vendredi 20 juin 2014

Carabosse, la légende des cinq Royaumes - Michel Honaker.

Éditions Flammarion, 2014.


  La belle Cara est maudite : elle est bossue. Par dépit amoureux, elle tombe du côté obscur de la magie et devient la Fée du Vent Mauvais. Elle n'aura de cesse de se venger de sa sœur, en maudissant son héritière, la belle Aurore, la princesse du Bois Dormant. Après 99 ans, Lilas, dernière fée survivante à avoir échappé à l'horrible régence de Carabosse, part chercher le prince charmant destiné à sauver Aurore, endormie le jour de ses 18 ans... 

  Découvrez Carabosse, la légende de la fée maléfique de la Belle au bois dormant



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   Alors que le film Maléfique fait plus que jamais parler de lui, et afin de célébrer le regain d'intérêt pour la Belle au Bois Dormant avec une sélection consacrée à ce conte, je vous propose aujourd'hui de découvrir un ouvrage empruntant la même orientation scénaristique que le film Disney. En effet, avec Carabosse, l'auteur français Michel Honaker se propose lui aussi de revisiter le conte de la Belle au Bois Dormant en s'attardant sur le personnage sombre de l'Histoire : La sorcière responsable du sommeil de cent ans. Si Disney choisit comme base le dessin-animé réalisé par la firme en 1959, Honaker, lui, retourne aux origines du mythe et fonde sa réinterprétation sur le texte original de Perrault, où elle ne se nomme pas Maléfique mais Carabosse. Une occasion pour moi de découvrir Michel Honaker, connu pour ses nombreux romans jeunesse salués par la critique et ses sagas réinterprétant tantôt les mythes de la Table Ronde ( avec sa série Graal) ou de l'Antiquité (avec Troie ou Odyssée).
  Et puis, je ne pouvais que me laisser envoûter par cette illustration de François Roca, qui plus est mise en valeur par une couverture en toile huilée façon missel vintage ou vieil almanach *_*. Une dimension d'objet atypique supplémentaire qui rend l'ouvrage d'autant plus alléchant... Alors, verdict?

Esquisse préparatoire pour le costume de la Fée Carabosse 
(mise en scène de 1921 de La Belle au Bois Dormant, ballet de Tchaïkovsky inspiré du conte).

  Cara est une beauté sensuelle et vénéneuse, dont le physique éclipserait presque celui très avantageux de sa sœur Léonore... presque, si Cara n'était pas affublée d'une inélégante bosse qui lui vaut les railleries de tous. Refusant son ingrate proéminence, elle cherche dans les secrets de la nature onguents et plantes capables de lui faire disparaître, apprenant par la même la magie et les pouvoirs cachés de la végétation. Devenue de ce fait enchanteresse, elle tient ses connaissances et quelques pouvoirs du "Vent Mauvais", étrange puissance doublée d'un esprit maléfique qui plane sur les bois du Royaume où réside Cara. Choisie par cette Entité pour recevoir son enseignement, Cara est chaque jour un peu plus crainte des habitants et populations environnantes pour les talents magiques dont elle disposerait. Mais lorsque Léonore vole à son enchanteresse de sœur l'amour du Roi Floretant, alors venu en visite avec ses Courtisans, elle se laisse envahir par la jalousie et ronger par la colère. Plus que jamais décidée à se venger, elle vent son âme au Vent Mauvais en échange des pleins pouvoirs de Sorcière. De Cara, elle devient ainsi Carabosse, revendiquant sa malformation comme emblème et désormais grande figure maléfique du Royaume. Plongeant la contrée dans les ténèbres, prête à tout pour détruire le bonheur conjugale de sa soeur et du Roi, elle utilise ses nouveaux pouvoirs, quitte à payer le prix d'une déchance physique croissante. Non contente d'obtenir de Florestan un enfant par le biais trompeur et détourné de la magie noire, elle jette également un sortilège de sommeil éternel sur la jeune Aurore, princesse née de l'amour réel de Léonore et du Roi. Consumée par une jalousie que rien n'apaise, la Sorcière trouve cependant une adversaire de taille en Lilas, l'une des bonnes fées choisie comme marraine de la princesse, décidée à traversée les siècle pour sauver la contrée que s'attache à détruire Carabosse.

The Evil Fairy from "Sleeping Beauty"
Melting-pot d'images sur le thème de la fée Carabosse, par le blogueur Droo216
(source : tumblr.com)

  Si j'ai craint que ce livre soit avant tout une tentative de surfer sur le succès de Maléfique, mes a-prioris ont vite été effacés et j'ai pu très tôt dans ma lecture avouer le talent évident de l'auteur. Plus que conquis, je reconnais même avoir été totalement hypnotisé tant par sa plume que par son imagination! En effet, le style est d'une qualité qui dépasse de loin le commun de la littérature jeunesse et s'inscrit même dans la digne lignée de la prose classique de Perrault lui-même. Le vocabulaire et la syntaxe, tous deux d'une poésie presque médiévale, concourent à donner du corps à l'histoire et lui conférer un réel "esprit". De cette plume talentueuse et évocatrice, Honaker donne à son roman la résonance ancestrale d'une vieille ballade médiévale.

"La folies des hommes pouvait les mener tous à l'abîme. Mais plus encore, l'humanité des fous."

