vendredi 25 août 2023

La maison aux sortilèges - Emilia Hart.

Weyward
, St Martin's Press, 2023 - Editions France Loisirs (trad. d'A.Delarbre), 2023 - Editions Les Escales, 2023.

    2019. Kate fuit Londres pour se réfugier dans une maison délabrée dont elle a hérité. Avec son lierre dégringolant et son jardin envahi par les mauvaises herbes, ce havre de paix la protège de son compagnon violent. Kate sent toutefois qu'un secret s'y tapit...
    1942. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Violet est cloîtrée dans le grand domaine familial, étouffée par les conventions sociales. Elle vit avec le souvenir de sa mère, dont il ne lui reste qu'un mystérieux médaillon et une inscription étrange sur le mur de sa chambre.
    1619. Altha connaît les secrets des plantes, savoir ancestral transmis de mère en fille. Nombreux sont les villageois à venir lui demander de l'aide. Pourtant, quand un fermier meurt piétiné par son troupeau, tous la pointent du doigt et l'accusent de sorcellerie.
 
Trois femmes extraordinaires séparées par quatre siècles.
Un roman captivant sur la puissance des femmes et le pouvoir de la nature.
 
***
 
    Annoncé en fanfare pour la rentrée littéraire de 2023, La maison aux sortilèges s'offre le luxe d'une double publication : l'une, officielle, en septembre chez Les Escales et l'autre, en avant-première, chez France Loisirs sous cette superbe couverture. Graphisme à l'esthétique végétale et titre accrocheur ont eu vite fait de retenir notre attention ; quant au résumé, il semblait conjuguer tout ce qu'on peut rechercher et aimer dans la veine du magic realism. Grand succès de la foire de Francfort 2021, ce premier roman de l'Anglaise Emilia Hart s'est apparemment vendu aux éditeurs du monde entier... De quoi susciter notre curiosité.
 

    Verdict ? Si La maison aux sortilèges n'est pas à proprement parler un "mauvais roman", il est loin d'avoir répondu à nos attentes. Doit-on en blâmer la publicité trop insistante, qui encensait littéralement ce livre ? Possible. Toujours est-il que si l'on peut tout à fait se laisser porter par l'histoire de ces trois femmes, on a l'impression d'avoir déjà lu et relu ce livre plusieurs fois (plusieurs fois et en mieux) tant le concept, au final, s'avère éculé.

    Nous en tenons pour preuve L'écho de ton souvenir, de Pamela Hartshorne, ou encore La mer en hiver, de Susanna Kearsley, deux récits d'inspiration historique aux doux relents de fantastique qui racontaient les destins croisés de femmes d’aujourd’hui avec leurs ancêtres du XVIème ou du XVIIème siècles. Alors, bien sûr, Emilia Hart ajoute une troisième période là où les textes de ses deux consœurs ne se concentraient que sur deux temporalités, mais quand bien même, il nous a été impossible de ne pas penser à ces deux titres. Si les thématiques diffèrent, les enjeux de la narration restent identiques. La construction en devient malheureusement très convenue et les ressorts de l'intrigue, prévisibles (à quelques éléments près cependant, nous voulons bien l'admettre). Toujours est-il qu'après quelques chapitres du roman d'Emilia Hart, on devine très vite la tournure des événements à venir et la résolution du livre.


    On pourrait alors objecter que notre ressenti est majoritairement influencé par nos lectures passées et que celles et ceux qui mettraient les pieds pour la première fois dans ce registre littéraire spécifique n'y verraient donc pas les mêmes défauts. Ce serait cependant sans compter les autres reproches que nous avons à formuler, et ce à notre grande déception. Tout d'abord, les différents contextes historiques racontés par l'autrice (l'Angleterre rurale du XVIIème siècle et la vie d'un manoir pendant la Seconde Guerre mondiale) sont restitués sous un jour extrêmement pauvre, qui semble assez peu nourri de recherches. Il n'y a pas de maladresses ou d'incohérences majeures, mais surtout parce qu'Emilia Hart prend peu de risques dans la restitution des différentes époques exploitées, créant par-là peu de possibilité de visualisation ou d'immersion. De la narration d'un procès de sorcellerie à la vie d'une famille d'aristocrates du milieu du siècle dernier, tout est extrêmement simpliste et on y a trouvé un réel manque de consistance. Les références à Shakespeare auraient pu, à ce titre, donner du corps et un souffle particulier au roman, mais là aussi, il semble surtout que l'autrice a vaguement survolé Hamlet et n'utilise que quelques citations placées de façon purement stratégique, sans cerner son essence profonde.


    S'ajoutent à cela des scènes et un enchainement de péripéties à l'élaboration artificielle : les actions et réactions des personnages sont souvent fabriquées, certainement pour permettre à l'autrice de faire avancer son intrigue dans la direction souhaitée, mais au détriment de toute vraisemblance. Cela heurte la fluidité de la lecture et donne souvent lieu à des scènes qui sonnent faux. Cette impression est renforcée par l'écriture : bien qu'il nous est impossible de dire si cela tient au texte original ou à sa traduction, le style de La maison aux sortilège se cherche un genre à grand renfort de métaphores éculées et de grandiloquences faciles mais sans réelle poésie.
 

    Enfin, que dire du propos de fond ? L'intrigue verse dans un féminisme de papier glacé nourri du stéréotype de la gentille sorcière en communion avec la nature et avec les femmes en général ; là encore, tout comme le traitement survolé du contexte historique, tout manque de corps. L'autrice tombe dans tous les écueils possibles, faisant de presque toutes les figures masculine de son roman des monstres de clichés (ou des clichés de monstres, c'est selon). Dans le genre, on est très loin derrière Alice Hoffman et son excellente saga des Ensorceleuses (Practical Magic).


En bref : Surfant sur la vague typiquement anglo-saxonne du magic realism, Emilia Hart nous conte une histoire de femmes et de sorcières sur trois époques différentes qui avait tout de prometteur. Si cette lecture satisfera probablement les néophytes du genre, les aficionados d'Alice Hoffman et les lecteurs de Pamela Hartshorne ou Susanna Kearsley seront, comme nous, certainement très déçus. Malgré de très belles promesses, La maison aux sortilèges tombe dans tous les poncifs possibles, que ce soit dans son scénario ou son écriture, ou encore dans son évocation d'un féminisme de surface. Dommage.
 
 
Et pour aller plus loin...
 
- Si vous aimez les intrigues entremêlant plusieurs époques sur fond de véracité historique avec des héroïnes fortes, nous vous recommandons L'écho de ton souvenir et La mer en hiver.



- Si vous souhaitez lire sur la thématique des chasses au sorcières dans l'ancienne Angleterre, on vous propose de découvrir Les sorcières de Pendle, d'après une affaire réelle par ailleurs évoquée dans le roman d'Emilia Hart.
 
 
 
- Si vous aimez le magic realism, alors nous vous conseillons d'aller à la découverte d'Alice Hoffman et de ses Ensorceleuses.

1 commentaire: