dimanche 22 mai 2022

Blackwater I : La crue - Michael McDowell.

Blackwater I : The flood
, Avon Books, 1983 - Editions Monsieur Toussaint Louverture (trad. de Y.Lacour avec H.Charrier), 2022.
 
    Pâques 1919, alors que les flots menaçant Perdido submergent cette petite ville du nord de l’Alabama, un clan de riches propriétaires terriens, les Caskey, doivent faire face aux avaries de leurs scieries, à la perte de leur bois et aux incalculables dégâts provoqués par l’implacable crue de la rivière Blackwater.
    Menés par Mary-Love, la puissante matriarche aux mille tours, et par Oscar, son fils dévoué, les Caskey s’apprêtent à se relever… mais c’est sans compter l’arrivée, aussi soudaine que mystérieuse, d’une séduisante étrangère, Elinor Dammert, jeune femme au passé trouble, dont le seul dessein semble être de vouloir conquérir sa place parmi les Caskey.

    Au-delà des manipulations et des rebondissements, de l’amour et de la haine, Michael McDowell (1950-1999), ­co-créateur des mythiques Beetlejuice et L’Étrange Noël de Monsieur Jack, et auteur d’une trentaine de livres, réussit avec Blackwater à bâtir une saga en six romans aussi ­addictive qu’une série Netflix, baignée d’une atmosphère unique et fascinante digne de Stephen King.

    Découvrez le premier épisode de Blackwater, une saga matriarcale avec une touche de surnaturel et un soupçon d’horreur.
 
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    C'est le phénomène éditorial du moment : il y a quelques mois déjà, à grand renfort de publicités, de visuels léchés et de clichés de fabrication d'une couverture qui faisait déjà le buzz, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont annoncé la parution de la saga Blackwater. Inédit en France, ce cycle littéraire est pourtant bien connu aux Etats-Unis, où la parution originale remonte à... 1983 ! Son auteur ? Michael McDowell, un nom qui n'évoque rien de ce côté-ci de l'Atlantique, mais qu'on redécouvre progressivement pour avoir été le comparse de Tim Burton aux manettes de Bettlejuice et de L'étrange Noël de Mr Jack, avant que les deux créateurs ne se séparent pour divergences esthétiques. Bien que grand nom de l'horreur au même titre que son collègue cinéaste, McDowell se situe davantage dans la veine de Stephen King, un ami de longue date auquel on le compare d'ailleurs souvent.


    De janvier à juin 1983, avant même sa période burtonienne, McDowell rencontre donc un succès commercial et critique avec Blackwater, une saga familiale en six ouvrages écrits au cours de l'année précédente. Les tomes successifs paraissent au rythme d'un volume par mois, sujets à raconter l'histoire d'une même famille sur plusieurs générations et tenir en haleine des millions de lecteurs qui binge littéralement la saga comme un feuilleton. En s'inspirant du rythme de publication original, les éditions Monsieur Toussaint Louverture proposent une parution à la chaîne avec un tome tous les quinze jours. Attention, la folie Blackwater arrive dans l'Hexagone !
 
Les six tomes de Blackwater dans leur version originale.
 
    Ce premier roman intitulée La crue nous emmène en 1919 à Perdido, petite ville de l'Alabama victime d'une crue catastrophique qui a englouti la quasi totalité de la ville, forçant les habitants à se réfugier sur les hauteurs ou dans les quartiers réservés aux Noirs. Lors d'une maraude en barque au-dessus de la ville submergée, Oscar, enfant chéri du clan Caskey et héritier de la famille de propriétaires les plus aisés de Perdido, découvre une ultime survivante réfugiée à l'étage de l'hôtel inondé. Elinor Dammert, sauvée des eaux, est une créature étrange : ses cheveux sont de la même couleur rouille que la rivière argileuse et tous ses papiers ont semble-t-il disparus dans la crue. Sous la protection d'Oscar, la jeune femme s'invite dans la communauté de Perdido. Mary-Love, veuve Caskey, mère d'Oscar et matriarche par excellence, ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de cette étrangère qui s'apprête à provoquer un cataclysme bien plus grand qu'une rivière sortie de son lit...
 

"Certains secrets sont destinés à mourir."

