dimanche 23 janvier 2022

The Avengers : Too Many Targets - John Peel & Dave Rogers.

St Martin's Press, 1990 - Toor Books, 1998.
 
    Il y a un agent double dans les services secrets britanniques ! John Steed pense que c'est Mère-Grand – ou du moins, quelqu'un veut qu'il le pense. Mère-Grand pense que c'est Steed. Le Dr Keel pense que c'est un singe, Emma Peel et Cathy Gale pensent qu'il se passe quelque chose de très étrange, et Tara King ne sait plus quoi penser. Mais si vous pensez que les Avengers sont de retour, alors vous avez vu juste. Dans ce premier roman original de Chapeau Melon et Bottes de Cuir depuis plus d'une décennie, tous les agents secrets originaux reviennent. Les compétences en judo de Mrs Gale sont toujours aussi pointues, tout comme l'esprit de Mrs Peel, et Steed reste le gentleman pimpant que l'on connait, du haut de son melon à l'extrémité de son parapluie. Mais ce ne seront pas des vacances : deux agents sont déjà morts, et personne ne sait à qui faire confiance. Il faudra l'intelligence de tous les Avengers pour venger ces horribles meurtres.
 
    Juste à temps pour le trentième anniversaire de la célèbre série télévisée, Too many targets est une merveilleuse aventure, intemporelle, riche en nostalgie, débordante d'aventure et de réparties savoureuses. Comme Steed pourrait le dire : "Mme Peel, on a plus que jamais besoin de vous".

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    Il y a déjà quelques années de cela, nous avons partagé avec vous plusieurs novélisations adaptées de la série à succès Chapeau Melon & Bottes de Cuir : L'article de la mort et Canards Mortels, deux excellents romans dans le pur style du feuilleton d'origine – et pour cause, ils étaient écrits par Patrick Macnee lui-même – puis deux fictions adaptées par John Garforth (Le flambeur flambé et Drôles de morts), qui a beaucoup moins réussi l'exercice. Il faut reconnaître, comme on a pu en parler dans nos récents articles traitant des transpositions en BD et fictions audios, qu'il est particulièrement ardu de se réapproprier l'univers des Avengers. L'un des romans, encensé par la critique à sa sortie, qui fait exception (au même titre que les deux opus écrits par P.Macnee) est le Too Many Targets de John Peel et Dave Rogers. Le premier, auteur de nombreuses novélisations de programmes télévisés à succès, et le second, qui a signé plusieurs ouvrages de référence sur les Avengers, on rédigé à quatre mains ce roman situé quelque part entre la suite et l'hommage. Sorti en 1990 et encore inédit en France, Too Many Targets venait tout comme le comics Steed and Mrs Peel célébrer les trente ans de Chapeau Melon & Bottes de Cuir. Quoi de mieux que les soixante ans, aujourd'hui, pour le (re)découvrir ?
 
Édition poche sortie en 1998.
 
    Londres, fin des années 1960. John Steed est contacté par Charles, son ancien supérieur hiérarchique, pour une affaire des plus délicates : Keller, un collègue agent secret, a été sauvagement assassiné dans une cabine téléphonique. Il cherchait apparemment à prévenir le service qu'une taupe sévissait parmi eux. Sur l'enregistrement de son appel, on entend distinctement la voix de l'assaillant, qui n'est autre que... Mère-Grand ! Mère-Grand, de son côté, a également des problèmes internes du même genre : un autre agent a été retrouvé tué, et sur l'enregistrement des faits, c'est très clairement la voix de Steed qu'on reconnait ! Il charge donc Tara King de mener l'enquête afin de vérifier la loyauté du célèbre espion au chapeau melon. De son côté, Steed ne peut solliciter l'aide de Tara pour mener des investigations sur Mère-Grand : récemment intégrée à ses côtés par le N+1 lui-même, elle est dès lors beaucoup trop compromise. Il sollicite donc l'assistance de l'unique et indétrônable Emma Peel pour faire la lumière sur ces étranges événements. Pendant ce temps, Cathy Gale, l'une de ses premières partenaires féminines, est retournée à sa vie d'anthropologue. Quand on fait appel à elle pour effectuer des recherches sur un gorille échappé dans la campagne anglaise, la talentueuse scientifique suspecte un leurre et se lance dans une enquête bien nébuleuse... elle y rencontrera David Keel, tout premier bras droit de Steed, arrivé d'Afrique pour une autre sombre affaire. Ils ne vont pas tarder à découvrir que toutes les pistes les conduisent au même endroit : les Knight Industries, fondées par le père de Mrs Peel. Derrière les grilles de l'usine de robotique, quelqu'un tire les ficelles en secret afin d'attirer Steed et les autres Avengers pour les éliminer dans un grand combat homérique. A moins, peut-être, que cela ne fasse "trop de cibles", même pour ce Diabolical Mastermind ?
 

    Reconnaissons-le : les critiques avaient vu juste. Jamais une novélisation n'avait à ce point réussi à cerner l'esprit des Avengers. Le résultat dépasse dans le fond et dans la forme les adaptations écrites jusque-là, rédigées à la façon d'épisodes inédits. En réunissant toutes les partenaires de Steed (ainsi que son premier bras droit masculin, avant que la série n'adopte les codes qui allaient la rendre célèbre), J.Peel et D.Rogers ont inventé le concept de "Reunion" avant l'heure. Le projet, on ne peut plus audacieux sur le papier, était aussi diablement périlleux : quelle intrigue justifierait de rassembler tous ces personnages en une seule histoire ? Comment coordonner les différentes trajectoires narratives ? Comment conserver en même temps le rythme et les codes propres à la série ? A l'évidence, s'il n'y a pas de recette pour y parvenir ; les deux auteurs ont mis au service de leur entreprise leur connaissance pointue de Chapeau Melon & Bottes de Cuir, et c'est ce qui fait toute la différence.

L'introduction de l'épisode "Petit gibier pour gros chasseur", saison 4.
 
    En effet, cela fonctionne tout d'abord grâce aux nombreux clins d’œil à série originale et ce, dès la scène d'ouverture : une chasse au gorille, qu'on pourrait croire se dérouler en pleine jungle, se passe en fait dans... la campagne anglaise ! Une introduction qui se veut une référence directe et assumée à l'épisode "Petit gibier pour gros chasseur" de la saison 4. L'enquête de Steed le conduit par ailleurs jusqu'à l'ambassade de Russie, où l'on retrouve le peureux Brodny, agent du KGB déjà croisé plusieurs fois à l'écran. On pourrait également évoquer la société V.O.I.C.E., inventée pour ce roman, mais dans la pure lignée des firmes déjantées aux acronymes farfelus de la saison 5. Par ailleurs, les Knight Industries, les usines de robotique fondées par le père de Mrs Peel au centre de l'épisode "L'héritage diabolique" de la saison 4, ont une place de choix dans ce roman. Les auteurs s'amusent à imaginer (avec pertinence) un lien avec les grands ennemis du monde des Avengers, qui reviennent en force dans cette novélisation : les cybernautes. Ces robots quasi-indestructibles, devenus symboliques de l'univers de la série, ont en effet été au centre de trois épisodes au cours de l'intégralité du feuilleton (un épisode de la saison 4, un épisode de la saison 5, puis un épisode du spin-off des New Avengers). Le duo de romanciers utilise à bon escient la fibre nostalgie...
 
"Il devait admettre qu'il appréciait Steed – Oh, cet homme était évidemment un sale capitaliste, mais il était un sale capitaliste charmant. A chaque Noël, Steed lui envoyait un magnum de champagne, et Brodny avait toujours apprécié le geste. En retour, il n'oubliait jamais de lui faire parvenir un colis piégé. Un geste de respect mutuel entre deux bons vieux ennemis."

Source : NeilChe on DevianArt

    J.Peel et D.Rogers parviennent par ailleurs à donner une continuité intéressante aux ancien(ne)s partenaires de l'agent au Chapeau Melon, relativement à ce qu'on sait de leur histoire personnelle dans la série. Ainsi, le Dr Keel a abandonné la chasse aux espions pour reprendre son activité de médecin au profit d'une association du type Médecin Sans Frontières, baptisée ici la World Health Organization, soit... la W.H.O. (un clin d’œil là encore assumé, mais cette fois à une autre série bien connue des écrans britanniques). Cathy Gale, après des recherches en Afrique, s'est réinstallée dans un petit manoir en périphérie de Londres, où elle poursuit l'écriture d'articles anthropologiques. Enfin, Mrs Peel, qu'on découvre jeune veuve, a repris en toute logique la tête des Knight Industries. L'intérêt de ces différentes voies professionnelles auxquelles sont retournés les personnages est qu'elles deviennent également le point de départ des indices qui marquent le début de cette aventure inédite.
 

"Cela ressemblait à un tableau d'enregistrement, relié à de nombreux tubes cathodiques. Deux rangées de leviers de contrôle et de boutons étaient visibles sur le clavier qu'elle manipulait afin de mettre le dispositif en marche.
— C'est un analyseur sonique, expliqua-t-elle devant le regard interrogateur de Steed.
— Est-ce qu'il sait faire des frites ? demanda-t-il (...).
Des lignes oscilloscopiques apparurent à l'écran. Emma attendit un moment puis mit l'image en pause. Steed regarda attentivement puis sourit.
— Une fois, j'ai eu un rencard avec une fille qui avait à peu près cette tête-là."

    Les protagonistes sont restitués avec justesse, un défi particulièrement difficile (et souvent raté dans la plupart des novélisations). Le challenge est d'autant plus réussi qu'au-delà de leur dimension archétypale et très codifiée, les auteurs parviennent à leur donner une certaine épaisseur psychologique sans trahir le ton de la série (avec, concernant Steed, une amusante référence à la biographie de Patrick Macnee – les connaisseurs comprendront). La fidélité quant à leurs traits de caractère transparait aussi beaucoup par leur "voix", et les dialogues sont à ce titre dignes des scénarios originaux : savoureux, décalés, et spirituels. On sent que les deux romanciers s'en donnent à cœur joie, particulièrement dans les scènes de suspense, à l'image du combat final où les Avengers se moquent avec flegme du Diabolical Mastermind qui s'apprête pourtant à les supprimer. C'est un réel délice. Délice du ton et du verbe que l'on retrouve dans les titres des chapitres, totalement habités par l'esprit avengeresque ("Strangest in the night...", "Doctor W.H.O.", "Tara finds her VO.I.C.E.", "Just another Tomorow-the-world Maniac after all", "Apocalypse now... and again"...).
 
"— Quelle est la différence majeure entre les singes et les hommes ?
— Les hommes se rasent plus souvent ? suggéra Tara, taquine."
 

"— Riez de vos plaisanteries tant que vous le pouvez, Steed. Vous serez bientôt trop occupé pour ça.
— En fait, je pensais justement prendre quelques vacances, répondit l’intéressé.
— Vous vous apprêtez à prendre de longues vacances. Définitives. Je vous les offre.
— Quelle générosité, répondit Steed, je dois refuser, évidemment.
— Mais vous n'avez pas d'autre option, Mr Steed.
— Allons donc, fit remarquer Emma, il y a toujours une autre option. (Puis, à l'attention de Steed :) Ils ne changeront jamais, n'est-ce pas ?
— J'ai souvent suspecté, dit Steed, qu'il y avait un pauvre type, enchaîné quelque part à un bureau – probablement dans les locaux de la BBC – dont le seul travail était d'écrire toutes les répliques des scientifiques fous. Un peu comme celui chargé de rédiger tous ces proverbes qu'on trouve dans les biscuits chinois."

    Outre cet esprit si habilement restitué, on retrouve aussi les scènes d'action caractéristiques de la série, dont certaines qu'on regrette de ne pas voir à l'écran un jour. Les investigations de Steed et Emma dans le cimetière de Highgate (un passage qui évoque par ailleurs beaucoup le roman Drôles de morts de J.Garforth), assaillis par des statues d'anges robotisées, est un des meilleurs moments de cette novélisation. Idem pour les nombreuses scènes où les différents personnages sont attaqués par les versions robotisées des Avengers (encore un hommage, cette fois à la thématique du double, souvent utilisée dans la série) : probablement irréalisables pour la télévision des années 60, ces séquences fonctionnent furieusement bien dans ce roman.
 

    La préface, signée Patrick Macnee himself, persuade le lecteur que ce livre annonce le potentiel retour de Chapeau Melon & Bottes de Cuir avant la fin du XXème siècle. Il ne croyait pas si bien dire, puisque le remake sortirait dans les salles en 1998... pour faire un flop. A la lecture de Too Many Targets, on ne comprend pas que l'adaptation cinématographique se soit empêtrée dans l'écriture d'un nouveau scénario, alors qu'il y avait avec ce roman une histoire digne d'être portée à l'écran et de rendre justement hommage au matériau d'origine.
 

En bref : Avec fidélité, audace, humour et style, J.Peel et D.Rogers signent ici une novélisation qui tient autant de la suite que de l'hommage à Chapeau Melon & Bottes de Cuir. En réunissant toutes les partenaires de Steed, le duo d'auteurs exploite l'une des meilleures idées possibles pour un revival. Challenge risqué mais réussi haut la main, Too Many Targets est une véritable pépite. On regrette que le projet de suite initialement prévu (un cross-over avec la série Le Prisonnier) ou une autre novélisation incluant les New Avengers n'ait finalement jamais vu le jour. En attendant, il nous reste la récente adaptation de ce roman en feuilleton audio par Big Finish, qu'on a hâte de découvrir...

 


 
Et pour aller plus loin...
 
- Découvrez l'adaptation en feuilleton audio par Big Finish ICI.
 
 

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