samedi 9 avril 2022

Entretien avec Kirby Williams : son écriture au croisement des cultures, des époques, et des inspirations...

 

     Tout récemment, nous avons partagé avec vous notre avis sur Quand sonne l'heure, suite du roman Les enragés de Paris, tous deux publiés aux excellentes éditions Baker Street. Hommages au roman noir et déclaration d'amour à la France, ces deux livres nous font suivre Urby Brown, personnage de jazzman originaire de La Nouvelle-Orléans, dans le Montmartre des années 30 à l'Occupation. Nous avons eu la chance d'échanger par téléphone avec leur auteur Kirby Williams, qui a accepté de répondre à nos questions...

Pedro Pan Rabbit : Comment vous est venue l'idée des Enragés de Paris et de Quand sonne l'heure ?

Kirby Williams : Tout a commencé avec un film que j'ai dû voir vers 1975 : Lacombe Lucien, de Louis Malle. Ce qui m'avait frappé dans ce film, c'est que le personnage faisait partie de la Milice et qu'il y avait dans cette Milice, un Noir. Je me suis demandé ce que pouvait bien faire un Noir en France sous l'Occupation et surtout, au sein de la Milice ! Ensuite, la deuxième inspiration, c'est en voyant le film Le pianiste de Polanski, vers 2003. J'ai été captivé par l'histoire de ce personnage de musicien pendant la Seconde Guerre mondiale. J'ai alors songé que ce serait intéressant de développer une intrigue centrée sur un personnage de Noir américain musicien pendant l'Occupation. Cela a été le point de départ. J'ai ensuite pensé que le personnage pourrait être un musicien de jazz, puisque cette musique avait alors été très appréciée en Europe. Mon premier modèle de musicien de jazz très connu pendant l'entre-deux-guerres était Amstrong ; j'ai commencé à lire des biographies et des ouvrages qui lui étaient consacrés, et j'ai ainsi découvert qu'il avait eu une enfance assez troublée et qu'il avait passé quelques années dans une maison de redressement, et que c'était là qu'il avait appris les rudiments de la musique. C'est également à ce moment-là qu'il avait commencé à travailler avec un chiffonnier juif de La Nouvelle-Orléans qui lui avait donné sa première trompette. J'ai trouvé cette anecdote fascinante et de là est né le personnage d'Urby. Une sorte de Louis Amstrong en France, sous l'Occupation, qui aurait été un octavon fruit d'une liaison entre un Français et une prostituée quarteron. Le tout en faisait un protagoniste avec de nombreuses questions quant à son identité, ce qui participait à épicer un peu l'histoire. C'est ainsi, en assemblant des éléments de-ci, de-là, que les choses se sont construites. Je me suis aussi appuyé sur ma propre histoire. Mes parents étaient Texans, et mon père était un des premiers Noirs américains à travailler à l'ONU à NY en 1946 et il avait eu la possibilité de faire les allers-retours pour rentrer en famille au Texas. J'avais un grand-oncle qui s'était battu en France pendant la Première Guerre mondiale. Les Noirs avaient en effet dû se battre sous commandement français à cause de la ségrégation raciale : les soldats américains refusaient qu'ils soient sous leur commandement. À son retour, il était fier de porter son uniforme, mais il était très mal perçu par les Blancs américains ; ils s'en prenaient à lui car ils ne voyaient qu'un nègre en uniforme. Tandis qu'en France, mon oncle avait toujours trouvé les Français formidables : ils considéraient un Noir comme n'importe quel homme, sans faire de différence. « Les Blancs en France ne sont pas comme ceux d'ici », disait-il. Mes parents étaient Texans et mon père était un des premiers Noirs américains à avoir obtenu un poste à l'ONU, à New York. Du fait de son travail, j'ai toujours été bien intégré et je n'ai pas subi beaucoup de racisme, mais les histoires de mon grand-oncle ont cultivé très tôt ma curiosité de ces événements-là, de la France, et de la vie des Noirs américains à cette époque. 

 


PPR : Vous évoquez les éléments de votre histoire familiale qui ont participé à élaborer votre roman. Est-ce qu'il y a beaucoup de vous dans le personnage d'Urby ?

KW : Je n'ai pas mis beaucoup de ma personnalité dans celle d'Urby, mais plusieurs éléments de sa vie renvoient à la mienne. Mon père avait la peau très foncée alors que du côté de ma mère, ils étaient très métissés, avec la peau plutôt claire, au point que deux filles de mon grand-père se sont fait passer pour des Blanches quand elles sont allées vivre dans le Middle West. Elles venaient au Texas pour les fêtes de famille puis retournaient à leur vie de Blanches le reste du temps. Cette question d'identité raciale m'intriguait, même si elle ne me touchait pas directement. Ce sont aussi des lectures sur Alexandre Dumas, le chevalier de Saint-George, Pouchkine qui sont venues m'inspirer le personnage d'Urby... des personnages métis dont je me demandais comment ils avaient vécu, dans leur époque, avec cette question d'identité. Une question avec laquelle je n'ai pas eu à vivre personnellement ; je n'ai donc pas eu les mêmes soucis qu'Urby.

