jeudi 29 octobre 2020

Rebecca - Un film de Ben Wheatley d'après le roman de Daphné du Maurier.

Rebecca

 
Un film de Ben Wheatley d'après le roman de Daphné du Maurier

Avec : Lily James, Armie Hammer, Kristin Scott Thomas

Sortie mondiale : 21 octobre 2020 sur Netflix

    En Angleterre, une jeune mariée s'installe dans le domaine familial de son époux, où elle est poursuivie par l'ombre obsédante de la première femme défunte de son mari. 
 
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    C'était probablement l'une des sorties que nous attendions le plus cette année : cette nouvelle adaptation de Rebecca, le grand classique de Daphné du Maurier, déjà magistralement porté à l'écran par Hitchcock (mais pas que : on oublie souvent que le producteur David O. Selznick y a largement mis sa patte, au plus grand désespoir du réalisateur) en 1940. Avec l'ombre du maître du suspense toujours aussi présente dans l'imaginaire collectif, c'est dire si cette nouvelle version était attendue au tournant ; fait est que les premières critiques n'ont pas été très enthousiastes, renvoyant sans cesse à la première adaptation cinématographique. Mais nous, qu'en avons-nous pensé?
 

    Petit retour en arrière : dès l'été et la diffusion de la bande-annonce officielle, le réalisateur Ben Wheatley exprimait clairement une volonté de retourner à une vision très gothique de ce grand classique. En effet, si l'on prête une aura gothique au film d'Hitchcock, c'est surtout du au genre du roman d'origine et au noir et blanc sublime du long-métrage ; en dehors de cela, le film de 1940 lorgne davantage du côté du thriller psychologique à suspense, domaine de prédilection du metteur en scène. Aussi, les commentaires presse et spectateurs qui reprochent au film le manque de suspense remarqué chez son aînée et l'infidélité à l’œuvre originale comparent donc essentiellement avec la première adaptation cinématographique plutôt qu'avec le livre.

 
    Trop romantique, cette version Netflix? Trop précieuse, trop classieuse? C'est ce qu'on lit également. Peut-être serait-il de bon ton de relire le roman de Daphné du Maurier et d'occulter toute interprétation hitchockienne pour analyser objectivement cette nouvelle version. Rappelons, tel qu'on l'a dit dans notre chronique du roman, que l'histoire de Daphné du Maurier est à la base profondément romantique, avec une héroïne d'une candeur qui pourrait presque paraître risible, voire ennuyeuse, si l'on ne devinait pas que l'auteure nous réservait quelques surprises. Le style, par ailleurs, d'une exquise préciosité, ne sert alors qu'à instaurer une atmosphère raffinée et faussement lisse qui n'en sera que plus trompeuse. A l'écran, les décors clinquants de la côte d'Azur et la profusion de luxe ne fonctionnent peut-être pas aussi bien que la plume de D. du Maurier, mais ils ont le mérite de poser un cadre furieusement en accord avec la personnalité de Mrs Van Hopper, qui tient la jeune héroïne sous sa coupe dans le premier tiers du film : démesurée, cossue, pompeuse. A se demander si tout n'est pas prévu pour nous mettre mal à l'aise, ce qui serait alors une réussite en soi : dans le livre, le "je" de la narratrice étant souvent incommodé face aux us et coutumes des classes supérieures, ce malaise venait à toucher jusqu'au lecteur.


    Le gothique du roman original, dans la lignée des œuvres des sœurs Brontë (notamment Jane Eyre, dont la paternité est évidente à plus d'un titre), est à l'évidence une volonté centrale du réalisateur : la lourdeur baroque et l'opulence sombre du manoir de Manderley le rappellent, de même que ces nuées d'oiseaux noirs autour du domaine lorsque la présence de Rebecca se fait ressentir, tels des bêtes de mauvais augure. L'intérieur du cabanon en bord de mer apporte également beaucoup à l'atmosphère recherchée : mobilier rococo aux couleurs criardes endormi sous une épaisse couche de poussière, tentures de velours élimées et vaisselle de porcelaine abandonnée. C'est donc principalement à travers les décors et quelques astuces de réalisation que le metteur en scène tente d'instaurer cette ambiance gothique si palpable dans le roman. A ce titre, la chambre de Rebecca est une belle réussite : plutôt que de tabler sur un intérieur obscure ou d'un rouge aussi charnel que sa défunte occupante comme dans certaines versions antérieures (notamment celle de 1997), la chef décoratrice imagine ici un fastueux boudoir gris perle aux allures de mausolée, peut-être encore plus brillamment malaisant que toute tentative trop recherchée de jouer la carte du sombre.
 

    Notons aussi le hall des miroirs, furieusement Art-Déco, qui donne accès à la chambre de Rebecca. Il est le théâtre du dialogue particulièrement pervers entre Mrs Danvers et la nouvelle Mrs de Winter : cette dernière est littéralement torturée par les propos de la gouvernante en pleine jubilation tandis que leur image se reflète à l'infini autour d'elles, dans une sorte de valse géométrique et hypnotique. Et puisqu'on parle de valse, autre moment résolument gothique du film : le bal, que le réalisateur réinterprète ici dans une version baroque et grandiloquente, étrange parade de monstres grotesques qui oppressent l'héroïne jusqu'à la limite de la folie. Ainsi, contrairement à ce qui est avancé par le plus grand nombre, il nous apparait en fait qu'il y a une véritable volonté d'honorer l'esprit du roman original. Une volonté peut-être même indiquée dès les crédits d'ouverture : la typographie du titre est exactement celle utilisée sur la couverture de la première édition originale ; un amusant clin d’œil.
 
Amusant clin d’œil : la typographie du titre de la première édition réapparait à l'occasion de ce nouveau film.

    Mais reconnaissons une chose : si la volonté est palpable, le potentiel qu'on discerne à l'écran reste par certains aspects inexploité, ou en tout cas inégalement abouti. On sent le désir d'interroger et de fasciner le spectateur, mais ce dernier ne frissonne pas totalement ; on reconnait le travail accompli et les idées par ailleurs très honorables, mais les émotions ne dépassent pas toujours l'écran. C'est là que les quelques ajouts du scénario – qui, sans pour autant trahir le film d'origine, cherchent à apporter quelque nouveauté – sonnent comme un peu trop factices ou inutiles. Le personnage inédit de Clarisse, la jeune femme de chambre, n'apporte rien et délaye même un peu la relation entre Mrs Danvers et la jeune épouse, nouvelle Mrs de Winter que le scénario essaye de transformer en héroïne sur la fin mais sans grande crédibilité. Enfin, si l'idée d'une ultime confrontation avec Mrs Danvers pouvait être séduisante sur le papier, le dernier dialogue avec la gouvernante laisse perplexe dans sa construction (mais pas forcément dans son contenu, on y reviendra plus tard).


    Mais (oui, encore un mais), ces choix de la réalisation ne suffisent pas à condamner la totalité du film, dont le casting est par exemple impeccable à tout point de vue. Habituée des rôles en costumes (Downton Abbey, Le cercle littéraire de Guernesey, Guerre et Paix), Lily James prête toute sa fraicheur et sa candeur naturelle au personnage de la jeune narratrice. Son interprétation, entre spontanéité et légère gaucherie, restitue à merveille le personnage de papier, jusque dans la recherche d'imitation des clientes huppées de l'hôtel (et qui évoque d'ailleurs un passage particulièrement marquant du livre où, s'imaginant être Rebecca, elle adopte l'espace de quelques secondes et sans l'avoir connue des mimiques qui glacent le sang de son nouvel époux – une scène qui aurait eu toute sa place dans cette version). Armie Hammer présente une allure qui colle tout à fait à l'époque, en plus d'offrir une interprétation de Maxim de Winter un peu plus sympathique que le personnage du livre, parfois imbuvable. Entre la chaleur de son attitude au début du film et la froideur de son jeu à Manderley, il parvient à déstabiliser assez pour interroger sans susciter l'antipathie.
 
 
    La palme revient bien évidemment à Kristin Scott Thomas, qui rêvait d'interpréter le rôle de Mrs Danvers depuis des années et qui s'est de suite proposée dès que le projet de film a été lancé. Sa silhouette raide, ses pincements de lèvres, ses jeux de regard, l'intonation faussement détachée de sa voix (rien que pour cela, il faut apprécier le film en VO) en font une nouvelle Mrs Danvers très intéressante et différente des interprétations précédentes. Glaciale, chic et dérangeante et... peut-être même attachante?
 

    La modernité de cette version a également dérangé les critiques ; là encore, on oublie le caractère avant-gardiste du roman à l'époque de sa publication. Face à la censure, Daphné du Maurier ne pouvait que suggérer des idées qui n'étaient pas forcément publiables en 1938 et que cette version, sans trop en dire, vient remettre en exergue : la perversité de Rebecca, par exemple, mais surtout la nature de l'obsession de Mrs Danvers. C'est en cela qu'on peut soudainement poser sur elle un regard nouveau, ou en tout cas mêlé de plus de curiosité que d'antipathie : une seconde lecture féministe transparait en de courts mais profonds instants (principalement dans l'ultime dialogue sur la falaise, justement), lesquels viennent bousculer l'image qu'on a de ce personnage d'antagoniste charismatique par excellence.
 

En bref : Si cette nouvelle adaptation de Rebecca n'est pas le chef-d’œuvre que certains attendaient, elle est cependant plus proche que certaines versions antérieures de l'esprit romanesque du texte original. La volonté de remettre en avant le parfum gothique de l’œuvre de D. du Maurier est palpable et également appréciable, même si elle n'est pas totalement aboutie. Aussi, on compense ces quelques petites dissonances avec le casting trois étoiles et plutôt crédible pour se laisser porter sans déplaisir par cette transposition moderne dans son esprit à défaut d'être totalement habitée.



 
Pour aller plus loin :

 
 

3 commentaires:

  1. J'adore ta plume, Pedro ! Ta conclusion est tellement bien tournée ! Bon, je crois que je me laisserais quand même tentée car le casting est alléchant ; Lily James est décidément partout mais elle m'est sympathique... :-) Bon week-end, malgré tout...

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    1. Merci pour ton adorable commentaire, Fondant! J'ai passé un bon moment avec le film malgré tout, je te le recommande donc quand même. J'aime bien Lily James (sauf dans le Cendrillon en live action de 2015, mais le film entier me laisse perplexe), surtout dans "Le cercle littéraire de Guernesey" et "Downton Abbey". :-)

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  2. Hitchcock était intéressé par l'idée du "fantôme" qui vient pourrir les journées des vivants ; non pas le spectre classique d'un défunt mais la persistance de sa personnalité dans l'esprit de ceux qui restent.
    Idée qui sera sublimée dans le fantastique Sueurs Froides plus tard. Il est intéressant de noter que dans les deux cas, le Rebecca de Daphné et le Sueurs Froides de Hitch, ce sont des "constructions" qui empiètent sur le réel. La nouvelle Mrs de Winter se sent inférieure au personnage parfait construit par Rebecca. Scottie et Judy se laissent quant à eux glisser dans la mort par le souvenir de "Madeleine", un personnage inventé par Judy et son amant, la véritable Madeleine personne ne la connaît.

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