mardi 27 septembre 2022

The Essex Serpent - Une mini-série de Clio Barnard d'après le roman de Sarah Perry.


The Essex Serpent


Une mini-série de Clio Barnard écrite par Anna Symon d'après le roman de Sarah Perry

Avec : Claire Danes, Tom Hiddleston, Franck Dillane, Clémence Poesy, Hayley Squires...

Date de diffusion sur la plateforme Apple TV : 13 mai 2022

    Cora quitte son mari violent et la ville de Londres par la même occasion. Elle s'installe dans le village d'Aldwinter dans l'Essex. Elle découvre qu'il existe une superstition locale selon laquelle une créature mythique connue sous le nom du " serpent de l'Essex ". L'animal serait revenu dans la région...
 
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    Il y a quelques semaines, on a lu et (beaucoup) aimé le roman Le serpent de l'Essex, de Sarah Perry. Publié outre-Manche en 2016 et rapidement devenu best-seller, cet ouvrage de fiction baignant dans l'atmosphère humide et brumeuse d'un Essex victorien où se mêlent excès de croyance et superstitions a très vite intéressé le cinéma et la télévision. Rien d'étonnant à ce que cette dernière ait obtenu les droits, au regard de l'intérêt qu'une mini-série peut offrir en termes de format. Rien d'étonnant non plus, à l'ère de Netflix et consorts, qu'une plateforme hérite du projet. Ici, c'est Apple TV, plus discrète que ses concurrentes mais bien dotée financièrement, qui co-produit et diffuse la mini-série.
 

    A l'écriture, on retrouve Anna Symon ; si le nom ne vous dit rien, vous avez certainement déjà visionné certaines autres de ses créations. Parmi sa filmographie, on retrouve l'excellente mini-série Mrs Wilson (inspirée de la vie de l'aïeule de l'actrice principale et co-scénariste Ruth Wilson) ainsi que la très "DowntonAbbeyienne" Indian Summer. Derrière la caméra, Clio Barnard, réalisatrice britannique peu connue de ce côté-ci de la Manche, mais plusieurs fois primée pour ses longs-métrages aux sujets souvent très engagés. The Essex Serpent constitue par ailleurs sa première série et sa première réalisation historique en costumes.
 
Trailer de la série;

    Les premières images donnent le ton en nous plongeant dans un Essex de carte postale victorienne. Vase, brume et angoisse sont l'essentiel de ces quelques minutes d'introduction, avant qu'on nous serve un générique particulièrement esthétique, très inspiré des ensorcelants motifs de William Morris. Durant ses six épisodes qui suivent assez fidèlement l'intrigue du roman (on y reviendra plus loin), la série fera la part belle aux paysages luxuriants et sauvages ainsi qu'à la nature abondante de l'Essex. Bien que parfois filmée de façon inégale (certaines scènes dans l'estuaire semblent être tournées caméra à l'épaule et évoquent davantage un épisode de Thalassa qu'une fiction télévisée comme on en voit de nos jours, c'est-à-dire qui égalent voire surpassent le grand écran), la série donne très pertinemment à voir aux téléspectateurs le gouffre qui sépare la propre et rutilante ville de Londres, baignée de lumière et bordée de pavés lisses, des lointaines et sombres terres de l'Essex. Un message subliminal, peut-être ?
 
  Le générique particulièrement esthétique de The Essex Serpent, comme échappé d'un songe de William Morris...
 
    Rien n'est moins sûr : la lutte entre sciences et obscurantisme qui émerge rapidement dans le roman est également au centre de la mini-série. Pour autant, la transposition à l'écran, sans totalement changer le fond du propos, est contrainte de réajuster plusieurs éléments pour redessiner une intrigue dont la réflexion évolue également. Le roman, victorien dans le fond comme dans la forme, utilisait le fait divers du serpent comme prétexte pour catapulter Cora et sa passion de la paléontologie au milieu d'une cambrousse où le nom de Mary Anning n'avait jamais été prononcé, et où l'on pourrait bien brûler encore quelque sorcière. D'ailleurs, c'est cette voie, survolée dans le livre, que la scénariste choisit d'emprunter. En effet, la confrontation des croyances et savoirs de chaque personnage, traitée de façon très complexe et très subtile par Sarah Perry, nécessitait à l'écran un traitement moins philosophique, peut-être plus concret, plus romanesque. Anna Symon décide alors de tourner l'objectif de la caméra vers Cora et d'en faire l'objet de la colère des habitants, qui vont dès lors accuser la jeune femme des terribles événements qui surviennent dans l'estuaire, façon chasse aux sorcières.
 

    Lesdits événements, par ailleurs, sont également agencés autrement pour les intérêts du scénario, de façon à rajouter du suspense et du rythme aux épisodes : Aldwinter devient ainsi le théâtre de plusieurs disparitions (voire d'attaques supposées) qui s'enchaînent de façon à faire monter la tension dramatique (là où les manifestations attribuées au serpent étaient beaucoup moins marquantes dans l'intrigue originale). Avec cette tonalité sérielle plus spectaculaire, ce serpent de l'Essex devient une sorte de Bête du Gévaudan aquatique. Sans être une infidélité au roman initial, il s'agit là encore d'un ajustement du scénario pour structurer l'intrigue au format de feuilleton et faire un focus sur les éléments les plus transposables à l'écran.
 

