dimanche 5 mai 2024

Lessons in chemistry - une mini-série de Susannah Grant d'après le livre de Bonnie Garmus.

 

Lessons in chemistry

 
Une mini-série de Susannah Grant d'après le roman Leçons de chimie, de Bonnie Garmus.
 
Avec : Brie Larson, Lewis Pullman, Aja Naomi King, Stephanie Koenig, Patrick Walker, Kevin Sussman... 
 
Date de diffusion internationale : 13 octobre 2023 sur Apple TV

    « Lessons in Chemistry » se déroule au début des années 1950 et raconte l’histoire d’Elizabeth Zott, dont le rêve de devenir scientifique est mis à mal par la société patriarcale. Quand Elizabeth est renvoyée de son laboratoire, elle accepte un emploi d’animatrice dans une émission culinaire à la télévision et entreprend d’enseigner à une nation de femmes au foyer négligées – et aux hommes qui se mettent soudain à écouter – bien plus que des recettes.
 
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     On vous en parlait il y a peu : le roman Leçons de chimie de Bonnie Garmus, best-seller traduit dans le monde entier, avait été notre grand coup de cœur de ce début d'année. Applaudi par quelques milliers de lecteurs, le livre n'avait pas mis longtemps à taper dans l’œil des producteurs. Tout juste sorti sur les étals des librairies américaines, les droits avaient été achetés pour en faire une série télé, dont le tournage avait débuté pendant l'été 2022. Diffusée à partir de l'automne 2023 sur la plateforme Apple TV, la transposition de Leçons de chimie pour le petit écran montre à quel point le format sériel est pertinent et satisfaisant pour l'adaptation d’œuvres littéraires.
 
Bande-annonce de la série.
 
    Car comment imaginer le long et mouvementé parcours de l'héroïne Elizabeth Zott dans un condensé de 90 minutes ? Probablement au prix de nombreuses coupes dans l'intrigue et d'une simplification des personnages comme des rebondissements, comme c'est souvent le cas pour de nombreux romans transformés en longs-métrages – longs-métrages par ailleurs toujours trop courts dès lors qu'il s'agit de mesurer la fidélité vis-à-vis du matériau d'origine. Susannah Grant, productrice, metteuse en scène et scénariste, a donc eu l'excellente idée de faire du best-seller de B. Garmus une série, qui plus est une série qui magnifie le roman initial.
 

    L'époque et les thématiques promettaient déjà un divertissement enthousiasmant, mais la série offre en effet bien plus que cela. A la façon du livre qui fait ici et là quelques allers et retours dans le temps pour qu'on comprenne les tenants et aboutissants du cheminement de l'héroïne, Lessons in chemistry version petit écran propose une construction en plusieurs temporalités ingénieusement mises en relation. Lorsque la série commence, Elizabeth Zott est une star et son émission culinaire captive des centaines de femmes au foyer. A partir de ce point de départ, le scénario nous propulse sept ans plus tôt, alors que la jeune femme est une laborantine malmenée par ses collègues masculins. Les époques se répondent grâce à des procédés narratifs subtiles et astucieux, qu'on pourrait résumer par les dernières phrases de l'ultime épisode : "Ce n'est que lorsque vous regardez en arrière que vous comprenez que tout était lié". Le Deus Ex Machina habilement utilisé dans le roman prend forme à l'écran grâce à la technicité d'une équipe de scénaristes qui manie le storytelling à la perfection.
 

    Comme pour toute adaptation, cependant, Lessons in chemistry n'échappe pas aux libertés. Souvent critiquables et critiquées, les différences entre un ouvrages et sa version filmée sont rarement appréciées ; cette série fait office d'exception en étant l'une des rares transpositions qui surpassent le roman original. Un détail qui mérite d'être noté, tant le livre de Bonnie Garmus relevait déjà de la totale réussite. Les 8 heures de série offrent tout d'abord l'opportunité de quelques scènes complémentaires à la relation entre Elizabeth et Calvin – des scènes qui permettent de voir le couple se souder autant qu'elles font doublement ressentir aux téléspectateurs son absence une fois le personnage disparu. Le deuil d'Elizabeth n'en est que plus vif. Les recherches d'Elizabeth et de sa fille Madeline pour mieux connaître les origines de Calvin sont également plus approfondies, prenant ici la forme d'une véritable enquête qu'on se surprend à suivre avec émotion et ce même lorsqu'on en connait déjà l'issue.
 
