1917, quelque part dans la campagne anglaise. Anna, bourgeoise lettrée,
mère d'un petit garçon de deux ans, Jack, persuade son mari Edward
d'embaucher par courrier une garde d'enfant. Le jour où elle va la
chercher à la gare, elle découvre que sa nouvelle employée, George (comme George Eliot, pensait-elle), est
en réalité un homme. Celui-ci va faire preuve d'un réel instinct maternel à l'égard de l'enfant, et finira par susciter la jalousie d'Edward.
Dans ce roman à la fois pudique et tourmenté, Stéphanie Hochet traite avec beaucoup de finesse le thème de l'ambiguïté sexuelle, avec son lot de non-dits et de paradoxes. Dans un cadre post-victorien à la Virginia Woolf, la romancière restitue le climat d'inquiets atermoiements qui régnait en Angleterre lors de cette période troublée.
***
"Le désordre a toujours une cause. Chaque chaos partant d'un déclic."
Il y a des romans à côté desquels on passe lors de leur sortie pour mieux les redécouvrir quelques années plus tard. C'est le cas de ce Roman anglais, dont le titre est à lui seul tout un symbole : écrit par une auteure française anglophile, il raconte le quotidien d'une épouse et mère de la bourgeoisie britannique traductrice d’œuvres françaises. Amusant jeu des correspondances, isn't? Il faut dire que ses premières inspirations, Stéphanie Hochet les puise dans la vie d'une haute figure des Lettres anglaises puisque Virginia Woolf et son journal intime ont servi de modèles au personnage principal d'Anna et à la narration de sa vie domestique et littéraire. Non que cette femme et mère fictive soit le total reflet de la célèbre écrivaine de Mrs Dalloway mais, comme elle, elle est une bourgeoise lettrée dont le désir d'émancipation grandit au contact du quotidien et du carcan de la société post-victorienne.
"Le bébé me déchira le ventre en venant au monde (...), rappelant à l'intellectuelle, à la traductrice pinaillant sur les variations de sens, que la matière première de l'existence est d'abord et avant tout un choc physique, c'est la terre qui vous cogne et vous percute."
L'intérêt majeur d'Un roman anglais est d'ailleurs de traiter ce thème de l'émancipation féminine avec justesse et réalisme. Tellement d'auteurs souhaitant aborder ce sujet se sont pour cela sentis obligés de créer des héroïnes extraordinaires d’anachronisme qu'ils en ont souvent oublié de les rendre crédibles au regard de leur époque. Le livre de Stéphanie Hochet parvient à soulever cette question via un personnage de femme tout à fait en accord avec la réalité du début du XXème siècle ; l'auteure française parvient en cela à épouser totalement la vérité sociologique de l'époque choisie.
Source : Sarachmet
"L'enfance est une période étrange où l'on se sent à la fois tout puissant et incapable d'agir sur le monde."
Alors, certes, c'est pour la même raison que certains pourraient trouver cette narration d'un quotidien tout ce qu'il y a de plus ordinaire très ennuyeuse. Aussi faut-il être précis dès le départ : les amateurs d'action et de romanesque peuvent passer leur chemin. Un roman anglais se veut avant tout une fenêtre ouverte sur un mariage typique de la bourgeoisie anglaise, soumis aux affres du temps et à l'impact de la guerre. Aussi, quelque part, à l'érudition d'Anna qui l'amène progressivement à se questionner sur sa place et ses aspirations. Parce qu'elle est une femme instruite, elle est déjà, dès le début du roman, plus qu'une simple épouse et mère : traductrice, elle a une activité rémunérée qui lui est propre et lui confère une certaine forme d'autonomie, même si cela trouve grâce aux yeux de son époux davantage parce que l'intelligence de sa femme lui donne plus de valeur. Anna observe, analyse et conceptualise tout ce qui échappe à l'entendement de son mari, ce qu'elle semble prendre comme une évidence, un état de fait, une réalité propre aux genres.
"J'ai essayé de ne pas fixer la mine contrariée de mon mari, ce qui n'allait pas de soi, mais je viens d'un milieu bourgeois : je suis parfaitement capable d'ignorer la présence d'une éléphant dans un salon."
L'arrivée de George, que tout le monde imaginait en bonne d'enfants, traduit aussi un de ces préjugés typiques de la société d'alors. En fait d'une jeune fille, c'est un jeune homme qui se présente chez les Whig pour proposer ses services. Cette découverte renverse les premiers a-priori d'Anna, début d'une réflexion qui va aller croissante jusqu'à la fin de l’œuvre. Dans un contexte de guerre aussi écrasant que le poids des bonnes mœurs, un jeune homme sur ses deux jambes au sein d'une famille comme il faut en 1917, c'est le point de départ de nombreux doutes et d'une avalanche de questionnements. Ce garçon cultivé agit comme un filtre révélateur sur Anna qui, petit à petit, pose un regard nouveau sur sa réalité : a-t-elle envie de répondre à ce qu'on attend d'elle en tant que femme et que mère? A-t-elle encore envie de cette vie qu'elle avait pourtant choisie?
Source : Sarachmet
"On est toujours reconnaissant envers les gens qui ne s'effarouchent pas devant la part de soi qui sombre."
Porté par une prose sublime, Un roman anglais est un texte d'une étrange sobriété et pourtant en constante tension derrière sa délicatesse apparente. La vie domestique et les relations avec les employés de maison évoquent sans déplaisir des éléments à la Downton Abbey, bien que la réflexion qui se tisse au fil de l'intrigue soit beaucoup plus sociale et mélancolique. On regrette l'issue peut-être un peu trop précipitée alors que l'auteure avait le talent nécessaire pour l'amener avec plus de forme et moins de hâte, permettant ainsi aux réflexions entamées d'aller à leur terme plutôt que de ce perdre dans cette conclusion par trop nébuleuse.
"Rien
ne donne autant envie d'ordre que l'étendue du chaos qui dure depuis
des années. Ici, le rituel du thé a la force du résistant qui s'oppose à
l'occupant. Le rituel redonne du sens au cadran des horloges, le rituel
existe, car les aiguilles se sont posées là et là, il tient sa
position, il dure malgré les apocalypses les plus inventives. La finesse
de la vaisselle contre l'omnipotence des obus."
En bref : Malgré son final un peu trop lapidaire, Un roman anglais est un tableau tout ce qu'il y a de plus réaliste et sensible de la place de la femme dans la vie conjugale de la bourgeoisie post-victorienne. Stéphanie Hochet questionne avec une délicatesse féroce la maternité et la vie d'épouse au début du XXème siècle britannique.
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