dimanche 29 mars 2020

Aux confins du confinement (ou pas)...


  Jamais nous ne pouvions mieux (ou mal) revivre le passé qu'actuellement : il y a cent ans, la grippe espagnole décimait environ cinq pour cent de la population mondiale. Moi qui m'amusais tous ces derniers mois de parallèles avec les années 20 dont nous fêtons le centenaire, je trouve de suite moins drôle de faire un reeboot intégral de cet événement avec sa lointaine cousine chinoise (qui n'est peut-être même pas vraiment chinoise, d'ailleurs... allez savoir...). Si son prédécesseur aurait été de souche aviaire (selon de récentes découvertes) notre coronamachinchose viendrait probablement de l'une de ces adorables créatures que sont la chauve-souris ou le pangolin. Peu importe que la faute revienne aux Chinois, aux chauve-souris, aux pangolins, ou à ceux qui les mangent (eh bien quoi, vous n'avez jamais mangé Chinois, vous?), le monde est passé en l'espace de quelques semaines (ou était-ce des mois? Quand tout cela a-t-il véritablement commencé?) d'un extrême à un autre.

La grippe espagnole, il y a cent ans...

  Villes bondées, autoroutes saturées et villages traversés de joyeux promeneurs sont devenus aussi vides de que des villes fantômes : paysages urbains déserts, campagnes inanimées, le monde extérieur ressemble partout à un décor de cinéma avant l'arrivée de l'équipe de tournage, entre demeures factices et façades en trompe-l’œil. A ce titre, jamais le dehors n'aura autant ressemblé à un épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, où les bourgades vides de monde et les rues dépeuplées étaient devenues un des codes emblématiques de la série, plongeant le spectateur dans une atmosphère étrange de rêve éveillé. C'est cette même ambiance qui me happe lorsque je passe la porte de mon Terrier pour affronter le néant, muni de ma petites attestation (qui n'atteste de pas grand chose) ou de ma dérogation professionnelle.




Les villes toujours désertes de Chapeau Melon et Bottes de Cuir... comme un goût d'actualité...

  Car en ces temps de trouble mondial – pour la majorité, du moins, car certains qui ne devaient pas capter les médias ou recevoir la presse depuis leur tour d'ivoire persistent à se retrouver le vendredi soir pour prendre des apéros en groupe, se griller quelques merguez le dimanche midi, ou promener Médor et Pupuce entre amis au parc du coin (alors qu'une rubalise barrait l'entrée) – quelques irréductibles Gaulois continuent de partir au front (à l'hôpital, à la caisse du supermarché, au bureau de poste, au volant du camion de ramassage des déchets, derrière le guichet de la banque, au fournil de la boulangerie...) chaque matin, tout juste équipés d'armes convenables (sans masque, sans gant, sans chemise, sans pantalon). Tandis que les toqués de première s'arrachent les rouleaux de papier toilette et les paquets de féculents (parce qu'ils confondent les termes d' épidémie et de fin-du-monde-cataclysmique-comme-à-l'extinction-des-dinausaures), prêts à tout même à pousser mémé dans les orties (sur le bas côté de la route) pour passer prems dans l'enceinte du Mamouth ou de l'Unico du coin et à faire auto-tamponneuse avec le caddie pour avoir le dernier paquet de pâtes format familial, d'autres n'ont pas le loisir de s'adonner avec une telle énergie à ces nouveaux sports à la mode.

  Petit acteur de la vaste scène socio-éducative (ou médico-sociale, je ne sais plus : même ça, ça n'a jamais été clair, autre preuve du brouillard persistant qui entoure nos professions), je fais partie de ces gens professionnels auxquels on n'a pas proposés de confiner (aussi parce que je n'ai pas d'enfant et que mon employeur refusait les droits de retrait, n'en faisant dès lors plus un droit mais une option à laquelle on ne peut tout bonnement pas souscrire dans mon abonnement métier). Passée la vague déception de l'égoïsme inassouvi (ça m'arrive tellement rarement : pour une fois, l'excuse était internationale, donc pas de quoi culpabiliser!), je suis donc parti au front dans les conditions de grand chambardement que connaissent actuellement les secteurs de l'accompagnement et/ou du sanitaire, étant pour ma part au contact d'adorables petits démons qui portent tous une pancarte clignotante "porteur sain" au-dessus de leur charmante petite tête. .Pas de panique cependant : je suis toujours en vie au bout de ces quinze premiers jours et je compte bien le rester encore quelques temps si tous ces imbéciles qui ne comprennent pas la notion de confinement voulaient bien rester chez eux pour qu'on en finisse au plus vite.

Pour une fois qu'on vous OBLIGE à rester chez vous pour bouquiner...

  On a souvent coutume de dire, face à une catastrophe (petite ou grosse), "la terre ne s'est pas arrêtée de tourner", pour relativiser les événements. Cette fois, on a presque l'impression qu'elle a effectivement stoppé sa course, ou du moins que sa rotation s'est considérablement ralentie. Les choses semblent comme mises entre parenthèses. Partout les journalistes, les auteurs, les philosophes et autres penseurs nous exhortent à nous saisir de ce temps qui nous est offert et faire contre mauvaise fortune bon cœur : sublimer l'angoisse, saisir les occasions de s'atteler à ce qui était toujours repoussé. Tandis que cette assignation à résidence nous arrache certains de nos rituels les plus nécessaires (comment dire au revoir lorsque, dans ces conditions sanitaires, on ne peut plus se rendre aux enterrements des êtres chers qui nous quittent?), nous devons tenter de créer ensemble le ciment qui va aider à construire chaque nouvelle journée. Parler ainsi, c'est bien sûr parler généralité : il y a ceux qui sont seuls dans de grandes maisons et ceux qui vivent en famille trop nombreuses dans de trop petits appartements, ceux qui parviendront à se rapprocher des membres de leur famille avec qui ils cohabitent et les autres, pour lesquels cette proximité creusera plus encore les fossés naissants et alimentera les tensions déjà bien présentes.



Dans la pétillante série Pushing Daisies, les héros amoureux, comme frappés d'une étrange malédiction, ne pouvaient se toucher sous peine de mourir et étaient déjà soumis à la contrainte de la distance sociale, quitte pour la braver à s'embrasser à travers du cellophane. A revoir pour mettre de la magie dans votre confinement!

  Dans cet "entre parenthèses" où chaque sortie pour faire ses courses évoque un film documentaire sur Chernobyl ou une lutte pour sa survie, où le gel hydroalcoolique est devenu la nouvelle eau bénite, et où le "Vas-y, dégage!" est devenu le nouveau "A tes souhaits", glanons les bribes de bonheur et de simplicité que nous pourrons. Dans un avenir plus ou moins proche, nous sortirons tous de cette torpeur avec, peut-être, l'amour des choses plus essentielles. Alors, lorsque le rapprochement des corps sera de nouveau autorisé et que les gestes barrières ne seront plus qu'un mauvais souvenir, après cette passade qui aura fait ressurgir à la fois le meilleur et le pire de l'humanité, espérons retrouver un monde où le contraste aura au moins le mérite de redonner son prix à toutes les choses de la vie.



2 commentaires:

  1. Pouchky Annette1 avril 2020 à 12:52

    Voilà qui est bien dit.

    RépondreSupprimer
  2. Article tout en finesse et réalisme sur cette période unique où l'humain se révèle au quotidien entre générosité et petits égoïsmes ..avec ces pointes d'humour et de tendresse qui font chaud au cœur ! Merci ... Josette

    RépondreSupprimer