 
    Mais l'une des libertés les plus ingénieuses est probablement le choix de transformer le personnage d'Harriet Sloane, voisine d'Elizabeth, en mère de famille afro-américaine. La question des personnes de couleur était évoquée dans le roman original, mais de façon transversale (Elizabeth y dénonçait le racisme et soutenait Rosa Parks) ; ce parti pris est élevé à un niveau supérieur grâce à la présence de la famille Sloane et aux ségrégations subies par les minorités ethniques, à travers le combat d'Harriet pour contrer la construction d'une autoroute destinée à faire raser son quartier. Face à l'atypique Mademoiselle Zott, l'avocate en devenir Madame Sloane permet de renforcer le message de l'histoire, hommage à toutes les femmes fortes quelles qu'elles soient.
 

 

    La reconstitution des années 50 et 60 participe à la réussite de la série, visuellement impeccable. Décors et costumes semblent sortir tout droit d'un tableau d'Edward Hopper, quelque part entre une esthétique léchée et un profond réalisme. Les costumes tiennent à ce titre une place importante, particulièrement ceux portés par Elizabeth, de plus en plus élégante à mesure qu'elle s'impose comme figure de proue de son émission. La créatrice Mirren Gordon-Crozier, qui a également dessiné les costumes de Là où chantent les écrevisses et du Château de verre, a conçu ici des pièces aussi raffinées qu'authentiques.


 
    Mais cette élégance ne serait rien sans le talent de l'actrice principale, Brie Larson, qui porte la blouse avec un style inimitable. Comédienne bien connue de l'univers Marvel, elle est la grande révélation de Lessons in chemistry. Sosie de Grace Kelly, Brie Larson excelle dans toute la palette d'émotions du personnage au fil de son évolution et même dans ses aspects les plus atypiques. Elle rend ce rôle complexe extrêmement attachant et on s'émeut en la voyant s'épanouir et s'ouvrir au fil de la série. Le reste du casting est loin de démériter, avec notamment Lewis Pullman (fils de l'acteur Bill Pullman) qui interprète un Calvin Evans très crédible tout en étant plus maniaque que son modèle de papier. L'alchimie (ou la chimie tout court) des deux acteurs est palpable et parvient à nous faire croire à ces deux personnalités hors normes et fragiles à la fois.
 

    En ce qui concerne les personnages secondaires, Aja Naomi King campe une Harriet Sloane extrêmement convaincante en mère courage et fervente défenseuse des droits humains. Stephanie Koenig interprète quant à elle une Fran Frask permanentée comme doit l'être la secrétaire archétypale des années 1960, personnage qu'on adore détester avant de l'adorer tout court, crédible dans ses deux facettes. On retrouve également avec plaisir le visage candide de Kevin Sussman (The Big Bang Theory) dans le costume de l'adorable Walter, producteur de l'émission de télé d'Elizabeth. Enfin, difficile de ne pas applaudir la performance du chien qui interprète 6:30, animal de compagnie – mais surtout véritable compagnon – de l'héroïne.
 

    Portée par des standards des années 50 (Ah, la chanson "Wham (Rebop Boom Bam)" de Mildred Bailey au générique d'ouverture !) et les musiques originales de Carlos Rafael Rivera (qui avait également composé la bande originale du Jeu de la Dame), Lessons in chemistry est un délice en 8 épisodes qui touche autant que le roman d'origine.

Génial générique d'ouverture.

En bref : Parfaite adaptation d'un livre parfait, Lessons in chemistry parvient même à sublimer le roman original de Bonnie Garmus via des libertés qui s'avèrent pleines de sens. Grâce à un casting extraordinaire (Brie Larson en tête, fantastique), à une mise en scène soignée et à une écriture ciselée, cette mini-série nous émeut autant qu'elle nous donne envie de croire en la vie et en ses surprises. Un régal.


Et pour aller plus loin...
 
- Lisez le roman original ICI.
 


- Si vous avez aimé cette plongée dans la télévision culinaire des années 60, on ne peut que vous recommander la très sympathique série Julia, sur Julia Child, star des émissions de cuisine des sixties américaines !

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