samedi 17 septembre 2022

Son espionne royale et la reine des coeurs (Son espionne royale mène l'enquête #8) - Rhys Bowen.

Queen of Hearts (Her Royal Spyness #8)
, Berkley, 2014 - Editions Robert Laffont, coll. La Bête Noire (trad. de B.Longre), 2021.
 
    Hollywood, Los Angeles, 1934. La mère de Lady Georgie, Claire, actrice glamour et très mariée, veut se débarrasser de son époux et convoler avec un riche homme d’affaires. Direction le Nevada, pour un divorce rapide et discret. Georgie l’accompagne lors de sa traversée de l’Atlantique.
    Mais la croisière ne va pas s’amuser bien longtemps… Témoin d’un accident mortel à bord du paquebot, Georgie est suspectée par la police. Pour couronner le tout, un voleur de bijoux sévit sur le navire, dévalisant aristocrates anglais et starlettes de cinéma. Georgie est déterminée à le démasquer au plus vite, au risque de passer par-dessus bord.
 
    Une nouvelle mission pour Lady Georgie : démasquer un voleur de bijoux ! Entre Downton Abbey et Miss Marple, une série d’enquêtes royales so British.
 
***
 
     Voilà qu'on a presque un an de retard sur la publication française de ce huitième opus ! Il était décidément plus que temps de nous y plonger pour quelques heures d'une lecture pétillante. Face à la charge mentale de la (difficile) rentrée de septembre, un cosy mystery offre toujours la légèreté nécessaire. Alors que le septième opus s'était révélé digne d'une intrigue de la grande Agatha Christie elle-même, que pouvons-nous dire ce nouveau titre ?
 

    Toujours aussi fauchée malgré son titre de noblesse, Lady Georgie passe quelques jours dans le comté du Kent où elle a résolu sa précédente affaire, lorsque sa mère débarque soudain sans prévenir. La célèbre comédienne propose à sa fille de l'embarquer dans son périple aux Etats-Unis. Des vacances mère-fille au soleil ? Non, comme toujours, la flamboyante Claire Daniels a une idée derrière la tête : il se trouve qu'un État du Nevada propose des divorces aussi rapides que pratiques pour qui veut faire annuler un mariage sans la présence (ni même la signature) de son conjoint. Déjà mariée de nombreuses fois, la mère de Georgie a prévu de divorcer de nouveau dans le but d'épouser son dernier amant en date. En dépit du caractère intéressé du voyage, Georgie y voit l'occasion de profiter d'un séjour aux frais de sa chère (et indigne) maman, sans trop avoir à se soucier du lendemain. Toutes deux embarquent donc à bord du Berengaria, paquebot de croisière au chic indécent où elles rencontrent de nombreux voyageurs de qualité. Parmi ceux-là, une princesse indienne mais aussi un célèbre réalisateur d'Hollywood, Cy Goldman, bien décidé à faire jouer Claire Daniels dans son prochain film historique. Tout pourrait sembler parfait si un voleur de bijoux recherché par Scotland Yard ne sévissait pas à bord, et si un meurtre n'était pas en préparation...
 
"Mon époux anglais (...). Un garçon impossible. Il buvait comme un trou et courrait après tout ce qui portait une jupe – à l'exception des joueurs de cornemuse."
 
    On attendait un peu ce huitième opus au tournant : après avoir énormément joué sur l'humour dans les tous premiers tomes de la série, les deux derniers titres se démarquaient par leur épaisseur et leur habile construction. Si certains éléments récurrents auraient pu nous lasser au fil du temps, ils se sont finalement imposés comme des codes plutôt que des redites : la situation financière de l'héroïne amène généralement à l'élément déclencheur de l'intrigue, le meurtre survient le plus souvent après une longue phase d'amorce, Darcy, le chevalier servant de notre adorable lady, débarque toujours par surprise (si bien que ça n'en n'est plus vraiment une), et Queenie, la demoiselle de compagnie, accumule les gaffes. Notre espionne royale parvient-elle ici à se réinventer
 
"— Et qu'est-ce que vous voulez porter ? Ces pyjamas à la mode qui font fureur ?
— Non, je crois que j'aurais une allure élégante et sophistiquée dans la robe dos nu bleu nuit.
— Pas d'problème, mam'zelle, acquiesça-t-elle avant de marquer une brève pause. Au fait, qu'est-ce qu'on met comme sous-vêtement avec une robe dos nu ?
— Aucun, Queenie.
— Quoi ? Pas de chemise ? Pas même un soutien-georges ?
(Oui, elle prononçait bel et bien ce mot de la sorte)."
 

