mercredi 19 septembre 2012

Possession - A.S. Byatt

Possession, Chatto & Windus, 1990 - Editions Flammarion, 1993 - Le livre de poche, 1995.

Entre universitaires, la lutte est âpre autour de Randolph Henry Ash, grand poète victorien. Tous les coups sont permis, y compris dérober des manuscrits ou détourner telle information. Alors que ces querelles de spécialistes battent leur plein, Roland Michell, jeune chercheur, découvre une lettre du maître adressée à une inconnue. Le jeu de piste est ouvert : sur les traces du grand homme, le Dr Michell visite les manoirs du Lincolnshire, croise les daims du parc de Richmond, relit les légendes de la fée Mélusine et de la ville d'Is, non sans avoir convoqué préraphaélites et spirites pour interrogatoire. Epistoles volées, amour clandestines, suicide romantique peuplent l'aventure. Ainsi, de Petrarque au Département d'études féminines, du style gothique au jargon sémiotique, se déploie ce foisonnant puzzle à la manière de.
Cathédrale de mystères, bibliothèque d'idées, labyrinthe de passions ; enquête policière, roman d'amour, pastique littéraire, satire d'un milieu avec ses jargons et ses petitesses : on a pu évoquer les chef-d'oeuvre d'Umberto Eco à propos de ce roman total, couronné par le Booker Prize en 1990. Dans cette chasse au trésor, les uns chercheront les clefs (de Robert Browning à Emily Dinckinson) et les autres se laisseront porter par l'écriture capiteuse et le souffle de la narration.
Au croisement du roman sentimental et du roman parodique, Antonia Byatt réinvente l'énigme littéraire, le roman romanesque.

***
 Possession (2002), film de N. Labute d'après le roman d'A.S. Byatt, avec Aaron Eckhart et Gwyneth Paltrow.

  Ma "rencontre" avec Possession date de mes 13 ou 14 ans : je m'étais attardé devant la télévision en compagnie de Mum et nous étions par hasard tombés sur l'adaptation cinématographique de ce roman, film de Neil Labute dont le titre m'avait alors laissé imaginer une histoire de fantômes comme je les aimais déjà à l'époque. Si le titre était en cela trompeur, je n'avais en revanche pas été le moins du monde déçu par ce film, qui réunissait d'autre thèmes déjà chers à mon cœur : brumes victoriennes, atmosphère gothique, enquête reliant personnage du présent et événements secrets du passé... J'ignorais cependant que cette production était tirée d'un livre et, avec le temps, l'avais plus ou moins oubliée jusqu'à ce je tombe par hasard sur le roman original dans les étagères d'une librairie d'occasion que je fréquente assidument.


  Petit retour sur le synopsis, qui avait donc tout pour me plaire : Roland Michell, jeune universitaire consacrant sa carrière à un grand poète victorien du nom de Randolph Ash, découvre dans un livre lui ayant appartenu le brouillon d'une lettre écrite de sa main, destinée à une mystérieuse inconnue à qui il déclare sa flamme. Ash étant connu pour sa vie de couple bien rangée, voire austère, l'éventualité qu'il ait eu une maîtresse et que cela ait échappé à tous ses biographes pourrait faire l'effet d'une bombe dans l'Histoire de la littérature. Comme possédé par cette missive et son contenu, Roland ne résiste pas à la tentation de voler le précieux manuscrit et de mener l'enquête pour découvrir l'identité de la femme à laquelle le courrier était destiné. Un minutieux travail de reconstitution permet de mettre à jour le nom de la soupirante en question : Christabel Lamotte, poétesse féministe que tout oppose pourtant à Randolph Ash dans ses valeurs et son idéal de vie. Pour mieux faire la lumière sur toute cette affaire, Michell partage sa découverte avec une jeune femme mystérieuse et secrète, Maud Bailey, spécialiste de Christabel Lamotte. Ensemble, ils remontent le cours du temps et décodent les énigmes dissimulées dans les œuvres des deux artistes pour finalement retrouver leur correspondance secrète. A la lecture des missives échangées par les deux poètes, Roland et Maud se laissent peu à peu gagner par le romantisme torturé de cet amour d'un autre âge et y trouve une résonance obsédante à leur propre personnalité et relation naissante...


