dimanche 5 novembre 2023

L'enfance des Méchants, des Vilaines et des Affreux - Sébastien Perez (texte) & Benjamin Lacombe (illustrations).

Editions Margot, 2023.

    Le méchant... quel personnage fascinant ! Depuis la nuit des temps, il nourrit les récits. Délicieusement détestable, il hante les contes et les romans. Plus complexe que le héros, il est celui qui pimente les histoires. Mais pourquoi est-il si méchant ? Est-il né ainsi ou l'est-il devenu ? Qu'est-ce qui a bien pu l’amener à vouloir faire du mal autour de lui ? Difficile de l'imaginer, et pourtant...
 
    Voici l'enfance de célèbres méchants, vilaines et affreux racontée à travers vingt portraits qui apporteront peut-être quelques réponses... ou pas !

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    L'année dernière, nous avions fait remarquer qu'il était difficile de ne pas ouvrir, à l'occasion d'Halloween, au moins un album de Benjamin Lacombe. Après L'étonnante famille Appenzell, que nous avions chroniqué à l'automne dernier, le duo que l'illustrateur forme avec son comparse Sébastien Perez vient de publier cet automne L'enfance des méchants, des vilaines et des affreux. Cet album présente 20 portraits de "grands" méchants de la littérature, de la mythologie, ou issus de légendes diverses, à travers l'histoire secrète de leur enfance.


    La figure du méchant fascine : sans lui, pas d'histoire. L'antagoniste est souvent, à ce titre, dix fois plus intéressant et complexe que le personnage principal, et ses motivations restent parfois très floues. Pourquoi la Reine de Cœur veut-elle décapiter tout le monde ? Pourquoi la Méchante Reine est-elle à ce point jalouse, jusqu'au crime, de la beauté d'autrui ? Pourquoi le Capitaine Crochet livre-t-il un combat sans fin contre Peter Pan ? Pourquoi Barbe-Bleue est-il devenu ce dangereux serial-killer doublé d'un pervers narcissique et d'un mari possessif ? Depuis quelques temps déjà, ces questionnements ont invité à développer une "culture du Méchant", culture qui, à travers films, séries ou encore romans, tentent d'expliquer les célèbres histoires de leur point de vue et, parfois (souvent) en leur donnant ainsi des circonstances atténuantes.
 
 
    De Maléfique à Cruella chez Disney, de Carabosse sous la plume de Michel Honaker à Wicked, la véritable histoire de la méchante sorcière de l'Ouest sous celle de Gregory Maguire (qui a ainsi lancé le concept bien avant tout le monde), sans oublier l'excellente Revanche des méchants de Fabien Clavel, les méchants font des émules. Souvent envisagés comme des laissés pour compte, ces antagonistes sont présentés sous un jour nouveau, loin d'être inintéressant, et qui s'attache à développer davantage encore leur psychologie en dépassant les limites du manichéisme. Si certaines critiques se sont attachées à pointer du doigt un glissement de terrain qui visait à gommer les contrastes nécessaires à toute bonne histoire, notamment celles destinées à un jeune public, nous sommes de ceux qui, à l'inverse, trouvent l'approche pertinente dans ce qu'elle apporte de matière à débat et à réflexion.
 

    Bref, le concept a donc encore de l'avenir, et il n'est pas très surprenant, au regard de leurs précédentes collaborations, de voir B. Lacombe et S. Perez s'en emparer. Leur album paru aux éditions Margot début octobre s'empare du sujet à leur sauce, c'est-à-dire en axant la lecture de ces hautes figures de la malveillance sur la période charnière de l'enfance. En point d'orgue, cette question, quasi-philosophique : nait-on méchant ou le devient-on ? Pour y répondre, ils nous racontent sous forme de vignettes illustrées la jeunesse de 20 méchants issus des contes, de la littérature romanesque, ou encore des mythes et légendes mêmes les moins connus. En cela, on a l'agréable surprise de voir figurer aux côtés du Grand Méchant Loup et de la Sorcière des Mers des personnages tels que Baba Yaga, Jack O'Lantern, mais aussi Njeddo Dewal (qui a notamment inspiré la Sorcière Karaba chez Michel Ocelot).
 

