"Il nous faut distinguer trois mondes. Le Nôtre, le Leur, et celui du Milieu : le Delirium."
Dandelion Manor, Dorset, juillet 1914.
Dans
la langueur d'un été secoué par les éclairs menaçants de la guerre qui
approche, quatre écrivains veillissants, jadis si créatifs, sont réunis.
L'inspiration s'est envolée ; les bruits de bottes feraient-ils fuir
les fées ?
A leurs côtés, un elfe sauvage et fantasque, une femme
secrète assoiffée de réponses et un enfant rêveur connecté aux univers
visibles et invisibles assistent aux derniers soubresauts de ce monde
qui meurt. Jusqu'où iront les créateurs déboussolés pour faire revenir
leurs muses ? Et qu'advient-il de ce qui compte vraiment quand tout
s'écroule ?
Quatre fois lauréat du Grand Prix de
l'Imaginaire, Fabrice Colin signe ici son grand retour au genre, dans un
roman empreint de mystère et de drames, de cruauté et de douceur, de
poésie et de magie - comme seule sa plume enchanteresse peut nous
offrir. Une histoire unique, qui tisse une réflexion passionnante sur la
création, l'inspiration et la littérature. Une merveille.
***
Le Rayon Imaginaire est la toute nouvelle collection des éditions Hachette ; comme son nom l'indique, elle est exclusivement dédiée aux registres du fantastique, de la fantasy ou de la science-fiction, voire aux textes qui ambitionneraient de fusionner les trois. Ambition est d'ailleurs probablement le maître mot de cette collection qui vise l'originalité, afin de plaire autant aux éternels amoureux du genre qu'aux néophytes. Des critères qui semblent avoir été pensés pour Fabrice Colin himself : sa plume s'est forgée dans les littératures de l'imaginaire avant d'explorer d'autres horizons, avec le même talent. On en tient pour preuves deux de ses ouvrages chroniqués chez nous par le passé : tout un univers sépare La malédiction d'Old Haven de Tu réclamais le soir. Tous deux sont cependant habités par un style unique, furieusement évocateur, et des personnages qui dépassent de loin le papier dont ils sont faits. Golden Age ne fait pas exception à cette règle, présenté comme le "grand retour de l'auteur au genre de l'imaginaire", même si ce dernier s'en défend : à l'écouter, qu'il s'agisse de fantasy ou de biographie, il y a toujours des fantômes. Et autant dire qu'il y en a également à foison dans Golden Age...
Campagne du Dorset, été 1914. Alors qu'une guerre mondiale se prépare, Trevor Sinclair, jeune journaliste du Clarion, gagne à bord de sa pétaradante Mercurio V8 le village de Knighton Mills. Son ambition ? S'introduire à Dandelion Manor, château du célèbre auteur Kembell Gradey sous prétexte de l'interviewer. L'objectif réel ? Se rapprocher de son fils, avec lequel Sainclair semble partager bien des secrets. Mais sur place, rien ne se déroule comme prévu. Gradey reçoit la visite de quelques amis auteurs, aussi célèbres que lui : Carl Dodilus et James Balfour, bientôt rejoints par l'Américain Flin Boyce. Tous les quatre ont constitué l'Age d'Or de la littérature fantastique de ces dernières décennies, art qu'ils ont cultivé comme un don jusqu'à ce qu'ils arrêtent d'écrire subitement, pour de mystérieuses raisons. Entre chaleur et acrimonie, entre espoir et résignation, les quatre compagnons se déchirent autant qu'ils se soutiennent, au cours de sept jours qui tiennent autant de la villégiature amicale en bord de mer que du conciliabule. L'objet de ces retrouvailles ? L'imagination, évidemment : celle qu'ils avaient, celle qu'ils ont perdue. La cause ? Les muses s'en seraient allées ; fées, elfes, farfadets et korrigans qui peuplaient leurs romans fuiraient le monde des mortels face à la grande (et catastrophique) marche du monde, ne laissant derrière eux que le terrible syndrome de la page blanche. Pure folie, pense Trevor. Facéties de vieil homme. Ou pas. Car entre les voiles qui séparent les mondes, un petit être invisible des adultes sautille d'un univers à l'autre, espionnant le théâtre des humains et les tragédies qui se jouent à grands coups de secrets dévoilés au grand jour. Et de tous les résidents de Dandelion Manor, Trevor y compris, Dieu sait qu'il y a des secrets...
Très vite, dès les premières pages de Golden Age, on devine la promesse de cette audace propre à Fabrice Colin. Le calme apparent des paysages, les mystères qui animent les motivations dissimulées des personnages, et, surtout, la beauté du verbe. Plus habité que jamais, le style caractéristique de l'auteur sublime l'intrigue par son pouvoir d'évocation et les images qu'il suscite. Dans sa profusion comme dans ses moments de retenue, la plume de Fabrice Colin met de nouveau la forme au profit du fond, et le lecteur se laisse ainsi porter par son délicieux sens des tournures et de la poésie à la rencontre des divers protagonistes qu'il croisera au détour des chapitres.
Lewis Carroll, Kenneth Grahame, J.M.Barrie & L.F.Baum.