    Fasciné par les histoires de famille et les relations inégales qui animent un système familial, Michael McDowell a toujours admis s'être inspiré de sa propre généalogie pour nourrir l'intrigue de Blackwater. C'est probablement cette source véridique, cet ancrage empirique, qui donne à Blackwater, au-delà de son estampillage "littérature de genre", toute sa densité. Car si l'auteur n'a jamais réfuté son statut d'écrivain populaire ni renié sa bibliographie "à consommer sur place", on ne peut que constater la grande qualité d'écriture de ce premier opus et l'aura qui s'en dégage. Blackwater est, effectivement, bien plus que la littérature de gare à laquelle McDowell a souvent été assimilé.
 

"Sister, je m’étonne parfois que tu en saches aussi peu. Les femmes découvrent les choses en premier, puis elles en parlent aux hommes – autrement, les hommes ne découvriraient jamais rien -, ensuite ce sont les domestiques et, en dernier, les enfants."

    Cela tient principalement à l'épaisseur donnée aux personnages et à leurs nombreux reliefs. Le principal talent de l'auteur réside certainement dans sa galerie de protagonistes et dans le système qu'ils constituent. Aucun d'eux n'est univoque et le lecteur sera amené à les aimer autant qu'à les détester parce que, ni entièrement bons ni entièrement mauvais, tous seront capables du meilleur comme du pire pour obtenir ce qu'ils désirent. En cela, McDowell parvient à se saisir de la complexité de l'être-humain gouverné par ses passions. On parlait plus haut de "système" ; le terme est choisi à dessein : tout système quel qu'il soit repose en équilibre sur les interactions entre ses différents membres. Elinor est l'élément déclencheur qui vient bousculer le système, forçant dans un jeu déstabilisant de manipulation ses membres même les plus retors à s'adapter s'ils veulent y conserver leur place. A moins que dans l'étrange lutte des apparences et des stratégies qui s'engage, certains y perdent bien plus qu'un statut...
 
 
 "Voilà la plus grande méprise au sujet des hommes : parce qu'ils s'occupent de l'argent, parce qu'ils peuvent embaucher quelqu'un et le licencier ensuite, parce qu'eux seuls remplissent des assemblées et sont élus au Congrès, tout le monde croit qu'ils ont du pouvoir. Or, les embauches et les licenciements, les achats de terres et les contrats de coupes, le processus complexe pour faire adopter un amendement constitutionnel - tout ça n'est qu'un écran de fumée. Ce n'est qu'un voile pour masquer la véritable impuissance des hommes dans l'existence. Ils contrôlent les lois, mais à bien y réfléchir, ils sont incapables de se contrôler eux-mêmes. Ils ont échoué à faire une analyse pertinente de leur propre esprit, et ce faisant, ils sont à la merci de leurs passions versatiles ; les hommes, bien plus que les femmes, sont mus par de mesquines jalousies et le désir de mesquines revanches. Parce qu'ils se complaisent dans leur pouvoir immense mais superficiel, les hommes n'ont jamais tenté de se connaître, contrairement aux femmes qui, du fait de l'adversité et de l'asservissement apparent, ont été forcées de comprendre le fonctionnement de leur cerveau et de leurs émotions."
 
    Face à l'intrigue familiale et sociale qui constitue le plus gros de ce page turner, on en oublierait presque que Blackwater est aussi un roman d'horreur. Il faut admettre que l'auteur n'en abuse pas et dose juste ce qu'il faut les éléments horrifiques pour provoquer à son lecteur de courtes mais intenses bouffées de terreur. Exceptés un événement réellement étrange au tout début du roman et deux morts on ne peut plus mystérieuses (McDowell s'amusant particulièrement à jouer avec les codes narratifs et esthétiques de l'horreur pour raconter la seconde, véritable festival), Blackwater repose sur des bases très solides qui participent à rendre cet univers particulièrement réel, presque palpable, dans la représentation que s'en fait le lecteur. L'ensemble permet de poser la structure d'une saga dont on a hâte de dévorer la suite.
 

"En vérité, chacune aimait taire ses petits secrets, des secrets qui pourraient ensuite être révélés à un moment opportun pour produire un maximum d'effet - un peu comme un petit garçon lancerait des pétards sous le lit de sa sœur alors qu'elle fait la sieste par un chaud après-midi d'été."


En bref : Ce premier tome de la saga Blackwater tient toutes ses promesses et pose les fondations d'une saga familiale de haute volée, épicée ça et là d'éléments horrifiques qui en font toute l'originalité. Les personnages, denses, réalistes et psychologiquement fouillés, sont probablement l'élément le plus réussi de ce premier opus, qui nous engage vivement à découvrir la suite...
 
 
Et pour aller plus loin... 
 
 - Découvrez prochainement toute la série : le tome 2 ICI, le tome 3 ICI, et les suivants, à venir...


 

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