    Même au-delà du concept et de la diversité, que dire de l'album en lui-même ? Abordons les illustrations, tout-d'abord : ne faisons pas la fine bouche, Benjamin Lacombe est un artiste incroyable, dont le talent semble à la fois se confirmer et se perfectionner de publication en publication. Le clair-obscur de la chambre de Dracula, les écailles luisantes et incroyables de réalisme du dragon de la fée Maléfique, les incroyables contrastes du paysage sous-marin de la Sorcière des Mers... sans omettre le souci du détail. Chaque scène, chaque double-page, chaque dessin, fourmille à ce titre d'éléments visuels à traquer et analyser pour (ré)interpréter ou (ré)interroger le texte qui les accompagne : les lectures féministe de la Sorcière de l'Ouest, le panier abandonné par le Méchant Louveteau, le contenu du sac porté par Yama-Uba... ou, à l'image de l'illustration de couverture, cette moquette géométrique à souhait en clin d’œil à l'Overlook Hotel de Shinnng !
 

    Côté texte, l'écueil de ce type de format, c'est de présenter presque immanquablement des inégalités. Certains portraits sont tout bonnement excellents, à l'image de l'enfance de Dracula (qui exploite le mythe du bébé mort-né comme précédant au vampirisme) ou encore de celle de la fée de la Belle au Bois Dormant (qui s'inspire des légendes de fées tisseuses, héritières des Parques). Barbe-Bleue et Shere Khan présentent également plusieurs idées merveilleusement pertinentes et aussi bienvenues qu'inattendues, de même que la biographie de la petite Reine de Cœur est un régal de jeux de mots autour du champ lexical des cartes à jouer. D'autres, en revanche, sont beaucoup moins réussis : pauvres Capitaine Crochet et Sorcière des Mers, dont le traitement, fade, n'est par exemple pas du tout à la hauteur de leur mythologie.
 

    Et puis, il reste une chose qui nous dérange un peu. Dans une récente interview, auteur et illustrateur ont évoqué leur souhait de retourner à l'origine de ces mythes et ont, en sous-texte, invité à se défaire des lectures faîtes par Disney. Un propos que nous trouvons fort intéressant, mais aussi un pacte qui n'est pas du tout tenu en réalité : la fée Maléfique, dans son nom comme dans son apparence, est une copie évidente de la version du personnage chez Disney (chez Perrault, elle s'appelle Carabosse), tout comme Hadès (au visage bleu) et la Sorcière des Mers. La Reine de Cœur et Jack O'Lantern se sont à l'évidence échappées du bestiaire de Burton et Loki, des film Marvel. Ce parti pris visuel ne nous aurait pas posé problème du tout en temps normal, mais ici, il est contraire à l'engagement prétendument revendiqué par les deux créateurs. Et comme on aime à pinailler...
 

 
En bref :  Un album au concept enthousiasmant, qui fait la part belle à la diversité en brassant notamment autant de contes et de mythes célèbres que de légendes moins connues. Les illustrations de Benjamin Lacombe sont toujours aussi renversantes de réalisme et on se plait à traquer les détails cachés dans les nombreuses scènes mises en image. Les biographies imaginées par Sébastien Perez sont plus inégales : de très bonnes idées pour certains textes, mais parfois un manque assez regrettable d'imagination pour d'autres. Si le tout reste très réussi, on reproche à l'ensemble une inspiration trop évidente de l'univers Disney et consort, d'autant que les auteurs disent vouloir s'en distancier...
 
 

1 commentaire:

  1. Les albums de Benjamin Lacombe sont tellement beaux, difficile de résister ! J'en ai quelques uns dans ma bibliothèque. Le concept de ce nouveau titre me plaît, j'adorerais découvrir ces portraits de méchants malgré l'inspiration Disney.

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