
Une traque palpitante à travers l’Europe et l’Histoire qui revisite, avec brio, la légende du Vampire des Carpates. Un tour de force littéraire.
En 1972, dans une vieille maison d’Amsterdam, une adolescente explore la bibliothèque de son père et tombe par hasard sur un vieux livre relié de cuir d’où dépassent des feuillets jaunis. Toutes les pages de l’ouvrage sont vierges, à l’exception d’une affreuse gravure de dragon dont les ailes déployées semblent protéger une étrange inscription : « DRAKULYA ». Pour tromper sa solitude, la jeune fille a la curiosité de déplier l’un des feuillets. Il s’agit d’une lettre et elle s’ouvre ainsi : « Cher et infortuné successeur… » Son univers vient de basculer… Petit à petit, elle va en effet découvrir les secrets de jeunesse de son père ainsi que le destin mystérieux de sa mère, aujourd’hui disparue. Elle va surtout comprendre que tous deux sont liés à l’existence d’une puissance maléfique jaillie tout droit des profondeurs de l’Histoire. Deux générations d’historiens ont en effet déjà risqué leur réputation, leur équilibre mental et leur vie à tenter d’élucider la fin tragique et mystérieuse de Vlad III de Valachie, dit Vlad l’Empaleur ou encore Dracula. Ce que la jeune fille ignore encore, c’est qu’à son tour, et au prix d’une plongée aussi angoissante que vertigineuse dans le passé de ses parents, elle va devoir emprunter les traces de ses prédécesseurs et tenter de résoudre cette énigme maléfique. Dès lors, de villes en villes, de monastères en bibliothèques, de salles d’archives en cryptes abandonnées, la quête se transforme en traque, et lentement, une vérité se dégage de la légende, plus terrifiante encore. La source du mal aurait-t-elle traversé les âges ?

Elizabeth Kostova, qui n’a jamais oublié les histoires sur le vampire des Carpates que lui racontait son père, a mené des recherches historiques pendant près de dix ans autour de la véritable histoire de Dracula, avant d’écrire L’Historienne et Drakula. Voyage exaltant à travers toute la vieille Europe, à la fois roman d’aventures et récit initiatique, L’Historienne et Drakula aborde, au-delà de la légende du célèbre vampire, le problème du questionnement historique. Pour servir ce récit foisonnant et épique, Elizabeth Kostova a conçu une intrigue implacable et une architecture romanesque à la fois complexe et exigeante (lettres, journaux intimes, conversations rapportées, récits dans le récit s’entrecroisent dans un subtil jeu de mises en abyme), qui font de ce premier roman un véritable tour de force littéraire.
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J'ai entendu parler de ce roman dès sa sortie, il y a environ six ans. Depuis toujours passionné par le mythe de Dracula - l’œuvre de Stocker mais aussi le personnage historique qui l'a inspiré - ma curiosité avait de suite été retenue par cet ouvrage. Puis, la densité du roman m'avait un peu effrayé et je n'avais pas osé m'y essayer, le notant cependant pour plus tard. Aujourd'hui, à l'heure où le mythe du vampire est devenu plus commun que jamais dans la littérature populaire -bit lit et sous-culture pop et young adult associée- L'historienne et Drakula pourrait presque se fondre dans la masse des publications de Black Moon et autres ersatz de Twilight, pour peu qu'on ne se penche pas au-delà du titre. Sauf que là, on parle d'Elizabeth Kostova, mille fois encensée pour ce roman et également auteure de l'excellent Les voleurs de Cygnes, lu et chroniqué ici-même. Tombé par hasard sur la version e-book le mois dernier, et désireux d'une lecture dense, riche et agréable, je m'en suis remis aux bons souvenirs passés avec les voleurs de cygnes pour me laisser convaincre.
Verdict? C'est peu de dire que je ne suis pas déçu car L'historienne et Drakula s'est révélé être un des meilleurs romans lus à ce jour, un véritable coup de cœur qui mérite une théière en or massif!
Éditions grand format et poche originales.
"En ma qualité d'historienne, je
suis bien placé pour savoir que ceux qui remontent le cours de
l'Histoire ne survivent pas toujours à ce voyage. Ce n'est pas tant le
fait de remonter le temps qui nous met en danger; parfois, il arrive que
l'Histoire elle-même nous guette dans l'ombre et nous happe de sa
griffe ténébreuse."