    Bien que l'on passe toujours un excellent moment en compagnie de Georgie et même si on lit toujours Rhys Bowen avec un plaisir (presque) coupable (comme un anti-dépresseur, un cosy mystery fait quoi qu'il en soit toujours l'effet désiré), on admet être quelque peu mitigé sur ce coup-là. La dimension historique, toujours bien amenée, reste l'un des atouts de cette série : on voyage à bord du Berengaria, véritable paquebot de luxe dont on imagine sans peine l’opulence, et on redécouvre l'âge d'or d'Hollywood avec de véritables guest stars à la table des suspects (dont Charlie Chaplin himself, dépeint avec toute la réputation de séducteur qui le caractérisait). Mais voilà, l'intrigue policière, sans être réellement décousue, est étirée en longueur et semble refléter les difficultés de l'autrice à l'élaborer, et ce malgré quelques bonnes idées. Le meurtre survient bien après la moitié du livre et, à proportion du roman entier, semble donc résolu anormalement vite, induisant une anomalie dans le rythme et la construction de l'histoire.
 
Le Berengaria dans les années 1930.

"Je n'étais plus une oie blanche. Si un homme m'invitait à monter dans sa chambre à coucher pour me montrer ses gravures, ce n'était pas une conversation sur l'art qu'il cherchait à avoir, je le savais."
 
    De fait, alors que le synopsis et le début du roman nous laissaient croire que l'intrigue se déroulerait intégralement à bord du paquebot – concept sujet à un huis clos de grande classe – il s'avère que les éléments nécessaires au décor ne sont encore pas tous posés lorsque nos personnages arrivent à bon port. On apprécie évidemment l'atmosphère extravagante et excessive d'Hollywood et du monde du cinéma, mais on regrette un peu le potentiel qu'aurait eu une intrigue entière en haute mer façon "meurtre en croisière". Finalement, il y avait dans ce huitième tome matière à donner naissance à deux histoires bien distinctes.
 
L'intérieur du réel Berengaria...

"— Quel amour, ce Graig ! Il nous emmène de nouveau dîner.
— Pas toi, maman. C'est moi seule qu'il a invitée.
— Quelle drôle d'idée. Il en pince peut-être pour les vierges. Prends garde. La banquette arrière des autos américaines est assez large pour qu'on y commette une foule de pêchés."

    La solution du mystère, aussi, est donnée à la va-vite, comme sortie du chapeau de l'autrice sans que le lecteur ait pu bénéficier des réels indices pour que la chance lui soit donnée de résoudre lui aussi le crime. L'auteur du meurtre manque également du relief et du charisme qu'on espérait, et ce même si le mobile ainsi que l'ensemble du scénario se tiennent malgré tout.
 
 
"Puis, à la vue de notre maisonnette, qu'il avait à peine aperçue la veille au soir dans l'obscurité, il fronça les sourcils.
— Seigneur, quelle abominable monstruosité ! fit-il. Cet homme n'avait aucun goût.
— C'est censé être un cottage, répondis-je. Et celui que vous voyez là-bas, entre les arbres, est pire encore. Au moins, le nôtre ne déparerait pas dans un village anglais des plus adorables, alors que seuls les frères Grimm pourraient vivre dans l'autre (...).
— Justement, qui l'occupe, en ce moment ? demanda-t-il. La créature de Frankenstein ?"

En bref : Pas le tome le plus réussi de la série, Son espionne royale et la reine des cœurs reste cependant une lecture légère qui remplit son office mais perd un peu de la qualité des précédents tomes. On retient l'atmosphère luxueuse de la croisière et l'extravagance d'Hollywood, généreusement racontés, mais on regrette la construction inégale de l'intrigue.
 

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