" L'inspiration nous a été offerte. De l'or entre nos doigts, du miel, de l'ambroisie. Pourquoi, tous et simultanément, aurions-nous perdu ce don ? "
Et quels protagonistes ! Car derrière les figures hautement charismatiques et apparemment fictives de Kembell Gradey, Carl Dodilus, James Balfour et Flin Boyce se cachent en fait les réels Kenneth Grahame (auteur du célèbre Vent dans les saules mais aussi – tiens donc – d'un recueil intitulé Golden Age), Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles), James M. Barrie (Peter Pan) et L. Frank Baum (Le magicien d'Oz). Qui mieux que ces quatre romanciers pouvait, en effet, incarner l'Âge d'Or des littératures de l'imaginaire ? A la façon d'un Alan Moore (qui se plait à détourner les œuvres de littérature fantastique pour mieux s'en amuser), Fabrice Colin se réapproprie ces quatre grandes personnalités (quasi-totémiques). Si les individus réels se reconnaissent à travers les sonorités similaires des noms et prénoms, l'auteur ne s'arrête pas là et s'inspire également de leurs biographies respectives pour fignoler ses personnages. Tout comme son alter ego de papier, l'Américain L.F.Baum s'engagea après l'écriture dans l'industrie montante du cinématographe ; à l'image de Gradey, Grahame cessa de publier plusieurs années avant la Première Guerre mondiale ; Dodilus et Carroll partagent le même bégaiement (qui disparait parfois selon la personne à laquelle ils s'adressent ou le sujet dont ils parlent) ; enfin, le jeune protégé de Balfour n'est pas sans évoquer les pupilles de James Barrie (la fratrie Llewelyn Davies) et leur funeste destin. A la façon d'A.S.Byatt dans Possession, Fabrice Colin leur réinvente à chacun une bibliographie tellement détaillée qu'on rêverait de trouver leurs ouvrages en librairie.
Tout Golden Age se pare ainsi de ces ornements historico-littéraires, à la façon d'une partie de cherche-et-trouve dans laquelle on irait se perdre avec délice, entre jeux de miroir et chausse-trapes vertigineux, réminiscences et hommages. L'elfe, qui s'autorise quelques brèves incursions dans notre monde (lesquelles ressemblent à chaque fois à un tableau fantasmagorique de Richard Dadd), voit son nom orthographié dans une typographie qui n'est pas sans nous rappeler la langue inventée par Tolkien. Baptisé Pook au détour des premières pages, on comprend rapidement, lorsqu'il évoque le roi et la reine des fées, ainsi que les intrigues amoureuses qui les animent, qu'il n'est ni plus ni moins que le célèbre Puck de Shakespeare. Outre le quatuor d'auteurs en panne d'inspiration, on trouve cités çà et là les noms d'artistes et d'écrivains également savamment rebaptisés, mais derrière les patronymes desquels se laissent entrevoir leur identité véritable : Lostoïeveskov, Sickens, Hugolay, Jausten, Malthorpe ou encore Coyle. Mais d'ailleurs, les titres des chapitres n'évoqueraient-ils pas subtilement ceux de grandes œuvres littéraires ? Du Manoir aux six tourelles à Fierté et préjudice en passant par Loin de la foule en liesse, on vous laisse découvrir et savourer ces doctes clins d’œil.
" C’est un Golden Age. Vous s-savez ce que m’a dit le v-vendeur ?
“L’encre s’épuise, pas les larmes du lecteur.” J’ignore si c’est leur
slogan de réclame, mais j’espère que vous ferez couler beaucoup de
l-larmes."
Mais Golden Age n'est-il qu'un simple jeu de références, ou ces belles enluminures vient-elles orner une trame qui a son intérêt propre ? Si Fabrice Colin passe par ces artifices pour retenir l'attention du lecteur, il propose bien évidemment une base solide à son intrigue, articulée autour d'une réflexion entêtante sur l'inspiration. Comment vient-elle à nous ? Se dompte-t-elle ou sommes-nous ses victimes ? Et, surtout, jusqu'où sommes nous prêts à aller pour la retenir ? Cette crise de la créativité survient aux veilles d'un monde qui s'effondre : en situant son histoire à l'aube de la Première Guerre mondiale qui se présente aux portes de l'Angleterre, l'auteur amène avec finesse la notion de l'avant et de l'après la catastrophe. Il questionne la violence du trauma face au pouvoir de l'imagination mais aussi, peut-être, la façon dont l'un et l'autre peuvent s'entretenir. Au cours de sept jours qui s'égrainent, il nous raconte le chassé-croisé de ces personnages sous les toits de Dandelion Manor. Sept jours, soit le temps qu'il fallut au Monde pour se créer... ou qui lui suffiront pour disparaître ? On pourrait d'abord penser qu'il s'y passe finalement peu de choses et, pourtant, tout est dans les interlignes et les suggestions, dans les paupières mi-closes et les bouches entrouvertes. Tout est là, dans l'entre-deux, à la façon du Delirium.
En bref : Véritable envoutement, Golden Age séduit par le jeu de ses références et ses nombreux hommages à l'Âge d'Or des littératures de l'imaginaire. Mais ce roman est évidemment bien plus que ça : puissante réflexion sur l'inspiration et le pouvoir de la création, il met en scène des personnages secrets et complexes dont les actes sont précipités par la fin d'une époque en ébullition. Avec ce récit incroyablement tangible aux accents subtilement fantasmagoriques, Fabrice Colin réinvente la fantasy. Une merveille.
Oh la la, vu ce que tu en dis, je me laisserais bien tenter ! De Fabrice Colin, j'avais aimé "Projet oXatan".
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