  Redécouvrir cette histoire enivrante via le roman d'origine était un vrai plaisir, et autant dire que j'ai moi-même été "possédé" par bien des aspects de cette intrigue. Tout d'abord, même si le style d'A.S. Byatt est d'une grande complexité, voire d'une certaine lourdeur par moment, c'est principalement dans les passages consacrés à la correspondance des deux amants ou aux documents "issus" de l'ère victorienne, ce qui en fait alors un vrai tour de force littéraire. En effet, face à la multiplicité des personnages et des époques correspondantes, l'auteure adopte elle-même une pluralité de styles qui confère donc une vraie authenticité et un réalisme saisissant à chaque protagoniste. La qualité des poèmes de Randlolph Ash et Christabel Lamotte est telle qu'on en viendrait presque à croire qu'ils ont réellement existé et que ces textes sont véridiques... pas de doute, A.S. Byatt connait bien la poésie anglaise et sait lier son savoir à sa propre maîtrise de la plume pour un résultat qui mérite qu'on la salue bien bas.

  Cette maîtrise du style littéraire victorien qu'elle parvient si bien à nous restituer n'a d'égale que sa connaissance des thèmes chers aux auteurs de ce siècle, et que l'on retrouve également dans Possession : de nombreuses références au mouvement Préraphaélite (dont je suis un grand admirateur) et à ses sujets de prédilection (légendes elfiques et mythes antiques remis au gout du jour dans poèmes et peintures au style bien caractéristique de ce mouvement artistique) nous permettent de nous laisser porter au rythme des mythes de Merlin et Viviane, de la ville engloutie d'Ys, ainsi que du conte de la fée Mélusine - qui occupe d'ailleurs une place particulièrement importante et que j'ai pris grand plaisir à redécouvrir au travers de ce livre.


   Les deux personnages principaux, anti-héros ambigus mais non moins fascinants, ont des personnalités fouillées et particulièrement complexes: Roland, par exemple, dissimule derrière son apparence des plus banales (voire presque fade, inintéressante) un esprit torturé qui a érigé l'amour romantique victorien en idéal de vie inaccessible, qui l'empêche de croire en toute relation amoureuse qu'il pourrait vivre au sein d'une époque contemporaine. Maud, quant à elle, dissimule sa sublime chevelure blonde dans un turban aussi sévèrement serré qu'elle cache sa fragilité derrière le masque d'une femme froide, presque hautaine. Tous deux "abimés" par des expériences personnelles et relationnelles difficiles, les deux universitaires se révèlent peu à peu l'un à l'autre en même temps qu'ils découvrent les amours secrètes de R. Ash et C. Lamotte et que le lecteur réalise à quel point le couple Roland/Maud, hanté par cette idylle d'un autre âge, ressemble étrangement au couple Randolph/Christabel. Au point de se confondre avec lui et de lui réagir en échos au fur et à mesure des allés et retours chronologiques du récit.

"Il supposait que le romanesque devait céder le pas au réalisme social, même si la tendance esthétique de l'époque était contre."

"Ils étaient les enfants d'un siècle et d'une culture qui se méfiaient de l'amour, du sentiment de l'amour, de l'amour romanesque, du romanesque dans son ensemble."


  Roman d'ambiance à l'atmosphère ensorcelante et capiteuse, Possession n'est pas sans rappeler une intrigue policière doublée d'une chasse au trésor, l'énigme amoureuse Ash/Lamotte attirant comme un aimant les universitaires et historiens avides de découvrir le fin mot de cette histoire : l'ultime secret que cachaient les deux amants et qu'ils ont emporté avec eux dans la tombe.

"L'amour s'éteint (...) comme une bougie dans un bocal d'Humphrey Daivy, s'il n'a plus d'air pour respirer, s'il est délibérément affamé et étouffé."

En Bref:  Comme vous l'aurez compris, j'ai adoré mener l'enquête avec Roland et Maud, parcourir les landes verdoyantes et humides de la Grande-Bretagne, arpenter les couloirs poussiéreux des manoirs victoriens et déchiffrer les missives à l'écriture pleine de volutes et de préciosités d'amants maudits par le destin.

"Les vocabulaires sont des cercles et des boucles qui s'enjambent. Nous sommes définis par les lignes que nous choisissons d'enjamber ou laissons nous enfermer."

Je vous recommande donc expressément ce chef-d’œuvre, dont j'ai hâte de retrouver l’atmosphère ensorcelante en visionnant en boucle l'adaptation cinématographique...

 Trailer du film...sur la subliiiiiime et très appropriée musique de Loreena McKennitt <3

2 commentaires:

  1. Je ne connaissais ni le livre ni son adaptation mais vraiment, c'est très tentant. J'aime beaucoup ce genre d'ambiances.

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    1. Le problème du film est qu'on peut lui reprocher la même chose qu'à l'adaptation du "Da Vinci Code": à moins d'avoir lu le livre avant, la surcharge d'information face au format réduit du film ne le rend pas entièrement assimilable ou en tout cas, difficilement, ce qui explique qu'il ait été massacré à sa sortie. Mais je me moque des critiques, c'est subjectif, personnellement j'adore et je te le recommande vivement! ;-)

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