samedi 17 août 2019

Vengeance haute couture - Rosalie Ham.

The Dressmaker, Duffy & Snellgrove, 2000 - Plates coutures, éditions Le fil invisible (trad. de M.Véron), 2003 - Vengeance haute couture, Harper Collins / Mosaïc, 2016 - La vengeance secrète de Tilly, Pocket, 2017.

  1951. Tilly Dunnage est de retour. La petite bâtarde autrefois chassée de chez elle par les préjugés et l’hostilité des bien-pensants est devenue une jeune femme incroyablement élégante et provocante, pour qui le style et le chic de Paris n’ont plus aucun secret. Elle affole les hommes et suscite l’envie des femmes. Sa revanche, elle la tient : toutes celles qui aujourd’hui encore la méprisent veulent à tout prix ses conseils, et ses robes. Tilly coud. Tilly coupe. Mais, en fait, Tilly prépare en secret le grand finale qui vengera son enfance blessée et lui rendra sa dignité. En ne laissant que cendres derrière elle. Et un amour impossible…

***

  Passé inaperçu lors de sa publication chez un petit éditeur sous le titre Plates coutures en 2003, The dressmaker, premier roman de l'Australienne Rosalie Ham, a fait son retour dans les bibliothèques en 2016. Rebaptisée Vengeance haute couture, cette réédition a été motivée par l'adaptation au cinéma du roman avec Kate Winslet en vedette, film qui ne sortira malheureusement jamais dans les salles françaises. Avec la publication un an plus tard au format poche sous le titre La vengeance secrète de Tilly, la machine éditoriale française achevait un beau travail de sape littéraire ou comment, d'un titre à l'autre (à part le premier, peut-être le plus approprié), s'éloigner de plus en plus du contenu du roman et vendre une image mensongère. C'est fort dommage, car ce best-seller australien (il a été élu meilleur roman de l'année 2000 par les libraires dans son pays d'origine), est peut-être par là même passé à côté de son public francophone...

"Tout le monde aime avoir quelqu'un à détester."


"Dans le ciel, les nuages n'étaient pas plus épais qu'une couche de beurre citronné sur un toast, gardant la terre au chaud."

  Australie, années 50. Après vingt ans d'absence, Myrtle "Tilly" Dunnage débarque, Singer à la main, dans sa bourgade natale de Dungatar pour prendre soin de sa mère. Cette dernière, surnommée Mad Molly, vit recluse dans une vieille bicoque perchée sur une butte à l'écart du village après que les habitants l'aient rejetée de la communauté. Faisant resurgir le drame de vingt ans qui lui avait fait quitter la ville, Tilly, devenue entre-temps une couturière de talent, doit affronter la cruauté et la médisance de ses voisins. Mais lorsque la jeune styliste traverse la ville vêtue de ses plus belles créations, faisant tourner les têtes sur son passage, les femmes de Dungatar comprennent que son don peut leur être utile. Hypocrites et intéressées, elles se précipitent en haut de la colline pour commander des tenues dignes de la haute couture afin de reconquérir leurs amants ou raviver leurs mariages. En peu de temps, la populace de ce village poussiéreux perdu dans le bush australien se transforme en véritable défilé de mode... Mais les vieilles rancunes ne sont jamais loin et lorsqu'une nouvelle catastrophe arrive, c'est vers Tilly que les doigts se pointent. Et si le hasard – à moins que ce ne soit le destin? – se chargeait soudainement de renverser la balance ?

"A présent, les femmes confectionnaient leurs blouses d'intérieur dans des brocarts "importés" avec des boutons d'ivoire ou en imitation diamant, et elles se pavanaient dans leurs maisons rustiques en mousselines de soie pastel ou en pantalon de velours ajustés, avec de larges ceintures et des pulls à col montant, telles des stars de cinéma."

Dungatar?

"Les problèmes vont commencer. Il faut s’attendre à bien des cœurs brisés et à des virginités perdues, dans le sillage de sa Singer."

  Contrairement à l'image erronée de bluette vintage diffusée par les éditeurs français, The dressmaker est un roman relevant de l'Australian gothic. S'il parait difficile d'associer les codes du gothique aux paysages arides de l'Australie, c'est aussi parce que le sixième continent a réussi à se les réapproprier pour créer un registre qui lui est propre. Dans le cas de The dressmaker, l'aura gothique vient essentiellement du traitement féroce que l'auteure fait de ses personnages et de son intrigue, mêlant à la façon d'une tragédie romance, émotion, et noirceur. Ce qui empêche le livre de tomber dans le pathos, c'est son humour : un humour qui oscille entre l'ironie légère et le sarcasme grinçant, mais jamais lourd, principalement provoqué par le regard très distancé posé sur les habitants de Dungatar, rhabillés (dans tous les sens du terme) pour l'hiver d'une plume aiguisée et tranchante. En mélangeant les genres avec un rare brio et malgré un style parfois cru, Rosalie Ham parvient à nous arracher des fous rires inattendus entre deux descriptions de tissus ou de toilettes d'une élégance à couper au couteau.