Et il en va ainsi de tout le reste de ce roman. La narratrice évoque donc, comme il l'est si bien raconté dans le résumé, l'ouvrage qu'elle découvre par hasard, alors adolescente, dans la bibliothèque de son père Paul. Cet historien, veuf et homme plutôt discret, aurait mis au jour cet antique grimoire du temps de sa jeunesse étudiante : un vieux livre relié, entièrement vierge si ce n'est une gravure centrale représentant un dragon, symbole de Vlad Tepes Drakulya. L'Empaleur, Drakula le seigneur de la guerre qui inspira à Bram Stocker le vampire de la légende. Alors qu'il n'était au départ que peu intéressé par le grimoire, Paul se retrouve comme "poursuivit" par l'objet, qui réapparait sans cesse au travers de son chemin, l'invitant à percer son secret. Ses recherches le plongent bientôt dans une enquête qui tourne à l’obsession : Lorsqu'il apprend que son directeur de thèse, l'éminent historien Bartholomé Rossi, a trouvé un grimoire identique dans ses jeunes années, il devient évident qu'un secret gigentesque entoure cette relique de papier. Rossi lui remet le résultats des investigations qu'il mena à travers le monde suite à la découverte du livre, clef de voute qui indiquerait en réalité... l'emplacement de la réelle tombe de Vlad Tepes. Plus encore, Rossi le met en garde: Drakula serait encore en vie, et se lancer à sa recherche revient à signer son propre arrêt de mort. Après ces étranges révélations, le directeur de thèse de Paul disparait mystérieusement, et l'étudiant en Histoire reprend l'enquête où son professeur l'a arrêtée, persuadé qu'en retrouvant la tombe de Drakula, il retrouvera Rossi.
Alors que la jeune narratrice apprend cette histoire de la bouche d'un Paul devenu adulte, elle se trouve elle aussi piquée par la curiosité et prise du virus de l'Historien. Alors qu'une menace sourde, issue des tréfonds de l'Histoire semble prendre prise sur la réalité, elle se lance elle aussi à la recherche de Vlad Tepes.
"Il est indéniable que
nous autres historiens sommes fascinés par ce qui est en partie un
reflet de nous-mêmes, une facette obscure de notre personnalité que nous
tentons peut-être pas à explorer autrement que par l'intermédiaire de
l'érudition; il est vrai également que plus nous nous imprégnons du
sujet qui nous passionne, plus il devient une partie intégrante de
nous-même."
Éditions espagnole, estonienne,
italienne, et suédoise.
La sincérité qui frappe le lecteur et le captive autant que si le récit était vrai tient peut-être au fait que l'auteure s'est énormément inspirée de son propre parcours. En effet, de nombreux points coïncident entre la jeunesse d'Elizabeth Kostova, ses propres recherches sur le sujet de Vlad Tepes et le mythe du vampire, et ce que nous raconte la narratrice qu'elle a fait héroïne de son histoire. Il y a donc tout à parier pour que l'écrivaine ait couché sur le papier ces ressentis profonds et personnels qui donnent toute son intensité à ce roman.
Mais surtout, on sent de solides bases historiques et il n'est pas surprenant qu'elle ait effectué plus de dix ans de recherches pour écrire ce livre : plus qu'un foisonnement culturel, L'Historienne et Drakula servirait à lui-seul de thèse universitaire, la fiction en plus. Au travers de multiples voix, portées par des personnes, des époques et des supports différents, on s'offre en l'espace de 900presque mille pages un tour de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est, une visite guidée ensorcelante et presque effrayante de leurs mythes, légendes et Histoire médiévale. Religion, Sociologie, Anthropologie, Arts... The Historian semble brasser tout ce qui touche de près ou de loin à Drakula mais jamais de façon ennuyeuse ou approximative. Conte étrange et érudit, l'Historienne et Drakula remonte aux sources des légendes du vampirisme, évoquant ses multiples aspects d'une culture à l'autre et selon les époques, en même temps qu'il dresse un portrait on ne peut plus pointilleux de Vlad Tepes. Entre l'homme sanguinaire et le vampire fictif, le Drakula d'Elizabeth Kostova se présente comme une éminence grise, une brume planant en toile de fond et qui semble hanter chaque personnage, tirer les ficelles depuis une zone d'ombre secrète mais sans intervenir directement, ce qui le rend presque encore plus terrifiant.
Car lentement, insidieusement, Elizabeth Kostova glisse ça et là des bribes de fantastique qui défient toute raison ou forme de science. Mais le tout est amené avec une telle logique et un tel talent de conteuse que le lecteur se laisse emporter. J'ai à ce titre ressenti un effet similaire dans la tournure fantastique que prenait le roman La femme dans le miroir: les éléments surnaturels, justement dosés et mesurés, sont présentés de sorte que le lecteur se laisse aller à y croire dur comme fer et se prend au jeu avec un plaisir presque jubilatoire.
Valachie, Carpathes, Roumanie, Turquie... sans oublier le monastère de Snagov et le prétendu tombeau de Vlad Drakul, autant de lieux historiques entre Orient et Occident traversés par le roman au cours d'un périple riche et halletant!
Elizabeth Kostova
A titre informatif, Sony aurait acheté les droits pour une adaptation au cinéma, mais le projet, lancé depuis 2006, semble stagner depuis. A mon avis, une mini-série servirait mieux l'intrigue, compte-tenu de la charge d'événements et d'informations contenus dans cette oeuvre. Pour le coup, moi qui suis toujours enthousiaste à l'idée d'une transposition à l'écran, c'est peut-être la première fois que je reste autant dubitatif face à l'éventualité. Je crains qu'une version cinéma ne gache plus qu'autre chose le roman original!
L'alternance entre le quotidien de la jeune narratrice et les journaux, courriers et documents du passé, le tout habité par l'atmosphère fantastique des fondement du vampirisme m'ont rappelé Malédiction de sang. Bien sur, Malédiction de sang est un ouvrage pour la jeunesse, nous sommes d'accord ; néanmoins, il n'en manque pas d'une indéniable qualité et j'ai réellement retrouvé, par moment, une atmosphère similaire, un je-ne-sais-quoi de proche dans la narration et le "parfum" de l'histoire. Je serais tenté de dire que Malédiction de sang est le petit frère cadet de l'Historienne et Drakula!
En bref : un périple haletant à travers l'Histoire et les mythes horrifiques de la Vielle Europe, le tout dans un thriller gothique et érudit qui se veut un foisonnement culturel magnétique et addictif. Un page-turner hypnotique et intelligent qui force l'admiration.
"Un petit savoir est chose dangereuse."
"On ne peut pas appréhender la dimension sociale des hommes sans connaître leur Histoire."
"La vie a plus de saveur et d'éclat quand on ne rumine pas sans nécessité des horreurs. Comme vous le savez, l'histoire de l'humanité est remplie d'atrocités, et sans doute devrions-nous verser des larmes sur ces crimes plutôt que de les contempler avec fascination."
"Une des pires épreuves qui soient au monde, c'est de voir le visage d'un être cher déformé par la mort, la déchéance ou la maladie. Ces visages bien-aimés deviennent des monstres de l'espèce la plus terrifiante qui soit - vision atroce et insoutenable."
Quelques portraits du vrai Vlad Tepes Drakula, le seigneur sanguinaire à l'origine du mythe du vampire.
Petit plus pour ceux qui veulent se lancer à la recherche du tombeau de Drakula et poursuivre la plongée dans l'univers instauré par E.Kostova, le site "A la poursuite de Dracula", bourré de références historiques et d'informations alléchantes!
Pour une fois, je trouve que les couvertures françaises sont bien meilleures que les autres ! Je n'ai qu'à les regarder pour être happée dans l'univers de l'Historienne et Drakula :) elles représentent tellement bien l'ambiance du livre !
RépondreSupprimerEn tout cas, tu nous a encore écrit un super article, tu as réussi à mettre sur papier tout ce que j'ai ressenti en lisant ce livre mais que je n'aurais jamais réussi à décrire. Bravo =)
Je suis d'accord pour les couvertures! Quoi que j'aime assez la couverture anglaise où l'on voit le portrait de dracula à l'horizontal =). Ce livre restera parmi l'un de mes favoris, je te recommande vraiment de lire "malediction de sang", de Celia Rees: on y retrouve une atmosphère très proche, version lectorat jeunesse.
SupprimerMerci pour ton appréciation de mon article, j'espère vraiment avoir réussi à restituer l'excellente impression qu'il m'a laissé et l'étrange et hypnotisant pouvoir d'attraction qu'il a exercé sur moi! =D
C'est vrai qu'elle n'est pas mal non plus !
RépondreSupprimerOui j'ai lu ton article sur ce livre, du coup j'avais déjà prévu de le lire :)
Je trouve que tu t'en es très bien sorti, j'ai presque eu l'impression de "revivre" le roman en te lisant ^^