The bookshop, Gerald Duckworth, 1978 - La libraire (trad. de M.lévy-Bram), Stock éditions, 2001 - L'affaire Lolita, La table ronde, 2006 - Gallimard/folio, 2008 - La libraire, La table ronde/Petit quai Voltaire, 2016.
Rien ne semble troubler la paix de Hardborough, aimable bourgade de
l’East Anglia. Mais Florence Green, une jeune veuve, a décidé d’y ouvrir
une librairie, ce qui déplaît aux notables de la ville. Florence
voulait créer innocemment un lieu de sociabilité inédit ; elle découvre
l'enfer feutré des médisances. Puis l’ostracisme féroce d’une partie de
la population. Surtout lorsqu’elle s’avise de mettre en vente Lolita,
le sulfureux roman de Nabokov. Alors, la guerre est déclarée, les clans
s’affrontent, les personnages révèlent leur acrimonie. Florence sera
très seule pour affronter le conformisme ambiant.
***
Auteure anglaise révélée à presque soixante ans, Penelope Fitzgerald est peut-être encore peu connue des lecteurs francophones. La raison tient probablement au fait, comme le précise l'introduction de cette édition de La libraire, qu'elle soit toujours restée très discrète et fut essentiellement suivie par des petits cercles de lecteurs passionnés. Entre les années 70 et son décès en 2000, elle publia neuf romans, trois biographies et plusieurs essais et articles ; l'adaptation récente au cinéma de The bookshop (traduit en France sous les titres alternatifs La libraire et L'affaire Lolita) permet de remettre en avant son œuvre et nous offre une occasion de la découvrir.
Angleterre, 1959, presqu'île de Hardborough. Florence, veuve de guerre entre deux âges décide de réaliser un rêve longtemps médité : elle va ouvrir la première librairie du village, un commerce qui semble à ses yeux manquer cruellement à cette petite bourgade menée par la seule routine de ses habitants. Le local, elle l'a déjà acquis : the Old House qui, comme son nom l'indique, est l'une des plus vieilles bâtisses de Hardborough, demeure historique laissée à l'abandon et présumée hantée. Malgré le manque de soutien de son banquier et de son notaire, tous deux assez peu confiants face à l'entreprise de Florence, la lectrice passionnée ne se laisse pas désarçonner. Lorsqu'elle est invitée à une réception par Violet Gamart, la femme la plus influente du village, Florence espère y voir une forme d’approbation de la part de Hardborough. Erreur : la pédante Mrs Gamart lui fait comprendre qu'elle a d'autres projets qu'un vulgaire commerce pour the Old House, et que Florence ferait bien de revendre la bâtisse pour qu'on puisse la transformer en centre artistique, ce dont le village aurait selon elle davantage besoin qu'une librairie. Florence, qui refuse de se laisser impressionner, tient tête. Son commerce finit même par trouver son rythme de croisière et elle parvient à embaucher une aide ponctuelle en la personne de la petite Christine, fillette d'une dizaine d'année au caractère bien trempé. Mais lorsque Mrs Gamart revient à la charge, bien décidée par tous les moyens à faire expulser Florence, la libraire ne trouvera de soutien qu'auprès de Mr Bundish, un homme vieux comme Hardborough qui vit reclus dans sa maison depuis des années. Mais l'aide de ce nouvel allié sera-t-elle suffisante pour affronter toute une ville?
La prose subtile et le style impeccable, La libraire n'en reste pas moins un livre qui peut échapper à son lecteur. Pourquoi? Car contrairement aux divers synopsis qui pourraient évoquer un feel good book, la tournure des événements tels qu'ils se déroulent dans La libraire s'en éloigne bien vite. Un fois le postulat de base posé, on s'imagine que la frêle et solitaire héroïne va trouver à révolutionner le quotidien de ce petit village encroûté grâce à la littérature et que Violet Gamart, cette vieille peste, se verra reniée par les habitants de Hardborough. Eh bien non. Sans spoiler les lecteur, il faut quand même savoir à quoi s'attendre et reposer le livre si on préfère les happy ends.
