The Roanoke Girls, Crown, 2017 - Éditions Autrement (trad. de M.Vignol), 2017 - Éditions J'ai Lu, 2018 - Editions de Noyelles, France Loisirs Poche, 2021.
Après le suicide de sa mère, Lane, 16 ans, est confiée à la garde de
grands-parents dont elle ignorait l’existence. À son arrivée au domaine
des Roanoke sous la chaleur étouffante du Kansas, au milieu des champs
de blés, elle est à la fois fascinée et troublée. Car il plane sur le
royaume des Roanoke une atmosphère morbide : toutes les filles de la
lignée ont connu des fins tragiques. Quand la cousine de Lane disparaît
dix ans plus tard, la jeune femme se lance à sa recherche, sans se
douter un seul instant qu’elle va déterrer le plus terrible des secrets
de famille.
Dans ce roman d’une noirceur magistrale, Amy Engel distille avec talent le poison des non-dits.
Dans ce roman d’une noirceur magistrale, Amy Engel distille avec talent le poison des non-dits.
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Repéré à sa publication en grand format puis acheté à sa sortie en poche, Les filles de Roanoke a passé quelques années dans notre PAL avant que l'appel du mystère nous amène à l’en exhumer. Présenté comme un roman gothique dans la lignée des ouvrages de Joyce Carol Oates, il nous était en effet difficile d'y résister. Avec ce titre, Amy Engel, autrice d'une saga YA appréciée des critiques, écrivait son premier roman (tout aussi remarqué) à destination d'un lectorat adulte.
"Les filles de Roanoke ne font jamais long feu ici. En fin de compte, soit nous fuyons, soit nous mourons."
Lane n'a que très peu entendu parler de sa famille, les Roanoke, et de leur gigantesque domaine au milieu du Kansas. Sa mère Camilla, psychologiquement fragile, a coupé tous les contacts possibles avec ses parents et laisse entendre quelque chose de cauchemardesque là où sa fille se plait à imaginer quelque chose d'idyllique. Le suicide de Camilla la confrontera à la réalité : à 16 ans, Lane est envoyée chez ses grands-parents dans le Kansas, où elle découvre la ferme des Roanoke, bâtisse gigantesque et labyrinthique qui a accueilli des générations de filles avant elle. Elle y rencontre sa cousine Allegra, d'un an sa cadette et son portrait craché, qui vit là depuis la disparition mystérieuse de sa mère. Au cours d'un été, Lane découvre le meilleur comme le pire de sa famille, où les apparences, trompeuses, dissimulent la plus terrifiante des réalités. Dix ans plus tard, après avoir fui à son tour les Roanoke, Lane reçoit un appel de son grand-père : Allegra a disparu depuis plusieurs jours. De retour au bercail, la jeune femme doit faire face aux secrets qui gangrènent les Roanoke au point d'avoir décimé plusieurs filles avant elle. Si elle ne veut pas finir comme celles qui l'ont précédée, Lane doit découvrir ce qui est arrivé à sa cousine.
"Je sais que fuir ne mène nulle part. On ne peut pas dépasser ce qui
est en nous. On peut seulement l'identifier, le contourner, essayer de
l'améliorer."
Se plonger dans Les filles de Roanoke a quelque chose d'un pacte, d'un engagement sans aucune marche-arrière possible. Pas de rétropédalage, pas de livre qu'on referme pour le remettre au milieu des autres dans sa bibliothèque. Dès le prologue, l'autrice cultive l'art de faire naître le désir d'en savoir plus, celui suscité par le mystère de ce qu'on ne voit pas : Roanoke. Comme la petite Lane, on se figure le domaine familiale sous la forme d'un château. Du moins est-ce ainsi qu'elle en rêve, la nuit. "C'était un cauchemar ?" demande sa mère au réveil. Lorsque sa fille répond par la négative, elle ajoute, les yeux dans le vague, "Alors c'était pas comme ça, rien à voir". Il ne faut pas plus que ces quelques lignes de dialogue pour titiller la curiosité du lecteur, avide de soulever le voile et de voir ce qui se cache derrière. On embarque alors pour une longue chute, peu importe l'horreur façon Barbe-Bleue qui se trame derrière les portes de la ferme Roanoke. Comme Lane, on veut savoir.
"Je comprends qu'il faut parfois dispenser la souffrance pour lui survivre."
La construction du récit participe à tenir le lecteur en haleine, l'empêchant ainsi de reposer le livre ne serait-ce que pour quelques heures de sommeil : l'autrice nous fait alterner entre l'adolescence de Lane (le seul et unique été qu'elle a passé à la ferme des Roanoke en compagnie d'Allegra), le présent de l'héroïne (son retour au bercail suite à la disparition de sa cousine) et les portraits, en diagonale, des précédentes "filles Roanoke" qui ont toutes connu des destins tragiques. Amy Engel raconte une ville du Kansas sans cesse écrasée par une chaleur caniculaire où la poussière des sols arides aveugle les personnages face aux drames qu'ils traversent – parce qu'il en est ainsi des secrets de famille, qui restent hors-champs quoi que toujours à notre portée. Très vite, dans le choix du vocabulaire, dans les dialogues ou encore dans les atmosphères, le lecteur devine le mal qui guette, sans tout-à-fait l'appréhender : le monde tout sucre tout miel des Roanoke suggère quelque chose de bien plus malaisant qu'il ne le laisse pourtant paraître, une inquiétante étrangeté.
"Personne n'avait besoin de m'expliquer l'emprise que nos enfances exercent sur nous, même quand nous la combattons corps et âme."
La subtilité avec laquelle l'autrice distille ce malaise lui permet tout à la fois de composer un tableau criant de vérité d'une société prise dans ses propres contrastes : la misère sociale du petit peuple d'un côté, la prestance et la richesse des Roanoke de l'autre, la chaleur étouffante du Kansas, mais aussi le frisson glacial qu'invitent les thématiques exploitées. Amy Engel raconte l'emprise et la façon dont elle conditionne un microcosme jusqu'à l'implosion, symbolisée ici par la dernière des filles Roanoke encore en vie, désireuse de mettre à jour la vérité. Le roman prend alors la dimension d'une enquête pour, au-delà du secret de Polichinelle qu'était le secret de famille, décortiquer ses effets systémiques sur les autres membres. Le rythme s'accélère ainsi au fil des pages qu'on tourne et des indices laissés par Allegra la disparue, faisant des Filles de Roanoke un page-turner hypnotique et fascinant.
"Je me tournai vers Roanoke. Les inconnus qui passaient et voyaient la
maison dans le lointain la prenaient sans doute pour un asile de fous.
L'idée me fit sourire. A mes yeux, elle évoquait un navire, solide et
insubmersible, flottant sur une mer de blé déchaînée."
"Alors que ma tête sait que cet endroit m'est néfaste, mon cœur idiot et traître fredonne "maison"."
En bref : Très bel exemple de gothique contemporain, Les filles de Roanoke marque le lecteur par sa langue crue et incisive et par ses personnages à la fois écorchés, sombres et lumineux. La thématique du Secret est exploitée dans une atmosphère poisseuse et étouffante qui laisse peu à peu se dessiner l'horrible vérité d'une famille, quelque part entre thriller psychologique et polar intime. Un livre qui laisse longtemps son empreinte une fois refermé.
Et pour aller plus loin...
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