  S'il prend quelques libertés avec le conte de Perrault (renommant la princesse Aurore comme chez Disney, ou supprimant une fée au passage), il respecte globalement cette référence de base en ponctuant son récit de nombreux clins d’œil au conte (les noms de certains Royaumes par exemple, évoqués comme autant de détails au détour d'un paragraphe dans le texte source) mais, surtout, les développe en les orientant dans de multiples directions narratives et dramatiques. Ainsi, la tournure que prend son histoire n'est pas sans évoquer dans ses schémas les figures féériques classiques, les mythes de Brocéliande ou les personnages de la Table Ronde. L'Arbre de sagesse centenaire rappelle le Chêne des Hyndres de Brocéliande ; Carabosse fait plus que jamais penser à une Fée Viviane ou une fée Morgane, croisée avec une Boe Bolga ; son fils Clèves nous renvoie au diabolique Mordred et la fée Lilas à une sylphide née de la Nature elle-même...

 Cara, entre La fée Morgane de la Légende Arthurienne ( à gauche, Morgana Le Fay, par B. Froud)
et la Boe Bolga (Cette "vieille fée Carabosse qui jette des sorts aux nouveaux nés", à droite, par O.Ledroit).

  A ces nombreuses références classiques, Honaker sait ajouter un ton réellement épique, voire fougueux, avec des personnages au charisme digne de romans de fantasy façon Jean-Louis Fetjaine ou Edouard Brasey. La princesse Aurore est présentée comme un garçon manqué au tempérament de feu qui tiendrait davantage de la Mérida du dessin-animé Rebelle que de la fausse héroïne qui subit une malédiction. Ainsi, loin de prendre son jeune lectorat de haut, Honaker s'adresse à lui en évoquant sans détour toute la noirceur et la complexité de ses personnages, esprit propre au caractère tortueux et intrinsèque d'un conte fantastique.

"Rien ne pouvait plus être comme avant. Il en est de la marche du monde comme d'une rivière qui s'écoule. Nul ne peut la faire retourner à sa source."

  Mais ce qui m'a peut-être le plus époustouflé dans cette relecture est l'évocation de la Nature, qui devient presque un personnage à part entière. Plus qu'un simple décor ou élément, elle "habite" totalement le roman. On la sent vivre, respirer, expirer à chaque nouvelle ligne : Partout ce n'est que racines, lianes, entrelacs de ronces et d'épines, branches et feuillages humides. La végétation, comme animée d'une magie archaïque qui la ferait sortir des pages, explose au visage du lecteur, le capture et l'entraîne de force dans une gravure digne de Gustave Doré et de ses enluminures.

"Les traditions sont les racines où l'on doit puiser pour rêver l'avenir."

Le chêne des Hyndres, Brocéliande.

En bref : Tortueux et riche comme la végétation sauvage qu'il met en scène, ce roman dépasse de loin le simple ouvrage fantastique pour la jeunesse. La qualité du style est indéniable, à mi-chemin entre le classique d'un Tolkien ou d'un Perrault, avec la vivacité moderne d'un Bottero ou d'un Fabrice Colin, faisant de cette relecture une œuvre de fantasy où se mêle fougue, noirceur et passion. Loin de toute influence du Maléfique de Disney, Honaker revisite la Belle au Bois Dormant de manière tant époustouflante que tragique.

Pour aller plus loin:

-Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez peut-être:

 -Redécouvrir le conte original de Perrault, ICI.
 -Le film Maléfique de Disney, et même pourquoi pas sa novélisation sous forme de roman par Elizabeth Rudnick.


-D'autres relectures de contes à la mode "the other side of the story", c'est à dire du point de vue du "Méchant" de l'histoire:
 Wicked pour le Magicien d'Oz, ou encore Fairest of All ou White as Snow pour le conte de Blanche-Neige.
 

-La page consacrée au livre sur le blog flammarion jeunesse, ICI.

2 commentaires:

  1. A la base je ne comptais pas acheter ce roman mais j'ai lu beaucoup de chroniques très positives à son sujet, notamment concernant l'écriture de Michel Honaker. Finalement, tout ça a fini par éveiller mon intérêt et quand je suis tombée sur ce livre d'occasion, je n'ai pas pu résister! La manière avec laquelle tu évoques le style de Michel Honaker semble en tout point confirmer les avis que j'avais pu lire jusque là et me donne d'autant plus envie de me plonger dans son roman et de découvrir son écriture!

    Et sinon, rien à voir avec les propos ci-dessus ^^ mais à cause de mes soucis d'hébergeur, j'ai passé mon week-end à transférer mon blog sur wordpress (qui a du coup changé d'adresse) et je n'ai (hélaaaas) pas encore eu le temps de regarder Elizabeth avec Helen Mirren. Mais promis, je ne manquerai pas de venir te donner mon avis :D

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    1. Oh, comme je suis content d'avoir de tes nouvelles, chère collègue blogueuse! Car ayant récemment voulu jeter un oeil à ton blog, je suis tombé sur une page d'erreur (sûrement à cause de tes problèmes d'hébergeur) et j'ai craint que tu n'aies totalement disparu du web! =D Me voilà rassuré ;). Ton blog sera-t-il de nouveau visible?

      Pour en revenir à cet ouvrage, il est juste du tonnerre: je ne pensais pas moi-même l'apprécier autant mais il est aussi envoutant qu'un sortilège. Un régal de prose et d'imagination, tortueux comme une forêt de ronce!

      Tiens, après avoir évoqué le "Elizabeth" avec H.Mirren avec toi, je n'ai pu m'empêcher de le revoir à nouveau. J'ai vraiment hâte d'avoir ton avis ;)

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