Christmas Pudding, Thornton Butterworth, 1932 - Editions Christian Bourgeois (trad. d'A.Damour), 2014 - Editions 10/18, 2017.
Un Noël à la campagne dans le Gloucestershire. La
perspective est séduisante pour un groupe de jeunes mondains, un peu las
de la routine londonienne, qui décident de séjourner à proximité du
domaine de Lady Bobbin et de ses enfants.
Multipliant péripéties invraisemblables et dialogues mordants, Nancy
Mitford dresse un portrait décalé de la société anglaise dans les années
1930.
« C’est le meilleur du vaudeville, avec le savoir-faire britannique en plus : une légèreté cynique, le raffinement jusque dans la loufoquerie et un pragmatisme abrupt. » Virginie Bloch-Lainé, Libération.
« C’est le meilleur du vaudeville, avec le savoir-faire britannique en plus : une légèreté cynique, le raffinement jusque dans la loufoquerie et un pragmatisme abrupt. » Virginie Bloch-Lainé, Libération.
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Comment avons-nous pu passer à côté des œuvres de Nancy Mitford pendant toutes ces années ? Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir croisée à de nombreuses reprises en librairie, de même que nous la connaissions évidemment de nom et de renom. Dans L'assassin du train, premier tome des Sœurs Mitford enquêtent chroniqué ici même il y a quelques années, l'autrice Jessica Fellowes, nièce de Julian "Downton Abbey" Fellowes la réinventait même en apprentie détective. Alors que nous célébrons justement les Crawley cet hiver, il était plus que temps de plonger dans l'univers de la plus drôle et de la plus spirituelle des autrices de l'entre-deux guerre, la plume la plus affutée de l'Upper Class anglaise.
"— A quand le baptême, Sally ?
— Eh bien, si la pauvre petite est encore parmi nous, nous avons songé à mardi en huit – cela vous convient-il ? –, mais elle est terriblement malade aujourd'hui, elle fait sans cesse ce genre de bruits que produit Walter quand il a passé une nuit dehors, vous voyez."
Lorsqu'Amabelle Fortescue, ancienne courtisane devenue veuve riche à millions, loue une maison à la campagne pour y célébrer les fêtes de Noël, elle y voit l'occasion de réunir ses plus proches amis, les meilleurs représentants des Bright Young Things, pour y célébrer la fin d'année à grand renfort de champagne et de musique. Le patelin en question est aussi connu pour être celui de la famille Bobbin, dernier bastion de l'aristocratie porté par l'austère et très à cheval sur les traditions Lady Bobbin. Des deux enfants de cette dernière, l'aîné Bobby, scolarisé à Eton, est l'incarnation parfaite du chenapan fêtard avantagé par son titre et son compte en banque, tandis que sa sœur Philadelphia s'ennuie à mourir chaque jour que Dieu fait. De fin novembre à fin janvier, ce roman choral suit les invités de ces deux maisons dans leur ballet de rencontres constitué de parties de bridge, d'apéritifs trop arrosés, de chasse à courre et de réveillon où ils se croisent et s'entrecroisent au gré du pire comme du plus drôle des mondanités britanniques.
"— Est-il vraiment nécessaire d'être aussi peu ponctuel pour les repas ? demanda Lady Bobbin de son ton le plus grinçant. Et je crois avoir mentionné précédemment que je tiens à ce que tu t'habilles pour le dîner. Je me rappelle encore mon cher père me disant que même lorsqu'il participait à l'un de ses safaris les plus harassants dans le bush africain il ne manquait jamais de s'habiller pour le dîner.
— D'accord, mais nous ne sommes pas dans le bush africain en ce moment, n'est-ce pas?"
Dès l'ouverture
de son roman, l'autrice annonce le ton qu'elle choisira
tout au long du livre : brisant d'emblée le quatrième mur, elle y dresse
la liste de ses protagonistes, les esquissant chacun d'un bref portrait
aussi désopilant qu'archétypal, les annonçant comme "seize personnages
en quête d'auteur". Écrivain raté, vieille fille à marier, éternel étudiant sans promesse d'avenir,
Lady issue d'un monde en déliquescence, diplomate assommant ou encore
demi-mondaine devenue veuve d'un lord richissime : tous sont comme jetés
en pâture au destin d'un hiver dans les Cotswolds tandis que l'autrice,
démiurge débordant d'ironie, s'amuse à tirer les ficelles de ce
savoureux chassé croisé.
