samedi 26 septembre 2020

Louis veut partir - David Fortems.


Éditions Robert Laffont, 2020.

La neige recouvre tout mais pas les images. Pascal voudrait s’ouvrir la tête pour les prendre à mains nues et les jeter dans la Semoy, qu’elles s’enfoncent dans la vase, dans les algues vertes et gelées de la rivière. Il se dit que c’est peut-être ça que Louis a cherché à faire. Il a cherché à tout éteindre. À faire un noir. À fuir.

Pascal, ouvrier dans une petite ville des Ardennes françaises, a toujours été fier de son fils Louis, un garçon calme et bon élève qui passe son temps dans les livres. Une passion presque obsessionnelle pour la littérature qui surprend dans leur entourage modeste. Tous deux mènent une vie tranquille, faite de silences complices. C’est du moins ce que pense Pascal jusqu’à ce que Louis soit retrouvé mort à la confluence de la Meuse et de la Semoy, où il a décidé de mettre fin à ses jours. Pourquoi un tel geste ? Que s’est-il passé ? Abasourdi et accablé, Pascal va peu à peu découvrir la vérité. Et bientôt, une évidence : son fils était pour lui un parfait inconnu.

Premier roman incisif et sensible, Louis veut partir dissèque une relation manquée entre un père et son fils. Il fait saillir l’absence tragique de communication au sein d’une famille et le caractère implacable du déterminisme social.

***

  Ce n'est pas parce que, chez books-tea-pie, on aime le romanesque ou les intrigues gothiques sombres et fioriturées qu'on n'aime pas aussi la littérature contemporaine et les sujets plus sociaux. Publié à l'occasion de cette rentrée littéraire 2020, Louis veut partir est le premier roman du jeune David Fortems, originaire des Ardennes dans lesquelles il situe son intrigue.

"Puis un jour, t'es tranquille en pause déjeuner avec tes collègues à t'engueuler pour savoir si le mot fleur prend un e ou pas à la fin, t'es le seul à dire que ça n'en prend pas mais les autres insistent tellement que ça te fait douter. Tu te dis soit ils sont tous cons soit je me trompe. C'est eux qui sont tous cons. Le téléphone sonne et tu réponds à l'appel et on te dit monsieur brigade criminelle et tu réponds oui qu'est-ce qu'il se passe, mais avec ce ton, ce ton qui fait taire tout le monde dans la salle, les yeux qui cherchent les tiens, interrogatifs, et là on te dit je suis désolé mais votre fils a été retrouvé mort, il faudrait que vous veniez l'identifier."

  Très rapidement dès le début du livre, on comprend que Louis est mort. Louis, jeune garçon blond et un peu rond tout juste sorti de l'adolescence. Louis, fils d'un ouvrier syndicaliste des Ardennes, passionné d'une littérature qui, il faut le dire, détonne un peu dans le milieu social dans lequel il grandit. Louis, "différent", l'étiquette qui veut tout et rien dire à la fois. Louis, qui nourrissait certainement  des ambitions situées bien au-delà des limites posées par la Semoy, ce cours d'eau qui borde le petit espace où il résidait depuis des années. Louis, qui vivait dans un silence confortable avec son père, Pascale, afin de ne pas gêné celui-ci avec sa différence, ses ambitions et... ses secrets. Lorsque Pascal est appelé parce qu'on a repêché le corps de son fils dans la Semoy, la réalité de Louis lui explose soudain à la figure : il ne connaissait pas son fils. Cela est bientôt confirmé par un sms reçu le soir des funérailles sur le portable de l'adolescent, resté en charge. Comme un fil que l'on tire, d'un interlocuteur à un autre, Pascal part à la rencontre des quelques personnes qui constituaient l'entourage secret de Louis pour mieux comprendre qui il était vraiment et le pourquoi de son geste.

"On ne tombe jamais amoureux de quelqu'un, mais de quelque chose chez quelqu'un."

