dimanche 21 mai 2017

Mrs Parker et le cercle vicieux - Un film de Alan Rudolph (1994).



Mrs Parker et le Cercle Vicieux
(Mrs Parker & the vicious circle)

Un film de Alan Rudolph d'après la vie de la romancière et poète Dorothy Parker, sorti en salle le 7 Septembre 1994.

Avec Jennifer Jason Leigh, Campbell Scott, Matthew Broderick, Tom McGowan, Gwyneth Paltrow...

  Dans les années 20, New York fut le lieu d'une intense activité littéraire, artistique et intellectuelle. Dorothy Parker, jeune poète, novelliste et critique de théâtre influente et redoutée se souvient de cette époque... 

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  Il y a quelques mois, je découvrais grâce à un partenariat avec les éditions Baker Street les romans Le cercle des plumes assassines et L'affaire de la Belle Evaporée : deux récits policiers qui transformaient l'auteure et critique américaine des Années Folles Dorothy Parker en détective dilletante. Parce que moins connue en France, je n'avais quasiment jamais entendu parler d'elle et ces deux fictions historiques m'avaient donc offert un premier aperçu de cette femme avant-gardiste, perspicace et sarcastique en diable. Ma curiosité éveillée, je m'étais penché sur le parcours de cette personnalité unique, m'offrant au passage son recueil de poèmes Hymnes à la Haine, qui passe au vitriol la bonne société américaine et ses convenances. De là, la folie Dorothy Parker s'était emparée de moi : j'en voulais plus. Je ne pouvais donc que m'enthousiasmer à l'idée de ce biopic, sorti il y a de cela plus de 20 ans à l'occasion du festival de Cannes 1994. Bien que boudé par le public, ce long-métrage avait connu un certain succès auprès des critiques et avait par ailleurs reçu six nominations et quelques prix. Cependant, j'évoquais plus haut la méconnaissance de cette personnalité de ce côté-ci de l'Atlantique, ce qui explique sans doute la difficulté à trouver un dvd dans l'hexagone. A un prix correct pour les quelques rares exemplaires restants, en tout cas. Sur ce, nous ferons l'impasse sur la sommes exorbitante que j'ai accepté de débourser pour me l'offrir, et attaquons le vif du sujet.

Le célèbre "cercle vicieux" de la Table Ronde, ramené à la vie.

  Le film commence dans les années 40, dans une Amérique en Noir et blanc. Sur un studio de tournage, la célèbre auteure Dorothy Parker croise Robert Benchley, humoriste et ancien ami membre de la célèbre Table Ronde de l'Algonquin, cet hôtel où tous les grands écrivains des Années Folles se retrouvaient sous le surnom du "Cercle Vicieux". La complicité amène les souvenirs à resurgir : nous voilà plongés en plein cœur des années 1920, dans une New York rugissante et tonitruante où le bon mot est roi. Dorothy Parker, alors chroniqueuse à Vanity Fair avec Robert Benchley, loue une chambre au grand hôtel Algonquin. Journaliste en free-lance, poète désargentée, rêveuse invétérée, langue acérée, elle vivotte comme elle peut mais n'a pas à payer sa petite suite dans ce grand hôtel de luxe : sa renommée et celle de ses amis auteurs assurant le succès de l'établissement, le gérant ne lui demande jamais de régler sa note. Tous les soirs, comédiens, artistes et penseurs avant-gardistes se joignent à elle pour des soirées entière d'ivresse et de calembours. Mais derrière cette façade de fête et d'insouciance, Mrs Parker cultive une personnalité noire et torturée, qu'elle égaye seulement d'un talent certain pour le sarcasme. Séparée d'un commun accord d'un époux soldat revenu du Front alcoolique et violent, elle entretient avec son ami Benchley une complicité pleine d'affection qui suggère un amour platonique... mais, Benchley, en très grand homme, ne quittera jamais sa famille et ne s'abandonnera jamais aux bras de cette femme à qui il est pourtant dévoué corps et âme...



