Il neige. Trois flocons se sont posés sur la fenêtre givrée. Dans le château, sur la montagne, dans la forêt, une petite princesse est née.
— Aussi belle que l'hiver, aussi blanche que la neige, elle s'appellera Blanche-Neige ! dit le roi émerveillé.
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Nous continuons notre florilège d'albums consacrés à Blanche-Neige, avec cette fois-ci une édition bien particulière. Nous avons en effet jusqu'ici essentiellement présenté des mises en image diverses et variées du même texte des frères Grimm, l'intérêt se portant donc davantage sur la forme que sur le fond. Cet ouvrage paru chez Nathan en 2018 présente à ce titre un intérêt supplémentaire : le conte n'y est pas la version allemande que tout le monde connait, ni une révision simplifiée de ce même texte, mais bien une nouvelle vision de l'histoire, nourrie de croisements entre différentes variations étrangères.
Aussi, à la plume, on retrouve ici le talentueux Gaël Aymon, romancier jeunesse dont on avait beaucoup aimé le Silent Boy, lu il y a quelque temps. Grand amoureux de l'histoire de Blanche-Neige et de ses versions alternatives, il s'inspire ici des variantes russes d'Alexandre Afanassiev et d'Alexandre Pouchkine, qu'il entremêle avec l'intrigue conçue par les frères Grimm afin de proposer une lecture composite, joli brassage culturel qui s'affranchit des frontières en jouant avec les multiples symboles de cette histoire ancestrale.
La trame est donc tout à fait reconnaissable et Gaël Aymon s'amuse des détails empruntés à telle ou telle version, qu'il glisse ici ou là : comme chez Afanassiev, la Méchante Reine n'est pas la belle-mère, mais bien la mère naturelle de Blanche-Neige (une différence de taille par ailleurs déjà présente dans une première version de Grimm, beaucoup moins connue). Comme chez Pouchkine, le prince se prénomme Elysée et ce dernier interroge le soleil, la lune, puis le vent afin de retrouver la trace de sa dulcinée. Comme chez Grimm, c'est chez des nains que la princesse se réfugie et c'est en recrachant le morceau de pomme empoisonnée resté coincé dans sa gorge qu'elle revient à la vie. Également très inspiré par l'adaptation en court-métrage animé de La princesse morte et les sept chevaliers produit par le studio soviétique Soiouzmoultfilm qu'il adore (il nous l'a confié de vive voix lors d'une récente rencontre), Gaël Aymon lui emprunte des tournures de phrase ou se réapproprie certaines de ses lignes de dialogue qui, à la façon d'une madeleine de Proust, réveille quelque chose dans la mémoire et l'imaginaire des connaisseurs.
Aux illustrations, on retrouve Peggy Nille, dont on connaissait l'univers aux traits naïfs et aux couleurs chatoyantes. Pour ce Blanche-Neige, elle se renouvelle totalement : on reconnait évidemment son coup de crayon caractéristique et la simplicité des visages et des silhouettes, mais elle quitte ses teintes et motifs bariolés habituels pour une mise en couleur beaucoup plus subtile. Elle privilégie en effet un noir et blanc d'une grande sobriété auquel elle ajoute une pointe de rouge sang pour quelques éléments caractéristiques de chaque dessin (pommes, fleurs et lèvres), et quelques touches de doré pour mettre en relief enluminure, bijoux, astres et couronnes.
Un peu à la façon d'un théâtre d'ombres chinoises, la silhouette des végétaux se découpe avec beauté et finesse. La nature occupe en effet une place centrale dans les larges illustrations de Peggy Nille : bouleaux blancs dans la nuit noire, fougères arborescentes, lichens et champignons envahissant avec grâce les grandes compositions de l'illustratrice. Des décors dans lesquels on aimerait se perdre, lanterne à la main...
En bref : En entremêlant plusieurs versions de Blanche-Neige – notamment les réécritures russes – Gaël Aymon propose une lecture composite, riche de cultures diverses et d'horizons variés, aussi exotique que séduisante. Les illustrations de Peggy Nille, qui joue avec les ombres et les silhouettes, apportent une grâce particulière à ce très bel album. Une petite merveille.
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