  Annoncé comme une publication majeure de la rentrée littéraire, Louis veut partir a été, rapidement, fortement comparé à deux autres œuvres assez proches : Retour à Reims de Didier Eribon et Pour en finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis. Parmi les points communs, on peut en effet évoquer l'intrigue enracinée dans un décor marqué par une certaine histoire sociale ainsi que le poids de cette dernière sur le destin des protagonistes. La différence majeure est que, contrairement à ses prédécesseurs, David Fortems ne signe ici rien d'autobiographique et ce même si son roman puise évidemment (et de son propre aveu) dans des éléments personnels et un réel reconnaissable ; Louis veut partir reste une fiction.

"Un jour, on étudiait un texte de Duras, et dedans, il y avait la phrase c'est une merveille d'ignorer l'avenir. Louis était devenu fou de rage. Sa vénération pour Duras ne l'empêchait pas de trouver que c'était la phrase la plus idiote qu'il ait jamais lue, que c'est simple d'écrire ça quand on est déjà vieille. Ignorer l'avenir, c'est beau quand l'avenir est plein de chance et de surprises et de succès comme l'a été celui de Duras."

  Fiction, oui, mais aux accents des plus réels, comme on l'évoquait à l'instant. Le choix des Ardennes comme cadre de l'action, justifié par les origines de l'auteur et le souhait de mettre en scène un décor rarement raconté dans la littérature, nous plonge dans un environnement aux accents hostiles malgré son apparence de carte postale de campagne. La distinction puis la rencontre entre le milieu ouvrier et politique rude propre au père, par qui on entre dans l'histoire, et le monde de Louis (d'abord marqué par le goût pour la littérature et l'annonce d'une réussite sociale à venir, puis qui glisse lentement sur les chemins noirs de diverses économies souterraines) sont amenées avec style et subtilité. La narration, notamment, à laquelle l'auteur donne dans le fond et dans le forme le phrasé direct et râpeux du père, est un élément particulièrement intéressant en ce qu'il rend le propos encore plus fort.

 "Tout deuil est une éclipse. Alors que luit le soleil, soudain, une lune noire vient obscurcir le jour. L'éclipse, en elle-même, ne dure qu'un temps, mais assez pour faire lever la tête vers le ciel. Puis, progressivement, la vie reprend son cours, les jours se succèdent, nuit, jour, nuit, jour, et l'ombre qui plongeait l'existence dans le noir s'en va. Le seul changement, c'est que derrière, tu laisses une part de toi. Tu survis, sans jamais plus être tout à fait entier. Vivre, c'est avant tout se fragmenter."

  Il y a ainsi de nombreux autres points positifs à cet ouvrages : outre la narration, le rythme, égrainé par les rencontres successives de Pascal dans le cercle de connaissances de Louis, permet une diversité de voix et l'annonce à venir de révélations qui tiennent le lecteur en haleine : on pensait, dès les premiers chapitres, avoir tout compris au suicide de Louis ; fort est de constater que tout n'est pas aussi simple. A travers ces dialogues et ces rencontres, on assiste à un rendez-vous manqué entre père et fils, la réalité de ce dernier se dévoilant peu à peu. Malgré les univers parfois sombres dans lesquels l'auteur nous emmène, son roman ne tombe jamais dans un tableau glauque. David Fortems ne cherche pas à dresser un portrait au vitriol ou à verser dans le sensationnel et la lumière semble toujours percer, souvent par l'incursion vivifiante et touchante de la poésie au milieu de la noirceur pourtant présente. La définition même de la mélancolie, peut-être, finement et habilement restituée.

  L'éternelle question du déterminisme est bien évidemment au centre de Louis veut partir. On espère que, plutôt que de conclure à sa réalité pleine et entière, la mort du personnage principal dès les premières pages est davantage un procédé dramatique. Histoire de nous laisser dire et espérer que la résilience et le libre arbitre restent des chemins possibles...

"Ce sont les choses qu'on tait le plus qui parlent le mieux de nous."

En bref : Un roman court, rythmé et incisif qui explore à travers le rendez-vous manqué entre un père et son fils les mailles complexes du tissus social et de la construction identitaire. Louis veut partir a recours à une narration percutante qui met ainsi en relief les incursions de poésie, les raies de lumière qui filtrent à travers la brume des Ardennes. Un livre fort et mélancolique.

 

Un grand merci aux éditions Robert Laffont et à NetGalley pour cette lecture.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire