Paris, mars 1673. Scalpel en main, le chirurgien Pierre Dionis opère des cadavres devant une assemblée d’étudiants. Bientôt, une série de meurtres accable la ville. Étrange coïncidence :
les blessures infligées aux victimes s’inspirent des séances de
chirurgie de Dionis. Sous un ciel gris et une pluie battante, des doigts
accusateurs se tendent vers l’amphithéâtre. Le spectacle fascine autant
qu’il épouvante. La tension monte et la foule se presse. Qui pourra arrêter ce meurtrier qui met en pratique à la nuit tombée les
leçons publiques données au Jardin du Roi ? Peut-être Sébastien de
Noilat, herboriste de province, anxieux de nature, promu enquêteur bien
malgré lui dans cette ville terrifiante…
***
A quelques rares exceptions, on lit peu de polars autres qu'anglais : nos infidélités aux crimes d'outre-Manche vont parfois vers le thriller américain, mais le plus souvent vers le policier français léger, voire humoristique (Frédéric Lenormand en tête de liste). En revanche, bien qu'on en parle peu en ces termes, on avoue un goût prononcé pour le polar historique sous toutes ses formes, Le nom de la Rose illustrant certainement la quintessence du genre. Annoncé fin 2023, Le jardin des anatomistes avait ainsi retenu notre attention : l'autrice avait déjà brillé deux ans plus tôt avec son premier roman Le loup des ardents, couronné de nombreux prix. Paris, le XVIIème siècle, le milieu émergent de la chirurgie, un personnage principal herboriste... autant d'éléments prometteurs qui nous ont fait sauter sur l'occasion lorsque la possibilité d'une lecture en avant-première s'est présentée.
Paris, hiver 1673. Le jeune Sébastien de Noilat, herboriste, arrive de sa Sologne natale dans le but de rencontrer l'éminent Denis Dodart, botaniste et médecin. Il souhaite en effet lui présenter un carnet écrit de la main d'un lointain aïeul, dont les travaux pourraient participer à soigner la gangrène qui décime petit à petit le peuple solognot. Charles Petit, fougueux botaniste parisien, doit lui servir d'intermédiaire, mais à peine le jeune herboriste est-il arrivé à la capitale que son nouvel ami l'entraîne assister à une représentation publique de chirurgie au Jardin du Roi. Sa Majesté souhaite en effet démocratiser le savoir anatomique et la maîtrise du scalpel, n'en déplaise à la faculté de médecine pour laquelle tout cela ne sont que des sornettes. Au sein de l'amphithéâtre construit au milieu des parterres de fleurs, le tout Paris se précipite et se bouscule pour assister aux démonstrations de Pierre Dionis sur des cadavres que la fraîcheur hivernale permet de conserver et d'utiliser à des fins pédagogiques. Anxieux, fragile et d'un naturel craintif, le pauvre Sébastien n'est pas à l'aise dans cet univers de chairs incisées. Pourtant, lorsqu'on retrouve dans la chambre de Sébastien un homme assassiné après qu'on ait pratiqué sur lui des sévices qui ressemblent étrangement au dernier cours de Dionis, l'herboriste est contraint de s'immerger un peu plus dans le milieu de la chirurgie pour prouver son innocence. Quand il apparait que cette mort n'est autre que la suite d'une longue série d'assassinats perpétrés selon le même principe, la capitale se laisse gagner par la panique : les cours publics de chirurgie ont-il poussé un esprit malade à mettre en pratique la théorie sur des victimes innocentes ? A moins que ces crimes, qui profitent à la faculté de médecine, ne soit qu'un prétexte pour mettre en déroute Pierre Dionis et ses théories...
Cours de chirurgie de Dionis.
Diplômée en histoire de l'art et en archéologie, Noémie Adenis met certainement beaucoup de son expertise et de ses connaissances dans la reconstitution du Paris de 1673 : chercheuse par formation, on devine à travers son écriture les longues heures d'étude et de prospection préalables. Mais l'approche scientifique n'est pas suffisante pour faire un bon roman historique : à cela s'ajoute la patte nécessaire pour donner forme à la masse de documentation. L'autrice s'en tire avec brio : Paris, probablement le premier personnage de cette histoire, s'impose aux autres protagonistes et au lecteur à travers les sens : lumière, ombre, odeurs... un tableau en trois dimensions qui n'est pas sans rappeler la capitale racontée par Patrick Süskind dans Le Parfum.
