vendredi 23 octobre 2020

Le livre des choses perdues - John Connolly.

 
The book of lost things, Atria Books, 2006 - Éditions de l'Archipel (trad. de P. Brévignon), 2009 - Éditions France Loisirs, 2010 - Éditions J'ai Lu, 2012.

 
 
 
    La Seconde Guerre mondiale gronde. Oppressé par l'atmosphère familiale, le jeune David se réfugie dans les livres. Une nuit, il pénètre dans un univers parallèle peuplé de créatures inquiétantes, hybrides de ses lectures et de ses terreurs. Égoïstes, violentes, elles s'entredéchirent pour la mainmise du royaume. Poursuivi par un mystérieux être malfaisant, David se trouve plongé au coeur d'une terrible lutte de pouvoirs.
 
 
 
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    Voici une relecture qui s'imposait : découvert lors de sa publication française en 2009, Le livre des choses perdues méritait fortement qu'on en parle à l'occasion du challenge Halloween 2020 et sa thématique "conte de fée". Il s'agit d'un ouvrage assez exceptionnel pour son auteur, John Connolly : cet écrivain des plus prolifiques est en effet davantage connu pour ses romans noirs et ses thrillers, aussi ce roman très original représente-t-il une première incursion dans un tout nouveau registre dans lequel aucun de ses lecteurs ne l'attendait.
 


"Il était une fois - car c'est ainsi que toutes les histoires devraient débuter - un petit garçon qui avait perdu sa mère."

    L'intrigue nous entraine dans l'Angleterre des années 40 : alors que Londres essuie les bombardements, le jeune David est occupé par sa propre guerre. Le garçon doit en effet affronter un deuil terrible après la mort de sa mère des suites d'un cancer, alors que l'enfant avait lui-même développé nombre de stratégies et de rituels en espérant qu'ils la maintiendraient en vie. A peine se remet-il de la catastrophe que son père se remarie avec Rose, sa nouvelle compagne, et que le couple donne naissance à un bébé nommé Georgie. Le nouveau né s'attire évidemment les foudres de son demi-frère, lequel n'a pas encore eu le temps de s'acclimater à ces nombreux changements. Pour couronner le tout, la nouvelle famille déménage à la campagne, à l'écart des bombardements, pour s'installer dans la maison familiale de Rose. C'est là que des événements étranges apparaissent : David est sujet à de nombreux malaises et entend parfois les livres de contes dans lesquels il passe ses journées lui chuchoter des choses. Plus étrange encore, un étrange bonhomme biscornu apparait autour de la maison et semble s'intéresser fortement à Georgie... Une nuit, David est réveillé par la voix de sa mère qui l'appelle depuis le jardin creux à l'arrière de la maison. Là, dans un mur, il découvre une faille à l'intérieur de laquelle il se glisse, se frayant un chemin entre les pierres et les racines... pour atterrir dans une forêt obscure. Parce que le passage s'est refermé derrière lui, le garçonnet se retrouve seul en terrain hostile : des loups et des hommes-loups le guettent, près à le dévorer ; aussi devra-t-il compter sur les figures protectrices successives que seront pour lui un garde-forestier, des nains et un preux chevalier nommé Roland, pour l'aider à atteindre le château du roi de cet étrange pays. D'après eux tous, seul le souverain, pourtant fatigué et démuni face à un royaume qui tombe entre les mains des loups, est en mesure de lui venir en aide. Au cours d'une aventure semée d'embûches, le jeune garçon croisera ainsi des personnalités qui ne sont pas sans évoquer des personnages croisés au détour de ses lectures – la noirceur en plus – dont l'homme biscornu, étrange créature qui semble avoir un intérêt tout particulier pour les pactes, les bébés, et les prénoms...
 


"Les histoires sont différentes : elles se mettent à vivre dès qu'on les raconte. Sans une bouche humaine pour les lire à voix haute ou une paire d'yeux écarquillés sous les draps, les parcourant à la lumière d'une lampe de poche, elles n'ont aucune existence réelle dans notre monde. [...] Elles restent endormies, dans l'espoir de se réveiller un jour. Mais quand quelqu'un se met à les lire, elles commencent à se transformer. Elles s'enracinent dans l'imagination du lecteur et peuvent le métamorphoser. Les histoires veulent être lues, disait la mère de David dans un murmure. Elles en ont besoin. C'est pour cette raison qu'elles quittent leur monde pour se frayer un chemin jusqu'au nôtres. Elles veulent qu'on leur donne la vie."