    Aussi, certaines intrigues secondaires sont-elles tout juste survolées, ce qui rend parfois service au rythme de l'histoire (notamment la disparition de Naomi, pas indispensable). Dans certains cas, on regrette cependant que le scénario ne creuse pas davantage quelques points particulièrement importants. A ce titre, le combat de Martha pour mieux loger les habitants pauvres de Londres perd un peu de son intérêt premier : dans l’œuvre de Sarah Perry, cette quête se distinguait des chimères portées par les autres personnages en mettant en lumière le seul et unique combat qui méritait d'être mené, en arrière-plan des vaines batailles des uns et des autres, qui pour la science, qui pour la religion. Avec une restructuration plus romanesque que philosophique, ce pan de l'histoire fera peut-être ici moins sens pour les téléspectateurs qui n'ont pas lu le roman.
 

    Pour autant, il reste des infidélités dont même le lecteur pourra se réjouir. La fin du livre, sans être totalement pessimiste, laissait les personnages dans une sorte d'entre-deux incertain, empreint d'une forte mélancolie. Bien qu'on ne soit pas un militant de l'Happy Ending à tout prix, on admet avoir apprécié le choix d'Anna Symon de ne pas abandonner les protagonistes à la triste solitude qui leur était réservée dans le roman. Sans trahir totalement Sarah Perry, elle parvient à les laisser dans une sérénité, une paix bienvenue – avec eux-mêmes et les uns avec les autres.
 
 
    Puisque nous abordons la question des personnages, parlons de leurs interprètes. Keira Knightley, initialement engagée pour le rôle principal, a finalement abandonné le projet pour cause de "raisons familiales". C'est un mal pour un bien, si l'on peut dire : Claire Danes, choisie pour la remplacer, est la parfaite incarnation de Cora et campe à merveille ce personnage entre ombre et lumière, dont les yeux pétillent pour la paléontologie et les longues marches à travers la nature. A ses côtés, on apprécie retrouver Tom Hiddleston dans un rôle tout en profondeur après son égarement dans l'univers Marvel : rasé de près pour l'office ou ours mal léché sur les rives de l'Essex, il donne le corps nécessaire au personnage de Will Ransome. Clémence Poésy, la frenchie du casting, épouse le personnage de Stella avec toute la douceur et la magie qui conviennent ; sa ressemblance physique avec Claire Danes apporte par ailleurs une dimension supplémentaire au triangle amoureux qui se dessine.
 

    Luke Garrett, protagoniste d'importance particulièrement complexe au physique particulier, se trouve un visage à travers l'interprétation extravagante de Franck Dillane (connu pour avoir joué le jeune Tom Jedusor dans la saga Harry Potter) : un choix qu'on ne peut que qualifier d'excellent, tant il parvient à nous rendre attachant le "lutin" du roman. Dans le rôle de Martha, on retrouve l'excellente Hayler Squires, qui campait également une domestique revêche dans l'adaptation par la BBC de Miniaturiste. Petit bout de femme à la poigne de fer, elle parvient à apporter une douceur supplémentaire à son personnage. Parmi les jeunes acteurs, on retiendra la prestation de Gaspard Griffith dans le rôle de Frankie, et celle de Dixie Egerickx (Le jardin secret, dernière version) dans celui d'une Jo Ransome plus sombre et plus âgée, mais peut-être plus sympathique que celle de Sarah Perry.
 

    La dimension esthétique, très travaillée, joue beaucoup de la dualité évoquée précédemment : la brume et la boue de l'Essex d'un côté, les rues blanches du Londres huppé de l'autre. Les costumes et les décors se calquent sur ces mêmes contrastes, de façon à montrer deux mondes parallèles. La ville se pare de soieries écarlates, de dentelles et de jupons élégants pour martelés le marbre, tandis que la campagne s'enveloppe de lainages et de toiles épaisses pour arpenter les marais. Les costumes portés par Claire Danes, qui passe d'un univers à l'autre, l'expriment à merveille et donnent à voir les très belles créations de Jane Petrie, styliste inspirée.
 

En bref : Une adaptation plus romanesque que philosophique du livre de Sarah Perry, mais qui réussit à travers ses quelques infidélités au matériau d'origine sa transposition en mini-série. La mise en scène, de qualité, fait la part belle aux paysages énigmatiques et joue des contrastes entre les différents décors comme des nuances des personnages. Le casting, particulièrement convainquant, est mené par une Claire Danes fantastique qu'on se réjouit de retrouver à l'écran, et qui porte fort bien cette romance gothique anglaise douce-amère.



Et pour aller plus loin...


- Découvrez le livre original ICI.



- Vous avez aimé cette mini-série ? Découvrez la mini-série Miniaturiste ICI.
 
 

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