Cependant, La libraire ne sombre pas pour autant dans une totale noirceur. L'auteure y dépeint avec réalisme le tableau d'un village fictif (mais qui se veut le reflet de tant de réelles petites bourgades – d'ailleurs, Hardborough est directement inspirée de la ville côtière de Southwold, également dans le Suffolk) qui barbote avec complaisance dans la même routine depuis des décennies. Cette situation permet à quelques rares personnes sachant tirer leur épingle du jeu de s'autoproclamer figures dominantes, à l'image de l'influente Violet Gamart qui s'en prendra à Florence tout simplement parce qu'elle refuse qu'on marche sur ses plates-bandes. Dès lors, tous les coups sont permis pour faire tomber celle qu'elle considère comme une rivale personnelle : alliances, rumeurs, médisances... tout ce qui constitue les aspects les plus vains d'une petite communauté sectaire et embourgeoisée sont là. L'élite autoproclamée et son obséquiosité sournoise parviennent à déclencher, à la façon du battement d'ailes du papillon, l'enchaînement d'événements qui pousse l'héroïne dans ses retranchements.
Héroïne qui se trouve dès lors très malmenée mais qui, à l'image du roseau, s'efforce de ne pas rompre. Comment ne pas s'attacher à elle? Florence est un personnage qui nous ressemble ou qui, du moins, s'écarte de l'héroïne traditionnelle de fiction par sa simplicité et même, par ses défauts. D'apparence peut-être trop douce ou trop sage, elle n'en cultive pas moins un sens du répondant qui lui permet de réduire à néant plusieurs tentatives d'intimidation de ses détracteurs. Au fil de la lecture, on sent naître en nous une réelle empathie à l'égard de cette veuve qui, arrivée à la moitié de sa vie, se lance dans l'ouverture d'une librairie afin d'en faire un lieu de chaleur et d'échanges voué à la littérature. Parmi les personnages charismatiques imaginés par P.Fitzgerald, Mr Bundish passe de vague personnage relégué à l'arrière-scène avant de s'imposer (et d'en imposer) progressivement comme un allié de choix, parce qu'il fait partie de ceux qui ont décidé de rester solitaire et non pas de se réfugier dans le giron de Mrs Gamart. N'oublions pas la petite Christine, cette curieuse petite fille qui, le temps de quelques heures à épousseter les étagères de la librairie, laisse à Florence l'espoir que sa boutique apportera du bien à ceux qui la fréquentent. On comprend très vite que l'auteure a une affection toute particulière pour les individus qui, derrière leurs abords insignifiants, se démarquent comme êtres à part.
Il est par ailleurs surprenant, pour un livre si court, de parvenir ainsi à si bien dessiner ses différents protagonistes tout en racontant le quotidien d'Hardborough sur une longue période, et ce sans interrompre le récit d'incessantes ellipses. Tout y est fluide et nuancé, comme coloré de ces diverses teintes de gris des paysages qu'on nous décrit, des vieilles pierres de the Old House aux couleurs de la mer du Nord. On ne sait pas toujours où l'auteure veut exactement en venir avec les manifestations du fantôme cogneur de la librairie, ni si la morale de son histoire est qu'il faut se résigner lorsqu'on a tout perdu dans la lutte pour la survie, ou au contraire agir pour espérer renverser la balance. Le final nous laisse à ce titre quelque peu mal à l'aise et on referme ce livre en méditant sur l'injustice inhérente à la loi du plus fort.
En bref : Même si La libraire est loin d'être un feel good book, ce roman de P.Fitzgerald est à lire pour le tableau aigre-doux qu'elle donne à voir de la campagne anglaise des années 50, engluée dans une routine dominée par l'échelle des classes. Fluide et porté par des personnages particulièrement réalistes de simplicité, ce livre donne à réfléchir sur la violence sourde des petites communautés trop repliées sur elles-mêmes.
"La morale se révèle un guide peu sûr, s'agissant des affaires humaines."
"— Quand on se donne à fond, on est obligée de réussir, non?
— Je ne vois pas pourquoi. Tout le monde finit par être obligé de se donner à fond. Le "fond" étant la mort. On ne peut pas dire de la mort qu'elle soit un succès."
Cependant, La libraire ne sombre pas pour autant dans une totale noirceur. L'auteure y dépeint avec réalisme le tableau d'un village fictif (mais qui se veut le reflet de tant de réelles petites bourgades – d'ailleurs, Hardborough est directement inspirée de la ville côtière de Southwold, également dans le Suffolk) qui barbote avec complaisance dans la même routine depuis des décennies. Cette situation permet à quelques rares personnes sachant tirer leur épingle du jeu de s'autoproclamer figures dominantes, à l'image de l'influente Violet Gamart qui s'en prendra à Florence tout simplement parce qu'elle refuse qu'on marche sur ses plates-bandes. Dès lors, tous les coups sont permis pour faire tomber celle qu'elle considère comme une rivale personnelle : alliances, rumeurs, médisances... tout ce qui constitue les aspects les plus vains d'une petite communauté sectaire et embourgeoisée sont là. L'élite autoproclamée et son obséquiosité sournoise parviennent à déclencher, à la façon du battement d'ailes du papillon, l'enchaînement d'événements qui pousse l'héroïne dans ses retranchements.