  Quel dommage que ce film soit tombé dans l'oubli! Car il mériterait bien sa réédition et une bonne remasterisation (ainsi qu'un dvd avec VO, la seule version disponible n'ayant qu'une VF très médiocre à proposer). En effet, son premier mérite est de raconter de manière très touchante l'âge d'or de cette femme complexe et talentueuse, sans omettre le ton caustique qui lui était propre. On est plongé dans l'atmosphère assourdissante des hôtels de luxe et des clubs clandestins en pleine prohibition, avec un "Cercle Vicieux" plein de gouaille : ça bouge, ça hurle de rire, les répliques incisives fusent comme des tirs de flèches, et on boit jusqu'à plus soif. Ce joyeux bazar, très bien mis en scène même si l'impression de brouhaha peut parfois alourdir, trouve son point culminant dans une scène excellente : la descente de police inattendue au bar de l'hôtel. En une seconde, les serveurs dissimulent l'alcool derrière des panneaux secrets et tout le monde fuit par des portes dérobées dans une ambiance de fin du monde totalement euphorique.


  Ces scènes de joyeuse cacophonie sont entrecoupées de passages plus intimistes qui donnent à voir l'autre visage de Dorothy Parker : la femme solitaire, certes incisive mais qui cache derrière son mordant un éternel désespoir amoureux, et un manque déstabilisant de mordant pour la vie. Jennifer Jason Leigh, qui avait accepté de jouer le rôle pour moitié moins cher que son cachet habituel, se donne toute entière pour ramener à la vie la vraie Dorothy : lectures, voyage à l'Algonquin, écoute d'enregistrements de radio originaux... Elle a nourri son jeu de nombreuses recherches, afin d'entrer en symbiose avec son modèle. Travailler sa voix et son accent était des exercices les plus difficiles, D.Parker étant connue pour son intonation très particulière, probablement tellement unique que la prestation vocale de l'actrice ne fit pas l'unanimité. Mais laissons de côté ce que la VF ne nous donne pas les moyens d'évaluer tout entier car, du reste, il nous faut lui reconnaître un jeu vraiment travaillé. J.J.Leigh restitue parfaitement cette étrange indolence de la Dorothy Parker nostalgique, rêveuse et désespérée embrumée d'alcool, cette élégance alanguie toute en gestes qui hypnotise, de même qu'elle sait être tout aussi crédible en oratrice piquante et pétillante dès que la scène l'exige.



  Cette mélancolie se voit éclairée d'une lueur soudaine lorsqu'apparait Robert Benchley, plein d'humour et de douceur, merveilleusement bien joué par Campbell Scott (que je ne connaissais pas du tout, par ailleurs). Bienveillant et pince sans rire, sensiblement ému par Dorothy, il s'abstient cependant de tomber dans ses bras, même si l'idée peut être évoquée par l'un et l'autre à demi-mots : aller plus loin ruinerait sa vie de famille - sa femme, qu'il estime trop, ses enfants - et Dorothy elle-même. Le plus étrange, cependant, est que l'Histoire et les Archives n'ont jamais officiellement prêté de relation amoureuse à Parker et Benchley, même platonique, tandis que J.J.Murphy leur imagine également des sentiments ambigus dans ses fictions policières... l'idée lui aurait-elle été suggérée par ce film uniquement, où s'agit-il d'une hypothèse partagée par d'autres? Quoi qu'il en soit, cette relation pleine de respect et d'affection mutuelle, très bien jouée à l'écran, est l'un des intérêt de ce biopic.



En bref : Un biopic plutôt réussi, bien filmé et bien joué, même s'il mériterait une bonne remasterisation. Un film tout en nuances et le seul à ce jour à s'attarder sur cette figure unique de la littérature américaine. A voir.



Et pour aller plus loin...
- Découvrez une Dorothy Parker romancée dans la série des Enquêtes de la table ronde : Le cercle des plumes assassines et l'Affaire de la Belle évaporée.
- Lisez Dorothy Parker avec ses Hymnes à la Haine.

2 commentaires:

  1. Jennifer Jason Leigh a vraiment un visage captivant, à la manière d'Isabelle Huppert, subtil et reflétant une félûre, une douleur intérieure. Je l'avais beaucoup aimé dans Washington square.

    Bon j'ai visionné la bande annonce et j'ai envie de chapeau cloche de colliers de perles et de kimono. J'ai un problème docteur. Je vais mettre mon boa en plumes et mettre un peu d'électro jazz.

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    1. J' ai beaucoup aimé sa prestation, jusqu' à sa façon de se mouvoir, de glisser des regards lourds de sens à ses interlocuteurs derrière son carré hyper calibré, et ses demi-sourires ambigus... Je connaissais cette actrice de nom mais n' avais jamais vu un de ces films.

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