dimanche 15 janvier 2017

Mes nuits ne sont pas les vôtres - Dominique Marny

Editions Presse de la Cité, 2005,2014 -  France Loisirs, VDB, 2005.

 Par un soir de neige, la voiture de Bernard Beaumont tombe en panne sur une route isolée. Après une marche à travers les bois, il se dirige vers une demeure éclairée. Il frappe. Pas de réponse. Il entre dans un salon à la décoration somptueuse. Désert, en apparence. Il téléphone à sa fille, Belle, afin que celle-ci lui envoie du secours.
   Par maladresse, il casse une rose dont les pétales sont ornés de diamants et les dérobe. Une voix masculine résonne, alors. Affolé, Bernard s’enfuit… Le surlendemain, le portable de Belle sonne. Un inconnu lui annonce que son père a commis une faute. Si elle veut lui éviter d’être puni, elle doit se présenter au château de la Licorne.
   Belle accepte l’étrange rendez-vous. Mais en découvrant son hôte, elle ne peut cacher son effarement. Qui est cet homme au visage brûlé ? Pourquoi vit-il en reclus ? Et pourquoi va-t-il peu à peu fasciner sa visiteuse ? Magie des mots et des atmosphères, force des émotions et des personnages, cette envoûtante et singulière histoire d’amour est un véritable enchantement.

***

  Découvert et lu pour la première fois alors que je devais avoir quinze ans ( à cette époque où l'on entre spontanément et progressivement dans la littérature adulte ), ce roman était plus que jamais de circonstance cette année pour le thème de mon Noël (je vous explique le lien un peu plus bas ;) ), en plus du souvenir que j'avais d'une histoire qui se déroule en grande partie dans des décors enneigés. Un souvenir qui plus est très positif, mais qui méritait bien d'être dépoussiéré d'une relecture pour un avis plus approfondi...


  Le résumé vous aura probablement évoqué le conte de... la Belle et la Bête, qu'on nous sert ici dans une interprétation contemporaine. Si cette simple idée peut paraître alléchante, elle le semble d'autant plus lorsqu'on apprend que l'auteure n'est autre que... la petite nièce de Jean Cocteau, le cinéaste qui réalisa le célèbre film de La Belle et la Bête de 1946 présenté en ces pages il y a quelques semaines. Plus qu'une simple anecdote, il s'agit d'un exercice de style consenti : Dominique Marny, auteure, partage sa vie d'écrivain entre ses romans originaux et les écritures ou événements relatifs à son illustre grand-oncle. Avec ce récit, elle réunit donc deux passions en un seul ouvrage, qui se veut autant hommage à l'imagination de Jean Cocteau et au conte de Mme Leprince de Beaumont qu'à son propre amour de l'écriture.



" Quelques minutes sont parfois suffisantes pour que tout se transforme ou disparaisse."

  En reprenant Mes Nuits ne sont pas les vôtres dix ans après ma première lecture, j'ai eu peur que mon excellente appréciation d'alors n'ait tenu qu'à mon jeune âge, et de me découvrir aujourd'hui déçu. Point du tout : j'ai savouré cette redécouverte du début à la fin, porté par la prose fluide et toute en simplicité de cette auteure qui ranime les ombres des fées de l'enfance. Ombres projetées avec finesse et subtilité sur une réalité très actuelle, un monde d'adulte tout ce qu'il y a de plus ordinaire:
  Nous sommes dans les années 2000. Bernard Beaumont, riche importateur de café, voit son entreprise couler et emporter avec elle tous ses capitaux. De retour d'un voyage d'affaire destiné à le sauver en vain de la ruine, sa voiture tombe en panne sur une route enneigée... le voilà obligé de traverser la forêt à la recherche d'un abris. Il découvre alors une splendide maison de maître où il parvient à s'introduire pour téléphoner à sa fille Belle, de son véritable nom Annabelle, et lui demander de l'aide. Avant de partir aussi discrètement qu'il est entré, il s'empare d'une superbe œuvre de verrerie: une rose en cristal incrustée de diamants... sans savoir que le vaste miroir sans teint du salon, dissimulant une caméra, a filmé toute la scène pour le compte du propriétaire des lieux. Ce dernier demande réparation... Le lendemain, Belle reçoit un coup de téléphone lui relatant les faits. Jean Ardant, qui habite la demeure de "La Licorne" la somme de venir le rejoindre, sans quoi il se retournera contre son père. La jeune femme, institutrice à Paris, tient trop à ce dernier pour le mettre en danger et accepte l'étrange invitation... Une fois à la Licorne, elle fait la connaissance d'un hôte défiguré qui la soumet à un étrange marché : soit elle retrouve les diamants volé par Bernard, soit elle est dans l'obligation de venir passer tous ses weekends en sa compagnie. D'abord répugnée par cet homme aux manières peu recommandables, elle accepte à son corps défendant... mais peu à peu, au fil des visites, elle apprend à connaître Jean et lui découvre un humour et une sensibilité des plus touchants. Restent cependant d'insondables secrets autour de son passé ...