"Laddy Bobbin tenait particulièrement à ce que, au repas de Noël de Crompton Bobbin, soient présents tous les membres de sa famille et leurs enfants, et que soit conservé ce qu'elle se plaisait à appeler "le bon vieux style d'autrefois". Dans son esprit, un organe toujours un peu embrouillé, cela permettait la fusion entre les coutumes de Noël apportées par le prince consort dans son pays d'adoption et celles inventées par l'école catholique moderne des Humoristes du Sussex dans une tentative désespérée de faire revivre l'allégresse supposée de l'Angleterre avant qu'elle ne soit gouvernée par d'austères protestants."
Nancy Mitford y parle évidemment d'un univers qu'elle connait bien : sa fantasque famille connue pour son mode de vie volontairement extravagant, il ne fait aucun doute que ce Christmas Pudding évoque quelque chose de l'effervescence des fêtes de fin d'année telles que ses sœurs et elle les ont connues dans leur manoir d'Asthall. Si l'autrice précise en début d'ouvrage que tous ses personnages sont purement fictifs, on imagine aisément qu'ils ont été inspirés par quelque aristocrate et Brigth Young People qui ont alors constitué leur entourage, et dont certains originaux valaient très probablement largement des personnages de roman.
"Sir
Roderick s'était réservé l'usage personnel de cette pièce, et les objets
qui l'encombraient dans un désordre nonchalant lui appartenaient. Une
guitare, dont il ne savait pas jouer (posée à côté d'un gramophone en
cuir rouge dont il savait faire l'usage et se servait), une édition rare
de A la recherche du temps perdu, les œuvres complètes de Ronald
Firbank et Aldous Huxley, ainsi que des reproductions de deux aquarelles
de Picasso, témoignaient que le jeune Sir Roderick aimait s'associer à
la culture moderne. Un esprit perspicace, cependant, à la vue de
plusieurs marqueurs de bridge ayant beaucoup servi, les chefs-d’œuvre de
Wallace et une pile imposante de magazines mondains, en aurait conclu
que le jeune homme ne courait pour l'instant aucun danger de surmenage
intellectuel."
Car le comique de situation, aussi léger qu'il est acéré, nait souvent du décalage entre l'attitude attendue dans tel ou tel contexte et celle adoptée par ces membres de la haute société britannique, dont les us et coutumes traditionnels se heurtent de plein fouet à un monde en complète mutation sociale. Christmas Pudding raconte cette société dans, disons, le mi-chemin de cette évolution, où la chute des uns fait autant rire que l'ascension des autres. En cela, une Lady Bobbin qui s'escrime à maintenir les traditions fait glousser le lecteur au même degré qu'un Paul Fotheringay, auteur incompris qui tente tant bien que mal (mais surtout mal) de gravir l'échelle sociale. On raffole de les voir ainsi batailler à chaque page du livre, d'autant que Nancy Mitford aime chacun de ses personnages – si elle les malmène, ce n'est pas sans une affection certaine, affection que partage d'ailleurs le lecteur.
Dans la veine de P.G.Wodehouse et d'Evelyn Waugh, Nancy Mitford s'illustre ici dans un genre tout britannique qui survit particulièrement bien au passage des années. Là où le vaudeville français vieillit affreusement mal, l'humor à l'anglaise, entre cynisme, intelligence et loufoquerie, semble survivre aux ravages du temps grâce au raffinement et au flegme uniques de la perfide Albion.
"Les deux enfants du capitaine et de Lady Chadlington se prirent d'une affection extrême pour Paul qui, d'abord complètement dérouté par le fait qu'ils aient pour prénoms Christopher Robin et Wendy, décida au bout d'un ou deux jours de négliger cette marque d'affectation, dont ils n'étaient pas responsables après tout. Il les appela George et Mabel (sa bouche refusant toujours de prononcer leurs véritables prénoms) et s'y attacha beaucoup."
En bref : Quelque part entre P.G.Wodehouse et Evelyn Waugh, Nancy Mitford nous sert ici un Downton Abbey où la crème de la crème anglaise est rehaussée à la sauce Worcestershire. Les personnages savoureux, le style subtilement caustique et les paysages enneigés des Cotswolds font de ce Christmas Pudding un dessert explosif. Vous en reprendrez bien une part ?
Oh oui, oui, oui ! Ca me tente beaucoup !
RépondreSupprimerUn grand merci pour ta jolie carte. Elle est vraiment superbe ! Merci pour cette charmante attention. Je te souhaite à mon tour une très belle année. J'espère que tu vas bien malgré ce début d'année bien chargé.
RépondreSupprimerBonsoir Mya : je réponds affreusement tard à ton petit mot ! Toutes mes excuses, c'est la course tout le temps ici ! Je suis content que la carte t'ait fait plaisir. Merci tout plein pour tes bons vœux :-D
SupprimerOh oui, je me souviens avoir aimé !
RépondreSupprimerJe ne suis pas surpris que tu aies aimé, c'est tellement fin et intelligent ! J'ai beaucoup ri !
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