"Certaines personnes subissent plus de souffrances qu'elles n'en méritent, d'autres non. Tilly se planta debout au sommet de la colline et hurla ses lamentations comme une fée irlandaise de mauvais augure, jusqu'à ce que des lumières s'allument ici et là et que des points luisent dans les maisons."

  L'atmosphère et les thèmes évoqués peuvent rappeler les sujets de prédilection de romancières comme Alice Hoffman (dans sa description des petites bourgades et du sectarisme de ses habitants) ou Joanne Harris (particulièrement son roman Chocolat et son personnage d'héroïne qui provoque le scandale autant que la curiosité d'un village en y pratiquant un art à part), si ce n'est que Rosalie Ham y ajoute tout le piquant propre à la culture australienne.  L'autrice manie avec talent l'art de raconter, en quelques lignes, l'enchainement des gestes et des paroles qui font d'un passage ou d'un dialogue une scène saisissante de vie, savoureuse. Cette écriture, très visuelle, participe à la réussite du roman et permet d'affiner les caractéristiques des (très) nombreux protagonistes, hauts en couleurs. On se régale ainsi de petits détails qui font le sel de l'histoire : le pharmacien atteint de Parkinson que les habitants "lancent" et "réceptionnent" d'un bout à l'autre de la rue principale lorsqu'il doit s'y déplacer, les employées de la poste qui ouvrent et fouillent les colis (à leurs risques et périls), ou la first lady de Dungatar qui, atteinte d'une maniaquerie tenace, astique jusqu'aux poignées de porte après leur utilisation. Quant à l'adorable sergent Pratt, eh bien... on vous laisse découvrir vous-même son petit secret inavouable...


"— J'aimerais bien rencontrer l'inspecteur, dit Tilly.
— Pourquoi?
  Tilly haussa les épaules.
— Juste pour voir s'il a de la classe.
— Absolument aucune : il porte des costumes marron – et en plus, je suis sûr qu'ils sont en laine mélangée."

  La "vengeance" du titre, s'il y en a une, n'est finalement pas la motivation première de l'héroïne. Même, elle n'est pas totalement de son fait et s'avère le fruit d'un hasard dans l'enchainement des situations (qui prennent parfois des virages à 180 degrés, il faut l'admettre, mais que c'est jouissif!) en fin de roman. Une fois cette machine infernale lancée, on pourra parfois reprocher à l'autrice de malmener certains personnages auxquels ont s'était furieusement attaché (surtout un en particulier, dont on ne s'est pas encore remis). C'est là que les accents gothiques du récit se rappellent au lecteur : une suite d'événements malencontreux conduit tout ce vaniteux petit monde à monter une nouvelle version de McBeth , clin d’œil des plus amusants à la thématique de la vengeance puisque l'issue du spectacle verra effectivement, dans un certain sens, Tilly battre la petite ville de Dungatar à plates coutures.

"C'est tellement amusant de monter une pièce. Ça fait ressortir le meilleur et le pire en chacun, vous ne trouvez pas?"


En bref : A ceux qui attendent ou qui craignent une romance de gare : don't judge a book by its cover. A la fois diabolique et émouvant, The dressmaker dresse le portrait au vitriol d'une bourgade australienne des années 50 que le hasard confronte à sa Némésis. Rosalie Ham parvient à mêler avec talent différents genres en passant de la satire au drame non sans quelques détours par l'humour. La lecture de ce roman haute couture saturé d'élégance est d'une jouissance inattendue!

4 commentaires:

  1. Waouh ! Ca donne encore plus envie !

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    1. Oui, je pense que les mauvaises critiques viennent du fait que la distribution n'a pas appâté le bon lectorat... ça reste un livre assez inclassable, mais loin d'être raté! :D

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  2. Je pensais que tout ce qui est estampillé Kate Winslet était "bankable". Faut-il s'inquiéter? J'idolâtre cette actrice.

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    1. Non, il ne faut pas s'inquiéter : le film n'est pas parfait et certes, le déroulement est un peu inégal par moment. Les critiques les plus mitigées s'attardaient sur les mêmes points qui n'avaient pas convaincu tous les lecteurs du roman d'origine (notamment cet entre-deux voire entre-trois genres, si bien que parfois tu ne sais pas si tu dois rire, pleurer, ou faire des "O" avec la bouche, ainsi que les virages parfois totalement farfelus pris par l'intrigue). Mais globalement, la prestation de Kate Winslet est juste extra et tous les seconds rôles sont impeccables. Le film a fait des excellents chiffres au box office australien et a eu droit à 13 nominations à l'équivalent australien des Oscars. Il en reste que c'est un film de toute façon particulier, je serais tenté de dire "typiquement australien", car plus je creuse leurs films, séries et livres, plus je vois un style commun particulier qui se dessine. En tout cas, j'ai beaucoup aimé, j'en parlerai dans un prochain article ;) (NB: la costumière du film n'est autre que Marion Boyce, costumière de la série Miss Fisher!).

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