La ville côtière de Southwolk.
"— Je ne dois pas cultiver d'inquiétude, dit Florence. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
— Quelle idée terrifiante!"
Héroïne qui se trouve dès lors très malmenée mais qui, à l'image du roseau, s'efforce de ne pas rompre. Comment ne pas s'attacher à elle? Florence est un personnage qui nous ressemble ou qui, du moins, s'écarte de l'héroïne traditionnelle de fiction par sa simplicité et même, par ses défauts. D'apparence peut-être trop douce ou trop sage, elle n'en cultive pas moins un sens du répondant qui lui permet de réduire à néant plusieurs tentatives d'intimidation de ses détracteurs. Au fil de la lecture, on sent naître en nous une réelle empathie à l'égard de cette veuve qui, arrivée à la moitié de sa vie, se lance dans l'ouverture d'une librairie afin d'en faire un lieu de chaleur et d'échanges voué à la littérature. Parmi les personnages charismatiques imaginés par P.Fitzgerald, Mr Bundish passe de vague personnage relégué à l'arrière-scène avant de s'imposer (et d'en imposer) progressivement comme un allié de choix, parce qu'il fait partie de ceux qui ont décidé de rester solitaire et non pas de se réfugier dans le giron de Mrs Gamart. N'oublions pas la petite Christine, cette curieuse petite fille qui, le temps de quelques heures à épousseter les étagères de la librairie, laisse à Florence l'espoir que sa boutique apportera du bien à ceux qui la fréquentent. On comprend très vite que l'auteure a une affection toute particulière pour les individus qui, derrière leurs abords insignifiants, se démarquent comme êtres à part.
"Ce qui chez lui passait pour de la délicatesse était en général une façon de s'éviter des ennuis ; ce qui passait pour de la sympathie était l'instinct d'éviter les ennuis avant qu'ils ne surviennent. On pouvait difficilement prédire l'effet qu'aurait la maturité sur un tel être. Faute de pratique, il n'éprouvait presque plus de sentiments. Faculté d'adaptation et curiosité, à son sens, faisaient aussi bien l'affaire."
Il est par ailleurs surprenant, pour un livre si court, de parvenir ainsi à si bien dessiner ses différents protagonistes tout en racontant le quotidien d'Hardborough sur une longue période, et ce sans interrompre le récit d'incessantes ellipses. Tout y est fluide et nuancé, comme coloré de ces diverses teintes de gris des paysages qu'on nous décrit, des vieilles pierres de the Old House aux couleurs de la mer du Nord. On ne sait pas toujours où l'auteure veut exactement en venir avec les manifestations du fantôme cogneur de la librairie, ni si la morale de son histoire est qu'il faut se résigner lorsqu'on a tout perdu dans la lutte pour la survie, ou au contraire agir pour espérer renverser la balance. Le final nous laisse à ce titre quelque peu mal à l'aise et on referme ce livre en méditant sur l'injustice inhérente à la loi du plus fort.
"La survie, voilà, souvent,
tout ce à quoi on aspirait dans l'air pur et froid de l'East Anglia.
Mourir ou guérir : c'était la devise des autochtones – soit on vivait
très vieux, soit on était vite expédié sous la tourbe salée du
cimetière."
"Elle se leurra un temps en niant que l'humanité fût scindée en deux catégories : celle des exterminateurs et celle des exterminés, avec prédominance constante de la première."
En bref : Même si La libraire est loin d'être un feel good book, ce roman de P.Fitzgerald est à lire pour le tableau aigre-doux qu'elle donne à voir de la campagne anglaise des années 50, engluée dans une routine dominée par l'échelle des classes. Fluide et porté par des personnages particulièrement réalistes de simplicité, ce livre donne à réfléchir sur la violence sourde des petites communautés trop repliées sur elles-mêmes.
Oh oui, j'avais beaucoup aimé aussi ! J'ai hâte à présent de voir le film avec Bill Nighy.
RépondreSupprimerOups, tu as vu l'article avant que je ne le termine : il était encore en mode brouillon et j'ai cliquer sur "publier" au lieu de "enregistrer"... sorry, le voilà dans sa version complète.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé le film (malgré quelques petites infidélités inutiles). ;) Bonne rentrée à toi Fondant!