Chicago
Livret : Bob Fosse et Fred Ebb
Musique : John Kander
Adaptation française : Nicolas Engel
Mise en scène : Tania Nardini
D'après la pièce de théâtre Chicago de Maurine Dallas Watkins (1926).
Avec : Carien Keizer, Fanny, Fourquez, Jean-Luc Guizonne, Sandrine Seubille...
Sur la scène du théâtre Mogador du 18 septembre 2018 au 30 juin 2019.
Au cœur des années 20, à Chicago, Roxie Hart, une artiste de cabaret,
tue son amant. En prison, elle est confrontée à Velma Kelly, double
meurtrière mais surtout, chanteuse de jazz et idole de Roxie. Grâce à un
avocat roué – Billy Flynn – les deux femmes trouveront la voie de la
liberté et celle du succès.
***
Bien placée au panthéon des comédies musicales mythiques, Chicago méritait bien un revival sur le sol français. Avant d'être un musical, Chicago est une pièce de théâtre de 1927 écrite par la journaliste et dramaturge américaine Maurine Dallas Watkins, inspirée d'un fait divers scandaleux survenu l'année précédente : la popularité inattendue de deux jeunes femmes accusées de meurtre, ce qui leur a finalement permis de devenir stars du monde du spectacle. Après plusieurs adaptations au cinéma (muet puis parlant) en 1927 et 1942, le metteur en scène Bob Fosse en a fait une transposition musicale en 1975. Le show a triomphé pendant deux ans à Broadway avant d'être repris dans le monde entier. Un revival a vu le jour à New-York en 1996, où le spectacle continue d'être joué sans discontinuer depuis 23 ans, jouissant d'un succès sans pareil et de nombreuses récompenses.
Chicago au cinéma : un film muet en 1927, un parlant en 1942, et un chanté en 2002.
C'est ce succès qui invite notamment Rob Marshall, réalisateur issu du monde de la scène, à transposer le musical sur grand écran en 2002 avec Catherine Zeta Jones, Renee Zellweger et Richard Gere. Le film est une réussite et rafle la mise aux Oscars (dont celui du meilleur film), et sa diffusion permet aux pays qui ne connaissaient pas le spectacle de le découvrir par un autre biais. C'est le cas de l'hexagone, qui accueille d'ailleurs quelques temps plus tard au Casino de Paris une première version française de la comédie musicale, adaptée par Laurent Ruquier.
Chicago est donc aujourd'hui un spectacle parmi les plus célèbres du genre et méritait bien une nouvelle mise en scène française. On en rêvait, Mogador l'a fait. Ce haut lieu de la comédie musicale en France ne pouvait décidément pas passer à côté de cette pièce iconique, et autant dire que votre humble serviteur était très impatient de voir ce que cela allait donner...
Verdict? Un régal! Couronnée de plusieurs trophées de la comédie musicale, cette adaptation française est une petite merveille. La mise en scène et les décors s'inspirent directement de ceux du revival de 1996 à Broadway : un cadre doré autour de la scène et l'orchestre au centre, le tout étant chic et sobre à la fois. En effet, les fioritures seraient inutiles ; l'histoire justifie la simplicité de l'esthétique sans pour autant qu'elle ait été négligée, comme l'attestent les rideaux dorés ou les lumières savamment dosées pour instaurer sur la scène l'ambiance capiteuse et élégante d'un cabaret des années 20.
Fanny Fourquez en Velma...
Tout l'intérêt réside dans les chansons, la musique, et... les comédiens, pour ne pas dire les deux comédiennes principales. Le rôle de la sulfureuse et très directe Velma Kelly a été tenu par Sophia Essaïdi de septembre à février, puis repris dès mars par Fanny Fourquez. Si je ne peux juger la prestation de la première (nous sommes allés voir l'avant-dernière représentation du show), je peux assurer que la seconde interprète de Velma nous a tous impressionés. Voix, port de tête, gestuelle, regard de femme fatale, et même la coupe à la garçonne on ne peut plus appropriée (que C.Zeta Jones portait également dans le film), Fanny Fourquez est résolument LA Velma Kelly qu'on attendait.
Carien Keizer en Roxie...
Face à elle, la danoise Carien Keizer joue une Roxie Hart plus pimentée que la trop douce femme adultère interprétée par Renée Zellweger dans la version cinématographique. Après avoir tenu le rôle dans une adaptation scénique allemande, Carien Keizer apporte un charme humoristique unique et inattendu à cette nouvelle Roxie : avec son accent et un jeu parfois cartoonesque, elle apporte un côté Betty Boop qui s'avère parfait pour le personnage.
Du côté du reste du casting, Jean-Luc Guizonne prête sa voix chaude et son charme ravageur au rôle de Billy Flinn, qui lui va comme un gant, mais c'est surtout le personnage secondaire de Mama Morton qui a retenu notre attention. Vénale mais attachante, cette directrice de la prison où sont incarcérées Velma et Roxie est magistralement campée par Sandrille Seubille, grande professionnelle de la scène en plus d'être professeure au cours Florent.
Faut qu'ça jazz, LA chanson mythique du spectacle.
L'extase est provoquée par de nombreux titres phares du spectacle, admirablement chantés et dansés. Ambiance jazzy à souhait et chorégraphies inspirées nous plongent plus que jamais dans l'énergie des Années Folles! La célèbre chanson d'ouverture, Faut qu'ça jazz (All that jazz en VO) est bien sûr une réussite, mais on a surtout été très TRES emballé par le tango des taulardes (follement indécent dans son texte et techniquement impressionnant dans sa construction) et par la simplicité du duo Classe, aux paroles si bien pensées. Ce qui nous fait réfléchir quant à la qualité du texte français écrit par Nicolas Engel, qu'il a su adapter au rythme des musiques originales en gardant une pertinence du sens et du style.
Classe : le duo qui fait mouche...
"Ah, y'a plus de gentlemen pour vous raccompagner,
Y'a plus de dames, restent les chiennes et les trainées,
Quant aux gosses qui vous casseraient la gueule pour une glace...
Personne n'a plus de classe."
Si l'histoire n'a rien de morale (on parle quand même de deux criminelles qui parviennent à jouer de leur célébrité en tant que tueuses pour devenir des stars de music hall grâce à l'aide d'un avocat véreux), on adhère totalement à cette illustration tonitruante des Roaring Twenties et de leurs mœurs extrêmes. L'humour dose intelligemment cynisme, ironie, légèreté et grivoiserie sans jamais altérer le chic de l'ensemble. Une réussite.
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