samedi 1 juillet 2023

La femme de chambre - Nita Prose.

The Maid
, Ballantine Books, 2022 - Editions Calmann-Levy (trad. d'E. Roudet), 2022 - Le livre de poche, 2023.

    Bienvenue au prestigieux hôtel Regency Grand, avec ses tapis de velours rouge, ses dorures et ses employés plus rocambolesques les uns que les autres. La jeune Molly, discrète, solitaire et zélée, y travaille comme femme de chambre et en connaît tous les recoins.
Mais un jour, elle trouve la richissime Mme Black dans sa suite, paniquée, aux côtés du corps sans vie de son mari – une pagaille bien compliquée à ordonner. Mêlée malgré elle à cette étrange affaire de meurtre, Molly va mener l’enquête, aidée de quelques précieux collègues et amis. Elle va alors découvrir que derrière la magnifique façade, le Regency Grand cache bien des secrets…
 
    Je suis votre femme de chambre. J’en sais tellement sur vous. Mais en fin de compte, vous: que savez-vous vraiment de moi ?
 
***
 
    La sortie en V.O. de La Femme de Chambre (The Maid) avait éveillé notre curiosité voilà plusieurs mois déjà – et pour cause, la couverture de l'édition britannique avait de quoi appâter le lecteur avec son vert velours et son design rétro chic à souhait. Le book trailer avait fini de nous convaincre, et ce alors que le contenu restait en grande partie un mystère : thriller gothique ? Polar léger dans un décor à la Downton Abbey ? Cosy Mystery vintage ? Les couvertures des éditions françaises ont semé le doute quant au genre exact de cette Femme de chambre : il fallait donc se dévouer pour voir de quoi il retournait exactement...

                
    Le Regency Grand est l'un des hôtel les plus chics de la ville. Avec ses nombreuses suites de luxe et son service impeccable, la renommée de l'établissement en fait l'un des points de chute les plus attractifs des millionnaires et autres hommes d'affaires pleins aux as du pays. Mais un drame pourrait tout changer : un matin, la jeune Molly, femme de chambre, découvre le cadavre de M. Black dans sa suite. Alors que le décès semble être dû à une mort naturelle, des éléments suspects laissent à penser qu'il pourrait s'agir d'un meurtre et, très vite, lancent la police sur la piste de Molly. Il faut dire que la jeune fille est loin d'être ordinaire : toujours tirée à quatre épingles, la très professionnelle femme de chambre se distingue par le regard étrange qu'elle porte sur le monde. Très à cheval sur les principes que lui a enseignés sa défunte grand-mère, passionnée de ménage et pas très douée pour les relations sociales, Molly serait-elle trop étrange pour être honnête ?
 

    Verdict ? La Femme de chambre est loin de ce qu'on attendait (même si on ne savait pas tellement ce qu'on attendait, d'ailleurs). Ni thriller victorien, ni polar léger, ni Cosy Mystery (et ce bien que l'ouvrage cherche manifestement à lorgner dans cette direction), ce roman policier est avant tout l'histoire d'un concours de circonstances au gré de chassés croisés meurtriers dans un hôtel de luxe. Pourquoi concours de circonstance ? Car l'héroïne, si elle tombe par hasard sur le cadavre et qu'elle se trouve ensuite accusée du meurtre, ne décide pas tellement d'elle même de résoudre le crime pour se disculper. L'enchaînement d'actions qui mène à la résolution finale tient davantage à l'aide que lui apportent les personnages secondaires, personnages d'ailleurs aussi transparents que l'intrigue est cousue de fil blanc.
 

    Et pourtant, best seller aux États-Unis en 2022, The maid semble avoir conquis les lecteurs. La raison semble alors davantage tenir au personnage principal qu'à l'intrigue en elle-même. Stephen King himself a encensé ce premier roman pour sa protagoniste : "L'héroïne la plus intéressante (et attachante) depuis longtemps". On ne peut nier que c'est surtout le personnage de Molly qui nous a fait tenir jusqu'à la fin du livre. Molly, qu'on pourrait décrire de tout à fait atypique, présente très certainement des troubles du spectre de l'autisme et ce même si les termes ne sont pas exposés explicitement. A la place d'un diagnostic précis, l'autrice dissémine les indices que reconnaitront les connaisseurs ou les concernés. Pour autant, ne pas nommer son profil reste à plusieurs égards une excellente idée : cela évite de classer Molly dans une case et d'engager ainsi certains aprioris du lecteur de même que cela évite à Nita Prose de voir lui tomber dessus tous les spécialistes du sujet pour lui reprocher tel ou tel élément qui dénoncerait son éventuelle méconnaissance du propos (on doit reconnaître, déformation professionnelle oblige, qu'on a nous-même critiqué certains détails). Enfin, cette absence d'étiquette permet, dans une mesure autrement plus intéressante, une identification plus aisée au personnage principal dès lors qu'on ne rentre pas dans le moule, permettant ainsi de créer un réel lien avec Molly.

Nita Prose, l'autrice.

    Derrière son apparente simplicité, Molly, en tant que narratrice du livre, laisse entrevoir toute la complexité de sa pensée : l'implicite et le second degré, difficilement accessibles pour elle, permettent une lecture intéressante des situations sociales ou des interactions au cours desquelles les autres protagonistes prendront pour de la naïveté ce qui est en fait une compréhension différente du monde et des choses. C'est d'ailleurs cette particularité qui fait que Molly n'est jamais tournée en ridicule au yeux du lecteur alors que ce dernier, qui comprend les sous-textes et les motivations cachées des autres personnages, devine très facilement que Molly se fait rouler dans la farine. C'est là, entre la profondeur d'une narratrice atypique et une énigme trop facilement élucidable pour le lecteur neurotypique, que le pitch de départ pourtant séduisant n'est malheureusement pas assez solide pour en faire un vrai bon polar.
 

    Les critiques au dos de la couverture mentionnent une "lecture douillette assurée" selon Page des libraires et un "polar bien ficelé" d'après le site d'art de vivre Châtelaine. On est un peu désolé de ne souscrire à aucune de ces visions, l'intrigue n'étant à notre sens ni douillette ni particulièrement bien ficelée, et ce bien que l'autrice joue avec subtilité avec les ellipses narratives pour tenter de noyer le poisson. The Maid vient cependant de voir paraître outre-Atlantique une suite intitulée The mystery guest, qui laisse deviner une série ou un cycle en devenir, de même qu'une adaptation cinématographique a déjà été annoncée avec Florence Pugh dans le rôle titre. Affaire à suivre, donc.


En bref : Un polar qui se laisse lire sans déplaisir mais dont l'intrigue policière légère, totalement transparente, n'est pas à la hauteur du personnage principal, pourtant très bien construit et mis en mots. Narratrice du livre, le personnage de Molly, profil atypique présentant probablement des traits autistiques, nous donne à voir les choses selon sa lecture particulière du monde qui l'entoure. Nita Prose relève un défi de taille qui évite la plupart des écueils de ce genre d'entreprise, mais son livre perd en intrigue ce qu'il avait gagné avec cette protagoniste unique en son genre. Un traitement plus sombre et plus complexe aurait sans doute convenu davantage que cet entre-deux inconfortable entre l'histoire de gangsters un peu fade et le cosy mystery pas vraiment cosy.

2 commentaires:

  1. Oh dommage, ça semblait si prometteur !!

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    1. Oui, la couverture et le résumé sont assez trompeurs. Pas une totale déception, mais pas aussi extra qu'on essaie de nous le vendre non plus... facilement oubliable en fait.

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