le Londres contemporain, où le journaliste américain Daniel Rowland vient s'offrir une année sabbatique pour se consacrer à un rêve qui le démange depuis longtemps: écrire un récit le plus exhaustif possible du mythe de Tristan et Iseult, en se basant pour cela sur toutes les versions existantes ou les œuvres et documents disponibles sur le sujet en terres britanniques. Il est accueilli chez son ami Nick, rock-star un peu déclinante du Swinging London, qui lui présente la sublime et étrange Larkin Mead. Cette jeune femme à la chevelure de feu et au regard d'émeraude, à la fois fragile et vénéneuse, suscite immédiatement la fascination et la passion de Daniel. Spécialiste ès légendes médiévales et mythes anglo-saxon, Larkin se fait un devoir de guider le journaliste dans ses recherches, lui faisant découvrir l'envers du décor de Londres et ses lieux secrets, où sont cachés manuscrits inestimables et tableaux préraphaélites légendaires. D'où la jeune femme tient-elle ces reliques? Comment en connait-elle autant sur l'univers des préraphaélites et leurs travaux? Quels sombres secrets dissimule-t-elle? Tour à tour effrayante et attirante, le pouvoir de séduction qu'elle semble exercer malgré elle sur Daniel le possède totalement, au point que très vite, il sombre dans une folie inexplicable et en ressente même des souffrances physiques au-delà de tout entendement...

Tristan et Iseult partageant le philtre d'amour, par J.Waterhouse.

  Si le début m'a été difficile à digérer (j'ai bien failli céder face à la lourdeur apparente du style, et abandonner trois fois avant d'avoir fini les cent premières pages...), je me suis laissé convaincre petit à petit puis, tout comme le personnage principal, totalement absorber par l'intrigue certes complexe mais hautement captivante. Si le roman débute avec l'histoire de Daniel dans l'Angleterre actuelle, le récit est entrecroisé du destin de plusieurs personnages d'autres époques, développés en parallèle. On suit ainsi le quotidien de Val et son frère Simon, qui, environ trente ans plus tôt, découvrent une série d’œuvres préraphaélites dans leur appartement ; Et le récit de Radstock, jeune peintre américain fraichement débarqué dans le Londres du XIXème siècle, où il rencontre l'étrange Professeur Learmont, psychiatre spécialisé dans le traitement des artistes devenus déments.

 Dante Gabriel Rossetti, autoportrait.

  Peu à peu et comme souvent dans les romans à récits multiples, on avance à tâtons avant de repérer ici ou là d'infimes points communs, puis de voir se relier avec une logique imparable et fascinante les différents faits et protagonistes pourtant aux antipodes les uns des autres au commencement. On se laisse alors happer dans une lecture électrique et frénétique jubilatoire, au point de ne plus pouvoir décrocher ne serait-ce qu'un seul œil du livre! Mais revenons au genre du roman en question: oublier la collection "SF" dans laquelle les éditions folio ont classé l'ensorceleuse, c'est bien un roman fantastique, disons de fantasy gothique avec tout ce que cela sous-entend. Mais si le récit nous confronte effectivement à des éléments supra-normaux, il n'en est pas moins basé sur la réelle histoire du Préraphaélisme et fait intervenir de nombreuses figures véridiques de ce mouvement artistiques (D.RG.Rossetti, E.B.Jones...). Témoignant de réelles connaissances à ce sujet et faisant preuve, par-dessus le marché, d'une écriture magnifique,  Elizabeth Hand propose avec l'Ensorceleuse un récit de qualité indéniable et transcendant, qui m'a presque évoquer un équivalent fantastique au sublime Possession d'A.S.Byatt. En entrelaçant des éléments véridiques à une interprétation fantastique (mais très bien pensée!) du concept de la Muse, Elizabeth Hand nous transporte dans une intrigue hypnotique aux relents capiteux, posant la question des origines créatrices d'une œuvre d'art. Comment un peintre en vient à la réalisation d'un chef-d'oeuvre? Mais, surtout, à quel prix?... Elle dresse alors un interessant parallèle entre la prédisposition pour les Arts et la fragilité mentale, tous deux marqués de l'hypersensibilité intrinsèque aux artistes et à leur autre forme d'appréhension du monde. Sorte de don de double vue que l'ont s'acharnerait à appeler folie.

 Quelques uns des superbes portraits de Rossetti...et toujours cette femme aux cheveux de feu... Peut-être l'envoutante Larkin Mead?

  Artistes créateur, création destructrice, Inspiration divine, Muse mortelle... autant de concepts que la plume d'Elizabeth Hand mêle avec une virtuosité et un talent sidérants. L'ensemble est envoutant, ensorcelant, parfois dérangeant mais toujours captivant. L'ensorceleuse est une oeuvre magnifique et surprenante, hallucinatoire à la façon de l'opium (on croirait presque voir les volutes de fumée s'échapper des pages, si, si!), d'un verre d’absinthe, ou d'une lanterne qui attire les papillons de nuits jusqu'à les consumer. On veut se perdre dans cette histoire, s'y plonger comme dans la gueule du loup, s'y laisser dévorer avec frénésie. A la façon de Daniel pour Larkin, on s'en délecterait presque avec morbidité...

Bref, une merveille, un chef-d’œuvre qui mérite d'être classé au rayon "Coup de coeur et théière d'or"!

2 commentaires:

  1. Eh bien, quelle trouvaille ! Moi aussi, j'ai tendance à fuir cette collection. Enfin, "fuir", le terme est sans doute un peu exagéré, mais disons qu'en général, je passe sans regarder devant ce rayon et je n'ai donc jamais vu ce roman. Tu me donnes vraiment envie de le découvrir car on sent que malgré les lourdeurs du début, il vaut le détour. Je note plutôt deux fois qu'une ! Merci.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ça vaut vraiment la peine de dépasser les premiers chapitre un peu "fouillis" car le reste est... "virevoltant", je dirais! Électrisant, grisant! C'est vraiment un récit d'une grande originalité et d'une grande qualité!

      Supprimer