dimanche 23 août 2020

La jeune fille à la perle - Tracy Chevalier.

Girl with a pearl earring, Harper Collins, 1999 - Quai Voltaire / La Table Ronde (trad. de M.-O. Fortier-Masek), 2000 - Folio, 2002 - Éditions France Loisirs poche, 2019.


  A l'âge d'or de la peinture hollandaise, un tableau s'anime...
  La jeune et ravissante Griet est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Nous sommes à Delft, au dix-septième siècle, l'âge d'or de la peinture hollandaise. Griet s'occupe du ménage et des six enfants de Vermeer en s'efforçant d'amadouer l'épouse, la belle-mère et la gouvernante, chacune très jalouse de ses prérogatives. Au fil du temps, la douceur, la sensibilité et la vivacité de la jeune fille émeuvent le maître qui l'introduit dans son univers. À mesure que s'affirme leur intimité, le scandale se propage dans la ville.

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  Qui n'a jamais rêvé de connaître l'histoire secrète qui se cache derrière un grand tableau ? Second roman de Tracy Chevalier, La jeune fille à la perle propose d'imaginer une possible tranche de vie du modèle posant pour ce célèbre portrait réalisé par Vermeer. Sorti en France il y a maintenant vingt ans, ce best-seller n'a plus besoin qu'on démontre ses qualités ; alors pourquoi en parler, me demanderez-vous? Parce que les bons romans méritent toujours qu'on le fasse, pardi !


"Une servante, ça ne porte pas de perle."

  Delft, 1664. Griet est la fille d'un céramiste devenu aveugle à la suite de l'explosion d'un four. Parce qu'il n'est plus en capacité de travailler pour nourrir sa famille, l'adolescente est envoyée comme domestique dans une maison bourgeoise du quartier des papistes afin de gagner un salaire qui permettra d'entretenir ses parents. Pour ces derniers, la honte de cette condition est compensée par le maître qui embauche Griet, et qui n'est autre que le peintre Vermeer en personne. Dès qu'elle arrive dans la maison de l'artiste, la jeune fille découvre un monde qui a ses règles propres et une famille au fonctionnement complexe. La demeure est d'ailleurs celle de Maria Thins, la belle-mère du peintre, qui a accepté d'accueillir sous son toit sa fille, son gendre, et leurs enfants. Elle leur permet de résider chez elle mais fait tourner la maisonnée d'une poigne rigide, non sans clairvoyance : non contente d'être la vraie maîtresse des lieux (ne donnant à sa fille que l'illusion de l'être), elle gère le commerce familial en assurant la vente des tableaux qui leur permet à tous de maintenir un certain niveau de vie. Vermeer, s'il se plie à cette gestion un peu particulière de ses créations, existe essentiellement pour son art. Comme en parallèle de la vie strictement domestique que mènent son épouse et ses enfants, il va et vient dans la maison mais passe le plus clair de son temps dans son atelier. Atelier fermé à tous, sauf à Griet, chargée d'y faire le ménage. Au fil de ses incursions dans l'antre du peintre, la jeune fille fait preuve d'une curiosité et d'un bon sens qui vont surprendre puis désarmé l'artiste. Aux premiers échanges suivra une relation étrange entre le maître et sa domestique, un lien qui ne sera pas sans créer de nombreux bouleversements dans la maisonnée...

Vue de Delft, par Vermeer.

" Toutes ces années passées à aller chercher de l'eau, à essorer des vêtements, à laver par terre, à vider des pots de chambre, sans espoir d'entrevoir la moindre beauté, couleur ou lumière dans ma vie, défilèrent devant moi comme une immense plaine, au bout de laquelle on apercevait la mer sans jamais pouvoir l'atteindre."

  C'est parce qu'elle était fascinée depuis l'enfance par le mystère qui se dégageait des œuvres de Vermeer que T.Chevalier souhaitait absolument leur consacrer un roman. Plus que tous les autres tableaux, La jeune fille à la perle était son favori, celui qui suscitait le plus d'interrogations. C'est à force de rêveries devant la reproduction de cette peinture qui ornait le mur de sa chambre que l'auteure imagina l'histoire de Griet. Car bien qu'étant fortement historique, La jeune fille à la perle reste une fiction : le personnage de Griet, inventé de toutes pièces, n'a donc jamais posé pour ce célèbre tableau et les événements racontés dans ce roman sont pure imagination. Et pourtant, la magie de la littérature fait qu'en dépit des éléments fictifs réinventés pour des besoins dramatiques, ce livre est un bijou incontesté qui ouvre au lecteur les portes et fenêtres du monde de Vermeer, reconstruit à partir des maigres sources historiques connues.

La ruelle, par Vermeer.

"— Votre maître est un homme exceptionnel. Ses yeux valent des monceaux d'or mais parfois il voit ce monde tel qu'il voudrait qu'il soit et non tel qu'il est vraiment; Il ne comprend pas que son idéalisme puisse affecter son entourage. Il ne pense qu'à lui-même et à son travail et non pas à vous. Vous devez donc veiller à rester vous-même.
— A rester une servante ?
— Non ce n'est pas ce que je voulais dire. Les femmes qu'il peint deviennent prisonnières de ce monde. Vous pourriez vous y perdre."

  Si l'auteure prend quelques libertés en dépeignant une vie de couple assez houleuse alors que les archives attestent du mariage heureux de Vermeer, elle donne à voir avec un réalisme saisissant le quotidien d'un artiste aussi bien que la vie courante dans la Hollande du Siècle d'Or. Précieusement documenté et riche de détails qui confèrent toute sa densité à l'histoire, La jeune fille à la perle redonne vie au dix-septième siècle flamand, entre belle plume et sociologie. Contexte religieux, habitudes alimentaires, règles domestiques, coutumes familiales... tout y est restitué à travers l’œil de Griet, héroïne et narratrice du roman. Et comme souvent lorsqu'un(e) auteur(e) donne la parole aux domestiques, le texte fait mouche. La simplicité de la narration, épurée, qui touche profondément, la pertinence des observations, la beauté des métaphores rattachées à la concrétude qui fait l'univers des gens de maison : tout dans l'écriture est une merveille.


"J'avais le temps de penser, je pensais trop. J'étais comme le chien qui, à force de lécher ses plaies pour les nettoyer, les avive."

En bref : Jamais la fiction historique n'aura à ce point mérité son succès. Sous couvert d'une histoire imaginée à partir de l'un des plus beaux portraits du monde, Tracy Chevalier nous offre une immersion tout ce qu'il y a de plus réaliste dans l'univers de Vermeer. Le tout est magnifié par un style à la fois simple et perçant qui vient traduire avec justesse la force de vie du personnage principal féminin. Un classique contemporain à lire et à faire lire.


Et pour aller plus loin... 


  Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez :

- Les petites sorcières, de G.Maguire, sublime réécriture du conte de Cendrillon dans la Hollande du Siècle d'Or et le milieu de la peinture flamande. 



- Miniaturiste, de J.Burton, intrigue domestique et mystérieuse dans la maison d'un grand marchand d'Amsterdam au XVIIème siècle. 


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