 

Kirby Williams, jeune diplômé

PPR : Lorsqu'on termine Les enragés de Paris, rien ne semble indiquer qu'un second tome va suivre. L'aviez-vous prévu ? Aviez-vous déjà projeté des éléments sur cette suite dès l'écriture du premier tome ? Ou est-ce que l'envie d'écrire un nouveau roman sur Urby s'est présentée plus tard ?

KW : L'idée s'est présentée plus tard. J'avais l'impression d'avoir d'autres choses à raconter. Les enragés de Paris se déroule sur une période très courte, quelque chose comme 5 semaines, avec un peu de loufoquerie. De plus, à la fin, Urby, n'a pas les réponses à toutes les questions qu'il se pose quant à son identité : son père de cœur reste Stanley, mais son père de sang est le comte d'Urbé-Lebrun. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à résoudre. Après un laps de temps de deux ans, je me suis penché sur l'idée et j'ai commencé à travailler sur ces éléments, j'ai essayé de les démêler et de voir s'il y avait matière à poursuivre. C'est ainsi qu'est né Quand sonne l'heure.

 

Kirby Williams, dans ses jeunes années à Paris

PPR : Donc les éléments nouveaux qu'on apprend sur Urby dans le second titre n'étaient pas réellement prévus et sont apparus au fur et à mesure ?

KW : Oui, plutôt. Même si, évidemment, je devais avoir tout ça quelque part derrière la tête, mais ça a émergé et ça s'est développé en écrivant. Je ne pars jamais avec un schéma préétabli. C'est au fur et à mesure que j'écris que je développe des choses et ça continue petit à petit.

 

 

 

PPR : En lisant le premier opus, on pense évidemment au roman noir américain, mais il y a ce rythme, très rapide, et cet enchaînement de péripéties parfois loufoques comme vous le dîtes vous-mêmes. Nous avions beaucoup pensé au roman-feuilleton français ; s'agit-il d'une de vos autres inspirations ?

KW : Pas tellement le roman-feuilleton français, mais j'ai été très inspiré par les comédies de Boulevard françaises. Un chapeau de paille d'Italie, par exemple, ou les œuvres de Feydeau, Labiche, etc... Cela m'inspirait dans cette idée du « qui va tuer qui, qui kidnappe qui... ? », pour ajouter du rocambolesque dans l'aventure.

 

PPR : Cette inspiration-là semble moins présente dans le second livre. Les éléments historiques font qu'on est plus en tension et il y a beaucoup plus de mélancolie ; est-ce que vous l'avez senti dans l'écriture, était-ce volontaire, ou est-ce que cela s'est imposé ?

KW : Oui, c'est tout à fait ça. Urby lui-même en est conscient. Il y avait à cette époque des mouvements dans l'air du temps qui faisaient que le climat était de plus en plus chargé. Il y a une expression chez les Noirs américains, quand ils sont dans une situation critique et qu'ils sentent qu'on va en avoir après eux, qui dit « On sent la brise ». Et Urby, là, il commence à « sentir la brise » aussi. Ce n'est pas uniquement dû aux agissements des Français d'extrême droite ou à la montée du nazisme, mais aussi à ce qui se passe aux États-Unis. Il y a, en même temps qu'en Europe, une montée du fascisme à l'américaine. Urby est un homme impulsif, mais il peut ressentir ça. Il faut dire qu'il a aussi cet ami, ce colonel allemand qui est un grand amoureux de Jazz et un ami de Stanley, et qui refile à Urby et Stanley des renseignements sur ce qui se trame (d'ailleurs, ce personnage est inspiré d'une personnalité historique, un officier basé à Paris sous l'Occupation, surnommé « Dr Jazz », qui a justement protégé des musiciens de jazz à Montmartre comme Jango Reinhardt, mais ça c'est une autre histoire). Mais pour ce qui d'Urby, il sent le vent tourner. Quant à Stanley, il vieillit, il sent venir des signes de faiblesse. Son père spirituel faiblit tandis que son père réel devient de plus en plus fort. Et puis il y a sa compagne, d'origine juive alors que l'antisémitisme ne cesse de grandir. Urby semble détaché dans sa façon de raconter les événements, car il a le cool du jazzman, mais il est en même temps profondément touché. Cela crée une sorte de mélancolie. Une sorte de blues

 


PPR : Quand on termine le second livre, on se doute qu'il n'y aura pas de suite possible, mais quels sont vos futurs projets d'écriture ?

KW : Eh bien il y a une possibilité qu'Urby revienne... Sait-on jamais ? L'idée commence à se développer, à prendre sa propre vie. Nous verrons cela !

 

***

 

    Nous terminerons donc sur cette possibilité pleine de promesses ! Nous remercions infiniment Kirby d'avoir accepté cet entretien et d'avoir pris le temps de répondre à nos question avec autant de chaleur et de sympathie. Aucun doute que nous programmerons un nouvel entretien si un troisième ouvrage vient à paraître...

 

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