lundi 1 janvier 2018

Gourmandise littéraire de la divine Emilie: Baba comme à la cour du Bon Roy Stanislas.


  Dans mon article d'introduction aux fêtes de fin d'année, j'avais promis quelques gourmandises littéraires de saison en accord avec le thème de ce Noël consacré à Émilie du Châtelet. Voici donc une première recette digne de la marquise philosophe et scientifique : le Baba, servi à la cour du Roi Stanislas. Le Baba, un gâteau de fêtes? Le Baba, gourmandise littéraire? Oui, oui, on vous explique tout de ce mets à l'histoire fascinante et de son lien évident (puisqu'on vous le dit) avec la divine Émilie.

  En 1746, Emilie du Châtelet et son amant Voltaire sont invités à la cour de Lunéville par le Roi Stanislas, beau-père de Louis XV qui a fait cadeau du duché de Lorraine à cet ancien souverain déchu de Pologne. Bon gré, mal gré, Stanislas s'est fait à sa condition et a transformé le château de Lunéville en petit Versailles somptueux où il lui plait de convier les plus grands esprits de son temps. Aussi la marquise des Lumières et son amoureux de philosophe y sont-ils accueillis avec tous les honneurs dus à leur position : le banquet qui les attend à leur arrivée est somptueux, et ils reviendront à plusieurs reprises à la cour de Stanislas, séjournant même au château ou suivant le roi dans ses différentes villégiatures à travers la Lorraine.

Émilie et Voltaire à Lunéville dans Divine Émilie.

  Or, il se trouve que le gâteau qu'on appelle aujourd'hui Baba au rhum doit justement son invention à Stanislas, à l'époque précise où Émilie arrive à sa cour. L'auteur Gilbert Mercier en parle dans son roman biographique Madame Voltaire consacré à Emilie du Châtelet, où le gâteau est par exemple évoqué lors du banquet donné en l'honneur du couple après un jeu de joutes verbales et poétiques comme on savait en faire au siècle des Lumières...

" Les poète se levèrent pour rendre hommage au maître.
- Trêve de pédanterie! dit Stanislas content de sa trouvaille. Et si nous laissions la place à Joseph!
Stanislas voulait parler de son chef d'office, Joseph Gilliers, qui n'avait pas son pareil pour dénicher les plus fameux rôtisseurs, maîtres coq, sauciers et autres pâtissiers, confiseurs et confituriers, capables de réaliser de pures merveilles. Sa dernière trouvaille venait d'Alsace en la personne du pâtissier Stohrer, inventeur d'un gâteau fabriqué avec une pâte de kouglof saturée, telle une éponge, d'un sirop parfumé au rhum et à l'eau de Tanaisie. La première fois qu'il porta ce gâteau rafraîchissant à sa bouche, Stanislas crut retrouver des saveurs oubliées de son enfance polonaise. "Baba, dit-il les yeux fermés. Nous l'appellerons Baba!" "

Madame Voltaire, Gilbert Mercier, éditions Livre de Poche, 2004.

  Tout est quasiment dit dans ce passage, enfin presque, car il y a plusieurs légendes différentes à l'origine du Baba. Le point commun, incontestable, est l'implication du pâtissier Stohrer dans sa création. La rumeur la plus répandue raconte effectivement qu'il aurait arrosé un kouglof de vin de Tokay ( Tokaji, vin liquoreux originaire de Hongrie surnommé le vin des Rois) ou de vin de Malaga pour le rendre plus agréable à sa majesté, mais on dit aussi que la pâtisserie de base serait en fait un babka (brioche polonaise) arrosée de liqueur de Tanaisie.

Table très originalement agencée pour un grand dîner à Lunéville.

  Quelque soit la véritable origine au Baba (peut-être les deux à la fois, après tout!), la recette de Stohrer se spécialise très vite : elle se parfume au safran, s'accompagne de crème pâtissière, et s'arrose d'un sirop à base d'agrumes et de rhum (bien moins cher que les vins et alcools évoqués plus haut). Le nom du Baba, maintenant, qui fait aussi polémique : son nom premier à l'époque de sa création est en réalité "Ali Baba". On raconte tout d'abord que cela vient de la fascination du roi pour les Milles et une nuits, puis qu'il s'agit en réalité du mot polonais "baba" qui signifie "la femme" ou "la vieille femme", parce que la forme du gâteau lui évoquait la tournure des robes portées dans sa patrie d'origine...

 Le roi Stanislas

  En tous les cas, une chose est certaine : au vu de la renommée de ce gâteau à la cour de Lunéville, Émilie en a forcément mangé plus d'une fois, et peut-être encore plus en période de fêtes puisque le Baba fait partie des recettes de Noël et Pâques...

  Pour la recette qui suit, je vous propose un Baba accompagné d'une crème pâtissière originale au safran. La recette de la base est, comme à l'origine, une pâte levée proche de la brioche, et le sirop aux agrumes est adaptable au Tokay comme au rhum...


Ingrédients :

Pour le Baba:
-250 g de Farine,
-10g de levure de boulanger,
-120 g de sucre,
-1 dl de lait
-3 œufs,
-100 g de raisins secs moelleux (idéalement, un mélange de deux variétés),
-beurre pour le moule.

Pour le sirop:
-Zeste et jus d'une orange,
- 35 cl d'eau,
-180 g de sucre,
-25 cl de rhum, vin de Tokay ou de Malaga.

Pour la crème pâtissière au safran:
-35 cl de lait,
-30 g de sucre,
-3 jaunes d'oeuf,
-2 cuillères à soupe de maïzena.
-quelques pistils de safran.
-quelques gouttes de vanille liquide.

A vos toques!

Pour le Baba et le sirop:
- Préparer un levain en diluant la levure dans le lait tiède avec une cuillère à soupe de sucre. Laisser lever 15 minutes dans une pièce chaude.
- Dans une jatte, mélanger la farine et le sucre, y incorporer le levain, puis les œufs. Ajouter les raisins secs et mélanger encore quelques minutes.
- Beurrer un moule à kouglof et y verser le mélange. Couvrir et laisser lever dans une pièce chaude pendant une heure : la pâte doit doubler de volume.
-Enfourner dans un four préchauffé à 160° pendant 30 à 35 minutes. 
-Pendant la cuisson du baba, préparer le sirop : faire chauffer dans une casserole le jus et le zeste d'orange, l'eau, le sucre et l'alcool choisi. Laisser bouillonner puis frémir une vingtaine de minutes jusqu'à ce que le sucre ait fondu.
-Lorsque le baba est cuit, le sortir du four puis patienter quelques minutes avant de le démouler dans un récipient creux.
-L'arroser ensuite délicatement du sirop encore chaud jusqu'à absorption complète. Une fois le gâteau bien imbibé, le déplacer dans le plat de service et le laisser refroidir.

Pour la crème pâtissière:
-Dans un bol, réserver une partie du lait et y diluer la maïzena. Mettre de côté.
-Faire chauffer le reste du lait avec les jaunes d’œuf, le sucre, la vanille et le safran à feu moyen. 
-Quand le mélange commence à frémir, y ajouter le mélange à base de maïzena et remuer énergiquement. Retirer du feu dès que la crème s'est épaissie et la verser au centre du Baba.

  Servir le Baba tiède ou froid, décoré de fruits (physalis, framboises...) et le déguster entre deux tirades ou mots d'esprit propres aux Lumières! 

 

8 commentaires:

  1. Miam ! Il a l'air bien bon et il est beau, ton baba ! C'est un dessert que j'adore. Merci pour la recette et merci pour toutes ces infos passionnantes.

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    1. Merci! Je suis content qu'il soit appétissant, j'ai eu peur de le rater autant visuellement qu'au goût mais j'ai été plutôt content du résultat :) J'adore les pâtes levées et les levains, mais c'est toujours difficile d'avoir la bonne température pour, dès lors qu'on n'a pas un bon feu de cheminée ^^

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  2. Ficelle for Ever3 janvier 2018 à 02:23

    J'en reste...et bien...baba...

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    1. Pas au point d'en avoir l'appétit coupé, j'espère? ;)

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  3. et ben, j'en ai appris des choses sur le baba ! Merci :)
    Je testerais à l'occasion cette recette

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    1. Mais de rien ;) Si tu testes, tu viendras me dire ce que tu en penses, d'acc? ;)

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  4. Ton baba est très réussi. :) Je n'en ai préparé qu'un, avec l'aide de mon père et ça remonte déjà à quelques années.
    La prochaine fois, j'aurai une pensée pour le siècle des Lumières.

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    1. Merci beaucoup Hilde! J'ai eu peur que le levain ne prenne pas, j'ai surchauffé mon terrier pour que la pâte gonfle comme il se doit ;)

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