Plan de l'amphithéâtre du Jardin du Roi.
C'est également dans le terreau fertile de la réalité historique que la romancière a puisé son sujet principal, ou du moins son contexte : les premières leçons de chirurgie données en public au Jardin du Roi, actuel jardin des plantes. Comme elle l'explique dans sa postface, les tensions entre médecins et chirurgiens racontées en toile de fond sont tout à fait véridiques, de même que les figures d'Antoine Daquin, Denis Dodart ou encore Pierre Dionis. Noémie Adenis pioche par ailleurs dans l'ouvrage de ce dernier, Cours d'opérations de chirurgie les explications et les planches qui rythment et illustrent l'avancée progressive de l'histoire, mais aussi ses meurtres. Avouons que le concept est séduisant et qu'il fonctionne : des assassinats en série inspirés par les leçons de chirurgie publiques, le tout dans un contexte de querelle scientifique entre les Anciens et les Modernes, il fallait y songer. A chaque cours suivra nécessairement un crime, alternance macabre qui fait rapidement de ce roman un page turner efficace.
Pierre Dionis et Denis Dodart.
Cependant, il est bien sûr connu que le suspect trop évident n'est jamais l'assassin. En cela, l'autrice maîtrise peut-être moins la subtilité de rigueur que l'atmosphère et le contexte historique, insistant beaucoup trop souvent sur la culpabilité présumée de l'un des personnages. Le lecteur habitué aux codes du polar aura compris depuis longtemps qu'il faut chercher la solution ailleurs, bien que l'absence d'indices ne permette pas d'échafauder une autre hypothèse viable. On reste ainsi dans un certain inconfort : l''intrigue, l'enquête et les soupçons tournent beaucoup trop autour de ce suspect qui, fatalement, n'en est plus un depuis longtemps, mais il est impossible pour le lecteur de porter ses doutes sur un autre personnage. Le roman fait ainsi du sur-place pendant de nombreux chapitres avant qu'une phrase, dans le dernier tiers du livre, vienne relancer la machine à théories. On avait craint l'espace d'un instant une révélation finale trop facile mais, fort heureusement, l'autrice parvient à se rattraper. Même pour ceux qui, comme nous, devineront qui se cache derrière ces crimes aussi sanglants que barbares, Noémie Adenis réserve encore quelques surprises pour la fin, et la conclusion du Jardin des anatomistes apporte avec elle son lot de révélations insoupçonnées.
Pour autant, il reste encore un (gros) détail qui ne nous a pas tout-à-fait convaincu : le personnage principal. Si le concept d'un héros à contre-emploi a tout de prometteur sur le papier (Sébastien de Noilat est un jeune homme anxieux, timide, et à la limite de l'agoraphobie), il est tellement en décalage avec l'univers dans lequel il se trouve malgré lui impliqué que son statut d'enquêteur amateur en perd toute crédibilité. Pour justifier qu'il poursuive ses investigations en dépit de son malaise et de ses phobies, l'autrice l'affuble d'une obstination que lui-même ne comprend pas et d'un personnage de commissaire charismatique (celui-là a le mérite d'être réussi, rabelaisien à souhait) qui le contraint à fureter à sa place. Effrayé et comme perpétuellement au bord de l'évanouissement, Sébastien, bien qu'attachant en tant que personnage, ne parvient pas à nous faire croire à son rôle de détective.
L'amphithéâtre aujourd'hui.
En bref : Un polar historique qui fonctionne grâce à sa reconstitution minutieuse du Paris mouvementé, sale et bruyant du XVIIème siècle et à la mise en scène du milieu émergent de la chirurgie dans un contexte scientifique houleux. L'idée du criminel qui reproduit les leçons publiques données à l’amphithéâtre d'anatomie est séduisante et participe à faire du Jardin des anatomistes un très bon page turner malgré les quelques défauts du roman. On regrette en effet que l'intrigue piétine trop souvent ainsi qu'un personnage principal beaucoup trop en décalage pour être crédible en tant qu'enquêteur.
Un grand merci aux éditions Robert Laffont et à Babelio pour cette lecture !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire