mardi 30 novembre 2021

Sorcières, la puissance invaincue des femmes - Mona Chollet.

Éditions la Découverte, Zones, 2018.


    Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
    Qu'elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ?
    Ce livre en explore trois et examine ce qu'il en reste aujourd'hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante –; puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant –; puisque l'époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d'horreur.
Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s'est développé alors tant à l'égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
 
*** 

    Oui, encore une fois, on arrive après la fête : ce n'est pourtant pas faute d'avoir ce livre depuis un (long) moment dans notre bibliothèque, de l'avoir lu et relu, d'y piocher régulièrement, au passage, quelques bribes toujours sujettes à méditer. En parler, en revanche, c'est une autre affaire : que dire qui n'ait pas déjà été dit à propos de cet essai coup de poing ?
 

    Essayiste et journaliste au Monde diplomatique, Mona Chollet avait déjà publié quelques ouvrages avant Sorcières : Beauté fatale, abordant les dictats de la beauté féminine, ou encore Chez soi, qui explore les différentes facettes de l'habitat, dans ses versants les plus sociaux et les plus philosophiques à la fois. Avec Sorcières, qui la propulse soudainement sous le feu des projecteurs, elle revient à son sujet de prédilection : le féminisme.
 
    Car Sorcière n'est pas, à proprement parler, un livre sur les magiciennes et les ensorceleuses des temps jadis ; il ne s'agit pas d'un ouvrage historique sur ces centaines (milliers?) d'innocentes brulées vives ou pendues. Ou pas. Ou pas seulement. Car si telle est sa porte d'entrée, elle permet surtout à l'essayiste d'aborder à travers le prisme de la jeteuse de sorts, celle qui dérange et qu'on met au banc de la société, la condition des femmes à travers le temps. En nous racontant tout d'abord de quelle façon le patriarcat a évincé les femmes seules et / ou trop âgées devenues inutiles et / ou dérangeantes en les jetant dans les flammes, Mona Chollet déroule ensuite une longue réflexion prouvant qu'à travers les âges, les femmes ont continué de souffrir de cet archétype auquel on les a associées.

    Des reliquats de cette étiquette ont ainsi permis de diaboliser, pendant des centaines d'années et encore aujourd'hui, celles qui ont voulu apprendre, s'éduquer, ou s'affranchir, de même que celles qui ont refusé de n'être que de simples machines à procréer appartenant à un homme. Mona Chollet va plus loin encore lorsqu'elle aborde le cas douloureux des infanticides et des avortements, qu'elle éclaire d'une réflexion particulièrement pertinente.


    C'est ainsi que, partant de ces femmes qu'on condamnait pour sorcellerie, Mona Chollet arrive à mettre comme par magie en exergue toute la pensée coercitive du monde occidental à l'égard des femmes. Son ouvrage, ponctué de commentaires personnels qui nous rendent la journaliste d'autant plus proche et accessible, est construit comme une poupée russe qui ne cesse d'ouvrir sur mille et mille autres chemins de pensées à chaque page.

En bref : Sorcières est un essai d'une rare richesse ; Mona Chollet y rappelle que les exécutions pour sorcellerie ont constitué l'un des plus grands génocides de l'Histoire et, partant de cet événement, elle montre combien ses résonances à travers le temps ont permis à l'homme d'asseoir le patriarcat. Un ouvrage nécessaire.

2 commentaires:

  1. Un essai que j'ai dévoré un peu trop rapidement tant il est passionnant, et qui mériterait que je m'y replonge en prenant mon temps.

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    1. Tout pareil! Moi-même je l'avais déjà lu l'année dernière, et je l'ai redécouvert cette année !

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