lundi 5 août 2019

Le chien de madame Halberstadt - Stéphane Carlier.

Éditions le Tripode, 2019.



  Baptiste, écrivain, a connu des jours meilleurs. Son dernier roman a fait un flop, sa compagne l’a quitté pour un dentiste et, à bientôt quarante ans, il est redevenu proche de sa mère. Il passe ses journées à déprimer chez lui en culotte de survêtement molletonné… Jusqu’à ce que Madame Halberstadt, sa voisine de palier, lui demande de garder son chien quelques jours. 



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  Il y a des livres qu'on découvre totalement par hasard et qui s'avèrent être de nos plus agréables lectures ; le chien de madame Halberstadt en fait partie. Récemment reçu en cadeau, je n'avais jusque là pas entendu parler de cette récente parution, et à peine de son auteur dont j'ai pourtant découvert ensuite qu'il en était déjà à son sixième roman (les précédents ayant même rencontré un certain succès). Petit retour sur le contenu avant mon verdict...

Stéphane Carlier

  Baptiste Roy est un écrivain raté. La trentaine bien avancée, le voilà qui traverse une bien mauvaise passe : s'il en croit le classement d'Amazon, son dernier livre ne rencontre pas le succès espéré ( une histoire d'appartement et de Shoah : son éditrice était persuadée de tenir le nouveau Elle s'appelait Sarah, mais réalise qu'elle aurait du miser sur un feel-good book façon chick-litt...). Et comme un malheur n'arrive jamais seul, la compagne de Baptiste l'a quitté pour leur dentiste, inculte et même pas beau, ce qui fait que notre pauvre écrivain trouve désormais son seul réconfort auprès de... sa mère. On pourrait difficilement faire pire, comme situation. En pleine crise existentielle, Baptiste se voit cependant proposer de garder Croquette, le gros et nauséabond carlin de sa voisine, le temps que celle-ci se fasse opérer de la cataracte. Contre toute attente, l'arrivée du chien coïncide avec un retour soudain et inespéré de chance : son roman remonte dans le classement des ventes, Baptiste est invité à une rencontre d'auteur, son ex se prend la tête avec son nouveau Jules, et il est même abordé par la jeune femme dont il est en train de tomber amoureux. Est-ce un simple hasard où... le carlin lui porterait-il bonheur?

"Ma mère était la personne qui me connaissait le mieux, me fournissait en Xanax, et puis c'était une lectrice avide, dévorant (la nuit, principalement), tout ce qui lui tombait entre les mains – un romande Danielle Steel, une nouvelle inédite de Borges ou un essai sur la vie secrète des arbres."

  Qu'il est parfois bon de se laisser surprendre : ce court roman s'est révélé être un réel un vrai bijou de lecture. L'histoire de cet auteur raté et nonchalant qui connait un soudain regain de veine grâce à l'arrivée dans sa vie d'une chien hideux est complètement improbable, voire totalement perchée, et pourtant, elle nous tient jusqu'au bout. Car d'une plume débordante d'ironie, S.Carlier nous sert un petit roman aux petits oignons finalement profondément réaliste derrière ses accents très fantaisistes. N'hésitant pas au passage à égratigner le monde de l'édition et, de façon plus générale, le monde tout court, l'auteur ne tombe pour autant pas dans la satire facile et évite l'écueil de l'aigreur littéraire.


"Les règles ont complètement changé. Aujourd'hui, une nana qui ne sait pas qui est Colette, qui est Gide, qui est Genet, peut écrire un livre dans sa cuisine, le publier sur internet et en vendre 100000. Avant, on respectait la grande intelligence. Même ceux qui ne lisaient pas Hugo ou Balzac les admiraient. Aujourd'hui, on ne se donne même plus cette peine. On n'a pas d'autre aspiration que de prendre des selfies en faisant des duck faces et on le revendique. L'époque valide l'ignorance, légitime la stupidité. Le monde n'a jamais autant ressemblé à un tableau de Jérôme Bosh."

  Pourquoi, comment? On ne saurait le dire. Le chien de madame Halberstadt est un savant mélange des genres qui survole et aborde, par petite touches pleines de piquant, la vie à deux, la vie tout seul, l'inspiration littéraire et les malices du hasard, sans jamais s'éparpiller. Même lorsque l'histoire déjà bien abracadabrante se transforme en road trip décalé, on poursuit l'aventure avec délectation.

"—De toute façon, l'image que les gens donnent d'eux-mêmes sur Facebook n'a rien à voir avec la réalité. Regarde Greta. En la voyant poser dans sa villa à Marrakech, tu en viendrais presque à l'envier alors qu'elle est complètement flippée, que quand elle oublie de prendre son Effexor, elle a l'impression que les murs bougent."


  Baptiste, caricature aigre-douce de romancier désœuvré, mélodramatique et gentiment sarcastique (et peut-être double fictionnel de S.Carlier lui-même), parvient à nous faire rire sans jamais devenir risible, subtilité difficilement réalisable dans la littérature contemporaine dès qu'elle se veut humoristique, et encore plus si les situations racontées doivent rester véridiques. L'auteur, parvient à maintenir cet équilibre en glissant ça et là de sincères notes de tendresse, réinventant ainsi une nouvelle forme de roman feel good à la fois enlevé et intelligent.

"Un concours de circonstances biologiques nous jetait dans cette vie, au hasard. Aussitôt, on prenait des coups. Le but était de tenir le plus longtemps possible. Des accidents heureux venaient brièvement éclairer le chemin, leur souvenir nous aidait mais vouloir les dupliquer était vouer à l'échec. On ployait, immanquablement, avant de tomber et de disparaître."

En bref : OVNI littéraire délicieux, le chien de madame Halberstadt est une petite pépite. Stéphane Carlier parvient, en moins de 200 pages, à mêler en une seule histoire ironie et tendresse, relevant le tout d'un soupçon de satire et et d'une pincée de dérision. Drôle comme on croyait que seul pouvait l'être un roman anglais, ce petit livre est tout ce qu'il y a de plus audacieux et enthousiasmant.

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