    Si l'incipit n'est pas sans évoquer Les chroniques de Narnia (dans le contexte historique) ou même le Magicien d'Oz (dans la quête du personnage principal), c'est essentiellement dans le terreau des contes et légendes ancestraux que puise J.Connolly pour raconter son histoire, même s'il déguise les éléments qu'il réutilise à son compte. En effet, parmi les personnages que croisera David au cours de son périple, il est rare qu'on fasse directement le lien avec l’œuvre dans laquelle l'auteur est allé chercher son inspiration : les contours se dessinent progressivement, tandis qu'on découvre leur histoire et qu'on réalise en même temps que dans ce monde, la noirceur intrinsèque des contes semble primer. Ainsi, le garde-forestier n'est autre que le célèbre bûcheron du Petit Chaperon Rouge, histoire d'ailleurs bien différente du conte que l'on connait et dans laquelle la seconde lecture érotique semble avoir gangréné la suite de la célèbre histoire (comment, sinon, croyez-vous que sont nés les fameux hommes-loups?). Il en va ainsi des nombreuses autres références de ce livres, entre clins d’œils allusifs et détournements appuyés ; parmi celles moins connues du lectorat francophone, l'écuyer Roland est par exemple issu d'un poème anglais de Robert Browning ("Le chevalier Roland vint à la tour sombre"), lui-même inspiré du Roi Lear de Shakespeare, la tour sombre étant ici recoupée avec la forteresse aux épines d'une certaine princesse endormie. Plus d'une fois l'ombre d'Angela Carter plane sur ce roman...

Illustration pour le poème Childe Roland to the dark tower came.

"Ce monde est rempli de pièges et de menaces. Nous affrontons les dangers que nous sommes obligés d'affronter, et parfois nous devons choisir d'agir pour défendre un bien supérieur, fût-ce au péril de notre vie. Mais nous ne devons pas risquer notre vie inutilement. Nous n'avons qu'une vie à mener, et qu'une vie à donner. Il n'y a aucune gloire à la gaspiller pour une cause désespérée."

    Même lorsqu'il ose quelques incursions dans l'humour, l'auteur n’entache pas l'atmosphère sombre et complexe qu'il distille du début à la fin. Il en va ainsi des sept nains que David croise sur son chemin, tous devenus communistes et un tantinet meurtrier face à une Blanche-Neige (le seul personnage issu de l'univers des contes clairement nommé) devenue on ne peut plus envahissante. Ces quelques personnages farfelus ne font finalement que rajouter à l'étrange étrangeté de ce pays, oppressant autant par la folie douce des uns que par les tendances meurtrière des autres. En cela, l'auteur ne nous épargne rien : le pauvre David est soumis à des frayeurs qui nous font frissonner et à des situations parfois dérangeantes, sans jamais que l'on tombe dans le trop ou la caricature, car peur et horreur font bel et bien partie de toute quête initiatique qui se respecte.
 
 
"Quand vous étiez un enfant, vous pensiez que le monde était blanc ou noir, bon ou mauvais. Il y avait ce qui vous donnait du plaisir et ce qui vous faisait souffrir. Maintenant, vous voyez le monde pour ce qu'il est : une palette infinie de nuances de gris."
 
    Et c'est bien de cela qu'il s'agit : que l'on parle du deuil que David doit faire, de sa lutte contre les loups, de l'acceptation du changement ou de la complexité du monde des adultes où toute pensée magique est inutile, Le livre des choses perdues apparait finalement comme un brillant roman initiatique qui fait pour cela la part belle aux symboles et aux métaphores. En passant par un personnage d'enfant sans jamais oublier qu'il s'adresse à des adultes, J.Connolly fait appel à l'enfant qui sommeil en nous et à l'importance de toujours lui laisser une place pour mieux affronter les étapes de la vie.
 
 Illustration pour l'édition dixième anniversaire du roman.
 
 "Car il y a en chaque enfant un adulte en devenir, et en chaque adulte l’enfant qu’il fut"
 
En bref : Véritable hommage aux contes ancestraux, Le livre des choses perdues est un roman initiatique d'une grande maturité, à réserver à un public averti. L'auteur puise en effet dans la noirceur des contes pour symboliser le deuil, l'acceptation et les embûches qui peuvent se rencontrer sur un chemin de vie, le tout étant raconter avec maestria. Dérangeant et fascinant à la fois, ce roman peuplé de personnages archétypaux entre en forte résonance avec l'imaginaire du lecteur pour un effet inoubliable. Un livre qui a mérité ses nombreux prix littéraires.


8 commentaires:

  1. Et bin tout un Roman...il me fait penser au labyrinthe de paon....mais, peut-etre, c'est parceque j'en ai trop parle ces derniers temps...;)....mais cela reste un livre a lire il semblerait....

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    1. Oui, "Le labytinthe de Pan" peut en effet y faire penser, ta comparaison est très pertinente! ;)

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  2. Waouh ! Alors là, tu me donnes sacrément envie de le sortir de ma PAL !

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    1. Tu l'as dans ta PAL? Vite, sors le, c'est la saison idéale pour le lire! :-D

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  3. j'ai peur que ce titre soit un peu trop sombre pour moi, mais tu me donne envie de le découvrir

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    1. Oui, je ne peux te cacher que c'est très sombre. Mais c'est aussi très profond, avec une vraie réflexion sur le deuil et le temps qui passe. C'est un livre vraiment très intéressant :)

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  4. Comme MyaRosa, l'ai dans ma PAL ! Tu me donnes aussi envie de le sortir! :)

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    1. J'ai hâte de découvrir ton avis, je pense que tu y trouverais ton compte!

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