"- Vous me feriez presque croire que nous jouons.
- Sans le jeu, nous désespérerions."

 Recontextualisée en plein XXIème siècle, sans magie ni chimère, la trame de fond de Mme Leprince de Beaumont s'adapte à merveille à notre modernité. Alors bien sûr, cette transposition amène à quelques éléments secondaires parfois un peu trop manichéens, à l'image des demi-sœurs de Belle que l'on redécouvre en pimbêches stéréotypées et matérialistes, férues de shopping. On se formalise cependant de ces codes très tranchés, inhérents au conte classique : s'en passer aurait risqué de casser l'effet miroir de la réécriture. De plus, au delà de ces quelques éléments, Dominique Marny cisèle ses personnages avec un réalisme très plaisant : Annabelle ne se contente pas d'être un simple calque de la Belle originale propulsée en plein XXIème siècle, mais devient une jeune femme réfléchie, à la personnalité très marquée. Elle est racontée avec sa propre histoire, son quotidien entre voisins de quartier et petites habitudes : tout un entrelacs d'éléments qui étoffe son personnage et nous la rend sympathique. Au-delà de la trame centrale, elle se trouve impliquée dans de nombreuses intrigues secondaires, très ancrées dans la réalité d'aujourd'hui et qui donnent à voir en parallèle son ouverture d'esprit tout autant qu'une force de caractère qui la rendent très attachante.
   Jean Ardant ne se contente pas non plus d'être "la Bête" de l'histoire que l'on connait. Dominique Marny en fait un véritable protagoniste à part-entière et au charisme plein de reliefs : elle lui brode un passé mystérieux et des zones d'ombres presque inquiétantes, le tout doublé d'un flegme implaccable. Aussi, ces deux tempéraments très prononcés amènent-ils à un tandem fascinant un fois réuni. Leurs dialogues ont la résonance de ceux, magnifiques, entre Josette Day et Jean Marais dans le film de Cocteau : au départ presque des affrontements, des joutes douloureuses, ils se muent peu à peu en discours et discussions plus intimistes qui traduisent une affection mutuelle grandissante.



"- Je passe de bons moments avec vous.
- Moi aussi, laissa-t-elle échapper.
Il retint un sourire.
- Dans ce cas, cessez de vous torturer. La vie est suffisamment capricieuse et cruelle pour que vous refusiez ce qu' elle vous offre."

  Je parlais plus hauts des sujets très actuels évoqués par le quotidien d'Annabelle, et c'est là une des dimensions à mon sens les plus intéressantes du livres. La jeune femme est confrontée aux nombreux faits d'actualité post 11 septembre, dont l’évocation de certains soulèvements et autres actes de terrorisme, amenant à des réflexions plus que jamais d'actualité. Institutrice, sa vie au contact des enfants d'origines et situations différentes, de même que ses collègues et relations, ce tout alimente en filigrane de l'histoire une tangibilité toujours teintée de sa petite touche de philosophie de vie. Doubler la réécriture du conte de fée de cette prise en compte d'une réalité tantôt simple, tantôt complexe, mais jamais anecdotique (car le quotidien d'Annabelle tient une forte place dans ce roman) donne une vraie richesse à ce récit, permettant en même temps au lecteur de se reconnaître dans des situations, des façon d'être ou de penser .

  Et pour ne rien gâcher, Dominique Marny n'oublie pas la poésie. Une poésie qu'on attend au tournant, dès que l'alternance entre le quotidien ordinaire de Belle et ses weekends empreints d'onirisme à la "Licorne" s'instaure. Un effet qui tient aux ambiances que l'auteure brosse à la perfection et avec une rare subtilité : dès qu'on met le pied avec l'héroïne dans la demeure de Jean Ardant, entourée de jardins et de statues, décorées de sculptures et de moulures, le temps se ralentit et on goute avec délice à la volupté, à l’Étrange et au Mystérieux.


"- Je préfère quand nous sommes seuls. Vous n'avez pas peur?
- De quoi devrais-e avoir peur? Ou de qui? Si j'avais la moindre inquiétude, je ne serais pas venue.
- On peut agir contre soi-même...
- Est-ce une mise en garde?"

  En bref : Un récit hommage au conte de La Belle et la Bête et à l’œuvre de Cocteau qui possède toute la magie de ses deux sources d'inspiration. Cette réécriture dépasse de loin le simple exercice de style : transposé à notre époque, le récit parvient à nous émouvoir autant qu'à nous enchanter, grâce à une vraie magie des atmosphères mais aussi en restituant notre société actuelle, parfois dure et complexe.

 Oui oui, je suis très en retard pour mes ultimes articles du challenge ^^'

2 commentaires:

  1. Je suis très, très tentée ! Forcément ! :)

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    1. Je pensais à toi en le relisant car je suis persuadé que tu aimerais beaucoup! C'est fin et tout en atmosphère, avec des dialogues qui nous entêtent et nous anesthésient =)

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