Éditions Baker Street, 2018.
Dans ce récit qui oscille entre thriller, roman initiatique et satire sociale, un écrivain multi-refusé cherche à pénétrer les arcanes de la Manufacture des histoires, ce lieu mythique où il rencontrera enfin reconnaissance, gloire et fortune. Cette quête, traversée par un souffle d’humour et de parodie,
sera truffée de pièges et de révélations. On y croisera des personnages
aussi étonnants qu’un vendeur de machines à écrire, un marabout
accoucheur d’histoires, les fantômes de la Beat Generation, des
fanatiques obsédés par le Volume et même la nouvelle Shéhérazade, perdue
parmi les flots de sans histoire fixe qui peuplent les rues.
Finalement, c’est par des chemins
détournés – en mettant sa plume au service de quelques hommes de pouvoir
sans scrupules – qu’il connaîtra le succès et ses conséquences
extravagantes.
Roman de notre temps, La Manufacture des histoires
raconte avant tout la lutte de ceux qui veulent continuer d’écrire leur
propre histoire contre ceux qui veulent dicter l’histoire des hommes et
des femmes à leur place.
***
On va de surprises en surprises avec les publications des éditions Baker Street : le dernier né de la maison d'édition au nom on ne peut plus holmésien laisse présager un véritable ovni littéraire, au croisement des genres et des inspirations : on nous promet du romanesque, de la critique socio-politique, du thriller, de la satire et de la poésie en un seul et même roman! Allons voir de quoi il retourne, voulez-vous?...
La trentaine bien avancée, Marc est probablement l'auteur le plus refusé de l'histoire des maisons d'édition. Alors qu'il voit son dernier manuscrit blackboulé par un éditeur de renom, il est approché par un homme mystérieux du nom de Emile Falconi, qui lui propose de lui ouvrir la porte de la "Manufacture des Histoires", le saint des saints du monde littéraire, la tour depuis laquelle s'écrivent les destinées des grands hommes comme des grands livres. Marc, qui vivote entre la librairie tenue par son tuteur et la collecte de livres qu'il récupère avec son ami Abdel dans leur entreprise de "vide-maison", conserve les coordonnées de l'individu sans trop y croire. Mais le voilà bientôt contacté par une grande entreprise de communication, à la recherche d'un auteur qui leur inventera LES punchlines assez accrocheuses pour faire vendre. De fil en aiguille, de campagnes de publicité en rédaction d'articles mensonger, Marc tombe lentement dans un monde de faux-semblants et d'écrans de fumée, ceci sans jamais se départir du regard ironique qu'il porte sur ce monde de mensonges. C'est pourquoi lorsque son tuteur fait appel à lui, il n'hésite pas une seconde : ce dernier et d'autres amis à la personnalité hautement littéraire le mettent en garde contre ses nouveaux employeurs et leur volonté de changer le cour de l'histoire à leur avantage. Marc devient alors une taupe de choix pour ce petit cercle secret de gardiens de la philosophie et de l'humanité...
Dans cette histoire qui commencerait presque de manière un peu fade, Luc Fivet, auteur fort d'une expérience littéraire riche et variée, nous entraine en réalité dans un roman complexe et qui fait honneur tout en rendant hommage à la belle littérature. Partant des déboires littéraires d'un personnage qui se révèle plein d'ironie et de perspicacité, il nous entraine dans une intrigue aux multiples facettes, lesquelles confère à l'ensemble ce caractère d'ovni qui surprend tellement le lecteur.
Le Paris de La manufacture des histoires n'est pas loin de nous évoquer une réalité quasi-dystopique : un monde-commerce dans lequel le public se détourne progressivement des histoires qui donnent matière à réfléchir pour se tourner exclusivement vers la grande soupe que servent toute prête la publicité et les médias, ces derniers étant loin d'être impartiaux, évidemment. En effet, si les noms et l'univers inventés pour raconter cette vraie-fausse réalité nous laissent croire quelques temps à une version détournée du monde contemporain, on réalise bien trop vite que Luc Fivet, sous les ressorts du romanesque et de l'imagination, parle d'une société bien réelle : la nôtre.
A travers cette évocation détournée et pleine d'un joyeux sarcasme du mesmérisme de masse, Luc Fivet emploie tout son talent à rappeler l'importance des histoires, sous toutes leurs formes : l'Histoire avec un grand H, l'histoire qu'on écrit, celles qu'on nous invente, celles qu'on raconte. Dès lors, ce concept devient le maître-mot du roman et le fil rouge du récit, peu importe ses chemins croisés, thèmes recoupés, ou intrigues secondaires. Tout est histoire, et même ce que l'on prend pour la pure vérité est peut-être écrit de la main d'un talentueux scribouillard, qui s'emploie à nous faire passer les ombres de la caverne pour les lumières du réel. L'auteur semble ainsi jouer avec les codes du baroque pour mieux amener ses personnages ( mais aussi inviter le lecteur ) à s'affranchir des ficelles qui font de lui une marionnette, et reprendre en main le cour de sa propre vie.
Si le message véhiculé par La manufacture des histoires est particulièrement fort, l'auteur a qui plus est l'audace de le servir joliment agrémenté d'une plume tantôt humoristique, tantôt poétique. Après s'être moqué avec entrain du monde éditorial, il invite dans sa trame des personnages des plus charismatiques, lesquelles semblent échappés de quelques contes africains, textes de mythologie antique, ou fables des Mille et Une Nuits. Ces derniers, que le héros rencontre au fil d'une quête qui s'apparente progressivement à une véritable Odyssée, apportent toute son épaisseur et sa philosophie au roman.
En bref : Contes mystérieux et thriller politique, odyssée polarisante et satire littéraire, La manufacture des histoires est tout cela à la fois. Ce roman, véritable miroir de notre société, aborde avec imagination, ironie, et lyrisme le mesmérisme de masse d'un monde en trompe-l’œil, le tout porté par un style inimitable. Il y a, sans doute aucun, du George Orwell chez Luc Fivet...
Un grand merci aux éditions Baker Street pour cette découverte.
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